Redéfinir notre relation à un peuple en lutte

Dans l’édition d’hiver 2012 de Palestine News – publiée par la Campagne de Solidarité avec la Palestine en Grande Bretagne – Il y a en page 5 la photo d’un vieil homme. Avec sa barbe blanche, sa traditionnelle jalabiya grise, sa ceinture noire et sa vieille veste bleue il pourrait être n’importe quel grand-père palestinien. Dans la photo, le vieil homme tient les branches cassées de ses oliviers détruits par des colons haineux dans le village de Qusra, en Cisjordanie.

Cet article est basé sur une communication de Ramzy Baroud lors de la la semaine de conférences d’Edmonton et Calgary [Alberta, Canada] les 5 et 6 mars 2012, sur l’apartheid en Israël.

 

On ne donne pas le nom du vieil homme. Il pourrait s’appeler Mohammed, George ou Ali. Il pourrait être chrétien ou musulman. Son village, Qusra, se trouve au sud de Naplouse mais cela n’a pas non plus grande importance. Ca pourrait être un village près de Jérusalem, de Ramallah ou de Jénine.

 

Au fil des ans, de nombreux hommes et femmes de ce village ont certainement été photographiés avec les restes de leurs vénérables oliviers dans les mains et la même expression de désespoir et de tristesse sur le visage, dans l’espoir que peut-être ce cri silencieux de tout un peuple pour demander justice mettrait fin aux incessants crimes haineux dont ils sont tous victimes.

 

Selon le rapport ci-joint, la destruction des oliviers palestiniens par les colons – sous l’oeil complice des soldats de l’armée d’occupation israélienne – ont coûté aux fermiers plus de 500 000 dollars en 2011. " Oxfam, le Comité de l’Union des travailleurs agricoles (et d’autres) estiment que la récolte des olives de 2011 produira moitié d’huile que celle de 2010". Mais ce n’est pas seulement un dommage financier que les colons veulent infliger aux Palestiniens dans leurs incessants raids dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Jérusalem Est. Ils savent très bien que la terre est non seulement la source des revenus d’environ 100 000 familles mais aussi une source de légitimité et de force pour le vieil homme à la barbe blanche et des millions comme lui. Le but des colons est de briser le lien ancestral qui unit les habitants de la Palestine depuis des temps immémoriaux. Mais y parviendront-ils ?

 

Suheil Akram al-Masri est un prisonnier politique palestinien de 26 ans, qui a été hospitalisé le 2 mars, quelques heures après avoir été libéré, à son retour dans son village de Beit Hanoun dans la bande de Gaza. Al-Masri, s’était semble-t-il, évanoui au terme de 13 jours de grève de la faim en solidarité avec la prisonnière Hana Shalabi, qui avait entamé une grève de la faim le 12 février.

 

L’histoire de Hana est tristement typique. Elle avait passé 25 mois en prison au titre de ce que les Israéliens appellent "détention administrative" un système d’une étrange légalité qui permet à Israël de retenir des militants palestiniens indéfiniment sans charge et sans procès. Elle n’avait été libérée en octobre 2011 grâce à l’Accord sur l’échange des prisonniers que pour être honteusement kidnappée par des soldats quelques mois après sa libération.

 

Hana, tout comme Khader Adnan qui venait de terminer la plus longue grève de la faim jamais endurée par un prisonnier palestinien, a décidé que ça suffisait : la vie sans liberté et sans dignité est une vie sans intérêt. Des centaines de Palestiniens, dont le vieux père d’Hana, se sont joints à sa grève de la faim pour réclamer la liberté.

 

Mais les cas d’Hana et de Khader ne sont pas des cas isolés. Selon Charlotte Kates, de la National Lawyers Guild : "La prison fait partie de la vie des Palestiniens ; plus de 40% des hommes palestiniens de Cisjordanie ont été retenus ou emprisonnés dans les prisons israéliennes. Il n’y a pas de famille palestinienne qui n’ait été touchée par le fléau de la détention de masse comme mécanisme d’oppression."

 

Cet état de fait ajouté à l’oppression et à l’emprisonnement d’un peuple victime d’une longue occupation militaire au mépris du droit international, tout cela fait d’Hana une Palestinienne ordinaire ; de Khader, un Palestinien comme les autres tout comme le vieil homme de Qusra pourrait être n’importe quel fermier palestinien. La "loi concernant les mesures sécuritaires" qui gouverne les territoires occupés permet à l’armée israélienne d’arrêter et de poursuivre les Palestiniens de Cisjordanie pour de prétendues "atteintes à la sécurité". Il y a 2500 lois militaires de ce type dont une datant d’août 1967 qui qualifie tout acte visant à influencer l’opinion publique "d’incitation politique" prohibée et toute manifestation de sympathie pour une organisation considérée comme illégale par l’armée de "soutien à une organisation hostile" prohibé.

 

Les Palestiniens sont ainsi soumis à des lois qui n’ont aucun cadre légal de référence au niveau international. Il est inutile de se référer à la Quatrième Convention de Genève sur le droits des prisonniers, sur le droit des pays occupés, sur la torture, sur la saisie des biens privés ni même sur la circulation routière. Cela ne sert à rien. Israël a ses propres lois, absurdes et inhumaines.

 

Ce pays se permet par exemple d’arrêter les patients qui sont obligés de sortir du territoire assiégé de Gaza pour aller se faire soigner car à Gaza il n’y a pas d’équipement médical approprié ni d’installations d’urgence. (La plupart des hôpitaux de Gaza opèrent le plus souvent avec des générateurs fournis par la Croix Rouge, selon le Guardian du 1er mars).

 

Le Centre Palestinien pour les droits humain (CPDH) a protesté officiellement le 23 janvier contre cette sinistre pratique de l’armée israélienne qui dure depuis des années : l’interrogatoire par l’armée israélienne des Palestiniens qui viennent se faire opérer dans les hôpitaux de Cisjordanie et d’Israël.

 

Bassam Rehan, 25 ans, du camp de réfugiés de Jabaliya en a été victime ; il a été arrêté au barrage Erez en se rendant en Cisjordanie pour se faire opérer. Selon Maan News, Le Centre palestinien pour les droits humains craignait que Rehan ne soit soumis à la torture. Ces craintes étaient compréhensibles car d’autres patients avaient été torturés dans le passé pour leur arracher des informations. Selon le Centre "Cibler des patients et profiter de leur besoin de se faire soigner en Cisjordanie et en Israël pour leur faire du chantage à la délation est illégal".

 

Et ceci n’est qu’un tout petit exemple bien parcellaire des persécutions infligées aux Palestiniens. Le fait que de telles pratiques, aussi perverses qu’ignobles, puissent se perpétuer, laisse à penser qu’il n’y a aucune volonté de mettre fin à ces injustices ; et cela pose la question de notre responsabilité morale, pour ne pas dire de notre culpabilité, nous qui laissons Israël traiter tout un peuple -le peuple autochtone de la vénérable "Terre Sainte"- d’une manière aussi honteuse.

 

On ne peut pas compter sur Barack Obama, Stephen Harper ou David Cameron pour faire justice aux Palestiniens. Comment le pourraient-ils quand leurs gouvernements continuent de soutenir l’occupation, d’armer Israël, de financer les colonies illégales, de permettre le maintien du siège de Gaza et de bloquer toute tentative même symbolique d’incriminer les pratiques d’apartheid, illégales et violentes, du gouvernement israélien ?

 

Alors vers qui le vieillard anonyme de Qusra, Suheil, Hana, Adnan et Bassam peuvent-ils se tourner pour obtenir justice ? A qui peuvent-ils en appeler pour que leurs droits soient respectés ? Et sur l’aide de qui peuvent-ils compter ?

 

Une chose est sure : les Palestiniens continueront à résister, que le monde condamne ou non les exactions qu’ils subissent au quotidien. Le vieil homme essayera de replanter ses oliviers, Suheil, Hana et Adnan continueront leur lutte pour la liberté et mourront en luttant. Toute une nouvelle génération reprendra le flambeau de la précédente, replantera, reconstruira et se battra pour sa liberté.

 

Mais nous, la multitude silencieuse, nous ne pouvons pas accepter un état de fait qui entérine un comportement aussi immoral comme si on ne pouvait rien y faire. C’est notre silence qui permet à Israël de commettre ses crimes et à nos leaders, dont on peut douter de la moralité, de continuer à parler "du lien indivisible" qui les unit au régime d’Apartheid ; c’est parce que nous ne leur demandons pas de comptes qu’ils peuvent manifester autant d’inhumanité sous la pression des lobbys ou pour obtenir leur soutien.

 

Il est temps de redéfinir notre relation à la lutte du peuple palestinien. Nous ne sommes pas des spectateurs impuissants ; nous sommes parti prenante de ce déni de justice qui se traduit par le silence qui entoure les souffrances quotidiennes de millions de personnes. Notre silence est un chèque en blanc donné aux politiciens qui se prosternent devant le lobby israélien dont les exigences vont toujours croissant.

 

Les Palestiniens ordinaires ont besoin d’une vraie solidarité et non de prêches sur la violence et la non violence ; cela fait presque cent ans qu’ils pratiquent cette dernière. Ils ont besoin que nous prenions nos distances avec Israël au lieu de rester soigneusement à mi distance entre les opprimés et les oppresseurs. Ils ont besoin que nous renoncions à notre élitisme intellectuel et notre supériorité morale. Ils n’ont pas besoin qu’on leur fasse la leçon ; ce qu’ils veulent c’est qu’on les écoute, qu’on comprenne bien leur situation et qu’on passe vraiment à l’action.

 

La religion n’est pas au cœur du conflit. Ni la politique. Il s’agit ici de droits. Il s’agit d’un peuple historiquement enraciné dans une terre, leur terre -qui d’autre, en effet, a planté les oliviers centenaires qui poussent dans les vergers de leurs ancêtres ? Ils ont besoin que nous nous souvenions de leurs noms, de leurs vies, et que derrière les grands titres des journaux, nous voyions des êtres humains qui font preuve d’un grand courage et de beaucoup d’humanité et qui aspirent à la justice et à la paix : Suheil, Hana, Adnan et Bassam, et des millions d’autres, morts, vivants et à naître.

 

Avant de parler des "solutions" au "conflit israélo-palestinien", je crois que nous devons résoudre notre propre dilemme en prenant nos distances, d’abord moralement puis de toute autre manière possible, par rapport à une Occupation qui trahit toutes les vraies valeurs humaines.

 

C’est Desmond Tutu qui a dit un jour, "Celui qui reste neutre devant l’injustice, a choisi le camp de l’oppresseur."

 

De quel côté sommes-nous dans ce conflit, du côté du colon armé originaire de Brooklyn et du soldat israélien armé par les États-Unis ? Ou du côté du vieil homme à la barbe blanche qui tient serrée dans sa main la branche d’olivier brisée, partagé entre le désespoir, et l’espoir, aussi ténu soit-il, que peut-être quelqu’un quelque part s’intéressera enfin à son sort ?

 

C’est à vous de choisir, mais votre choix est important, il peut changer le cours de l’Histoire.

 

 

Source: Info-Palestine

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