Stalingrad : il y a des gens qui se souviennent

Ils étaient une cinquantaine à avoir bravé le froid pour commémorer les 70 ans de la bataille de Stalingrad. Une bataille décisive qui a coûté la vie à plus d’un million d’hommes et a définitivement signé – après six mois de combats – la fin de la progression nazie vers l’Est en février 1943. L’anniversaire de cette étape déterminante de la lutte contre le fascisme a été passé sous silence par les grands médias, pourtant toujours prêts à nous parler de « devoir de mémoire »… Un oubli qui est loin d’être anodin si l’on en croit les différents intervenants qui ont pris la parole lors de la commémoration.

 

 

 

Le devoir de mémoire concernant la Seconde guerre mondiale est essentiel mais doit être impartial et ne pas occulter le rôle joué par les Soviétiques dans la victoire sur le fascisme. Cette phrase pourrait résumer le message que les organisateurs de la commémoration de Stalingrad ont voulu adresser au public le samedi 23 février à Bruxelles. Trois intervenants ont pris successivement la parole. Tout d'abord Anne Morelli, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Cette historienne a souligné le faible niveau de connaissance historique dans lequel baigne aujourd'hui notre société. « Au sujet de la Seconde guerre mondiale, mes étudiants de première année connaissent le débarquement de Normandie parce qu'ils ont vu un film ou l'autre, mais c'est tout ». Une situation qui contraste avec l'espoir que suscitaient les victoires de l'Armée rouge au moment de la guerre. « A l'époque, les gens suivaient avec des petits drapeaux l'évolution du Front de l'Est. C'était tout aussi important que ce qui pouvait se passer de l'autre côté. »  


Embrayant sur ces propos, Jean-Marie Chauvier, journaliste et spécialiste de la Russie, a souligné le « divorce des mémoires » qui s'opère aujourd'hui en Europe. Alors qu'à l'Est – et notamment en Russie – la bataille de Stalingrad est célébrée comme un tournant décisif de la guerre, elle est pratiquement ignorée en Europe de l'Ouest. Et de rappeler la barbarie ce cette guerre côté soviétique : « L’occupation et les violences nazies que nous avons subies sont sans commune mesure avec la guerre d’anéantissement et de génocide perpétrée à l’Est par l’Allemagne nazie et ses alliés. L’anéantissement des états procédait de l’objectif même de cette guerre à l’Est. Il était d’ordre colonial, dans le prolongement des guerres impérialistes. […] S’y ajoutait la logique racialiste qui impliquait l’élimination des Juifs, des Tsiganes, des malades mentaux, d’une partie des Untermenschen slaves. Fin 1941 déjà, après six mois d’invasion hitlérienne, 900.000 Juifs étaient génocidés par fusillades – femmes, enfants, vieillards compris – et, selon des historiens allemands, deux millions de prisonniers de guerre soviétiques exterminés. »


En tout, le bilan des morts dans le camp soviétique s'élève à 26 millions, contre un peu plus d'un million pour les Américains, Britanniques et Français réunis. Une disproportion qui surprend aujourd'hui. Selon Jean-Marie Chauvier, l'occultation de la guerre sur le front de l'Est est entre autres motivée par des raisons idéologiques et politiques : il s'agit d'une part de disqualifier la Russie d'aujourd'hui, d'autre part de cacher la vraie histoire des fascismes et de ceux qui s'y sont opposés.


Vladimir Caller, rédacteur en chef du journal Drapeau Rouge, abonda dans ce sens. Il expliqua que, si de grandes luttes avaient permis de se débarrasser du fascisme, de nouvelles agressions étaient actuellement en cours. Des agressions non pas militaires mais culturelles et médiatiques, et qui surviennent dans un contexte qui est loin d'être anodin : celui d'une crise profonde du capitalisme, d'une attaque généralisée contre les acquis sociaux et d'une remontée de l'extrême droite partout en Europe. Aussi s'agit-il pour « ceux d'en haut » d'effacer des mémoires le rôle joué par le mouvement communiste et les résistances populaires dans la victoire sur le fascisme. Car ce sont bien des enjeux économiques qui ont constitué la toile de fond des événements tragiques des années 1930 et 1940. Une toile de fond qui se redessine aujourd'hui, ce que l'on essaie à tout prix d'occulter.


Aussi pourrait-on conclure en disant que, concernant 1940-1945, la bataille pour la vérité historique constitue un enjeu central pour les luttes à venir. Une bataille qui passe par le souvenir du rôle des Soviétiques dans la défaite du fascisme et par la commémoration d'événements tels que Stalingrad. Comme l'a très bien dit Anne Morelli : « Quand on parle d'Auschwitz, on oublie de dire que c'est l'Armée rouge qui a libéré ce camp. On oublie de dire que c'est l'Armée rouge qui a libéré Berlin. Face à cette amnésie de l'histoire, c'était bien que nous soyons présents pour témoigner du fait qu'il y a quand même des gens qui se souviennent. »

  

 

Comparaison du nombre de morts sur les fronts de l'Est et de l'Ouest

 

Source : investigaction.net

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