Tibet : un appel de Bouddha à l’esprit critique !

« Ne croyez pas une chose parce que beaucoup en parlent, ne croyez pas sur la foi des temps passés, ne croyez à rien sur la seule autorité de vos prêtres et de vos maîtres. Après examen, croyez ce que vous-même aurez expérimenté et reconnu raisonnable, qui sera conforme à votre bien et à celui des autres », disait le Bouddha au 6ème siècle AC. Je ne suis pas d’obédience bouddhiste, toutefois j’adhère entièrement à cette injonction du Bouddha historique et je la trouve même d’une actualité remarquable.

Les questions à se poser dans l’agitation entourant le Tibet, la Chine et les J.O. sont : de quoi parle-t-on beaucoup ? dans quel sens en parle-t-on ? qui sont les prêtres ? qui sont les maîtres ? à quels examens ou à quelles expériences se fier ? Pour ma part, j’estime qu’une large majorité de mes concitoyens européens manquent de l’esprit critique digne du Bouddhisme, ou plus simplement, digne du libre-examinisme. Le soutien béat qu’ils apportent massivement à la « cause tibétaine », en plus de friser le ridicule, ne se fonde sur aucune analyse de la situation. Les foules en extase sont d’excellents vecteurs de débordements émotionnels : il est tellement plus facile de faire comme tout le monde que de s’informer et de réfléchir par soi-même.

Or les informations existent… et elles sont percutantes : les prêtres et les maîtres sont là, devant nos yeux, et nous ne les voyons pas.

Le premier point à relever dans une analyse, même minimaliste, de ce qui se passe actuellement autour de ces événements me paraît évidente : les Tibétains qui, ici, manifestent pour un « Tibet indépendant », font partie de la diaspora tibétaine en exil. Il ne s’agit pas de revendications en provenance des 6 millions de Tibétains vivant en Chine (répartis dans la R.A.Tibet et provinces limitrophes, principalement). Les Tibétains en exil sont environ 120.000, répartis dans le monde, pour la plupart issus des classes aisées des populations tibétaines (clergé, riches commerçants, ancienne noblesse tibétaine), ou constituent la deuxième génération de ces exilés. Ils ne sont aucunement représentatifs des 6 millions de Tibétains vivant en Chine!!!

Leurs revendications sont d’ailleurs bien différentes : si les Tibétains de Chine sont préoccupés par leur quotidien (difficultés économiques et sociales, partagées par beaucoup de personnes en Chine) et sont conscients du « bonus » que pourraient leur apporter les JO grâce à une Chine valorisée aux yeux du monde, les Tibétains en exil ne pensent qu’à chahuter la Chine et les JO dans le but de se faire entendre. Que veulent-ils ? Ils réclament l’indépendance du « Grand Tibet » (ou « Tibet historique », soit un tiers du territoire chinois). Pour y faire quoi ? Pour à nouveau y régner en maîtres, non plus à la manière moyen-âgeuse qui a marqué le Tibet jusqu’au milieu du 20ème, mais à la manière occidentale : une hégémonie économique sur fond de discours démocratique. S’ils se permettent bruits, insultes, cris et violences dans leurs revendications, c’est parce qu’ils disposent de nombreux appuis occidentaux. Voilà les prêtres : les bonnets jaunes du Bouddhisme tibétain, et voilà les maîtres : les gros bonnets du néo-libéralisme.

Qu’est-ce qui me permet d’affirmer cela ? Une recherche, pas bien longue, mais qui démontre que depuis le printemps 2007, des faits concrets, annonciateurs des événements auxquels nous assistons maintenant, se sont succédés avec la ponctualité d’une horloge suisse.

J’énumère les dates du calendrier :

– du 11 au 14 mai 2007 : réunion internationale, à Bruxelles, des différentes associations qui oeuvrent pour l’indépendance du Tibet. 36 associations de Tibétains en exil et 145 mouvements pour l’indépendance du Tibet ont pris part à cette réunion qui fut menée par le Premier Ministre de SS-le-DL : Samdhong Rinpoché. SS-le-DL aurait dû également être présent, mais le roi Albert était justement en Chine à ce moment-là ! C’est durant cette réunion que fut mis sur pied un plan d’action commun en vue de « libérer le Tibet », plan qui devra être mis à exécution avant les JO de Pékin, en vue de discréditer la Chine (voir le « Tibetan Bulletin », périodique officiel du gouvernement tibétain en exil).

– le 26 mai 2007 à Turin : réunion des mouvements européens pour l’indépendance du Tibet. Y est décidé que la marche vers le Tibet qui devra démarrer le 10 mars 2008 et déjà planifiée, sera soutenue par des manifestations simultanées en Europe (voir le site Phayul : “European support to TPUM”).

– le 4 août 2007: le « International Campaign for Tibet » (ICT) démarre une année d’actions ayant pour objectif le boycott des JO. Opérations à partir de Washington, financées par le gouvernement américain (via la « New Endowment for Democracy », une ONG « cousine » de la CIA), avec une antenne à Bruxelles (voir le site de ICT). La célèbre pétition “avaaz” que vous avez tous reçue est issue de ICT.

– en août 2007: plusieurs manifestations de mouvements pour l’indépendance du Tibet aux E-U et au Canada, mais aussi aux Pays-bas (voir le site de ICT).

-le 20 août 2007: 170 membres et sympathisants du « Tibetan Youth Congres » (TYC) manifestent devant l’ambassade de Chine à Bruxelles, avec le mot d’ordre : « boycott des JO ».

– le 4 janvier 2008 : fondation du TPUM (Tibetan People’s Uprising Movement). Tel que les Tibétains en exil le disent eux-mêmes, le TPMU a été créé pour relancer et perpétuer l’esprit de la révolte de 1959. Le TPUM est une association dans laquelle sont représentées chacune des fractions du gouvernement tibétain en exil : le NDP (New Democratic Party), le TYC ou ligue des jeunes tibétains (Tibetan Youth Congres), le TWA (Tibetan Women Association) et le mouvement des étudiants tibétains en exil (voir site TPMU).

– le 22 janvier 2008, SS-le-DL appelle à manifester en prévision des JO (sur la chaîne anglaise, ITV)

– du 15 au 17 février : formation intensive pour 40 cadres du TPUM à Dharamsala. Un des formateurs est Karma Yeshi, rédacteur en chef de « Voice of Tibet » (radio sponsorisée par les E-U, au même titre que « Radio Free Asia »). Un des textes de la formation est la traduction tibétaine d’un manuel de la CIA destiné à faire tomber les dictatures (il avait déjà fait ses preuves en Europe de l’est !). Le but de ces journées de formation est de coordonner les différentes « actions de libération des territoires occupés » menées au niveau international (voir le site Phayul).

– en mars : à partir de Dharamsala, Karma Yeshi et ses acolytes orchestrent les différentes actions auxquelles nous assistons, spectateurs médusés.

Ces actions sont, dans l’ordre :

-décider du contenu (relativement virulent) du speech du DL, le 10 mars

-organiser des manifestations devant différentes ambassades chinoises dans le monde (dont bxl), grâce aux « Free Tibet, « Amis du Tibet », etc., du 8 au 10 mars

-organiser la marche des Tibétains en exil à partir de différentes communautés d’Inde se dirigeant vers le Tibet, démarrée le 10 mars

-distribuer des tracts pro-indépendistes en R.P. Chine par des infiltrants envoyés sur place (la Chine en a dénombré quelques dizaines)

-racoler des émeutiers sur place : lamas dans les monastères et jeunes désoeuvrés dans les rues, et les inciter aux violences que l’on sait, le 14 mars

-amener le « State Department » des E-U à publier un rapport sur les « Droits de l’homme en Chine » où sont stipulés « l’absence de liberté de presse et l’oppression des religions au Tibet et au XinJiang », le 18 mars

-organiser la venue de Mme Pelosa et de la délégation américaine à Dharamsala, le 21 mars

-orchestrer la désinformation à propos de la répression chinoise sur les médias occidentaux pour qu’elle soit crédible (actions concertées de ICT, Voice of Tibet et Free Asia, voir sur les sites respectifs)

-amener Amnesty International à publier un nouveau rapport sur les « Droits de l’homme en Chine face aux JO », où il est stipulé que les « opposants sont détenus et interrogés », le 1 avril (voir site d’Amnesty)

-soutenir Reporters Sans Frontières dans le boycott du portage de la flamme olympique (depuis son départ, en Grèce), puis des JO (c’est en prévision).

On en est là jusqu’à présent, mais il est certain que cela va se poursuivre : les dés sont

lancés, et les E-U, bien qu’ils soient « à la solde » de la Chine (devenue leur bailleur de fonds), ne vont pas lâcher ce morceau de choix !

Une lettre de SS-leDL « à tous les Tibétains », datée du 6 avril, le confirme : “Je demande aux autorités chinoises d’arrêter toutes formes de répressions, d’expulser la police et l’armée chinoises de toutes les régions tibétaines. Si ces conditions sont remplies, je demanderai aux manifestants Tibétains d’arrêter leurs actions » (voir site du Dalaï lama).

Depuis 50 ans, le choix politique de SS-le-DL est clair, cela ne l’empêche pas d’adopter des positions plus qu’ambiguës : que signifie qu’il ne réclame plus l’indépendance du Tibet depuis de nombreuses années, si par ailleurs il dit vouloir « maintenir son gouvernement en Région autonome et en expulser tous les Chinois »?

Comment les Européens réagissent-ils à une telle mascarade ? De la manière la plus attendue et la plus formelle qui soit !

Les parlementaires se plient en quatre devant les grands prêtres oranges, les banderoles pro-tibétaines volent dans l’air azuré de Paris, les jeunes branchés écolo-bio et les intellos de gauche sont les plus atteints : c’est à en pleurer de misère intellectuelle !

Ne nous a-t-on pas déjà mis en garde à propos des relations entre SS-le-DL et la CIA ? ainsi qu’entre Radio Free Asia et le frère de SS-le-DL ? ainsi qu’entre Reporters Sans Frontières et la National Endowment for Democracy (ONG américaine, proche cousine de la CIA) ? et ainsi de suite, pour bien d’autres liens encore entre les « hautes instances tibétaines » et nos plus élogieuses « compétences internationales » ?

En réalité, ce que démontre cette agitation pré-orchestrée autour de « notre Tibet » (le Tibet à l’occidentale), c’est qu’il s’agit d’un nœud géopolitique à partir duquel va se jouer l’avenir des relations Occident-Chine, qui elles-mêmes détermineront dans peu de temps les relations Nord-Sud. Au sein du no man’s land écologique que nous connaissons aujourd’hui, c’est de l’avenir de la planète qu’il s’agit.

Dans une telle perspective, nous avons tout intérêt, en tant que citoyens européens, à soutenir la Chine dans ses nombreux projets écologiques qui viennent un peu tard, il est vrai, mais qui démarrent à grande vitesse. Car, comme le rappelaient les intervenants de « Planète Nature » ce dimanche (6/4/08) sur la RTBF : le climat, la biodiversité, l’eau, et tout ce qui nous est le plus précieux pour vivre, ne pourra être sauvé qu’à partir du moment où nous arrêtons le processus de pillage d’une moitié de l’humanité par l’autre moitié.

Cela nécessite une conscientisation urgente et généralisée ; cela exige que nous apprenions, non plus « à lire les médias », mais à déchiffrer « à travers les médias » ce que le néo-libéralisme nous prépare comme avenir. De cœur avec les Chinois et les Tibétains de Chine, je m’insurge donc face au manque de réflexion et d’analyse critique qui caractérise l’Europe dans ces événements liés, non pas au Tibet réel, mais aux Tibétains en exil manipulés par l’affairisme et le consumérisme de l’Occident… qui, ma foi, est encore bien loin d’atteindre l’illumination : Bouddha lui-même se retourne dans sa tombe, de honte, de douleur, de dépit, devant tant d’aveuglement.

Elisabeth Martens, auteure de « Histoire du Bouddhisme tibétain, la Compassion des Puissants », L’Harmattan, 2007

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