Racisme à RFO: lettre ouverte à René Lataste

Comme à RCI Guadeloupe, des journalistes de RFO Martinique sont menacés, eux aussi accusés de parti-pris en faveur du Collectif du 5 février. C’est le cas de la journaliste Lisa David, qui avait dû mener une grève de la faim de 4 jours, au lendemain du mouvement de grève générale. A RCI Guadeloupe, la mise au pas s’est faite par la coupure de la publicité. A RFO Martinique, qui ne dépend pas principalement des rentrées publicitaires, la basse besogne a été confiée à un sous-fifre. En l’occurrence, à l’ombrageux & teigneux René Lataste, rédacteur en chef adjoint.

le 10 avril 2009

Monsieur René Lataste,

Bravo d’Aimé Césaire aujourd’hui et de le citer. C’est à la mode mais surtout, il n’est jamais trop tard pour reconnaître la valeur d’un Grand Homme Nègre.
J’aurais aimé vous entendre vous indigner que cet immense homme de la littérature n’est jamais eu droit aux grands prix littéraires français. Il a vécu très bien sans ces distinctions d’ailleurs.

Avez-vous entendu Pierre Aliker aux obsèques d’Aimé Césaire ? Il a rappelé que les meilleurs spécialistes des affaires martiniquaises, sont les Martiniquais.

Je continue à dire qu’il est inadmissible qu’aucun journaliste martiniquais n’ait été consulté et choisi pour animer un débat concernant notre Aimé Césaire. Voici là une belle démonstration de l’exclusion que vous voulez condamner !
Je continue à demander : en quoi Serge Bilé et Cécile Marre sont plus légitimes que des journalistes martiniquais pour animer un débat sur Aimé Césaire ?

Pourquoi aucun journaliste martiniquais ? Sommes nous tous incompétents dans notre pays ?

Vous évoquez, dans votre « Lettre à la rédaction… et à quelques autres » « des comportements choquants », un « cheminement vers l’inadmissible »
Ne me donnez pas de leçon de tolérance. Vous pouvez être rédacteur en chef adjoint dans notre pays. Combien y a-t-il de Noirs en France ayant des responsabilités dans l’audiovisuel public ? Je ne vous ai jamais entendu vous en indigner.
Vous écrivez que « le choix fait est celui du professionnalisme et de la connaissance des sujets traités. L’objectif est de faire des émissions de qualité dans le cadre du Service Public »

Comment osez vous monsieur sous-entendre qu’aucun de nous, journaliste martiniquais ne peut parler d’Aimé Césaire. Par manque de connaissance du sujet ? Vous nous insultez !

Nous serions donc tous des nuls, incapables professionnellement d’évoquer l’œuvre ou le parcours politique d’Aimé Césaire ? Tala té bel !
Monsieur qui mieux que nous, nourris au biberon Césaire, pourrait parler de ses relations avec les gens de Crozanville, de Trénelle et autres quartiers ?
Qui mieux que nous pourrait évoquer ce qu’a été pour le peuple méprisé, privé de son histoire, de sa culture, la création du Sermac où notre parler créole, notre musique, notre tambour ont pu s’exprimer au grand jour dans la capitale ?
Qui mieux que nous pourrait évoquer, quand la télé où nous travaillons aujourd’hui le méprisait, l’ignorait, ces conférences à la mairie de Fort-de-France, lieu de rassemblement ?
Nos parents nous y emmenaient comme on va à la messe. Entre le « Je vous salue Marie » et Notre père », nous avions les discours de résistance, an bel fransé, d’Aimé Césaire.

Vous écrivez, me soupçonnant de « discrimination de couleur ou d’origine » que « l’Histoire a suffisamment montré dans quels bourbiers sanglants conduisaient les attitudes d’exclusion. »

Monsieur, la descendante d’esclaves, que je suis, porte dans son histoire, longtemps occultée dans les manuels scolaires, les pages sanglantes de négresses, de nègres, déportés, vendus comme des meubles, violés, torturés, marqués au fer.
Pour eux, j’ai marché, manifesté, refuser de travailler, tous les 22 mai jusqu’à ce que la Gauche française au pouvoir décide que ce jour sera non travaillé.

Sachez Monsieur, que je ne permettrai à aucun Français à indignation variable, de me donner des leçons de tolérance. Vous découvrez la Martinique et ses gentils Martiniquais, vous comptez même sur quelques larbins pour, au nom d’un plat de lentilles, allumer avec vous les flammes du bûcher.

« Par ailleurs, jugeant l’action colonisatrice, j’ai ajouté que l’Europe a fait fort bon ménage avec tous les féodaux indigènes qui acceptaient de servir ; ourdi avec eux une vicieuse complicité ; rendu leur tyrannie plus effective et plus efficace.. » Discours sur le colonialisme.

Pour votre information sachez (et tout le monde le sait aussi bien que les intéressés), que c’est moi, syndicaliste CGT, qui me suis battue et obtenue que, Serge Bilé dont RFO Martinique ne voulait plus pour des raisons que j’ignore, travaille chez nous et soit intégré dans l’entreprise.
Sachez que c’est moi qui suis intervenue auprès du rédacteur en chef de l’époque Gérald Prufer, pour qu’il fasse travailler Cécile Marre à RFO, au moment où la radio où elle collaborait rencontrait des difficultés financières. Radio qui n’existe plus, dommage pour le pluralisme.
Cécile Marre a d’ailleurs eu l’honnêteté de le reconnaître hier, jeudi 9 avril, au cours de la réunion organisée en rédaction en présence de la remplaçante du directeur régional, où une tentative de procès en sorcellerie commençait déjà. Vous y étiez.
Sachez aussi que j’ai mené, bien avant, avec d’autres honorables collègues, une grève de plusieurs jours en 1998, pour qu’on fasse travailler, en priorité, des Martiniquais à RFO. Appelez ça raciste si ça vous plait. Moi j’entends peuple en voie de disparition, génocide par substitution, résistance à renforcer.

Qu’avez-vous fait, qu’avez-vous, Monsieur René Lataste, journaliste à France 3, pour qu’il y ait des Noirs sur les antennes, avant que les combats “des minorités visibles” ne permettent qu’ils apparaissent enfin sur les écrans de France ?
Qu’avez-vous fait Monsieur René Lataste en votre qualité de journaliste français pour informer en France, pour faire savoir que mes jeunes compatriotes qui vivent en France sont Français, qu’ils ont des diplômes, des compétences ?
Qu’avez vous fait en votre qualité de journaliste français pour montrer le racisme dont sont victimes les Antillais, Guyanais en France ?
Avez vous enquêté pour montrer leurs difficultés à trouver du travail ou un logement à cause de la couleur de leur peau ? Avez-vous enquêter pour montrer comment ils sont victimes des contrôles au faciès ?
Avez-vous pris votre plume pour défendre le plombier polonais stigmatisé par Philippe de Villiers ?

Monsieur René Lataste, vous débarquez et prétendez me donner des leçons de tolérance, je pourrais en rire, mais le sujet est trop sérieux.`

J’ai été à l’école dans votre pays, j’ai étudié dans votre pays, j’ai travaillé dans votre pays et le racisme, je pourrais vous en parler, comme tous les nègres qui y ont vécu.
Alors stop, ne me donnez pas de leçon de tolérance quand je revendique le droit des Martiniquais à être aussi légitimes que tout autre personne qui a choisi de vivre en Martinique pour parler d’Aimé Césaire dans un débat, dans mon pays.

Celles et ceux qui refusent d’entendre cette exigence, sont les racistes.

Je persiste et je signe.

Je ne choisis pas de m’exprimer par tract anonyme injurieux, comme ceux auxquels j’ai eu droit dans la rédaction, pendant la grève. Pourquoi n’avez vous pas pris votre plume, vous le rédacteur en chef adjoint qui évoquez « la démocratie, le respect de l’autre », pour rappeler que le droit de grève est constitutionnel en France et qu’il est inadmissible que, lâchement, des délégués syndicaux soient injuriés et diffamés ?

Etes vous choqués quand il est décidé de diffuser nos programmes depuis Paris avec les risques que cela peut comporter pour notre production locale, pour nos emplois.

J’étais en grève pour le maintien de notre diffusion en Martinique, pour que le créole, pour que la culture martiniquaise, pour que la culture caraïbenne aient toute leur place dans nos programmes, pour que nous ayons une production locale, pour que les artistes, les jeunes de mon pays aient la possibilité de s’exprimer comme cela est possible dans les télés en France. En grève aussi pour obtenir la titularisation des collègues en emploi précaires, et redire la priorité locale des emplois. Ma fiche de salaire s’en souvient !
Monsieur René Lataste, je n’ai pour juge que mes compatriotes pour lesquels je souhaite une information digne d’une démocratie. Et je ne cesserai jamais de me battre pour qu’ils y aient droit.

Pourquoi ne prenez vous pas votre plume pour proposer que nos équipes de reportage aillent dans le pays réel, entendre celles et ceux qui n’ont pas de voix ?

Il a fallu que les élèves du CFPA, mobilisés pour obtenir une année de formation supplémentaire, viennent exprimer leur colère à RFO, menacent d’occuper le plateau du 13 heures, pour que l’un d’eux soit invité du journal du soir en télé et un autre en radio. Aucune équipe n’avait été envoyée pour couvrir leur conférence de presse à la maison des syndicats, dans la matinée.
Notre pays a connu un mouvement social historique avec des milliers de manifestants dans les rues chaque jour. Hier le Collectif du 5 février initiateur de cette mobilisation organisait une conférence de presse à la maison des syndicats. Aucune équipe télé n’y était.
C’est suite à un appel du porte-parole qui s’en étonnait que je suis revenue à la rédaction vous en informer. Tout le monde semblait ignorer cette invitation du Collectif. Alors monsieur le rédacteur en chef adjoint n’y avait-il pas un seul professionnel, ayant la connaissance du sujet ?

Monsieur le rédacteur en chef adjoint, avez-vous été choqué quand après un mois de grève générale en Martinique, aucun sujet n’ait été planifié assez tôt pour que les équipes aient le temps de rentrer pour le journal du 16 Février ?
Le peuple martiniquais avait droit à un journal de 13 heures ce jour de reprise des activités du pays.

Avez-vous été choqué que cette faute ait été rejetée injustement sur la présentatrice, Nathalie Jos et moi la responsable d’édition, alors que la planification des sujets de reportage relève de la compétence du rédacteur en chef et des rédacteurs en chefs adjoints ?

Avez vous été choqué quand j’ai du faire quatre jours de grève de la faim pour que justice me soit rendue, pour que la direction de France Télévisions écrive enfin que j’avais fait mon travail correctement ?

Pendant cette grève de la faim pour faire cesser ces pressions, cette nouvelle injustice, j’ai eu droit à la visite de médecins du SAMU, cherchant à me convaincre d’accepter d’être conduite à l’hôpital des Trois-Ilets. Un psychiatre est même venu m’expliquer qu’on pourrait m’y emmener de force. Il y avait même un véhicule de l’Equipe Mobile de Rue et d’Insertion (EMRIC), qui intervient contre l’errance des personnes particulièrement dangereuses dans les rues !

Avez vous été choqué quand on a ainsi cherché a me faire taire en utilisant la psychiatrie, comme aux pires temps de l’URSS ou en Chine ?

Vous parlez, évoquant ma prise de position, de comportement choquant. Mais avez-vous été choqué des propos de cet élu UMP, Alain Destrem qui, voyant Ségolène Royal en visite au Sénégal, vêtue d’un boubou, a dit qu’elle lui rappelait sa femme de ménage ?
Avez-vous en votre qualité de rédacteur en chef, demandé à une équipe de reportage d’aller recueillir les réactions de la communauté africaine vivant en Martinique face à ces propos racistes et méprisants ?

Vous cherchez à discréditer toutes celles et ceux qui osent s’exprimer librement pendant que vous fermez les yeux sur des faits plus que condamnables : Monsieur avez-vous été choqué d’apprendre cette tentative de manipulation de l’information sur une prétendue disparition imminente de l’Association Martiniquaise de Médecine du travail (AIMTM) pour cause de dépôt de bilan ?
L’association existe encore bel et bien et heureusement pour notre santé de travailleurs.

Avez-vous été choqué d’apprendre les circonstances de la couverture de la rencontre de Nicolas Sarkozy avec le monde économique lors de son passage en Martinique en mars 2006 ? Alors que j’étais au tableau de service, à l’édition, c’est moi qui ai sauvé le coup sinon il n’y aurait certainement pas eu de reportage au journal du soir. Histoire de compétence et de professionnalisme.

Monsieur êtes-vous choqué quand certains disparaissent des semaines, sans justificatifs, alors qu’ils sont au tableau de service. ? Pratiques régulières et connues On pourrait en parler longuement.

Avez-vous été choqué quand j’ai dû appeler le directeur régional pour qu’il rappelle ses obligations professionnelles à un JRI qui ne voulait pas revenir travailler l’après-midi pour continuer un reportage commencé le matin et couvrir une conférence de presse de la préfecture, organisée pour expliquer l’expulsion d’un citoyen Haïtien ?

Je pourrais faire des pages de comportements qui devraient vous choquer et ne vous choque pas dans cette rédaction, mais puisque vous semblez dans cette station ne pas supporter que je lève la tête dans mon pays, j’aurai d’autres occasions de tout dire avec beaucoup de précisions.

Je continuerai à être à l’heure chaque jour, à faire mon travail avec compétente, oui monsieur le rédacteur en chef adjoint. Et s’il m’arrive d’en douter, « quand je me regarde, je me désole, mais quand je me compare, je me console » !

Mais quelle est donc cette perversité qui consiste à transformer les victimes d’un système en coupables ?
Quelle est donc cette perversité qui vous autorise à nous donner des leçons de tolérance, de respect, de civilisation, chaque fois que nous prétendons lever la tête dans notre pays, dire que nous voulons, simplement être.

Vous citez encore Aimé Césaire : « …et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête… » (in Cahier d’un retour au pays natal)

Décidément Vive sézè !

Continuez à lire notre Grand Homme et vous découvrirez qu’il a écrit dans le « Discours sur le colonialisme » :
« Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. »

Vous écrivez pour mieux justifier votre charge contre les incompétents martiniquais et contre mon racisme, sous-entendue , « Qui ne dit mot consent ! »
Sachez que je suis bien décidée à vous dire et à tous ceux qui veulent faire taire ce peuple : ……qui ne dit mot, consent à disparaître.

Cessez de croire que ce peuple est couché, vous trouverez encore quelques larbins, profitez-en, mais le mouvement du 5 février 2009 démontré qu’ils sont moins nombreux qu’on veut le croire.

« Par ailleurs, jugeant l’action colonisatrice, j’ai ajouté que l’Europe a fait fort bon ménage avec tous les féodaux indigènes qui acceptaient de servir ; ourdi avec eux une vicieuse complicité ; rendu leur tyrannie plus effective et plus efficace . » Discours sur le colonialisme.

Avec toutes celles et ceux qui naissent ou choisissent de vivre dans ce pays, avec nous, en nous respectant, je chante :

Martinique sé ta nou !

 

Source: UGTG

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