Rony Brauman : « Beaucoup de journalistes connaissent la réalité de RSF »

Reporters Sans Frontières est l’ONG qui, dans le monde, au cours des quinze dernières années, s’est le plus acharnée contre Cuba et sa Révolution. Comme la pluie fait pousser les champignons, elle a créé des « journalistes indépendants » et organisé des campagnes de diffamation.
11 février 2009

On ne sait pas combien de millions d’euros y ont été investis, ni leur origine exacte. On sait qu’elle en a reçu une certaine quantité en provenance d’organisations contre-révolutionnaires aux Etats-Unis, dont les dirigeants ont participé à des actions terroristes pendant les années soixante-dix. Le Center for a Free Cuba est l’une d’entre elles. Frank Calzon, son directeur, a été le dirigeant de l’organisation terroriste Abdala. Actuellement, le Centre est soumis à une enquête du Congrès, pour détournement de l’argent remis en faveur de la « liberté » de Cuba. Robert Ménard, directeur de RSF jusqu’en octobre 2008, a donné des conférences avec Calzon à Miami en mars 2004.

On a parfois l’impression que seules les personnes soutenant la Révolution cubaine ont mis en cause les procédés et l’éthique de RSF. C’est que les autres voix ne sont pas prises en compte. Celle de Rony Brauman, par exemple, qui fut l’un des fondateurs de Reporters sans Frontières et aussi l’ancien président de Médecins sans Frontières France. Les propos qui suivent sont éloquents et frappants. Ils sont extraits d’une interview réalisée début 2007, qui fait partie d’une série de rencontres avec des personnes ayant directement participé à RSF. A lire avec attention, car même si Ménard est parti, son regard et ses méthodes demeurent à coup sûr. C’est en tout cas ce qu’il a laissé entendre publiquement.

« Dans une petite structure comme celle de RSF, il est très facile d’avoir un minimum de discussions régulières, de participation collective. Non seulement Ménard ne voulait rien entendre, mais toute personne qui faisait entendre une voix discordante, qui posait une question qui ne lui convenait pas, était impitoyablement réprimée, voire virée, en tout cas, harcelée. C’était un crime de lèse-majesté. Il avait vraiment un comportement tyrannique, d’une autocratie épouvantable.

Je ne sais pas ce qui s’est passé dans sa tête, dans sa vie, mais il y a eu un tournant au début des années 90. Peu à peu, il a attrapé la conviction, comme on attrape un rhume, qu’il était la personne qui incarnait RSF, qui savait quel était le bon avenir, quelles étaient les bonnes orientations. Une attitude de pur terrorisme intellectuel. Ménard se conduit comme un dictateur mais pour la bonne cause, les autres dictateurs eux, c’est pour les mauvaises causes.

Beaucoup de journalistes connaissent la réalité de RSF, et que la personnalité de Ménard est très contestée dans les milieux journalistiques. Mais on s’en fiche, et je pense que la raison pour laquelle on s’en fiche, c’est que RSF apporte une image très positive, très noble de la presse française. Chaque journaliste français devient une sorte de pépite de démocratie, un peu le facteur de l’idéal, des droits de l’homme, de la liberté, du progrès, enfin, de toutes les valeurs positives.

C’est cette image très gratifiante que renvoie le miroir de RSF. Ils en sont très contents, parce qu’ils sont en crise, la crise économique et la crise existentielle de la presse sont réelles, et RSF les rassure. C’est un facteur de stabilisation pour eux. Quand un journaliste de la presse française parle de RSF, il se grandit lui-même par la grandeur de la cause qu’il défend. C’est vrai pour la plupart des journalistes.

Sur le plan financier, il y avait une dérive de l’association, du fait du budget de plus en plus important qui provenait de l’Union européenne, de la Commission à l’époque. Je craignais que RSF devienne de plus en plus un bras exécutif de la diplomatie de l’Europe.

Au moment de la présentation des comptes, on savait combien d’argent entrait à RSF. Mais la présentation des comptes est toujours quelque chose qu’on peut arranger. C’est ce que j’appelle l’opacité financière. En tout cas, en l’absence de possibilité de contrôle, c’est le soupçon qui s’installe. Si vous ne pouvez pas vérifier, vous pouvez supposer. Je ne veux pas suggérer, je dis simplement qu’on n’avait pas le droit de contrôler.

Donc, j’ai démissionné. Je n’avais pas envie de perdre mon temps là-dedans. J’ai simplement pris soin de démissionner en envoyant une lettre de deux pages à tous les membres du CA, concernant les pratiques internes, l’opacité financière et certaines prises de positions publiques de RSF que je ne partageais pas. Je suggérais que l’opacité financière conduit nécessairement à des dérives financières, à un moment ou à un autre. Je n’ai eu aucune réponse.

Si l’on reçoit de l’argent d’un état européen, de fabricants d’armes, des avantages des grands groupes de presse français ou bien directement ou indirectement des structures du pouvoir à Washington, il n’y a pas d’indépendance, mais il s’en fiche. Je ne dirais pas, comme on le dit par ici, qu’il reçoit de l’argent de la CIA, mais j’insiste sur le fait que les comptes de RSF n’ont pas été clairs.

Donc, s’il y a des gens à Miami qui sont prêts à financer une action pour libérer les Cubains de la « dictature », et bien tant mieux! Ménard dit : Où est le problème ? Qui sont ces personnes qui financent les campagnes contre Cuba n’importe ni à Ménard ni à RSF, même s’il est bien connu qu’elles ne sont pas si démocratiques et que leur passé récent peut être obscur. Mais c’est absolument secondaire pour RSF. Cuba lui permet d’agir, d’avoir une image et de l’argent qui sont sa drogue. »

Entretien réalisé par Hernando Calvo Ospina en 2007.

Extrait du livre « Cuba, 50 ans de révolution ». Sous la coordination de Hernando Calvo Ospina. Ed. le Temps des Cerises / Ass. France Cuba. Pantin, 2009)

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