L’école au service des entreprises

Rêveur au fond de la classe, adepte des heures de colle ou passionné par une discipline, tout le monde garde ses souvenirs, parfois doux-amer, de l’école. Des souvenirs que l’on regrette parfois en raison du retard ou des lacunes engendrées à l’âge adulte. Cependant, le système éducatif peut aussi être la source de cet handicap voire de cette souffrance. Il est donc urgent de déceler les causes de ces problèmes. Ecrivain, directeur du centre de sports Fire Gym à Bruxelles, mais aussi préparateur physique de nombreux champions de haut niveau, Carlos Perez nous explique le malaise qui demeure au sein de l’école.

 
L’école, un lieu d’émancipation ?

Théoriquement, l’école est un lieu de formation et doit avoir une  volonté de faire en sorte que chaque enfant grandisse à son rythme.  Il s’agit de lui consacrer du temps car comme le disait Voltaire : « la première qualité d’un pédagogue, c’est de perdre du temps avec un enfant et non d’en gagner ».

 Or aujourd’hui, l’objectif de l’école est en décalage avec cette définition. Cette institution centre les enfants vers le monde de l’emploi et des entreprises. Nous sommes dans un schéma industrialisé qui ne perd plus de temps avec eux et où les méthodes industrielles ont été incorporées dans le système pédagogique. La sélection, le tri, la relégation, la concurrence, la performance,  tous ces exemples sont contre -productif pour l’éveil de l’enfant. Ils représentent d’ailleurs une cause de l’échec scolaire.  Et ce qui est grave, c’est de banaliser ce constat, d’accepter de trier les élèves en fonction de leurs résultats (les bons, les moyens, les « cancres ») et de faire croire qu’ils sont déterminés à rester des «élèves  en échec ».
 
Donc dire d’un enfant qu’il est « démotivé», « distrait » ou « paresseux » comme l’évoque si bien Daniel Pennac dans son livre « Chagrin d’école », c’est le déterminer à rester en échec scolaire ?

Oui, et il est  justement question de cela dans mon livre « L’enfance sous pression ». L’enfant  porte une étiquette dont il croit ne pas pouvoir se défaire et elle le rend responsable de son échec. Pourtant, la jeunesse porte en elle des richesses qui sommeillent en elle. Et il ne tient qu’à nous de redonner confiance aux jeunes, en leur rappelant et en utilisant leur potentiel plutôt que de les culpabiliser ou de les mettre sous pression. Une pression provenant de parents parfois trop exigeants quand il s’agit d’avoir des diplômes, de la société qui valorise un individu parce qu’il possède des diplômes et non parce qu’il est un être avec des valeurs et de multiples points forts.
 
Je ne dis pas que les parents sont responsables de l’échec scolaire de leur enfant. Affirmer cela est absurde puisque bien des parents s’efforcent  d’élucider la source du problème. Je dis simplement qu’il faut savoir faire preuve d’indulgence par moments. De plus, en étant marginalisée et en se voyant refuser d’être actrice dans la société,  notre jeunesse se sent exclue et est obligée de se reconstruire, seule, en trouvant d’autres chemins que l’école. Certains par exemple parviennent à exploiter leur créativité en créant  toutes sortes de choses : le rap, la boxe, etc. Mais qu’en est-t-il de celles et ceux qui nient leurs talents à force de ruminer leur « échec » ? Qu’en est-il de toutes celles et ceux qui se cherchent dans la drogue, la rue ou qui s’épuisent avec un travail précaire (quand ils en ont un) ruinant leur santé ?
 
Vous préconisez le sport pour aider l’enfant à mieux s’en sortir.  Est-ce vraiment efficace pour qu’il progresse intellectuellement ?
 
Le jour où la question de la santé devancera celle de la performance, de  l’excellence et de la compétitivité, alors le changement sera visible. Et le sport ou l’éducation physique peut apporter ce changement. Ce n’est pas seulement  en restant un certain nombre d’heures à apprendre à lire, écrire et calculer que l’enfant sera stimulé intellectuellement. C’est aussi en faisant appel aux expressions physique, corporelle, manuelle, artistique qu’il progressera. L’enfant stocke dans son corps des maux qu’il faut évacuer. Et le sport contribue à cela : à développer sa créativité, sa biologie  et sa motricité. Si cette activité n’est pas assez développée au sein de l’école alors c’est malheureusement  aux parents de rechercher des choses pour leurs enfants. Ce qui n’est pas toujours évident.

Si j’affirme que le sport est source de libération, c’est parce que j’applique cette méthode depuis maintenant  28 ans. Je travaille avec des milliers d’enfants de tous secteurs confondus : autistes, enfants à problèmes ou pas, etc. Et ils me prouvent chaque jour que le sport entretient leur santé mentale et physique. Sans oublier les centaines de parents que je rencontre pour parler de la  souffrance de leurs enfants. En réalité, tout a commencé avec mon fils, étiqueté hyper actif à l’âge de 6 ans. Pour le soigner, on lui a préconisé de la réaltine. Autrement dit, on a jugé « normal » d’injecter des amphétamines à un enfant de 6 ans. C’est à cet instant que des questions se sont posées et que je suis parvenu  à me documenter jusqu’à écrire un livre. 

Comment réagissent les politiques pour soigner les problèmes d’échec scolaire ?

Ils fuient la question (l'air indigné). Ils prétendent  que le  problème provient de la biologie de l’enfant et qu’il faut accepter ce constat et le normaliser. Les problèmes pédagogiques deviennent  donc des problèmes médicaux. Et puis, ils détournent les racines du problème en s’acharnant sur d’autres sujets tel que le niveau de l’élève alors qu’il serait plutôt urgent de se préoccuper du tri et de la sélection opérés dans nos écoles. Le décret mixité fait aussi partie de leur priorité et cela m’indigne au point que je rédige actuellement un livre sur ce sujet. Prétendre qu’il faut absolument une mixité sociale pour que l’ensemble de la classe évolue est une idée absurde.  Ceci reviendrait à dire qu’il faudrait insérer une population « blanche » en Afrique afin que les Africains réussissent.  Non, la mixité dans une classe n’est pas un facteur qui nuirait à l’évolution d’un élève. Le problème est ailleurs.
 
Vous critiquez le fait que le système éducatif utilise des méthodes industrielles pour  former l’enfant. Pourtant, c’est plutôt une bonne chose puisqu’elles lui  permettront, une fois adulte, d’intégrer plus facilement le milieu professionnel ? D’autant plus qu’il n’est pas toujours évident de rentrer sur le marché du travail.

 Peut-être, mais lorsque cela porte atteinte à la santé de l’enfant, on doit se poser des questions. Le management cré 360 millions de dépressifs dans le monde industriel en privilégiant la compétitivité, la vitesse et la performance. En s’appuyant sur le modèle industriel, l’école augmente les troubles de dyslexie, dysphasie, dyscalculies et l’anxiété. Sans oublier le taux de suicide chez les adolescents ou le taux de consommation de calmants. Même ceux qui obtiennent de bons résultats sont sous calmants. Ce qui prouve bien l’instabilité et la fragilité du  système. Donc, qu’on le veuille ou non, l’école devient une entreprise en miniature avec des conséquences sur la santé.
Il y a aussi des répercussions sur l’enseignant.  Il se voit attribuer des tâches multiples et les conséquences sont telles que les échanges diminuent entre prof et élèves. Le cours devient magistral et les élèves en difficulté  sont dépassés : soit ils deviennent invisibles, soit ils distraient l'ensemble de la classe. Il y a aussi l’évaluation à la fois du travail de l’élève et de son comportement sans oublier la pression de devoir finir son programme à temps. D’ailleurs, pourquoi ce volume de programmes et de connaissances ? Tous les 7 ans, les connaissances triplent de volume. On empile des connaissances comme on empile des marchandises dans la tête d’un enfant. Cela a-t-il du sens ?

J’ai l’intime conviction que si des dispositions étaient prises afin de créer plus de liens entre enseignants et élèves, ceci apporterait sûrement du progrès.  Mais comment voulez-vous créer des liens dans des ateliers de 30 enfants ? Il ne faut pas s’étonner si la qualité et la quantité de production d’un élève est en baisse. 
A ce propos, Cuba est un modèle à suivre. En effet, de petites classes de 11 à 12 élèves sont créées et chacun d’eux est suivi par un même enseignant sur un certain nombre d’années. Celui-ci se déplace jusqu’à  leur domicile. Si seulement il était possible de réunir plus de professeurs et de médiateurs dans notre société pour redonner à notre système pédagogique sa vraie valeur, de donner plus de temps à nos enfants au lieu de perdre du temps avec des sujets tels que la mixité sociale ou le niveau de l’élève.
 
Parvenez-vous à vous faire entendre?
 
Je fais des conférences et  les familles ont l’air de très vite comprendre les mots que je dis. Elles les intègrent, les sentent, les vivent. Elles voudraient vraiment que je sois leur porte-parole.  J’entends souvent : « Mais pourquoi tu n’es pas aux élections » ? Et puis quand je suis face aux politiciens ou face à certains professeurs et que j’argumente,  un mépris et une réticence se fait ressentir. Comme si je me mêlais de ce qui ne me regardait pas. Il m’est difficile de me faire entendre car mon discours est minoritaire et n’est scientifiquement pas prouvé malgré les enfants que j’encadre depuis 28 ans.

Mais je ne voudrais pas être seule face à ce combat .J’aimerais tant qu’il y ait davantage de personnes volontaires et des « intellectuels et progressistes » qui  reprennent le flambeau. Surtout des progressistes car il manque des gens d’un certain nom qui ont un impact plus conséquent sur les consciences. Le problème est qu’ils ignorent la réalité sur le terrain, ils n’écoutent bien souvent pas les familles. Ils conseillent parfois mais ne comprennent pas la réalité des événements, du vécu tragique que vivent des parents face au développement de leur enfant et quels sont les paramètres, les causes de ce problème majeur. Leur voix est pourtant vitale pour que le discours sur la santé des enfants devienne une priorité.
 
Etes-vous optimiste pour l’avenir ?


Il y a des hauts et des bas mais oui, je le suis. (Un silence puis une profonde respiration et un regard plein d’espoir). Je le suis parce que d’une part, les enfants en difficulté que je revois plus confiants et épanouis une fois adultes me procurent de l’espoir  et l’envie de poursuivre mon combat. Je suis aussi très optimiste car j’ai foi en la conscience collective. Une conscience peut changer le court des choses et Mohamed Bouazizi  l’a confirmé à travers  ce qui se déroule actuellement  dans le monde arabe ou à travers ce qui a pu se passer également au Venezuela, à Cuba ou en Bolivie. Je crois qu’il faut du temps pour que les choses changent. Il ne dépend que de nous pour que le meilleur se concrétise demain. Nos idées et notre engagement personnel sont les fruits d’une société qui se réforme. Et ces fruits seront récupérés tôt ou tard par d’autres sociétés.


Source: www.investigaction.net

 

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