Sri Lanka: au-delà de la catastrophe humanitaire

Une nouvelle donne géostratégique, en ce début de 21ème siècle, gagne de l’importance, dans un contexte de puissances émergentes et de multipolarité : le contrôle maritime des grandes voies commerciales de l’Océan indien.

La principale de celles-ci part de la mer Rouge, contourne la péninsule arabique, passe au sud de l’Iran, de l’Inde (où elle traverse littéralement l’île du Sri Lanka) et aboutit au détroit de Malacca. Elle permet le contrôle stratégique des débouchés commerciaux de toute l’Asie ainsi que du transit du pétrole du Golfe vers l’Asie orientale et constitue un des grands enjeux politiques de la région.


Les Etats-Unis, malgré le déclin de leur hégémonie globale, entendent garder une influence dans la région, tandis que la Chine veut y apparaître comme un acteur prépondérant. Pour que le grand commerce puisse y fleurir, et que chacun puisse y faire des affaires, la stabilité politique de cette région semble à tous en être la condition nécessaire. L’intérêt, en ce qui concerne les Etats-Unis, est également géostratégique : ceux-ci désirent détenir une base militaire leur permettant de superviser ce lieu de passage névralgique et de stationner des effectifs à une distance raisonnable des théâtres d’opération du Moyen-Orient. En effet, les Etats-Unis ne disposent que de peu de bases militaires en Asie océanique : leurs troupes stationnées en Irak et en Afghanistan ont beaucoup à faire (et un soutien régional leur serait salutaire), les contingents de Corée du Sud et de Turquie semblent lointains et la minuscule île de Diego Garcia est trop méridionale et n’offre pas la portée nécessaire pour garantir une présence dissuasive aux Etats-Unis. Une présence militaire en Inde ou en Chine étant, quant à elle, exclue, le choix s’est porté sur le Sri Lanka.


Seulement il y a un hic : le Sri Lanka connaît un conflit larvé, officiellement depuis 1983, qui oppose le gouvernement sri lankais à l’organisation des Tigres Tamouls (officiellement dénommés Tigres de libération de l’Eelam Tamoul). Les Tamouls, Dravidiens de confession hindouiste et originaires du sud de l’Inde, forment une minorité importante au sein de la population sri lankaise (18 pour cent de la population totale). La majorité de la population sri lankaise est cingalaise et de confession bouddhiste. Alors qu’un fragile processus de paix, accompagné d’un cessez-le-feu généralisé, semblait bien engagé au sortir du 20ème siècle, l’invitation malencontreuse d’une délégation sri lankaise à Washington, en 2004, a officieusement remis le feu aux poudres. En effet, les « Tigres » n’ont pas été invités par l’administration américaine.


Les Tigres Tamouls se présentent comme les porte-parole de la minorité tamoule et ont eu recours, dans le passé, à des moyens violents (ce qui est généralement, rappelons-le, le dernier moyen de négociation auquel peut recourir une population à qui on n’a pas laissé le choix). Ils sont d’ailleurs étiquetés comme organisation terroriste par Washington, ce qui leur ôte toute légitimité aux yeux de la communauté internationale en tant qu’organisation politique. La population tamoule est majoritairement localisée au nord-est de l’île et le long des côtes, notamment autour du port de Trincomalee. Or, ce port est convoité par les Américains, qui voudraient en faire une base de premier plan dans cette zone géostratégique. Un projet qui exige que la région repasse sous contrôle gouvernemental et soit débarrassée des éléments « terroristes ».


Le gouvernement sri lankais instille, à travers les médias, un véritable racisme institutionnalisé à l’encontre des Tamouls, citoyens de seconde zone sans cesse déconsidérés, humiliés, déplacés. En fait, il ne reste aux Tamouls sri lankais que deux alternatives : végéter dans des camps de réfugiés, ou prendre les armes. Ajoutons à cela le fait qu’un amalgame, soigneusement entretenu par l’Etat, se crée au sein de la population majoritaire entre population tamoule et Tigres tamouls. Cette situation est, sur plusieurs points, analogue à celle de la bande de Gaza, où les adolescents-soldats de l’armée israélienne ne font guère de différence entre le Hamas et la population palestinienne.


Ce parallèle se vérifie d’autant plus si l’on considère l’attitude de la communauté internationale, se contentant de plates remontrances diplomatiques vis-à-vis de l’agresseur, israélien ou sri lankais. De plus, le gouvernement sri lankais a procédé à l’expulsion des syndicalistes et des journalistes gênants. Les gouvernements américain, chinois et indien appuient tous le gouvernement sri lankais dans cette politique d’épuration ethnique et la détresse de la minorité tamoule ne trouve que bien peu d’échos dans la presse occidentale, la stabilité de la région y apparaissant en filigrane comme une priorité absolue, relativement aux bienfaits du commerce mondial.


La situation humanitaire, sans doute le seul aspect de ce conflit relayé par nos médias, est catastrophique : les réfugiés tamouls sont cantonnés dans des camps, les Tigres tamouls n’hésitent pas à recruter des enfants (généralement des orphelins du Tsunami) et à utiliser les civils comme boucliers. En outre, les organisations humanitaires se voient refuser l’accès à l’île, ce qui aggrave encore le malheur des Tamouls. Le conflit, depuis 1983, a fait 70 000 morts. La seule population qui semble s’intéresser aux Tamouls sri lankais est celle des Tamouls indiens (et des Tamouls ayant préféré s’expatrier, participant à la diaspora tamoule). De nombreuses grèves de la faim, notamment de l’évêque de Jaffna, ainsi que de spectaculaires immolations par le feu, tentent en vain d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur le sort des Tamouls. La totale absence de visibilité médiatique de cette problématique reste sans doute le meilleur moyen pour le gouvernement sri lankais de pratiquer sa politique d’épuration, avec le soutien tacite des grandes puissances.


Une poignée de courageux Sri Lankais, Tamouls ou majoritaires, ont néanmoins entrepris de faire connaître en Europe le destin tragique de cette population. Une analyse claire de la situation démontre bien que la recherche d’un compromis politique, même s’il demande plus de temps, serait infiniment plus profitable à la stabilité régionale qu’une politique de « pacification ».


Source: www.cetri.be


Cet article est un compte-rendu de la réunion internationale qui s’est déroulée au CETRI le 11 février 2009.

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