Qui a peur du CRIF ?

L’interdiction du col­loque de Paris 8 par le pré­sident de cette uni­versité, à la demande de Richard Pras­quier, pose à nouveau cette question : qui a peur du Conseil repré­sen­tatif des ins­ti­tu­tions juives de France (CRIF) ? Et une autre, sub­si­diaire : comment les élites fran­çaises, qui n’ont que le combat contre le com­mu­nau­ta­risme à la bouche, peuvent-??elles com­mettre encore tant de contresens ?

 

Premier contresens : contrai­rement à l’idée reçue, il n’y a pas de « vote juif » en France. Comme toutes les études de socio­logie poli­tique le montrent, les Français d’origine, de religion ou de tra­dition juives votent pour l’essentiel comme leurs conci­toyens, en fonc­tions de pré­oc­cu­pa­tions écono­miques, sociales, poli­tiques et idéo­lo­giques géné­rales. Dans une récente enquête pour Politis [1], je citais les der­niers travaux de Domi­nique Schnapper, Chantal Bordes-??Benayoun et Freddy Raphaël, qui concluaient : « S’ils sont légè­rement plus poli­tisés et très attachés à la citoyenneté (…), les Juifs se dis­tinguent peu de l’ensemble de la popu­lation. Leur sen­si­bilité par­ti­cu­lière à l’antisémitisme et à Israël ne semble affecter direc­tement ni exclu­si­vement leurs com­por­te­ments et atti­tudes politiques. »

 

Second contresens : la pré­tention du CRIF à parler au nom des Juifs de France n’a plus guère de fon­dement. Cette ins­ti­tution et les asso­cia­tions qui en sont membres regroupent moins de 100 000 d’entre eux, et le fossé avec les 400 000 à 500 000 autres s’est appro­fondi au fur et à mesure que ses diri­geants se radi­ca­li­saient à la fois dans leur soutien incon­di­tionnel au gou­ver­nement Netanyahou-??Lieberman-??Barak et dans leur enga­gement à droite – voire, pour cer­tains, à l’extrême droite [2]. Si le noyau central du judaïsme français connaît un certain repli à la fois reli­gieux, iden­ti­taire et poli­tique, on ne saurait en dire autant de tous ceux qui – par la foi, la tra­dition, la culture ou encore le sou­venir du génocide nazi – assument, à des degrés d’ailleurs divers, la com­po­sante juive de leur identité.

 

Troi­sième contresens : le chantage à l’antisémitisme, dans lequel Richard Pras­quier et ses amis excellent depuis des années, n’a plus grande prise sur l’opinion. À preuve les échecs reten­tis­sants qu’ils ont accu­mulés en 2011 : en janvier, leurs plus proches amis poli­tiques et média­tiques ont condamné la censure, qu’il reven­di­quait, de la confé­rence de Sté­phane Hessel à l’École normale supé­rieure de la rue d’Ulm ; en avril, Actualité juive et Clément Weill-??Raynal ont été condamnés pour dif­fa­mation envers le père du petit Mohamed Al-??Dura ; en juillet, la 17e Chambre cor­rec­tion­nelle de Paris a estimé que l’appel au boycott était légal [3] ; en octobre, la cam­pagne du CRIF contre l’émission « Un œil sur la planète [4] » a fait long feu ; et, en décembre, la mise en cause du Parti socia­liste pour son accord avec les Verts a scan­dalisé à ce point que Richard Pras­quier a dû faire amende honorable.

 

Qua­trième contresens : plus la direction du CRIF se rap­proche de la droite et de l’extrême droite – israé­liennes et fran­çaises -, et plus elle en adopte les méthodes. Elle ment sans le moindre scrupule, désho­norant l’éthique juive dont elle se réclame. Les exemples, hélas, foi­sonnent. Rendant compte il y a quelques jours du procès en appel de l’affaire Jamal Al-??Dura, le site du CRIF s’est réjoui de la relaxe du médecin israélien Yehuda David, mais a « oublié » que le tri­bunal n’avait pas jugé sur le fond. Et que Clément Weill-??Raynal restait condamné [5]. Pis : malgré le jugement favo­rable du Conseil supé­rieur de l’audiovisuel (CSA) sur l’émission « Un œil sur la planète » [6], le même site a mis en ligne une émission de pro­pa­gande aussi stupide que dif­fa­ma­toire [7]. Autre fal­si­fi­cation : deux mois après et au mépris de la légis­lation sur le droit de réponse, le pré­sident du CRIF n’a tou­jours pas rec­tifié les propos men­songers qu’il a prêtés sur son site à Salah Hamouri [8], bien que ceux-??ci aient été démentis par l’intéressé et par l’Agence Reuters.

 

Mais le plus grave, sur le plan poli­tique, est sans doute le compte-??rendu donné de la ren­contre du CRIF, le 25 janvier, avec François Hol­lande, qui donnait du can­didat socia­liste l’image d’un incon­di­tionnel d’Israël et gommait en par­ti­culier son enga­gement – le 59e – de recon­naître l’État de Palestine [9]…

 

Qui disait « plus le mensonge est gros » ?

 

Dominique Vidal.

 

Source: France Palestine

Photo: élysée.fr

[1] « Les Juifs de France face à l’isolement d’Israël », Politis, 13 octobre 2011.

[2] Cf. Domi­nique Vidal, « Ceux qui parlent au nom des Juifs de France » et Samuel Ghilès-????Meilhac, « De la clan­des­tinité aux feux média­tiques », Le Monde diplo­ma­tique, juillet 2011. Pour en savoir plus, lire Samuel Ghilès-????Meilhac, Le CRIF. De la résis­tance juive à la ten­tation du lobby, Robert Laffont, Paris, 2011. Même Richard Pras­quier s’inquiète osten­si­blement, depuis quelques semaines, du glis­sement d’une partie, mar­ginale mais signi­fi­cative, de l’électorat juif vers Marine Le Pen…

[3] Son jugement précise : « Dès lors que l’appel au boycott des pro­duits israé­liens est formulé par un citoyen pour des motifs poli­tiques et qu’il s’inscrit dans le cadre d’un débat poli­tique relatif au conflit israélo-????palestinien, débat qui porte sur un sujet d’intérêt général de portée inter­na­tionale, l’infraction de pro­vo­cation à la dis­cri­mi­nation fondée sur l’appartenance à une nation n’est pas constituée. » Cf. www?.ep?-mir?.com/?s?p?i?p?.?p?h?p? ??a?r?t?i?c?l?e6446

[4] http://?blogs?.mediapart?.fr/?b?l?o?g?/domi…

[5] http://?www?.crif?.org/?a?c?t?u?a?l?i?t?e?s?/affa…

[6] http://?blogs?.mediapart?.fr/?b?l?o?g?/domi…

[7] http://?www?.crif?.org/?f?r?/?l?e?c?r?i?f?e?nacti…

[8] http://?blogs?.mediapart?.fr/?b?l?o?g?/domi…

[9] http://?blogs?.mediapart?.fr/?b?l?o?g?/domi…

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.