Retour de Bolkestein

Le référendum sur le traité constitutionnel aura lieu en France le 29 mai prochain. La hâte manifestée par le président Chirac et les partisans du oui a une raison toute simple : la directive Bolkestein, qui fait désormais figure d’épouvantail, sera discutée en juin au Parlement européen.

Comme la divulgation, hélas tardive, du contenu de cette directive auprès du plus large public risque de faire pencher la balance en faveur du non, il faut donc faire voter les Français au plus vite.

Nous avons eu droit à une série de fausses péripéties, notamment les rodomontades de la France face aux mesures du projet Bolkestein, mais on ne peut s’y tromper, celui-ci sera maintenu en ses termes actuels, le Président Barroso ayant affirmé qu’il « est hors de question de remettre en cause cette directive ».

Le cœur du projet, on le sait, réside dans le principe dit du « pays d’origine », qui permettrait à une société de services de s’implanter dans l’un des pays de l’Union européenne en bénéficiant du droit social et du droit fiscal du pays où elle est déclarée. L’attention des opposants s’est focalisée sur les « sociétés de service » auxquelles la directive fait allusion en priorité, et notamment sur le principe de « concurrence libre et non faussée» appliqué aux services sociaux et aux services de santé. Mais ceci ne serait qu’une des multiples conséquences de la directive Bolkestein..

Une irréversible machine à déréguler

Pour mieux comprendre l’Europe que prépare le projet, l’approche de quelques cas concrets est utile, notamment en fonction de l’intégration dans la définition des « sociétés de services », les services de recrutement, les agences de travail intérimaires et les sociétés financières, ce que confirme page 21 le texte diffusé par la Commission européenne le 13 janvier 2005.

• Une entreprise en France pourrait-elle faire appel à des travailleurs intérimaires proposés par une agence hongroise, ou polonaise ou autre, installée en France, et bénéficier des conditions salariales définies par le pays d’origine de la dite agence. La réponse serait oui…quelle que soit d’ailleurs la nationalité des travailleurs concernés, y compris s’ils étaient Français.

• Une entreprise française pourrait-elle créer en Hongrie, en Pologne, ou ailleurs, une entreprise de recrutement, voire sa propre agence d’intérim, l’implanter en France et bénéficier de la clause du pays d’origine pour utiliser une main-d’œuvre à un coût équivalent à la moitié ou au tiers de celui des salariés français ? La réponse est bien sûr : oui….

• Pourrais-je aussi, merci Monsieur Bolkestein, installer ma holding en Hongrie et la rapatrier en France pour échapper totalement à la fiscalité des entreprises ? La réponse serait oui… Ce sera beaucoup plus facile que de Jersey ou des Bahamas, vraiment merci…

On pourrait multiplier les cas d’école de ce genre. N’ayons crainte que les entreprises s’en chargeront en utilisant tous les « pavillons de complaisance » possibles et imaginables. C’est donc à un nouveau genre de délocalisations qu’il faut se préparer, des « délocalisations internes » fondées sur la volonté libérale d’une parfaite « fluidité » du marché du travail et d’une déflation salariale à l’échelle européenne. Ainsi, en réponse aux velléités françaises de remettre en cause la directive, la commissaire européenne à la politique régionale, Danuta Hûbner, déclarait-elle à La Tribune le 8 février : « Prévenir les délocalisations, les stopper par des règles artificielles travaillerait contre la compétitivité des entreprises. Ce que nous devons faire au contraire, c’est faciliter les délocalisations à l’intérieur de l’Europe ».

Certes, des travailleurs polonais, hongrois ou tchèques trouveront-ils du travail grâce à la directive Bolkestein, mais dans quelles conditions de vie et au prix de quel chômage pour d’autres ici ?

Ah Dieu, que l’Europe libérale est jolie ! Puissent tous, avant le vote prochain, être informés des dispositions que la directive instaurerait. Décidément non, mieux vaut ne pas se fiancer avec Bolkestein…

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