Un professeur israélien appelle @@ au boycott de son pays

Un Israélien en est arrivé à la conclusion, quand bien même serait-elle douloureuse, que le boycott est le seul moyen de sauver son pays. Neve Gordon enseigne la science politique à l’Université Ben-Gourion de Beersheba. Suite à cette prise de position, il est victime de menaces et rique de perdre son poste.

 

Cet été, les quotidiens israéliens sont pleins d’articles colériques fustigeant une campagne internationale de boycott d’Israël. Des films ont été retirés de leur participation à des festivals de cinéma en Israël, Leonard Cohen est soumis à des tirs à boulets rouges dans le monde entier après la décision qu’il a prise de jouer à Tel Aviv et l’organisation Oxfam a coupé tous liens avec une porte-parole pipole, une actrice britannique, au motif qu’elle participe, par ailleurs, à des films publicitaires vantant des produits de beauté produits dans les territoires (palestiniens) occupés.

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Manifestement, cette campagne qui a recours à la tactique qui a contribué à mettre fin à la discrimination raciale officielle en Afrique du Sud est en train de gagner beaucoup de partisans, dans le monde entier.

Sans surprise, beaucoup d’Israéliens – même des peaceniks du « camp de la paix » – ne signent pas. Un boycott généralisé ne servirait à rien, d’après eux. De plus, ce type d’action reflèterait un certain antisémitisme. Cela soulève aussi la question du deux poids-deux mesures (pourquoi ne pas boycotter aussi la Chine, en raison de ses violations éhontées des droits humains ?), ainsi que celle de la position (en apparence) contradictoire consistant à approuver le boycott de son propre pays.

Ce n’est certes pas simple, pour moi qui suis Israélien, d’exhorter les gouvernements étrangers, les autorités régionales et internationales et les mouvements sociaux, ainsi que les organisations confessionnelles, les syndicats et les simples citoyens à suspendre leur coopération avec Israël. Mais aujourd’hui, quand je vois mes deux garçonnets en train de jouer dans la cour, je suis convaincu que le boycott est la seule façon de sauver Israël de sa propre folie.

Ce qui m’amène à dire cela, c’est le fait qu’Israël est parvenu à la croisée des chemins : les temps de grande crise nécessitent toujours des décisions aussi difficiles que drastiques. Je dis cela en tant que juif ayant décidé d’élever ses enfants en Israël, en tant que membre du camp de la paix israélien depuis près de trente ans et en tant que citoyen israélien profondément préoccupé par l’avenir de son pays.

La description la plus précise et exacte que l’on puisse donner aujourd’hui d’Israël est celle de pays d’apartheid. Depuis plus de quarante-deux ans, Israël contrôle les terres s’étendant entre la Vallée du Jourdain et la côté méditerranéenne. Dans cette région résident environ 6 millions de juifs et près de 5 millions de Palestiniens. Sur cette population, 3 millions-et-demi de Palestiniens et près d’un demi-million de juifs vivent dans les régions conquises et occupées par Israël en 1967.

Néanmoins, bien que ces deux populations vivent dans la même région, elles sont régies par deux systèmes légaux entièrement différents. Les Palestiniens sont apatrides et sont privés de la plupart des droits humains les plus fondamentaux. En un contraste choquant, tous les juifs – qu’ils vivent dans les territoires occupés ou en Israël – sont citoyens de l’Etat d’Israël.

La question qui m’empêche de dormir, à la fois en tant que parent et en tant que citoyen, est celle de savoir comment faire en sorte que mes deux enfants, ainsi que ceux de mes voisins palestiniens, ne grandissent pas dans un système d’apartheid ?

Pour atteindre ce but, il n’y a que deux manières (si l’on veut le faire en respectant l’éthique).

La première, c’est la solution à un Seul Etat, consistant à offrir la citoyenneté à tous les Palestiniens et, par conséquent, en créant une démocratie binationale dans la totalité de l’ère géographique aujourd’hui contrôlée par Israël. Etant donné le rapport des taux de croissance démographique, cela reviendrait à condamner Israël en tant qu’Etat juif ; pour la plupart des Israéliens, c’est totalement inenvisageable.

La deuxième manière de mettre fin à notre apartheid passe par la solution à Deux Etats (qui implique le retrait d’Israël à l’intérieur de ses frontières antérieures à juin 1967 (avec de possibles échanges de territoires à parité), le partage de Jérusalem et la reconnaissance du droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, avec la réserve que seule, une partie (limitée) des 4 millions-et-demi de réfugiés palestiniens seraient autorisés à retourner s’installer en Israël, les autres pouvant revenir [sic, ndt] dans le nouvel Etat palestinien.

Géographiquement, la solution à Un Etat semble bien plus faisable, les juifs et les Palestiniens vivant d’ores et déjà totalement de manière inextricable ensemble ; de fait, « sur le terrain », la solution à Un seul Etat (dans sa variante « apartheid ») est déjà une réalité.

Idéologiquement, la solution à Deux Etats est plus réaliste, car moins d’un pourcent des juifs et seulement une minorité des Palestiniens sont favorables à la bi-nationalité.

Pour l’instant, en dépit des difficultés concrètes, il est plus raisonnable de modifier les réalités géographiques que les réalités idéologiques. Si, dans un futur donné, les deux peuples décident de partager un Etat, ils pourront le faire. Mais actuellement, cela n’est pas quelque chose qu’ils appellent de leurs vœux.

Donc, revenons à la solution à Deux Etats : s’il s’agit bien de la manière de mettre un terme à la situation d’apartheid, comment atteindre ce but ?

Je suis convaincu que la pression extérieure est l’unique réponse. Durant les trois décennies écoulées, le nombre des colons juifs dans les territoires occupés s’est considérablement accru. Le mythe de la Jérusalem réunifiée a abouti à la création d’une ville ségréguée, d’apartheid, où les Palestiniens ne sont pas considérés comme citoyens et où les services municipaux de base leur sont déniés.

Le camp de la paix israélien s’est effiloché au fil des années, si bien qu’aujourd’hui, il n’existe pour ainsi dire plus, et cela s’accompagne d’une glissade continue des partis politiques israéliens vers l’extrême droite.

Par conséquent, il est évident, à mes yeux, que la seule manière permettant de contrer la tendance à l’apartheid actuelle en Israël passe par une pression internationale massive. Les propos et les condamnations provenant de l’Administration Obama et de l’Union européenne n’ont eu aucun résultat, pas même un gel de la colonisation israélienne. Quant à une décision israélienne de se retirer des territoires occupés, je n’en parle même pas, par charité !

Par conséquent, j’ai décidé d’apporter mon soutien à l’action BDS – Boycott, Désinvestissement et Sanctions -, qui a été lancé par des militants palestiniens en juillet 2005 et qui n’a cessé depuis lors de bénéficier d’un soutien de plus en plus large dans le monde entier. Ce mouvement a pour objectif de faire en sorte qu’Israël respecte les obligations que lui impartit le droit international et que les Palestiniens se voient garantir leur droit à l’autodétermination.

En 2008, à Bilbao, en Espagne, une coalition d’associations du monde entier a formulé la campagne Boycott, Divestment and Sanctions en 10 points, qui vise à exercer des pressions sur Israël «d’une manière graduelle et durable, en fonction du contexte et de sa réceptivité».

Ainsi, par exemple, l’action a commencé par des sanctions contre (et des désinvestissements de) firmes israéliennes travaillant dans les territoires palestiniens occupés. Elle a été suivie par des actions contre celles qui contribuent à soutenir, voire à renforcer, l’occupation de manière patente. Dans cet ordre d’idées, des artistes venant en Israël afin d’attirer l’attention du public sur l’occupation sont bienvenus et encouragés à le faire, alors que ceux qui vont en Israël à seule fin d’y faire leur show ne le sont pas.

Rien d’autre n’a marché. Exercer une pression internationale massive sur Israël est la seule manière permettant de garantir que la nouvelle génération d’Israéliens et de Palestiniens – dont mes deux garçons – ne grandiront pas dans le contexte d’un régime raciste d’apartheid.

Traduction : Marcel Charbonnier.

Source : Los Angeles Times   

Image: Palestine Marseille

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