Turkmenistan : pas de révolution en "kit"

Toujours à l’affût d’une crise déstabilisatrice dans l’ex-empire soviétique, les médias occidentaux et certainement en coulisses les diplomates, les pétroliers et les banquiers ont caressé pendant quelques jours l’espoir de mettre la main sur le trésor gazier qu’est le Turkménistan.

En effet, le décès soudain du tout puissant SAPARMURAD NYAZOV, sorte de pacha oriental issu de la décomposition des partis communistes de l’ex-URSS qui se faisait appeler TURKMENBASHI : « père de tous les turkmènes », pouvait laisser espérer que sa succession non préparée permettrait de mijoter vite fait une petite « révolution » de couleur permettant de mettre à la tête du pays un dirigeant « démocratique » qui laisserait les multinationales pétrolières et gazières occidentales s’emparer des immenses réserves de gaz naturel que renferme le sol du pays.

Las, il ne s’est pas trouvé de leader de rechange de bonne pointure, ni d’ONG bien organisée et copieusement financée par la NED étasunienne pour mener une fronde contre le régime. NYIAZOV, en disparaissant prématurément, a créé la surprise.

Les médias occidentaux ont bien fait surgir de l’ombre à toute vitesse un exilé turkmène ancien ministre de NYIAZOV, mais, sans relais intérieurs, ce candidat improvisé au pouvoir n’a pas pu s’imposer.

Très vite, l’organe dirigeant a choisi à l’unanimité un successeur à NYIAZOV. Il s’est agi du Ministre de la Santé :GURBANGULY BERDHYMUKHAMMEDOV

Celui-ci assure l’intérim de la présidence et sera le seul candidat aux élections présidentielles qui avaient été fixées, avant le décès de NYIAZOV, au mois de Février prochain.

Le calme gouvernemental règne donc au Turkménistan. Le gaz turkmène, abondant, satisfait bien sûr largement les besoins du pays et s’exporte vers l’Iran où il alimente l’énorme agglomération de Téhéran et le nord du pays, les gisements iraniens, eux-mêmes abondants, se trouvant dans le Sud du pays loin de la capitale, et vers l’Europe par le réseau de gazoducs russes de GAZPROM.

Un autre projet gazier grandiose consistait à construire via l’Afghanistan un gazoduc pour alimenter le Pakistan et l’Inde. Ce projet, porté jadis par la société pétrolière US UNOCAL – dont l’actuel Président afghan (avec la double nationalité afghane/étasunienne) KARZAI était à l’époque le délégué dans la région – a été suspendu pour cause d’invasion militaire US. Mais son intérêt économique demeure pour les deux pays clients, très pauvres l’un et l’autre en ressources énergétiques.

En politique étrangère, le Turkménistan est discret : membre de la CEI, il n’a pas cédé aux sirènes proétasuniennes du GUAM (groupe Georgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) pas plus qu’il n’a accepté de bases US au moment de l’invasion de l’Afghanistan. A l’inverse des autres républiques d’Asie Centrale il n’a pas adhéré non plus à l’Organisation de Coopération de Shanghai qui, animée par la Chine et la Russie, est en train de devenir un réel contrepoids aux visées dominatrices des USA en Eurasie. Il s’est également tenu à l’écart de l’Organisation de sécurité collective fondée par une partie des Etats membres de la CEI autour de la Fédération russe.

Selon les sources et les périodes les estimations des réserves gazières turkmènes varient. Présentées quelquefois comme les troisièmes du monde elles sont minimisées par d’autres. Le problème n’est probablement pas d’ordre géologique ou technique mais plutôt géographique. Le Turkménistan est un Etat enclavé, éloigné des zones de consommation. La mise en exploitation intensive de son gaz supposerait un environnement politique stable. Ce n’est pas le cas aujourd’hui puisqu’il est frontalier de l’Afghanistan occupé et de l’Iran menacé. Ses voisins du Nord et de l’Ouest : Kazakhstan, Azerbaidjan (à travers la Caspienne) et Russie sont eux-mêmes producteurs et exportateurs donc pas intéressés économiquement par le développement de ce concurrent.

La situation du Turkménistan pourrait être comparée à celle d’un riche propriétaire foncier, gardant jalousement son trésor et dont les voisins et d’autres grands propriétaires plus lointains attendraient tranquillement la disparition pour élargir leur domaine (qui n’est intéressant que pour son sous-sol, en surface le pays est un désert à 90%). Mais le vieillard est méfiant, autoritaire et capricieux, il ne se fie à personne et il faut le ménager tant que les dispositions de son testament ne sont pas connues. Ses héritiers directs : l’équipe au pouvoir comme la population turkmène qui, même si elle subit ses caprices de vieillard riche, bénéficie gratuitement à vie de l’eau du gaz et de l’essence, ne se laisseront pas dépouiller si facilement.

La partie de Monopoly gazier ne fait donc que commencer. Elle est mondiale. Les principaux joueurs sont connus : Russie, Iran, Chine, Etats-Unis, Turquie. Même les israéliens sont, comme on dit, sur le coup, à travers la société MERHAV dirigée, quelle surprise, par un ancien officier du Mossad, JOSEPH MEIMAN. Mais pour l’heure les deux voisins les mieux tolérés dans ce pays qui se déclare « invincible » sont l’Iran et la Russie. Ils achètent ou transportent le gaz, ne parlent jamais d’héritage et laissent le « vieux » tranquille. En matière d’héritage, l’impatience est mauvaise conseillère et pour l’heure la « famille » ne semble pas prête à se laisser déposséder.

CONTRE LA GUERRE, COMPRENDRE ET AGIR

Bulletin n°159– semaine 04 – 2007

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