Torturé par Le Pen

Au moment où certains s’efforcent malheureusement de banaliser Le Pen, voici un rappel utile :
Extraits du livre : TORTURÉS PAR LE PEN
La guerre d’Algérie (1954 – 1962)



"En 1943, rue Lauriston, des Français criaient d’angoisse et de douleur, la France entière les entendait.
En 1958, à Alger, on torture régulièrement, systématiquement, tout le monde le sait, de M. Lacoste aux cultivateurs de l’Aveyron, personne n’en parla, ou presque. "
Jean-Paul Sartre

Une Victoire

Oui, Jean Marie Le Pen a torturé en Algérie, et lui-même a admis avoir usé de la torture en déclarant notamment dans un entretien accordé au quotidien « Combat », le 9 novembre 1962 :


"Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire. Quand on vous amène quelqu’un qui vient de poser vingt bombes qui peuvent exploser d’un moment à l’autre et qu’il ne veut pas parler, il faut employer des moyens exceptionnels pour l’y contraindre. C’est celui qui s’y refuse qui est le criminel car il a sur les mains le sang de dizaines de victimes dont la mort aurait pu être évitée".


Selon le journal officiel français du 12 juin 1957, le député parachutiste Le Pen déclarait également « J’étais à Alger officier de renseignement (…), comme tel je dois être aux yeux d’un certain nombre de mes collègues ce qui pourrait être le mélange d’un officier SS et d’un agent de la Gestapo. Ce métier, je l’ai fait… »


Tous les témoignages des algériens torturés par Le Pen rejoignirent celui de Mohamed Louli, arrêté à Alger le 14 février 1957, et emmené par Le Pen à la villa des Roses, Boulevard Galliéni, aujourd’hui 74 boulevard Bougara :
« Le Pen m’a torturé. Oui, lui personnellement à l’électricité et à l’eau. Et je l’ai vu aussi torturer d’autres détenus ».


Le commissaire principal R. Gilles dans un rapport à M. l’inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire, préfet d’Alger, rapportait ceci : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’à l’issue de son arrestation et de sa détention, du 8 au 31 mars, par les parachutistes du 1er REP, le nommé Yahiaoui Abdenour, né le 3 juillet 1938, domicilié 53 avenue Lavigerie à Kouba, s’est présenté devant moi et m’a déclaré avoir été l’objet de sévices de la part du Lieutenant Le Pen, et sur son ordre.


En particulier, lors de son arrestation, des fils électriques furent reliés aux lobes de ses oreilles. Le lieutenant Le Pen lui-même faisait fonctionner une magnéto à manivelles à l’aide de laquelle il envoyait des décharges électriques dans le corps. En présence de ce même officier, le jeune Yahiaoui fut frappé avec un nerf de bœuf, et y fut attaché nu sur un banc, pieds et poignets liés, et il dut y ingurgiter de force une certaine quantité d’eau.
Enfin, il reste cinq jours enfermé dans un "tombeau", trou creusé dans le sol et fermé par des barbelés, au 74 boulevard Galliéni où il était détenu. A la suite de ces cinq jours de "tombeau", il ne fut plus maltraité jusqu’à sa libération. »
Jean-Marie Le Pen doit être poursuivi pour les actes de torture qu’il a fait subir à nos compatriotes.


Tout comme le président du Front National, le tortionnaire Jean-Marie Le Pen, le général Bigeard, l’assassin de Larbi Ben M’hidi, le « Jean Moulin » algérien, le général Massu et Maurice Papon doivent être jugés comme criminels de guerre. Klaus Barbie et Papon ont été jugés en France. Il serait également juste que Le Pen, Massu, Bigeard, Papon et les autres soient jugés pour les mêmes crimes que Barbie par des tribunaux algériens et français.
Nous sommes en droit d’exiger un procès Nuremberg du colonialisme français à Alger pour les juger pour crimes contre l’humanité.


Mohamed LOULI – Né le 21 juillet 1927.


J’ai été arrêté dans la nuit du 23 au 24 février 1957, après avoir été relâché par les bérets rouges. J’avais été relâché le 21 février. On m’a repris dans la nuit du 23 au 24. C’est le lieutenant Le Pen qui est, lui-même, venu chez moi à Notre Dame d’Afrique. Il opérait beaucoup par là-bas. Il ont tout démoli chez moi. Ils ont ramassé tout ce qu’ils ont trouvé chez moi. Ils sont restés à peu près une heure chez moi. Il était 21h. On m’a attaché, on m’a mis un bandeau sur les yeux. Avec le Pen, il n’y avait que des paras Allemands. Ils m’ont fait monter dans une voiture stationnée à 100 mètres de chez moi. La voiture, c’était une dauphine neuve. On est monté à trois derrière, on était bien serrés, plus le chauffeur et le lieutenant. Le Pen devant, ils m’ont fait faire un petit voyage dans Alger.

 

J’ai pu, pendant quelques moments, repérer les endroits où on passait, mais à un moment, ils n’ont fait qu’aller et venir, et tourner à gauche, à droite, et là, j’ai perdu le fil. On a dû arriver Boulevard Gallieni vert minuit, une heure du matin. On m’a fait descendre et on m’a fait marcher tout seul a peu près 200 m, ils étaient derrière moi, et je tâtonnais pour arriver là où on me conduisait. Et là, on m’a fait entrer dans une villa. On m’a fait monter un étage, et quand ils m’ont enlevé le bandeau, j’ai vu trois paras étrangers, le lieutenant Le Pen et le capitaine que je ne connaissais pas. Le Pen non plus, je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu auparavant. Ils ont commencé l’interrogatoire. Gentiment au départ, sans rien, et après, on m’a fait descendre dans une chambre, et c’est là que j’ai commencé à être torturé. Alors, le premier soir, c’était à l’eau et c’est Le Pen et le capitaine qui interrogeaient, il n’y avait pas de baignoire, il y avait une grande bassine remplie d’eau sale et ils m’ont attaché comme un saucisson sur un banc très long avec la tête qui dépassait de la planche, et chaque fois, quand ils voyaient que je ne disais rien, ils soulevaient, et ma tête rentrait dans la bassine d’eau. Après, je ne me rappelle plus, je sais qu’il faisait jour quand ils m’ont fait descendre avec les autres. Oui, il devait être cinq heures du matin. Quand vous êtes à la villa, vous avez en face le soleil. La lumière commençait à poindre. Ils vous prenaient à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Ils n’avaient pas d’heure.


Pratiquement ça ne s’est pas arrêté, si ce n’était pas moi, c’étaient d’autres, pendant tout le temps que je suis resté là-bas. Ce n’est que peut-être cinq ou six jours après, qu’ils nous ont ordonné de creuser des tombes, des tombes normales d’à peu près 1,70 m de profondeur, autant en longueur et dans les 60 cm de large. Il y en a eu dix, cinq près de la villa et cinq plus bas. Et là-dedans, ils mettaient les gens. Quand ils torturaient quelqu’un, dès qu’ils avaient besoin de lui, ils prenaient le prisonnier, ils le torturaient, puis ils le refoutaient dans la tombe.


Moi, personnellement, j’ai dû passer peut-être, quatre ou cinq jours dedans. Et quant El Hadj Ali Mouloud a été liquidé, à ce moment là, pour éviter qu’il y ait des histoires pareilles, ils ont mis des barbelés jusqu’au ras du sol, ce qui fait que le prisonnier ne pouvait pas sortir. Quand ils venaient le prendre, ils levaient un peu les barbelés, puis ils le retiraient. Il était déjà à moitié liquidé avant d’être sorti, parce qu’ils le passaient entre les barbelés. L’affaire Ali Mouloud, on a dit que ce n’était pas une évasion. Il fallait deviner ce qu’il pensait à ce moment là, le malheureux.

 

Personne ne pouvait savoir ce qu’il pensait. Ce que je peux préciser, c’est ce que j’ai vu, moi. On m’avait monté le matin à la terrasse de la villa, et ils m’ont laissé debout de 7h du matin à 18h 30 à peu près. Il commençait à faire noir. C’est à ce moment que j’ai entendu du bruit et je me suis retourné. J’étais sur le bord du parapet de la terrasse. Un petit parapet de 60 cm de hauteur. Je regardais en bas, entre les arbres, et j’ai vu Hadj Ali Mouloud, qui avait commencé à faire quelques pas vers le bas. A ce moment-là, un para étranger, il parlait allemand, a tiré sur lui dans le dos. Alors, de tous les côtés, ça commençait à tirailler. Les paras qui étaient à côté de moi, ne voyaient pas, ils étaient au milieu de la terrasse, à l’endroit où se trouvaient les appareils de transmission.

 

Quand ils ont entendu tirer, ils sont venus, ils m’ont jeté par terre, et ils tiraillaient dans les arbres qui se trouvaient plus bas dans le jardin. Ils ne savaient pas ce qui se passait. Au même moment, il y a eu des tirs qui venaient de la rue, plus bas. C’était un groupe de C.R.S en patrouille. Ils ont tiraillé aussi de tous les côtés, pensant qu’ils devaient être attaqués ou qu’il y avait quelque chose contre eux, et ça a duré une minute peut-être. Un quart d’heure après, il devait être 19h, le lieutenant Le Pen est monté sur la terrasse et il a fait cette réflexion en me voyant : « Tiens, il est encore là, celui-là, qu’est-ce qu’il fout là ? ». Il m’avait oublié, parce que c’était lui qui m’avait monté le matin. Ils m’ont redescendre, et devant la porte d’une remise où il y avait une trentaine de prisonniers à peu près, le lieutenant Le Pen m’a fait cette réflexion, en voyant le corps de Hadj Ali Mouloud qui était nu, il avait été déshabillé : « Tu vois ce qui arrive à ceux qui tentent de fuir.

 

Voilà un de tes amis. ». J’ai dit : « Ce n’est pas mon ami, je ne le connais pas. ». Et c’est vrai que je ne le connaissais pas du tout. Je l’ai vu mort pour la première fois. Après, ils m’ont mis dans la remise avec les autres, et Le Pen a demandé à un para de m’attacher. Le para, c’était un allemand, il ne m’a pas attaché. Il m’a mis une corde autour et il a essayé de m’expliquer de rester comme ça, de passer la nuit comme ça avec les autres, et le matin, quand on viendrait nous détacher, d’essayer de me mettre avec les autres qui venaient d’être détachés pour qu’on ne voit pas qu’on ne m’avait pas passé la corde autour des poignets. On a eu des paras, là-bas, qui étaient méchants aussi, qui torturaient les gens, mais il y en a qui ont refusé de torturer, ce sont des paras étrangers, qui s’en foutaient pas mal de ce qui se passait en Algérie. Il y avait des hongrois, un espagnol, deux italiens et tous les autres sont des Allemands. Les français, c’étaient des officiers. Le lieutenant Le Pen, en plus, nous faisait des séances de politique. C’est à dire, qu’il prenait un groupe de prisonniers, et nous disait : « Moi, je ne vous comprends pas, je suis allé dans beaucoup de foyers arabes, et j’ai vu que beaucoup de ces foyers, avaient de jolis meubles, avaient des postes radio, il y en a qui avaient la télévision. Les gens sont très bien habillés, alors qu’est-ce que vous cherchez ? ». Il était loin du problème, parce que poser ces questions à des prisonniers, dans un contexte pareil, je crois que c’est un peu déplacé, surtout qu’il était député, quand même. D’ailleurs, un prisonnier qui est mort après l’indépendance : Sassi, tailleur à Bab-El-Oued, lui a répondu : « Mais, mon lieutenant, ce qu’on cherche nous, c’est l’indépendance. »


Alors, à la suite de cette réflexion, il a passé huit jours, dans des toilettes de 1,50 m de long sur à peu près un mètre de large. On le retirait de là-bas, on le torturait, on le refoutait là-bas, et pendant huit jours, ça n’a été que ça.
Je crois qu’il était loin des problèmes, Le Pen. On ne cherchait pas à être habillé, ni à avoir des postes radio à la maison, ou avoir de jolis meubles. C’est ce qui m’a frappé le plus à l’époque, chez Le Pen. On ne fait pas des réflexions comme ça. Pour lui, c’est peut-être, je ne sais pas comment vous expliquer ça, il ne devait même pas savoir pourquoi il était là. Il s’est engagé pour le plaisir de s’engager, pour le plaisir de nous torturer, Je crois que c’est ça, parce que ce n’est pas possible autrement….


Parfois Le Pen frappait lui-même. Je peux vous citer le cas d’un prisonnier, Abdelwahab Redjini, qui avait été arrêté une journée avant moi. C’était un jeune, il devait avoir 20 ou 21 ans. Il est toujours vivant. Et Le Pen est arrivé. Après l’avoir torturé, on l’a jeté du premier étage dans le jardin. C’est Le Pen qui, lui-même, l’a jeté. Il a été assommé. Et il y a des moments où Le Pen torturait Abdelwahab devant nous. Il s’entraînait sur lui à le jeter en l’air, et l’autre retombait assommé. Il se réveillait et il riait, bien sûr, je ne sais pas comment vous dire… C’était nerveux. Et Le Pen lui disait : « Mais le salaud, il rit encore, avec tout ce qu’on lui file, il rit encore. ». Après ça, il est resté pendant trois ou quatre ans à dormir sur du dur, il avait trois vertèbres cassées et les dents aussi, il n’en a pratiquement plus. Le Pen l’appelait par son petit nom, Abdelwahab. Et il s’est acharné sur lui de cette manière, pendant quelques jours. Plus tard, je l’ai retrouvé dans le camp de transit.


Je me souviens aussi d’un jeune, Smain Aknouche, un appelé algérien qui était de Notre Dame d’Afrique. Il avait été arrêté dans sa caserne, accusé d’avoir volé des armes et de les avoir données à l’organisation, ils l’ont amené et l’ont torturé. Je n’ai pas vu quand ils l’ont torturé, mais il était plein de sang et on m’a fait entrer dans la salle où il était prisonnier. J’ai vu Le Pen, qui lui ordonnait d’essuyer les traces de sang sur les murs, avec un chiffon. Il avait son pantalon de militaire, torse nu et les bras attachés derrière le dos. Avec un chiffon entre les dents, il essuyait le sang sur les murs. Après, le chiffon est tombé, et il a continué avec la langue. Et ce jeune homme, à un moment, il a parlé. Il leur a dit : « Oui, j’ai des armes, elles sont cachées dans un puits, chez moi, à Notre Dame d’Afrique. ». Le Pen et les soldats l’ont emmené à 2h du matin, ils l’ont attaché, mais quand ils l’ont mis sur la margelle du puits pour le descendre en bas, le jeune s’est jeté. C’est lui qui me l’a raconté plus tard, il a voulu se tuer…

 

Ils l’ont remonté avec une corde. IL a été assommé, bien sûr, mais rien de cassé. Quand ils l’ont ramené à la villa, j’ai vu deux femmes qui l’attendaient, c’était sa sœur et sa mère. Je ne peux pas assurer que la jeune fille et la mère ont été frappées. Et même aujourd’hui, la fille ne veut rien dire. J’ai essayé de l’interroger très souvent, sur les nuits qu’elle avait passées là-bas, elle n’a jamais voulu dire si elle avait été torturée ou pas. Aknouche a été libéré, et en mai 1962, il a été tué par l’O.A.S avec sa femme, à Bab El Oued. Et la jeune fille, maintenant, vit seule. Elle ne veut parler à personne.


A la villa, ils faisaient aussi une sorte de tribunal, entre eux seulement. Un capitaine para, un lieutenant para, un adjudant et d’autres paras étrangers, et puis parmi eux, il y avait deux Européens d’Algérie (des policiers habillés en paras). Je ne les connais pas, parce que je ne connais pas tout le monde. Et là, ils décidaient facilement, en deux, trois minutes. Ils discutaient, le prisonnier ne pouvait rien entendre, parce qu’ils étaient loin et ils parlaient doucement. Le capitaine faisait un geste, et le prisonnier est, soit libéré, soit liquidé, soit encore ramené dans un camp de transit, dans les environs d’Alger, à Béni Messous, Ben Aknoun… Personnellement, j’ai été amené là-bas, au camp de Béni Messous. En fait, c’était une justice illégale, parce qu’ils ne discutaient pas avec nous. Deux paras nous faisaient entrer, c’était une grande salle, on était peut-être à une vingtaine de mètres de la table très longue, quelques tables collées les unes aux autres, et derrière, étaient assis tous les officiers et ces policiers habillés en paras. La discussion était menée par le capitaine, et dès qu’il faisait un geste, les paras nous sortaient. Alors que certains d’entre nous étaient regroupés sous un arbre, d’autres sortaient par l’arrière de la villa, et se voyaient embarqués sur des 4×4 ou sur des GMC.

Lakhdari KHELIFA

Né le 28 janvier 1923. Il était un des responsables de l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA), lorsqu’il a été arrêté.


J’ai connu Le Pen un soir du mois de février 1957. Je sortais de mon travail, je suis passé rue Montaigne pour voir un ami, M. Sassi, tailleur ; je suis rentré, j’ai dit : « Bonsoir, M. Sassi », et un bonhomme m’a mis un revolver dans le dos. C’était un guet-apens, voilà. Ils m’ont fait monter, et j’ai trouvé en haut, dans la soupente, deux personnes arrêtées avant moi. On était trois. J’avais trouvé le rideau ouvert, je ne savais pas que Sassi était en état d’arrestation. Quand il n ’y a plus eu de gibier, il faisait nuit, ils ont fermé le rideau, ils sont montés, un lieutenant et un capitaine que je ne connaissais pas.


Ils nous ont demandé les papiers. J’avais une carte de recensement. Alors, ils ont commencé à interroger le premier. « Qu’est-ce que tu es venu faire ici ». Il a dit : « Moi, j’avais une facture pour M. Sassi ». Ils ont vu la facture, ils ont vu le nom de Sassi, ils l’ont mis de côté. Le deuxième leur a dit qu’il venait faire un deuxième essayage. Ils ont vu le calepin de M. Sassi, et ils ont trouvé son nom, ils l’ont mis de côté. Ils sont arrivés à moi. J’ai dit : « Moi, je suis venu faire un pantalon, parce que M. Sassi est renommé dans la gabardine ». Ils se sont regardés entre eux. Alors le capitaine et le lieutenant m’ont fait descendre par un petit escalier, et je leur ai demandé : « Pourquoi vous m’arrêtez, qu’est-ce que j’ai fait ? ». Le lieutenant Le Pen m’a donné un coup au ventre. Après, ils m’ont attaché les mains, m’ont mis dans une voiture et m’ont bandé les yeux. On a roulé. Quant ils m’ont enlevé le bandeau des yeux, j’étais assis dans un champ. Il était peut-être 10 heures ou 11 heures du soir. Ils m’ont laissé dans ce champ, trois ou quatre heures. Je ne sais pas combien. Je voyais des camions arriver, pleins de suspects. En fait, le champ dans la nuit, je ne pouvais pas voir, mais c’était le jardin d’une villa. Il y avait le rez-de-chaussée, des escaliers, et au bout de ces escaliers, une petite pièce. C’est là, qu’ils faisaient les tortures, tout à fait en haut.

Alors, ils ont commencé les interrogatoires. Moi, je suis monté, j’ai vu la scène. Ils étaient quatre dans la petite pièce, et Le Pen lui-même, a dit : « C’est pas celui-là, c’est pas celui-là ». Ils m’ont fait descendre, ils ont amené un autre à ma place. Et je n’ai pas vu ce qu’ils lui ont fait. On a entendu des cris, mais on ne savait pas qui le torturait. Après, ils m’ont remonter, et ils m’ont interrogé. Ils m’ont demandé si je connaissais Ali Moulai, j’ai dit non. « Et qu’est-ce que tu es venu faire chez Sassi ? », « Je suis venu faire un pantalon », « Qu’est-ce que tu fais, toi ? « Je travaille à la société Job, je suis syndicaliste », « Tu ne travailles pas avec le F.L.N », « Non, je ne travaille pas avec lui, je suis syndicaliste, oui ». Alors, ils m’ont mis sur un sommier plein d’électricité. Ils m’ont mis un chiffon dans la bouche. Et quand je voulais parler, je devais faire un signe. Ils m’ont torturé pendant dix minutes.

 

C’était Le Pen qui m’interrogeait. Et puis, ils m’ont fait descendre, parce qu’il y avait beaucoup de monde qui attendait en bas. Toute la nuit, on a entendu des gens crier, toute la nuit. Vous ne pouvez pas vous imaginer… Vous entendez des gens qui crient, et vous, vous êtes là…


Le lendemain, nous, les gens suspects, on nous a mis en bas, dans un hangar, il y en avait qu’un seul qui avait un lit de camp, c’était à un type paralysé, Aïssa Cheikh Laïd Boubekeur. Ils l’avaient arrêté avec son fils. Ils torturaient le fils devant le père, et le père devant le fils. Le fils, on ne l’a jamais revu. Un soir, j’étais dans le garage, ils ont attaché ensemble Aissi et Zouaoui Mokhtar et ils les ont mis comme ça, dans une fosse. Ils restaient jour et nuit là-dedans. Un après-midi, Le pen a crié au gardien : « Va détacher Aissi et Zouaoui Mokhtar ». Il les a détachés. Il leur a dit : « Allez vous débarbouiller ». Il y avait une fontaine dans le jardin. Ils y ont été, ils se sont débarbouillés. Je me rappelle Aissi, c’était un beau garçon, il avait une jacquette marron, je m’en rappellerai toute ma vie. Ils se sont habillés, ils les ont mis dans une voiture, et depuis ce jour là, on ne les a plus revus. Un autre soir, on sortait du hangar pour prendre un peu d’air dans le champ. Il y avait des sentinelles, Ils nous avaient fait une fosse pour faire nos besoins.

 

Le frère qui a été abattu, Hadj Ali Mouloud, je ne peux pas confirmer, qu’il a voulu se sauver, mais je suis sûr qu’il était parti pour faire ses besoins Parce qu’il n’allait pas vite. Moi, je n’ai pas vu Le Pen , parce que j’étais en bas, mais je l’ai entendu crier, et le militaire qui était en bas, a mitraillé Mouloud. C’est là que Le Pen est descendu et nous a dit : « Voilà ce que mérite celui qui veut se sauver ». Le Pen, c’était un parleur, il faisait de la psychologie : « Pourquoi vous faites la guerre, qu’est-ce qui vous manque en Algérie ? Moi, je suis un député, je suis venu ici pour la pacification ». Je me souviens quand le frère Rouchai a voulu se suicider. Je l’ai vu comme un mouton égorgé. Ils l’ont pris dans une Jeep, et tout de suite ils l’ont emporté à l’hôpital. Et quand Le Pen est revenu, il nous a dit : « C’est mois le bon Dieu, quand je veux que quelqu’un crève, il crève. Quand je veux sauver quelqu’un parce qu’on a besoin de lui, on le sauve ». Voilà , je suis resté dix-sept ou dix-huit jours chez Le Pen. Et j’ai été libéré. Le premier que je suis allé voir, c’était Ali Moulai. Je lui ai dit : « Il faut faire très attention, ils sont entrain de te chercher ». Et on continué nos activités, jusqu’en août 57. Là, j’ai été arrêté de nouveau par les pars bérets verts, mais pas par Le Pen.

Mme Vve Mouloud MESSAOUD

70 ans. Mère de Hadj Ali Moulai, lâchement assassiné.
En 1957, deux années après la mort de mon mari Mouloud Messaoud dit Lounès, ancien combattant de la première Guerre Mondiale, et mobilisé entre 1939 et 1945, le lieutenant Jean Marie Le Pen et ses militaires ont débarqué chez moi, au 22, rue d’Amourah, à Belcourt, sans aucun motif. Jean Marie Le Pen a donné des ordres à ses paras, pour qu’on m’attache avec du fil de fer, de 10h du matin à 16h, dans la cour de ma maison.

 

J’ai reçu des coups de crosses sur la tête, derrière la nuque, dont je garde jusqu’à présent des séquelles. Ma pauvre fille de 19 ans qui était cardiaque, et qui se faisait soigner par des religieuses dans le quartier du ruisseau, près de mon habitation, voyait sa pauvre mère se faire torturer sous ses yeux. Après un choc terrible, un an après, elle était décédée. Pendant la perquisition à mon domicile, le carnet militaire de mon mari, le carnet de pension et quatre médailles de la première Guerre Mondiale m’ont été dérobés. La maison a été entièrement saccagée. Un de mes fils, Hadj Ali Mouloud, a été embarqué par les militaires du lieutenant Le Pen, à la villa des Roses, à El-Biar (Alger). Après avoir subi des tortures, il a été lâchement assassiné. D’autres témoins qui étaient avec mon fils Hadj Ali Mouloud, à la villa des Roses, le centre de torture de Le Pen, m’ont confirmé que mon fils Hadj Ali a été lâchement assassiné, et que le Pen leur aurait dit : « Voilà ce qui arrive à ceux qui tentent de m’échapper, je suis prêt à me farcir un bougnoule à chaque petit déjeuner, vous les ratons, vous ne comprenez qu’un seul langage, l’insulte, les coups, et quand vous ne voulez pas comprendre que vous êtes à ma botte, je vous élimine. ». Mon fils Mustapha, alors âgé de 15 ans, quand le lieutenant Le Pen est venu chez moi, ayant appris que sa mère avait été tabassée et torturée, et que son frère Hadj Ali était mort sous les tortures, mon fils en a perdu la raison.

 

Retrouvé errant près de la frontière tunisienne en 1963, il est décédé à l’hôpital psychiatrique de Blida en 1980, après 17 ans d’hospitalisation. Dire que ce tortionnaire de Le Pen est aujourd’hui un homme politique français influent, à tête d’un parti, et qu’il n’a jamais été jugé pour ses crimes racistes qui sont de véritables crimes contre l’humanité. Je suis en tout cas prête, de mon vivant, et bien que j’ai 70 ans et que je souffre encore des séquelles de la torture, à venir en France témoigner contre la barbarie de Le Pen et de ses comparses.

Cherki Ali ROUCHAI

Né le 29 mars 1931 à Alger. Il était, pendant la guerre, agent de liaison d’Ali Moulai.


Mon premier contact avec le lieutenant Le pen , c’était le jour de mon arrestation. La date, je ne peux pas vous la dire exactement, mais ça doit être autour du 21 ou 22 février 1957. J’avais commencé mon travail vers les 8 heures, comme d’habitude. Une demi-heure après, à peu près, ou trois quarts d’heure, un véhicule s’est arrêté devant le local où je travaillais, et un groupe de parachutistes a fait irruption dans le magasin. Ils ont demandé après moi. Parce qu’ils avaient le nom Dahmane. C’était mon surnom de guerre.

 

Le patron leur a répondu qu’il n ’y avait pas de Dahmane. Alors ils ont dit : « Nous voudrions bien voir les ouvriers que vous avez ici. ». Le patron nous a appelés, nous étions trois ouvriers à l’intérieur, trois algériens. Ils ont commencé par nous questionner, et moi, j’étais le troisième à être interrogé. Dès que j’ai ouvert la bouche, ils m’ont dit : « C’est toi ». Parce qu’à cette époque-là, je n’avais pas de dents. Celui qui m’avait dénoncé avait donné tout le signalement. Ensuite, ils m’ont ligoté avec des menottes. Ils m’ont jeté dans un véhicule, je crois que c’était une Peugeot 203, et moi j’étais à même le plancher. Il y avait des parachutistes qui sont monté derrière.

 

Ils ont mis leurs pieds sur moi, ils ont démarré et nous somme arrivés au boulevard Gallieni (aujourd’hui, il s’appelle boulevard Bougara). Là, ils m’ont fait rentrer dans une villa et ça a commencé par des questions. Ils m’ont ordonné de me déshabiller d’abord. Je me suis déshabillé. Je suis resté tout nu. Ils ont amené quelqu’un derrière moi que je n’ai pas vu. Le lieutenant Le Pen lui a demandé : « C’est celui-là ? ». L’autre lui a dit : « Oui mon lieutenant, c’est lui ». Et là , ça a commencé les tortures. Le Pen donnait les ordres, mais pour vous dire qu’il m’a torturé, ça je ne peux pas le dire, parce que ça serait un mensonge. J’étais nu, ils m’ont mis la gégène, une sorte de magnéto. Elle avait des pinces et des petits fils qui étaient reliés à cet appareil. Ils m’ont accroché les pinces ici, et ils ont commencé à lâcher des décharges d’électricité. De temps en temps, ils s’arrêtaient pour me demander si je voulais parler, ce que j’avais à dire, et tout ça. Moi je disais : « Non, je ne connais rien, je ne connais rien ». ça a duré presque toute une journée.

 

Ils ont ramené celui qui m’avait dénoncé. Là, le lieutenant Le Pen lui a dit : « Ecoute mon bonhomme, je crois que je suis entrain de massacrer un innocent ». L’autre a dit : ’Non mon lieutenant, je vous jure que c’est lui . ». En fait, je n’avais pas de responsabilités, mais j’étais un élément du F.L.N. J’appartenais à un groupe armé, un commando. Alors, les tortures ont repris. Là, ça était plus dur qu’au commencement. Le lieutenant Le Pen était là. Il ne sortait pas pendant l’interrogatoire, il ordonnait à ses hommes de me torturer. Sans leur préciser comment. C’était à eux de choisir. Ils sont même arrivés à me mettre à même le sol et m’imbiber d’eau, me mouiller complètement, et me mettre l’électricité. Vous savez ce que c’est quant on est sur l’eau, l’électricité ça donne sur tout le corps.

 

Ça a duré pendant deux ou trois jours. Tous les jours, ils faisaient des séances d’une demi-heure, trois-quarts d’heure. Une fois, qu’ils voient que je vais lâcher, ils s’arrêtent. Ils me mettent dans une pièce. Il y avait une pièce dans laquelle il y avait une chaudière, et ils me mettaient à l’intérieur. Dès que je récupérais un petit peu, ils me remontaient. Mais entre temps, ils ne chômaient pas. Il y en avait d’autres qui passaient. Moi, j’étais dans la pièce pour récupérer, de façon à ce que je puisse résister encore. Donc, les trois premiers jours, ils m’ont fait l’électricité et l’eau également. L’eau, c’est un bassin, genre de lavoir. Celui qui a construit la villa des Roses, il avait prévu un lavoir dans le garage, pour laver le linge. Ce lavoir était plein d’eau, et c’est dans ce lavoir-là, qu’on nous trempait la tête. Le lieutenant Le Pen assistait. Les seuls coups que m’a portés le lieutenant Le Pen, c’était la boxe.

 

Là, vraiment, il m’a donné une série, je ne peux pas vous dire, si c’est huit ou dix coups de poing. Pour me montrer sa force. Il était costaud, vraiment, il faisait à peu près dans les 85/90 kg. Il m’a frappé à l’estomac, même à la figure. Mais je ne me suis pas évanoui, parce que j’étais vraiment un bon encaisseur. Voilà, ça a duré trois ou quatre jours, c’est sûr, parce que la notion du temps, je ne l’avais plus à cette époque-là, jusqu’au jour où ils m’ont emmené dans la même pièce où est la chaudière. Je ne sais pas qui est passé avant moi dans cette pièce. Je ne sais pas si c’est un détenu ou un parachutiste qui a oublié la bouteille. Dés qu’ils ont refermé la porte derrière moi, j’ai remarque la bouteille, et l’idée de me suicider m’est venue automatiquement. J’ai pris la bouteille, je l’ai tapée contre la chaudière. Le goulot m’est resté entre les mains et là, j’ai commencé à me taillader la gorge. Dès qu’ils ont entendu le coup du verre brisé, les parachutistes sont accourus, et il y a un parachutiste qui a tenté de m’enlever le goulot de la bouteille des mains. Je crois l’avoir blessé. J’étais torse nu, je me suis porté plusieurs coups de verre au cou. Alors, le lieutenant Le Pen a demandé un véhicule en toute urgence, et on m’a emmené à l’hôpital Mustapha. J’ai été directement mis entre les mains du professeur Goinard. Je crois que la salle où on m’a mis s’appelait « Bichat ».

 

Là, j’ai vu que le lieutenant a demandé au professeur quelque chose, je ne sais pas quoi. Et le professeur a fait plusieurs fois « Non » avec la tête. Mais il a dit : « Je vais tenter l’impossible ». Il m’a opéré. Il m’a recousu. Jusqu’à présent, je ne sais pas ce que j’ai à l’intérieur, si c’est ma vraie gorge, ou s’il m’a mis quelque chose d’autre à la place. Il m’a sauvé la vie, je lui tire mon chapeau. Il savait que j’étais torturé, et même, on est arrivé à un point où, après l’opération, on m’a mis dans une sorte de prison, une petite salle avec des grilles, à l’intérieur de l’hôpital, on appelait ça l’isolement. Et là, tous les jours, les parachutistes cherchaient à me récupérer. Les policiers qui étaient de garde refusaient de me remettre aux parachutistes sans ordre écrit du professeur. Il leur avait dit : « Ce malade ne doit sortir que sur mon ordre ». Alors, je voyais les parachutistes derrière les grilles qui venaient pour me reprendre. A l’hôpital, je n’ai pas vu le lieutenant Le Pen. Je l’ai vu le jour où ils sont venus me sortir, une fois qu’ils ont eu l’autorisation du professeur. C’était à peu près 25 ou 30 jours après l’opération. Ils m’ont emmené et là, ils ont essayé de pratiquer d’autres tortures sur moi : l’électricité encore. Le lieutenant Le Pen était là, ainsi que l’officier de la compagnie, qui était à l’époque, le capitaine Martin. Ils ont essayé, mais dès qu’ils ont vu que ma gorge commençait à saigner, le capitaine Martin a dit : « C’est pas la peine, arrêtez. ».

 

Ma gorge n’était pas complètement guérie, j’avais des pansements. Ils ont arrêté et m’ont descendu avec le copain qui était en bas. Et là, nous avons rencontré pas mal de frères que nous n’avons plus revu depuis ce jour-là. C’est là, que j’ai rencontré Zouaoui Mokhtar, il dormait avec moi, c’est-à-dire le soir. Quand on dormait, il mettait sa tête contre ma poitrine. Et il était vraiment dans un état lamentable, il était très mal en point. Le soir, il ne faisait que tousser. Alors, le matin, quand on se levait, j’avais la chemise pleine de sang. En toussant, il crachait du sang. La dernière fois où j’ai vu Mokhtar, c’était le 12 avril, le jour où on m’a mis entre les mains de la police judiciaire, pour être placé en mandat de dépôt. Une fois l’interrogatoire terminé chez les parachutistes, on nous a remis, avec un autre camarade, Aissi, entre les mains de la police civile. Ils nous ont emmené au commissariat central. Là, ils ont préparé le procès-verbal et ils nous ont placés en mandat de dépôt, moi et Aissi. Et depuis ce jour-là, on ne les a plus revus, ni Mokhtar, ni Aissi. Il était acharné le lieutenant. Il est arrivé jusqu’à me dire : « Tu cracheras le morceau, sinon je ne m’appelle pas Le Pen. Je me souviens aussi qu’ils m’ont fait sortir à deux reprises de la villa, pour leur servir d’appât. Tout le groupe s’était habillé en civil. Ils m’ont fait marcher sur la rue Bab El Oued, la rue Bab Azzou, et je crois même vers l’avenue Bouzaréah. Il y avait deux parachutistes en civil devant, les autres derrière, et d’autres qui étaient sur d’autres trottoirs, et malheur à celui qui me touchait la main ou qui me disait bonjour, ou qui me faisait un signe. La seule personne que j’ai rencontrée le premier jour, c’était mon responsable, Ali Moulai. Mais lui ne m’a pas vu.

 

Alors j’ai continué à marcher, comme si je ne l’avais pas vu. Lui, il s’était arrêté au square Bresson, il était en train d’attacher ses chaussures. Je suis passé. Et une autre fois, ils m’ont fait sortir avec la camion de mon patron. C’était marqué dessus « Piles Wonder ». Ils m’ont mis dans mon camion, et j’ai circulé dans la ville. Les paras étaient à l’intérieur et en civil, tous armés, mais en civil. Parmi eux, il y avait le lieutenant Le Pen. Mais là encore, personne ne m’a rencontré, heureusement.


Makhlouf ABDELBAKI

Né le 3 octobre 1934.
J’ai été arrêté le 22 février 1957, vers minuit ou deux heures du matin. J’étais caché à la Casbah, 9 rue du Roc d’or. On a cassé la porte et on m’a arrêté. Les militaires m’ont couché dans un 4×4, ils ont mis leurs pieds sur moi et m’ont emmené dans un camp. Ça s’appelait Sdi-Ferruch. Il y avait une baraque et beaucoup de gens, là-bas. Ils m’ont laissé deux jours, sans rien me dire. Et un jour, ils m’ont appelé : « Allez , c’est à vous ». On m’a dit : « Vous avez jeté des grenades. ». c’est vrai, j’étais un terroriste. Je travaillais avec Yacef Saadi et Ali Moulai, c’étaient eux les responsables. Alors ils m’ont demandé : « Combien d’attentats avez-vous fait ? Où sont vos amis ? ». C’est le lieutenant Le Pen qui m’interrogeait. Moi j’ai dit : « Je ne connais pas. ». Ils m’ont déshabillé. Il y avait une table très grande, ils m’ont attaché les poignets et les jambes et ils m’ont enlevé le tricot de peau. Je me rappelle, ils l’ont mouillé, ils me l’ont mis sur les yeux, et ils ont commencé la gégène. C’était un soldat de Le Pen qui tournait la gégène. Le lieutenant recommençait : « Où sont tes amis ? . Moi je disais : « Je ne suis pas un terroriste ». en même temps que l’électricité, u militaire me frappait avec une brosse métallique. La deuxième fois, ils m’ont fait la baignoire. Le Pen, lui, commandait. Les soldats m’ont plongé la tête dans l’eau. Je levais le doigt, ils me sortaient la tête et je faisais ma prière : « Dieu est grand. ». Et ça recommençait, ils m’ont interrogé pendant dix-huit jours. Je crois que j’étais torturé pendant dix ou douze jours. Quand le lieutenant Le Pen a fait sortir tout le monde de la baraque, il a dit : « Vous allez voir une exécution . ». C’était la nuit, il devait être 22h, Il nous a fait mettre tous debout, et ils ont amené Moussa. Ils l’ont mis à genoux. Il avait été interrogé avant. Il était rouge, plein de sang sur la cage thoracique, sur la figure. Il a dit : « Moussa, tu as jeté des bombes, tu as fait le con, tu as menacé les camarades qui ne supportaient pas la torture…. ». Le Pen marchait de long en large devant Moussa à genoux, il a sorit son revolver de l’étui, il l’a mis sur la tempe de Moussa et il a tiré. Moussa est tombé, et Le Pen a crié : « Tout le monde dedans, allez, rentrez, c’est fini. ». Je vous jure, je l’ai vu de mes yeux. C’est la seule exécution que j’ai vu en dix-huit jours. Mais après, Le Pen m’a dit : « Si tu ne parles pas, je vais te tuer comme celui-là, je vais te tuer ! Il faut parler, où sont tes amis ? ». Après les 18 jours, on m’a emmené à Béni Messous, à Paul Cazelles, c’était un camp de concentration. J’ai été libéré le 12 novembre 1961.

Abdenour YAHIAOUI

Né le 2 juillet 1938 à Alger.
J’ai été arrêté le 8 mars 1957 par des hommes du 1er régiment étranger de parachutistes. Ils recherchaient un de mes cousins, dont le frère avait été arrêté. A l’interrogatoire, il leur avait dit l : « Moi, je ne suis pas au courant de l’endroit où est mon frère, mais Abdenour le sait. » Ils sont arrivés peut-être vers minuit. Nous habitions à Kouba, dans une villa. Cette nuit-là, je n’étais pas à la maison. Après qu’ils aient maltraité mes parents, l’un de mes frères les a accompagnés là où je me trouvais, à Notre Dame d’Afrique. C’est un quartier, et j’ai de la famille qui habitait là-bas. Ils sont venus avec trois voitures. Il y avait deux tractions et un Jeep. Dès que je suis monté dans la voiture, directement on m’a mis des pinces électriques aux oreilles ; il y avait un magnéto militaire dans la voiture. Sur le champ, je ne savais pas que l’officier qui menait l’opération était Le Pen. Après, j’ai eu le malheur de le connaître. Il a donc commencé l’interrogatoire dans la voiture. De là, il s’est dirigé vers Belcourt, dans l’espoir de trouver mon cousin dans l’endroit qu’ils pensaient être le bon. Ensuite, après on est entré à la villa des Roses.
L’interrogatoire à commencé. Là, j’ai été plus ou moins maltraité, et puis ils m’ont mis dans le tombeau. Chez eux, il n’y avait pas de cachot, ni d’isolement. C’étaient des tombes creusées dans la terre sur lesquelles il y avait du fil barbelé, et on était mis à l’intérieur de la tombe. J’y ai passé 21 jours, dans la tombe. J’étais quand même assez grand, et dans le tombeau, je n’arrivais pas à me mettre debout, j’avais des fils barbelés qui me grattaient dans le dos. Je passais la journée assis, on avait un seul endroit pour sortir la tête, dans la journée. Les interrogatoires étaient menés le soir. Je peux même vous certifier que le lieutenant Le Pen s’est assis, avec ses 85 kilos, sur mes jambes. J’étais attaché sur un banc, un soldat m’avait mis le tuyau d’eau, et quand j’ai fait un soubressaut ou deux pour tomber avec le banc, Le Pen s’est assis carrément sur mes jambes pour me maintenir assis. Il était acharné, il voulait savoir où était mon cousin. Je me suis contenté de dire : « Mon cousin est venu me voir, il était sans travail, il m’a demandé de l’aider et je l’ai fait, mais je ne savais pas ce qu’il faisait ». C’est ça que j’ai répété pendant tout le temps. C’était le lieutenant qui menait les interrogatoires. Il leur ordonnait de continuer les tortures ou de les arrêter. A l’époque, les moyens qu’il utilisait étaient connus. Il y avait la gégène, le tuyau d’eau et la baignoire. Pour la gégène, ils me l’ont faite pendant toute la durée du 3 mars au 30 mars. Tous les soirs, tous les soirs, tous les soirs…. Le tuyau, peut-être sept ou huit fois. Et une fois, une série de coups de nerf de bœuf sur les jambes. Je suis arrivé à un moment où je ne réagissais plus ; j’avais les cuisses qui étaient bleues. Et ce qu’ils nous faisaient aussi, c’est que pendant la séance d’électricité, ils nous coupaient là, sur les bras, avec un couteau. Je ne sais pas à quoi ça servait, mais j’avais les bras tout striés. complètement…enfin, un jour ils m’ont coupé les cheveux et me les ont fait manger. Le Pen assistait à tous les interrogatoires. Ça se passait dans une buanderie, une chambre, il y avait un bureau, une chaise métallique, sur laquelle on était attachés, deux projecteurs et une machine à écrire. Dans un coin, il y avait un tuyau, un bac d’eau, plus un banc de bois d’à peu près deux mètres de long. Sur le banc, on était attachés ; soit, on vous mettait au tuyau directement, soit on vous amenait vers la baignoire, alors là, on vous attachait les jambes et les pieds en même temps, et on vous faisait basculer la tête dans la baignoire. Moi, je ne suis pas passé à la baignoire. Avec Le Pen, il y avait des légionnaires, un groupe de cinq ou six, spécialement attachés à cela, et en permanence, deux gardes mobiles ou quelque chose comme ça, pour le côté administratif. Ils assistaient aux tortures et ils faisaient les procès-verbaux. C’étaient eux l’administration : quand le procès-verbal était fait, l’interrogatoire était fini. Il y avait quand même des dossiers qui étaient établis. Je crois que le lieutenant Le Pen avait beaucoup de haine pour nous. Il était, si je puis dire, méchant, ou plutôt, agressif et hargneux. Le dernier jour de mon interrogatoire surtout. Il m’avait posé l’éternelle question : « Où est-ce qu’il se trouve ton cousin ? Quand est-ce qu’il est venu ? Qu’est-ce que tu a fait avec lui ? … etc ». Et comme je ne répondais pas, il m’a ri au nez : « Tu sais où il est ? ». J’ai dit : « ça fait vingt jours que vous me posez la même question, et je réponds toujours la même chose. » Alors il a dit : « Et bien, moi je sais où il est. Il est au Djebel ». Là, j’ai répondu : « Du moment que vous le savez, pourquoi vous n’allez pas le chercher, vous qui avez tous les moyens.. ? ». Alors là, il a commencé par me gifler, puis il m’a frappé à grands coups de poing dans le ventre, et puis je suis tombé dans les pommes. D’habitude, les « tabassages », c’était avant chaque interrogatoire. Ils nous prenaient entre trois ou quatre militaires, et on était une poupée de chiffon au milieu. Chaque fois, c’étaient quelques claque, d’un côté ou de l’autre, ou des coups de poing, pour vous enlever un peu l’émotion, et après seulement, le courant électrique, et ça va progressivement. Le Pen, dans ses cas-là, il criait et il se vantait : « On vous écrasera, les fellouzes », ou encore : « Dis à ton FLN qu’il vienne te sortir de là. ». Après ça, on retournait dans les tombeaux. Ils avaient creusé huit ou dix tombes dans le jardin. Dans la journée, il y avait le soleil, mais en mars, vous savez, les nuits sont fraîches sans couverture. On descendait parfois mouillés. Après la baignoire ou le tuyau, ils nous remettaient dans cet état dans la tombe. Il y avait la sentinelle qui marchait au dessus, et de temps en temps, elle nous jetait un peu de terre. On n’avait pas le droit de communiquer entre nous. Le Pen, lui, il nous voyait de la terrasse parce qu’il y avait une terrasse en haut de la villa. Il ne descendait pas jusqu’aux tombes.
Pour manger, ils nous donnaient dans la tombe, et on dormait dans la tombe. On ne pouvait pas sortir sauf si on avait un besoin naturel. Alors, il fallait appeler la sentinelle et elle nous accompagnait jusqu’à la porte des toilettes et nous attendait, puis nous remettait dans la tombe. Je me souviens d’un homme qui a été fusillé comme ça. Il s’appelait El Hadj Ali Mouloud. On ne sait pas s’il s’est dirigé vers les toilettes ou s’il a voulu se rapprocher de la guérite pour fuir. La sentinelle lui a tiré dessus. Il a été abattu d’une rafale. Par la suite, le soldat nous a dit qu’il ne voulait pas le tuer. C’était un allemand, celui qui a tiré, il s’appelait Yalta. Martin et le lieutenant Le Pen, la majorité, c’étaient des Allemands, et deux Espagnols.
A la fin, le lieutenant Le Pen nous a pris en photo, – la majorité des détenus à la villa des Roses – et il nous avait même conviés, si on avait l’occasion de passer à Paris, de demander après M. Le Pen, à l’Assemblée nationale.

Le livre Torturés par Le Pen de Hamid Bousselham est édité par Rahma en 2000 à Alger, co-édition Rahma-Anep.
Lire aussi le livre d’Henry Alleg, La Question, aux Editions de Minuit, 1958.

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