Russie : une "épreuve de force" largement mise en scène

Après les protestations réprimées des 14-15 avril en Russie

Moscou-St.Petersbourg : une « épreuve de force » largement mise en scène et artificiellement dramatisée.

En résumé : point d’orgue d’une série de « marches des pas d’accord », deux rassemblements d’opposants radicaux au président Vladimir Poutine ont réuni, l’un deux mille personnes à Moscou le 14, l’autre trois mille à Saint-Petersbourg le 15.

D’autres meetings, mais « pro-Poutine » avaient également lieu. Le tout, depuis plusieurs mois, dans une (petite) escalade d’incidents violents

NOTE : A propos du National Endowment for Democracy (NED), un paravent de la CIA, très actif dans les contre-révolutions "made in USA", voir le livre d'Eva Golinger "Code Chavez – CIA contre Venezuela", et notre préface sur ces méthodes de la CIA partout dans le monde. (MC)

ACTURUS O4-07/2. En ligne le mardi 17 avril 2007.

L’initiative des manifs des 14-15 revenait au Front Civique Uni (OGF) du leader libéral d’opposition Garry Kasparov et à son alliance plus large « Autre Russie », soutenus par National Endowment for Democracy (NED, Etats-Unis) et rejoints par quantité de petits groupes de toutes tendances ; de l’extrême-droite libérale à l’extrême-gauche en passant par les inclassables nationaux-bolchéviques.

Des leaders de l’opposition ont accusé Poutine de vouloir « la guerre civile » et d’installer en Russie « le fascisme » voire déjà un « régime nazi ».

La tactique du pouvoir a été, comme de coutume désormais, non pas d’ « interdire » ces rassemblements au sens strict (comme le disent certains de nos journaux) mais d’autoriser des meetings en des lieux précis et d’interdire les défilés de rue dans les centres-ville. Les opposants ont choisi de défiler, donc de risquer les affrontements avec les forces de l’ordre, qui ont dispersé les manifestants sans ménagement, comme cela se fait dans d’autres pays, la police russe ayant acquis désormais les méthodes et les équipements des pays « civilisés », dont elle ne disposait pas autrefois. L’énormité des déploiements policiers étonne cependant les observateurs, alors qu’en principe, un Poutine soutenu par plus 70% de la population (dans les sondages) n’aurait rien à craindre de ces mini-manifestations.

On soupçonne donc le pouvoir et-ou l’opposition de « stratégies de la tension » voire de « provocations » délibérées.

La situation avait été tendue également par l’ appel lancé depuis Londres par l’oligarque et homme d’affaires Boris Berezovski au renversement violent du régime en Russie, ce qui conforte le Kremlin dans la conviction qu’un « complot international » est à l’œuvre pour déstabiliser la Russie, d’autant que la plupart des mouvements et ONG mobilisés contre Poutine sont notoirement financés par des fondations américaines ou des oligarques en exil comme Boris Berezovski.

Les incidents, à peine évoqués dans les médias russes, seraient restés inaperçus si les médias occidentaux ne leur avaient assuré une large audience. Ainsi étaient-ils à la une, lundi, du « Wall Street Journal » et du « Herald Tribune » et bien couverts dans la presse européenne, avec des commentaires très critiques envers le pouvoir et la police russes. Là encore, l’évidence s’impose qu’une campagne médiatique « russophobe » se déploie, avec le concours de diverses ONG (notamment Reporters sans frontières) , d’une virulence croissante. Le dramatisme des propos tenu, de toutes parts, est sans rapport avec la réalité des faits évoqués : il n’y a pas d’ambiance de « guerre civile » en Russie, mais il y a certes des présidentielles en mars 2008, où l’éventuelle « succession de Poutine » aiguise les appétits et les intrigues en Russie et sur la scène mondiale. Jean-Marie Chauvier

« Le régime de Poutine provoque la guerre civile. Il réclame du sang. Pas nous ». Ces fortes paroles étaient dites, ce 15 avril 2007, sur le site de Garry Kasparov, leader libéral radical du Front Civique Uni (OGF) et de la coalition « Autre Russie », après la manifestation anti-Poutine de 3.000 personnes (selon l’estimation du site) interdite et dispersée avec violence par les forces anti-émeutes (OMON) à Saint-Petersbourg. (tout comme la veille à Moscou, où les manifestants étaient deux mille) Un autre porte-voix du mouvement, l’ultralibéral Andréi Illarionov, a comparé la Russie de Poutine au régime nazi…et au Rwanda. Cela donne une idée du climat qui sévit dans des milieux d’opposants. Son « Journal Indépendant », à Moscou, écrit, apparemment confiant dans l’avenir du mouvement : on sait très bien ce qui arrive quand la demande de justice prend le pas sur l'anti-américanisme. Souvenons-nous de la perestroïka.

Ainsi, certains se croient en 1985…ou en 2004 à Kiev.

L’opposition radicale qui se déploie est aussi minoritaire que disparate…

Ont pris part aux manifestations : le Front Civique Uni (OGF) de Garry Kasparov, le parti national-bolchévique d’Edouard Limonov, des représentants du parti libéral « Iabloko » (divisé sur la question de participer ou non) l’Avant-Garde de la Jeunesse Rouge (AKM), des représentants de mouvements des Droits de l’Homme et du parti communiste ouvrier (stalinien) de Russie. « Pratiquement toutes les forces d’opposition et d’ initiatives citoyennes » à l’exception du parti communiste (KPRF), fait savoir le site IKD (Institut des actions collectives) lié au Forum Social russe (altermondialistes, trotskistes, anarchistes) qui sympathise avec le mouvement des Kasparov-Limonov parfois surnommé « orangiste » par analogie avec la « révolution orange » ukrainienne. Une conférence de presse de l’OGF à Moscou a été marquée par la présence de l’ancien premier ministre ultralibéral Mikhaïl Kassianov et un discours d’Andrei Illarionov, ancien conseiller démissionnaire de Poutine, connu pour ses sympathies envers l’expérience du libéralisme à la chilienne sous Pinochet.

D’après l’agence RIA Novosti, « lors de la conférence du OGF (…) ont pris part les responsables au complet d'Autre Russie: le dirigeant de l'Union populaire démocratique, Mikhaïl Kassianov, le leader du Parti national-bolchevik, Edouard Limonov, Garry Kasparov. S'y est associé l'ancien conseiller du président, Andreï Illarionov. Des déclarations très radicales ont été faites dans la salle archicomble. "Les institutions de l'Etat n'ont pas connu une telle catastrophe depuis des décennies, voire des siècles", a déclaré Illarionov en ajoutant que si au début des années 1990 la Russie était comparée à la Pologne, à la Bulgarie et à la Macédoine au milieu des années 90, au moment de l'accession au pouvoir de Vladimir Poutine on la comparait au Venezuela et à l'Iran. "Maintenant on nous compare au Nigeria et au Zimbabwe, parce que nous évoluons rapidement en direction du régime de Robert Mugabe", a-t-il déclaré.

(source : agence RIA Novosti, 15-04-07)

Dans une interview avec la journaliste libérale d’opposition Evgueny Albats (collaboratrice de la libérale Radio Ekho Moskvy) Andréi Illarionov a comparé le régime russe actuel à celui de l’Allemagne nazie dans les années 30. Pour rappel : M.Illarionov est membre du CATO Institute (Etats-Unis) libertarien.

Les violences policières sont largement dénoncées dans la presse russe libérale d’opposition, par les partis libéraux et communiste et par les mouvements de Droits de l’Homme. Le délégué du président Poutine aux Droits de l’Homme, Vladimir Loukine lui-même s’inquiète et n’exclut pas des procédures judiciaires contre les coupables de violences. La « Niezavissimaïa Gazeta » (« Journal Indépendant » paraissant à Moscou et appartenant à Boris Berezovski) estime que les incidents sont démesurément grossis et exploités par le pouvoir afin de désigner les opposants comme « traîtres » et « émigrés de l’intérieur ».

Plusieurs analystes font valoir que les appels de Boris Berezovski au renversement violent de Poutine viennent à point pour renforcer, en Russie, la thèse du « complot international » destiné à déstabiliser la Russie comme on le fit en Géorgie et en Ukraine.

ANALYSE

Cet affrontement de rue clôt ( ?) un cycle de protestations commencé le 4 novembre par la « Marche Russe » fasciste, interdite, et une cascade de « marches » communistes, libérales, nationalistes, également interdites.

Un cycle qui soulève plusieurs questions.

1. Quels sont les objectifs des protestataires ?

Evidemment très contradictoires. Le mouvement Kasparov (orangiste) incarne le choix libéral occidentaliste des années 90. Les marches russe et impériale leur opposent diverses options nationalistes. Les communistes de Guennadi Ziouganov perpétuent le national-patriotisme d’ancien style et les nostalgies soviétiques. Autant de pressions sur un pouvoir, une majorité parlementaire où coexistent toutes ces tendances, avec sans doute une dominante, chez Poutine, nationale-étatique modernisatrice. (Sur ce paysage politique, cf Jean-Marie Chauvier « La Nouvelle Russie de Vladimir Poutine » dans « Le Monde Diplomatique » de février 2007.

La direction libérale et pro-américaine du mouvement Kasparov est très éloignée des « gauchistes » qui, pourtant, s’y rallient. Renverser Poutine, soutenu par plus de 70% des Russes (selon les sondages) est l’objectif des libéraux, dénoncer sa politique « ultralibérale » est le propos des mouvements de gauche. Mais les libéraux également « gauchissent » leur discours et prennent part aux protestations contre la politique « antisociale » du pouvoir. Quitte à rendre Poutine responsable de l’état de la Russie qui a résulté des réformes libérales des années 90. Il est piquant d’entendre l’un des inspirateurs de la Thérapie de choc, le pinochetiste Illarionov, attribuer au régime actuel les effets désastreux d’une politique dont il fut l’un des artisans !

2. Quel est l’impact de ces manifestations dans l’opinion publique ?

Extrêmement faible. Les libéraux russes et leurs oligarques sont détestés, et les opposants qui les fréquentent ou sont financés par eux sont à leur tour discrédités. Mais il y a la caisse de résonnance des médias occidentaux et le rôle de ces désordres dans les luttes de pouvoir autour du Kremlin. L’Occident en est aussi l’arbitre…Et chacun, à Moscou, guette ses réactions.

Le fait qu’elles soient plus ou moins négatives est exploité, par les opposants à Poutine, comme la preuve que le pays s’isole et fait peur, et par les partisans d’une ligne nationaliste plus dure, comme la démonstration que la Russie est à nouveau « assiégée ».

3. Comment expliquer l’alliance droite-gauche et même des extrêmes à priori incompatibles –ultralibéraux et nationaux-bolchéviques ? Qui sont ces derniers, qualifiés ce dimanche soir sur TF1 comme d’ « extrême-gauche » alors que nos médias avaient l’habitude de les présenter comme fascistes et « rouges-bruns » ?

Tous unis contre les restrictions aux libertés, cela va de soi. Adeptes de la démocratie. Les nationaux-bolchéviques allient des slogans nationalistes (la « révolution nationale ») et la dénonciation des oligarques du capitalisme russe. Leur traitement plus favorable dans la presse occidentale s’explique par le fait qu’ils marchent désormais du même pas que les forces libérales pro-américaines. Difficile, dans ce cas, d’encore les traiter de « fascistes ».

Les opposants n’ont aucun programme commun et il n’est pas difficile de prédire que les « gauchistes » qui se placent ainsi sous l’hégémonie des libéraux serviront de piétaille dans une manœuvre dont ils ignorent les tenants et aboutissants.

4. Quel est l’objectif du pouvoir en les interdisant systématiquement, confirmant sa réputation de plus en plus autoritaire et policière ?

Sans doute démontrer qu’il est maître de la rue et combat « tous les extrémismes ». Mais il existe aussi une stratégie de la tension occulte au sein des cercles de pouvoir qui se servent du climat ambiant (et des provocations des opposants) pour justifier l’établissement d’un régime plus musclé, avec ou sans Poutine. Parmi les acteurs de cette stratégie, il y a les Kasparov-Kassianov et Berezovski (et Khodorkovski actuellement emprisonné) dont les liens « occidentaux » suggèrent d’autres enjeux. Pour qui roule l’opposition ? Vaste question.

5. Quel est le but poursuivi par les puissances occidentales (Etats-Unis et Grande-Bretagne) en apportant leur soutien aux opposants libéraux (et nationaux-bolchéviques !) via leurs ambassades, hommes politiques, fondations, avec le concours des grands médias et d’ONG internationales comme Reporters sans frontières ? Et alors que le principal oligarque en exil, Boris Berezovski, réfugié politique à Londres, vient de lancer un appel au renversement violent du régime en Russie, il est vrai désavoué par la Grande-Bretagne ?

Les ambitions pétro-gazières de Vladimir Poutine, sa politique d’intervention de l’état dans l’économie, la répression envers les forces oligarchiques et ultralibérales qui détenaient le pouvoir et les médias dans les années 90, la bataille autour des ressources et les oléoducs-gazoducs de la Caspienne, de Sibérie, d’Ukraine, l’élargissement à l’Est de l’OTAN, le discours du 10 février à Munich du président Poutine critiquant la politique mondiale des Etats-Unis : autant de sujets de friction, autant de raisons de soutenir en Russie les forces de déstabilisation – tout en sachant fort bien que le renversement de Vladimir Poutine ou le retournement de sa politique ne sont pas d’actualité…du moins à court terme.

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