Sarkozy, l’ennemi des espoirs démocratiques africains

Pendant le mois de soulèvements populaires qui a débouché sur la première révolution du monde arabe, Sarkozy et son gouvernement n’ont cessé de soutenir le tyran Ben Ali et son régime décadent. Confirmant une vieille tradition de la politique française en Afrique : l’entretien de complicités de toutes natures avec les pires dictatures pourvu que cela rapporte de manière sonnante et trébuchante. Pour le reste, on oscillera entre fermer les yeux ou mentir sur la confiscation totale des libertés, les exécutions sommaires, la torture ou la spoliation mafieuse. De la Côte d’Ivoire à la Tunisie, le bonimenteur Sarkozy ne porte désormais qu’un seul costume : celui d’ennemi public n°1 des aspirations démocratiques des peuples d’Afrique …

 

« Je veux lancer un appel dans le monde à tous ceux qui croient aux valeurs de la tolérance, de la liberté, de la démocratie, de l’humanisme ; à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et les dictatures, je veux dire à tous les enfants à travers le monde, à toutes les femmes martyrisées dans le monde, que la fierté et le devoir de la France sera d’être à leurs côtés (…) La France sera du côté des opprimés du monde ! C’est le message de la France, c’est l’identité de la France , c’est l’histoire de la France ! » (1).

Dans le cas de la Côte d’Ivoire comme celui de la Tunisie, on reste soufflé par la manière dont Nicolas Sarkozy a mis en oeuvre l’exact contraire de sa profession de foi présidentielle de 2007. Une imposture si criante aujourd’hui que les médias traditionnels français – majoritairement très complaisants ou terrorisés par l’Élysée – n’ont pu faire l’impasse sur l’attitude du premier collaborateur européen à la dictature de Ben Ali. Ménageant relativement l’hôte de l’Élysée, Le Monde, par exemple, propose plusieurs articles titrés « La diplomatie française a défendu jusqu’au bout le régime tunisien » ; « Les manifestants en colère contre le manque de soutien de la France » ou « Un dictateur honni par son peuple et choyé par les dirigeants occidentaux ».

S’y ajoute un éditorial critique sur les « complaisances de Paris » considérées comme une « erreur politique ». De même qu’un salutaire appel d’intellectuels au gouvernement français afin de « soutenir les revendications du peuple tunisien » (2). Connu pour ses escarmouches avec le Président français, Laurent Joffrin, rédacteur en chef de Libération, parvient à signer son éditorial sans citer nommément Sarkozy. Préférant interpeller « les diplomaties occidentales qui soutiennent sans discontinuer les régimes en place, abandonnant leurs principes pour se trouver du côté du manche » (3).

Cette liberté de ton et de courage minimal retrouvée plaira sans doute. Elle se révèle pourtant fort tardive et quelque peu déplacée. D’une part, il est assez hypocrite d’enfin dénoncer ce « régime dictatorial corrompu et indigne » après que le peuple tunisien eut dû payer de son sang l’apparition d’un réel espoir démocratique. D’autre part, quel est le journaliste français qui ignore que la politique africaine reste le domaine réservé de l’Élysée ? En l’occurrence, il ne s’agit pas « d’indulgence », « d’erreur » ou de « frilosité » diplomatiques mais bien d’une realpolitik aux fondements racistes et cyniques.

 

Décidée au niveau présidentiel, ce machiavélisme sordide s’est toujours mené contre les intérêts et aspirations légitimes des populations africaines. De Mitterrand à Sarkozy en passant par Chirac, c’est la même politique prédatrice qui est reconduite sans considération aucune pour le cortège d’injustices et de souffrances endurées par la société civile tunisienne. Après que des dizaines de Tunisiens eurent perdu la vie sous les balles des escadrons de Ben Ali, Sarkozy osera pousser plus loin le curseur de l’indécence et du cynisme.

Via son ministre des Affaires étrangères, il propose à « son ami » despote le « savoir-faire » français en matière de sécurité et de répression policière. Tout un programme de « tolérance » et « d’humanisme » … A peine dérangé par une collaboration jusqu’au-boutiste avec l’une des pires kleptocraties du continent, Sarko-le-collabo assure aujourd’hui son « soutien déterminé » aux révolutionnaires tunisiens. Enchaîne avec l’annonce du gel du butin du gang Ben Ali dormant sur les comptes bancaires français. Des déclarations de bonimenteur fatigué qui ne trompent personne. A défaut de ne pas avoir vu « l’homme africain entrer dans l’Histoire » (4), Sarkozy bute aujourd’hui sur l’histoire d’une révolution arabe écrite par les persécutés eux-mêmes.

Autre absent des analyses médiatiques, le contraste saisissant entre l’intervention assumée de Sarkozy dans le conflit post-électoral ivoirien et sa collaboration silencieuse contre le soulèvement tunisien. Deux cas d’ingérence aux formes différentes mais issus d’une même vision colonialiste et racialiste posée sur le continent africain. Dans le cas ivoirien, le Président français jugeait la situation « parfaitement inadmissible ».

Faisant opportunément l’impasse sur les fraudes constatées au nord du pays comme sur la légitimité du Conseil constitutionnel ivoirien, Sarkozy jouait de la menace : « Laurent Gbagbo et son épouse ont leur destin entre leurs mains. Si avant la fin de la semaine, ils n’ont pas quitté le poste qu’ils occupent, le poste que Laurent Gbagbo occupe en violation de la volonté du peuple ivoirien, ils seront nommément sur la liste des sanctions » (5). Pour Ben Ali, aucune condamnation ni sanctions, mais une collaboration discrète jusqu’à la volteface devenue incontournable.

 

Quatre jours après la fuite de Ben Ali vers la dictature saoudienne, chacun sait que les semaines à venir seront cruciales pour les Tunisiens. Objectif : ne pas se voir voler leur révolution vers la démocratie pour un funeste changement de façade. Afin que le business d’antan reprenne au plus vite et que l’inspiration révolutionnaire ne touche pas l’Algérie, le Maroc, l’Égypte ou la Libye, qui peut affirmer que les chancelleries européennes ne souhaitent pas que s’impose la seconde option, plus « rassurante » ? Car Nicolas Sarkozy n’est que le capitaine d’une équipe des « droits de l’homme blanc », mieux connue sous le nom d’Union européenne.

Union restée muette et complice pendant 23 ans et un mois d’insurrections populaires historique. Démontrant ainsi son choix pour la « stabilité » dictatoriale contre l’espoir démocratique finalement arraché par le peuple du pays du jasmin. La pire des erreurs pour les Tunisiens serait d’accepter cette « aide » aussi soudaine que suspecte de l’Union Européenne concernant la tenue d’élections libres et transparentes. Les cas de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Gabon ou de la Palestine (2006) se chargent de le rappeler aux amnésiques : l’ingérence occidentale, surtout française, n’a jamais été du côté du verdict démocratique.

Imbue de suprématie et de paternalisme, cette ingérence préférera toujours « son » candidat (non islamiste, cela va sans dire), à celui qu’une majorité de Tunisiens se sera choisi. A l’instar de leur admirable révolution, la difficile construction de la démocratie tunisienne devra se réaliser sans ceux qui la repoussent depuis près d’un quart de siècle …


(1) http://www.youtube.com/watch?v=shn0…

(2) Le Monde, 16 et 17 janvier 2011.

(3) Libération, 17 janvier 2011.

(4) Discours de Nicolas Sarkozy du 26 juillet 2007 à Dakar (Sénégal) où, entres autres amabilités négrophobes, le Président français a déclaré : « L’homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire ».

(5) http://www.youtube.com/watch?v=iJH3…

 

Source: afiavi.fr

 

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