Transfert de déchets toxiques et droits humains

Suite aux scandales des années 1986-1987, relatifs aux déversements de déchets toxiques dans les pays africains et les conséquences dramatiques sur la santé et l’environnement des populations, les gouvernements africains, sous la bannière de l’Union africaine(1), condamnent unilatéralement ce commerce en le qualifiant de « crime contre l’Afrique et les populations africaines »(2). Un an plus tard, la communauté internationale leur emboîte le pas en adoptant la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières des déchets et de leur élimination, le 22 mars 1989.

Affirmant la nécessité de « protéger la santé humaine et l’environnement des risques causés par les déchets dangereux », cette Convention marque la prise de conscience internationale des problèmes liés aux transferts transfrontières des déchets dangereux. Dans les années 90, s’ensuit alors l’adoption de nombreux instruments internationaux, régionaux et nationaux légiférant sur cette question. De même, face aux difficultés rencontrées dans les pays en développement pour contrôler et gérer ces déchets, la communauté internationale, à l’initiative de la Conférence des Parties à la Convention de Bâle, se mobilise pour apporter une assistance technique à ces pays.

Malgré ces efforts, le trafic de déchets dangereux entre les pays développés et les pays en voie de développement, continue de sévir dans les pays à faible pouvoir économique sous de nouvelles formes : les programmes de « recyclage » frauduleux, la délocalisation d’industries polluantes, l’« écomafia »… Or, ces mouvements et transferts de déchets dangereux portent de graves atteintes aux droits humains fondamentaux, telles que la violation du droit à la vie et du droit à la santé (pour ne
citer que ceux-là), sans pour autant que cet aspect soit explicitement mentionné dans aucune des conventions ratifiées à ce sujet. Devant la gravité et l’ampleur du phénomène, l’ancienne Commission des droits de l’homme s’est saisie du problème et a adopté le 8 mars 1995 la résolution 1995/81 instituant un mandat de Rapporteur spécial sur « les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l’homme ».

Face aux problèmes de production et de transfert des déchets toxiques et nocifs, la réponse de la « communauté internationale » (occidentale en particulier) est non pas d’interdire mais de « gérer » (au mieux ?) cette situation. Or, vu le modèle de développement en vogue, où la consommation et le profit sont érigés en dogme, non seulement les produits en question prolifèrent, mais nous sommes aussi confrontés sans cesse à la fabrication de nouveaux produits dont on ignore les conséquences, à moyen et à long terme, sur la santé et l’environnement, sans parler de l’exploitation effrénée des ressources non renouvelables. En effet, comment les gouvernements des pays industrialisés peuvent-ils se contenter de « réglementer » la gestion des déchets toxiques sans légiférer sur les procédés et technologies de production générant ces résidus ? Et sans en interdire l’exportation ?
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater que le trafic de ces produits et déchets ne diminue pas, mais « s’adapte » (changement de destination, fraudes, réseaux mafieux, etc.).
A la rigueur et à défaut de mieux, si l’on peut admettre que la « gestion » du problème passe par l’adoption de toute une série de conventions internationales dans le domaine de l’environnement, – tout en reconnaissant leurs lacunes-, force est de constater que ces mêmes conventions ne sont pas respectées dans la pratique.
Pourtant, il est clair que la criminalité environnementale ne pourra être endiguée que si les législations en matière d’environnement s’accompagnent de mesures et de moyens effectifs tant au niveau international que national. Encore faut-il que ces derniers soient énoncés de manière claire et précise et accompagnés de sanctions dissuasives, telles que des sanctions pénales. Et qu’elles tiennent compte de la dimension « droits humains » !
Le traitement de cette question sous l’angle des droits humains change la donne à cet égard. Dans ce cadre, le mandat du Rapporteur spécial au sein du CoDH joue un rôle important, autant sur le plan de la sensibilisation, de l’information que sur le plan des recherches et des propositions.
C’est pourquoi le soutien des Etats à ce mandat est primordial. Espérons que le consensus trouvé récemment entre les Etats témoigne d’une prise de conscience, surtout pour ceux qui étaient jusque là hostiles à ce mandat, quant à l’importance de la dimension droits humains dans le traitement de ce problème. Cette prise de conscience devrait logiquement conduire les Etats à élargir le mandat du Rapporteur spécial, comme le demande ce dernier, à l’ensemble des mouvements des produits et déchets toxiques et nocifs : qu’ils soient licites ou illicites et qu’ils soient transfrontières ou à l’intérieur d’un pays donné. Les Etats devraient également renforcer l’accès des victimes à la justice et les soutenir dans leur démarche.
Cela dit, ce mandat ne devrait par servir d’alibi et les Etats devraient mettre en œuvre les recommandations du Rapporteur spécial, car sans un encadrement juridique contraignant des activités des sociétés transnationales et sans une assistance technique et économique aux pays du Sud – pour ne citer que ces deux importantes recommandations –, tous les efforts n’auront qu’une portée extrêmement limitée.

1 En 2002, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a été remplacée par l’Union Africaine.
2 Cf. Résolution 1153 de l’Union africaine, datée du 25 mai 1988.

Source : CETIM
Melik Özden est directeur du Programme Droits Humains du CETIM et Représentant permanent auprès de l’ONU

Lien vers le cahier entier pour plus de détails : http://www.cetim.ch/fr/documents/cahier_4.pdf

 

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