Révoltes de la faim au Mozambique

Depuis plusieurs jours, la presse fait état de révoltes de la faim au Mozambique à Maputo, la capitale ainsi que dans d’autres villes. Motif : le coût de la vie a flambé (entre autres l’eau et l’électricité) et maintenant le prix du pain a lui aussi augmenté de 30%. Le gouvernement en fait porter la responsabilité aux récoltes mondiales calamiteuses.

 

C’est sûr, les incendies en Russie, les inondations en Chine et surtout au Pakistan et la vague de chaleur générale dans nombre d’autres pays ont causé de grands torts aux récoltes. La Russie s’est vue contrainte d’arrêter totalement ses exportations de céréales. Et naturellement les requins de la Bourse et les géants de l’agroalimentaire ont sauté sur l’occasion pour procéder à une formidable hausse des prix, avant même que les récoltes ne soient rentrées et les rendements effectifs constatés.

 
Dans un pays comme le Mozambique, où 70% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, où le taux de chômage atteint 54%, le taux d’infection par le SIDA 16% et où le revenu mensuel  des pauvres  s’élève à 37$, des augmentations aussi énormes ont des conséquences catastrophiques pour les pauvres. Ils n’ont pas seulement la faim, mais aussi la rage au ventre. Et là, ça sent le roussi pour n’importe quel gouvernement.
 
La seule idée qui lui vient alors en tête est le bon vieux moyen éprouvé : lancer l’armée contre les pauvres. Au bout de trois jours on compte déjà 10 morts – dont quelques enfants- et plus de quatre cents blessés. Dès le premier jour la police avait tiré à balles réelles. Excuse : on n’avait plus de balles en caoutchouc, alors on n’avait pas le choix. Admirable
 
La faute en est bien sûr aux manifestants, ces pauvres diables. Ils n’ont pas demandé d’autorisation et ont pillé des magasins. Eh oui, quand on n’a rien à bouffer, adieu la morale.
 
Et pourtant ce n’est pas qu’on manque d’argent au point de ne pouvoir calmer au moins à peu près la faim des pauvres. L’armée reçoit régulièrement des centaines de millions de dollars pour l’achat d’armement moderne. Toutefois le Mozambique n’a aucun ennemi, bien loin à la ronde. Contre qui servira donc cet armement ? Contre le peuple bien sûr. Et l’armée ne se montre jamais aussi héroïque que contre des manifestants désarmés. Et le gouvernement se montre inflexible : la hausse des prix sera maintenue.
 
 
Jusqu’ici rien d’étonnant. Mais, se disent certains, le Mozambique n’est-il pas un pays socialiste ? Il le fut, il le fut. Ou du moins il a essayé. Le FRELIMO, qui mena les luttes de libération, au début sous la conduite de l’étincelant Mondlane, sûrement assassiné par la CIA, est certes toujours au pouvoir, mais au fil du temps il s’est transformé en parti bourgeois et corrompu. On le sait, non? Oui, c’est vrai, la CIA et les gouvernements de l’apartheid en Afrique du Sud ont fait de leur mieux pour l’y aider. Essentiellement en créant et armant superbement une armée de «contras», la tristement célèbre RENAMO qui mena ensuite pendant 15 ans une guerre impitoyable contre le FRELIMO (dont la morale laissait elle aussi de plus en plus à désirer.) Tout cela se termina par un trouble maquignonnage, dont le résultat fut la formation d’un gouvernement commun.
 
Pourtant il semble incompréhensible qu’un homme comme l’actuel Président du Mozambique, Armando Guebuza, ancien combattant du FRELIMO, fasse tirer sur des affamés. Du moins tant qu’on ignore que Guebuza est maintenant millionnaire et qu’il a des intérêts en maints endroits. Et les capitalistes sont partout les mêmes. Au milieu des années 80 le FRELIMO a pris la décision, lourde de conséquences, d’ouvrir le Mozambique au grand capital, très intéressé par les réserves gazières et pétrolières du pays et les abondantes ressources de son sous-sol. Où cela mène, on le sait, il en est des centaines d’exemples de par le monde. Réduire ou supprimer les subventions aux denrées de base, délaisser l’éducation et la santé, tout cela pour améliorer le climat des investissements, comme on dit si joliment.
 
Mais par bonheur il y a de nombreux exemples qui montrent que l’avidité des capitalistes peut les entraîner à trop tirer sur la corde et à pousser le peuple aux extrêmes – c’est-à-dire à la révolution. Qui n’a de sens, toutefois, que s’il se trouve des leaders pour prendre au sérieux la misère du peuple, ses souffrances et ses préoccupations. Mais aussi conscients de la puissance de l’adversaire. Car l’adversaire, ce n’est pas seulement le gouvernement du pays. C’est aussi l’Internationale du capital, basée aux USA. Et celle-ci sait depuis longtemps quels dangers, aussi bien intérieurs qu’extérieurs, la menacent. C’est ce qui l’a amenée à créer, il n’y a pas très longtemps, l’USAFRICOM, l’une des six sections de l’USCentcom, dont le siège est en Allemagne, à Stuttgart. Et de quoi ces dernières sont capables, les exemples de l’Irak, de l’Afghanistan et du Pakistan, entre autres, sont là pour le montrer. D’autre part les résistances irakienne et afghane ont définitivement fait des USA un colosse aux pieds d’argile, incapable de continuer à mener des guerres sur autant de fronts. En attendant, au Mozambique, manifestations et grèves se poursuivent, et peut-être le gouvernement de Maputo est-il en train de se raviser.
 
Pour finir, un mot à ceux qui ont participé dans les années 60 et 70 aux innombrables manifestations de soutien au FRELIMO. Je crois que nous n’avons pas à le regretter. C’est une cause juste que nous soutenions alors : mettre fin au colonialisme portugais, vieux de plusieurs siècles. Le gouvernement révolutionnaire n’a pas réussi à arracher, après l’indépendance politique, l’indépendance économique, c’est vrai, mais ceci est une autre histoire.

 

Épilogue (provisoire)

Le gouvernement mozambicain a renoncé aujourd'hui 7 septembre à augmenter le prix du pain après la mort de 13 personnes dans des émeutes contre la vie chère la semaine dernière, a annoncé le ministre du Plan, Aiuba Cuereneia. "Le gouvernement a décidé de (…) maintenir le prix du pain à son niveau précédent grâce à une subvention", selon un communiqué du gouvernement lu par Cuereneia à l'issue d'un conseil des ministres de crise.

Le gouvernement doit également annuler certaines augmentations des prix de l'eau et de l'électricité et tentera de "diminuer les dépenses publiques pour dégager des fonds et subventionner les prix des produits de base", a ajouté le ministre. Après plusieurs augmentations des tarifs, l'annonce d'une hausse du prix du pain avait enflammé les faubourgs pauvres de Maputo, où des manifestations ont tourné à l'émeute mercredi avant de s'étendre à d'autres villes du pays jeudi et vendredi. La police avait tiré à balles réelles sur la foule. Treize personnes ont péri et plus de 400 ont été blessées dans ces affrontements.

 
Source: Tlaxcala

 

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