Quelles issues pour la crise Chine-Tibet ?

La première chose à remettre au clair est qu’il faut distinguer entre les problèmes internes de la Chine (que nous appelons le « problème sino-tibétain ») et les tensions entre la Chine et l’Occident (qui se manifestent e.a. via les Tibétains en exil).

Hebdomadaire « L’Humanité », 19/4/2008

Les problèmes internes à la Chine sont à régler par la Chine elle-même ; nous n’avons pas à nous en mêler. Sur les vingt ans que je circule en Chine (donc aussi au Tibet), je n’ai pu constater que des améliorations dans le niveau de vie des Tibétains. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe plus de problèmes pour ces gens, mais ceux-ci sont surtout d’ordre économiques et sociaux (voir article précédent). Je pense que la Chine est consciente des problèmes se posant aux Tibétains, qu’elle y prend garde et essaie de les résoudre. En tout cas, les poussées médiatiques occidentales et pro-dalaïstes auxquelles nous assistons depuis le mois de mars ne servent en rien les 6 millions de Tibétains vivant en Chine, que du contraire.

Les tensions entre la Chine et l’Occident sont d’un tout autre ordre. Si elles ont débuté au 19ème avec les Guerres de l’Opium, les Concessions et l’occupation du Tibet par les Anglais, elles se sont focalisées, depuis la Guerre Froide, sur l’opposition entre les E-U et le PCC. Dès les années 50, les quelques 80.000 Tibétains en exil (actuellement 120.000) ont été « pris en otage » par les E-U, y compris le Dalaï. Les intrigues qui se nouent actuellement par le réseau international pro-tibétain doivent être comprises dans cette continuité. Le but est double : faire éclater la Chine en jouant la carte du chantage ethnique (comme cela s’est fait dans les Balkans, par ex.), et/ou provoquer une « révolution orange », à la chinoise, c’est-à-dire amplifier les mouvements de dissidence et organiser une deuxième « Place TianAnMen », mais qui cette fois serait réussie. Toutefois, on a vu qu’une large majorité de Chinois a exprimé sa colère contre l’Occident qui, depuis les événements de mars au Tibet, désinforme de manière systématique (voir site anti-cnn, par ex.). En réalité, les médias occidentaux se sont quasi unanimement basés sur le réseau international pro-tibétain pour diffuser et interpréter les infos.

Ce gigantesque réseau international, orchestré par « International Campaign for Tibet » (ICT, voir site du même nom), une ONG américaine financée par la NED (New Endowment for Democraty, cousine germaine de la CIA), fait passer les revendications d’indépendance du Tibet (« l’autonomie poussée » n’étant qu’un « patronyme humanitaire ») à travers des sites, des livres, des tracts, des drapeaux, des prières, des discours spirituels, de l’encens parfumé, des tambours et des trompettes, des films (par ex. « Sept ans au Tibet »), des associations (Free Tibet, les Amis du Tibet, etc.), … et aussi et surtout à travers son fétiche préféré qu’Arte nous sort régulièrement de Dieu sait où : SS-le-DL !

Jusqu’à présent la Chine n’a pas beaucoup réagi à ce réseau international, sous-estimant peut-être sa puissance ou étant trop occupée à vendre des chaussettes et des tee-shirts. Or il est temps que le gouvernement chinois distribue des subsides là où il y a vraiment nécessité ; il est temps que les intellectuels chinois, qui pourraient être soutenu financièrement, organisent une contre-offensive médiatique, dirigée contre ce réseau international pro-tibétain (c’est-à-dire pro-occidental), il est temps que des ONG chinoises en faveur d’un Tibet autonome et chinois se créent et s’implantent à Bruxelles, à Londres, à Paris, à New York, à Washington aux côtés de celles sponsorisées par l’Occident.

En conclusion, je dirais que les tensions politiques et économiques entre la Chine et l’Occident, véhiculées e.a. par les mouvements soutenant l’indépendance du Tibet, n’ont pas énormément d’alternatives. Soit l’Occident gagne du terrain médiatique et fait exploser le bloc chinois ; c’est ce qui peut arriver de pire puisque dans ce cas il n’y aurait plus aucun répondant sérieux à l’hégémonie néo-libérale, et on irait droit à une catastrophe planétaire. Soit, la Chine se défend et fait sa place dans le monde (c’est ce qu’elle tente de faire avec les JO, peut-être maladroitement, ou trop rapidement ?) ; dans ce cas, les rapports économiques Nord-Sud vont basculer, sans doute en notre défaveur, mais n’avons-nous pas déjà assez reçu, ou plutôt pris, des pays du Sud ? En tout cas, l’actualité a placé le Toit du Monde sur le faîte du toit ! Le « faîte suprême », ou « TaiJi » en chinois, c’est là où la pente s’inverse, là où le yang devient yin. C’est une position de passage, instable, mais d’autant plus passionnante et riche de potentialités nouvelles.

Elisabeth Martens est l'auteur de « Histoire du Bouddhisme tibétain, la Compassion des Puissants », L’Harmattan

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