Poutine, McCain et Obama à propos de la Géorgie

Une Ossétie indépendante était-elle inéluctable après le Kosovo ou s’agit-il d’une manœuvre électorale des Etats-Unis qui a mal tourné ?

Le président russe Vladimir Poutine a accordé une interview franche et directe de trente minutes en russe cette semaine sur CNN. Elle n’a pas été traduite ni largement diffusée dans les médias américains, ce qui est inadmissible.

Il y accuse le personnel militaire américain d’avoir été présent en Ossétie du Sud durant l’attaque et il y a débattu de sujets comme l’appartenance historique de l’Ossétie à l’empire russe ( depuis 1801) et du ressentiment profondément ancré des Ossètes vis-à-vis du chauvinisme géorgien, spécialement depuis la révolution russe d’octobre 1917 puis la déclaration d’indépendance de la Géorgie en 1990. Un parlementaire sud-ossète a d’ailleurs déjà mis sur le tapis la possibilité d’une éventuelle intégration de l’Ossétie du sud à la fédération de Russie.

Interpellé par CNN sur le point de savoir s’il cesserait de menacer ses voisins maintenant que la crise ossète était terminée, il a écarté cette question qualifiée de ridicule, affirmant qu’il appartenait plutôt aux Etats-Unis et à ses clients d’Europe de l’Est de mettre fin à leur harcèlement de la Russie. Ce sont les bases de missiles polonaises et tchèques ainsi que les prétentions ukrainienne et géorgienne à participer à l’encerclement nucléaire de la Russie qui contribuent à amener la Russie à se replier sur elle-même.

Les Russes voient ces bases comme les préliminaires d’un système beaucoup plus ambitieux qui achèverait de saper les fondements du système de dissuasion nucléaire russe déjà fortement érodé. « Pour la première fois dans l’histoire, et j’insiste là dessus, il y aura des forces nucléaires d’intervention US sur le continent Européen. Cela change complètement la structure du système de sécurité international. Évidemment, nous nous devons de répondre à cette situation, » a affirmé Poutine lors d’une conférence de presse donnée l’an dernier et qui n’a pas non plus été diffusée par les médias US.

Lundi, Sergei Lavrov, ministre des Affaires étrangères, a souligné les propos de Poutine, évoquant « les réalités d’un monde post-américain » et prévenant de ce que, « en l’absence d’un dialogue multilatéral raisonnable, les Russes se verraient contraints de réagir unilatéralement. ». L’incapacité de l’Europe à mettre sur pied un nouveau système de sécurité collective, ouvert à chacun et prenant en considération les intérêts de toutes les parties, est responsable de la crise géorgienne. Il a ajouté : « Le sentiment prévaut que l’OTAN a, à nouveau, besoin de lignes de front pour justifier son existence ».

Comme pour soutenir ces propos, l’armée russe a testé avec succès un missile nucléaire furtif Topol RS-12M à partir du centre spatial de Plesetsk.

Certains analystes envisagent déjà que Poutine (OK Medvedev) veuille énucléer le site de missiles polonais. « Il n’aurait pas d’autre option. Le système envisagé intègre en effet l’ensemble de l’arsenal nucléaire US dans une unité opérationnelle à 115 miles à peine de la frontière russe. Cette situation ne diffère pas de celle créée par le plan de déploiement de missiles nucléaires par Kroutchev à Cuba en 1960, » écrit Mike Whitney dans Online Journal. À tout le moins, « il sera contraint de faire monter les enchères et d’envoyer ses avions survoler le site de construction. C’est le premier pas que doit logiquement franchir un dirigeant politique responsable avant de neutraliser le site. « Dès lors, si la seconde guerre froide s’emballe et que de tels évènements surviennent par la suite, que devons nous faire ? Serait-ce la Russie menaçant ou même envahissant ses voisins ou plutôt un avertissement justifié lancé aux US pour qu’ils mettent un terme à leurs tentatives d’amorcer une troisième guerre mondiale ? »

On ne peut exclure que toute cette comédie ne soit qu’une précoce « surprise d’octobre » dans la tradition électorale américaine où Reagan et Bush II sont passés maîtres.

Souvenons-nous de la manière dont les conseillers de Reagan orchestrèrent le report de la libération des otages US d’Iran en 1980 afin d’assurer leur succès électoral. Le président George W Bush prétendait avoir reçu une lettre soi-disant rédigée par Osama ben Laden quelques semaines avant les présidentielles de 2004, ce qui rappelait fort opportunément aux Américains qu’il était leur défenseur contre le terrorisme. Une telle hypothèse a inspiré le film « Wag the Dog » de 1998 où, quelques semaines avant les élections, un conseiller présidentiel avait engagé un producteur hollywoodien pour réaliser et commercialiser un film de guerre dans un pays de l’ancien bloc communiste (l’Albanie) afin d’assurer la réélection d’un candidat.

Dans la version reality show, il n’y a plus aucune discrétion lorsqu’un certain Randy Scheunemann, joue le rôle de médecin et conseiller d’un sénateur Mc.Cain, candidat républicain. La firme de lobbying de Scheunemann, Orion Strategies, conseille la Lettonie depuis 2001 et, depuis peu, la Géorgie. La Géorgie espère suivre les traces de la Lettonie en intégrant l’OTAN et , pourquoi pas, l’Union Européenne. Elle a déjà versé 300.000 $ à Orion Strategies à cette fin.

Poutine a affirmé, dans son interview à CNN, que l’attaque des forces de paix russes par la Géorgie avait reçu le feu vert d’officiels américains dans le cadre de la campagne pour les élections présidentielles. Il a cité McCain, ami personnel du président Mikheil Saakashvili de Géorgie ainsi que Scheunemann, premier conseiller de McCain en politique étrangère, ou encore Joseph Wood, attaché de Cheney aux questions de sécurité nationale, qui se trouvait d’ailleurs en Géorgie peu de temps avant le début de la guerre. Ou encore les deux.

Mais Poutine est pris entre le marteau et l’enclume en cette année électorale américaine. Même s’il voit juste au sujet de Scheunemann, ce conseiller de McCain a son équivalent en la personne de Zbigniev Brzezinski, premier conseiller politique du sénateur Barack Obama qui, sans être un fanatique de Bush, se réjouit de la démarche russe pour protéger l’Ossétie. Ainsi, quoiqu’il advienne, les élections de novembre feront monter en puissance les risques d’une seconde guerre froide.

Est-ce que ce « Wag the Dog II » apportera des voix à McCain ? C’est loin d’être sûr vu son admiration pour un Bush déconsidéré, ses gaffes à répétition et son manque d’intelligence politique.

Néanmoins, la clef des élections US , le lobby Israélien, apprécie peu Brzezinski et pourrait torpiller la candidature d’Obama en dépit de son choix comme candidat à la vice-présidence du sénateur Joe Biden, sioniste autoproclamé. Il faut aussi se rappeler que Brzezinski était le conseiller en politiques étrangères de l’ex-président Jimmy Carter lorsque celui-ci força Israël à restituer le Sinaï à l’Egypte lors des accords de Camp David.

Et voici Scheunemann qui n’a pas de tels cadavres dans son armoire. Il est aussi un enthousiaste d’un remaniement du Proche-Orient qui vise à assurer la suprématie d’Israël. En tant que directeur du comité Chalabi pour la libération de l’Iraq, il a poussé à l’invasion de 2003. Mission accomplie, il s’est trouvé un nouveau prince de guerre à Tbilisi. Scheunemann fait partie de la douzaine de conseillers US et israéliens de ce président géorgien perturbateur.

Israêl a soutenu activement Saakashvili, anxieux de voir se concrétiser le projet de pipeline contournant la Russie. Le ministre géorgien de la défense, David Kezerashvili et le ministre de la réintégration, Temur Yakobashvili sont tous deux israéliens et ne sont revenus en Géorgie que pour entrer en politique.

Si le lobby Israélien a décidé d’opter pour la candidature de McCain et en a informé Scheunemann, cela pourrait expliquer le sentiment qu’a eu Saakashvili de recevoir le feu vert pour attaquer les forces de paix russes et les civils ossètes, faisant des centaines de morts, si pas les 1.500 déclarés par la Russie.

Quoi de mieux pour contraindre les deux candidats à poursuivre la politique de guerre et de mort initiée par Bush, juste au cas où, par hasard, le candidat Obama viendrait à surmonter tous les obstacles semés sur le parcours de ceux qui n’ont pas la confiance totale du « lobby ».

On ne peut reprocher à Obama d’essayer de leur plaire mais pas au point de se séparer de Brzezinski. Déjà, il a dû laisser tomber son projet de parler avec « l’ennemi » qui est représenté aujourd’hui au moins autant par la Russie que par l’Iran. Avec lui, l’Irak conservera ses bases US et l’Afghanistan absorbera les troupes qui quitteront l’Irak.

Quant à savoir si Washington réussira à faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN, cela dépendra plus de la Russie que de celui qui habitera la Maison-Blanche au cours des quatre prochaines années.

Tout cela nous ramène aux intrigues de Brzezinski comme conseiller du président Carter. Il se vante maintenant d’avoir, en organisant le financement US d’extrémistes islamistes comme ben Laden à partir de 1979, favorisé l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques et d’être ainsi responsable de l’effondrement de l’URSS. Cela ne l’a pourtant pas aidé à revenir au pouvoir avec Carter en 1980 mais cela n’a pas grande importance pour ces conseillers de l’ombre qui ne restent jamais sans travail dans les hautes sphères de la politique US. Ainsi, Scheunemann ne sera nullement affecté si son candidat souffre d’Alzheimer ou oublie de paraître lors de son inauguration en janvier prochain. Et si Obama l’emporte, il cèdera sa place à la Maison Blanche à Brzezinski et s’en ira conseiller d’autres dirigeants mondiaux tel l’infortuné président géorgien.

Il est fort probable que cette montée en puissance des tensions dans le Caucase soit intentionnelle. Elle a accéléré l’accord sur les missiles polonais et donné une mauvaise image de la Russie, encourageant du même coup ceux qui veulent insérer le pipeline Baku-Tbilisi-Ceyhan dans un réseau court-circuitant la Russie. Mais le pipeline géorgien a été fermé par BP durant le récent conflit et il est peu probable que les experts en réseaux et la torsion du nez de l’ours russe mettent la Russie à merci.

Cet épisode et l’évaluation ferme de Poutine a mis à plat le mal qui règne au cœur de la politique américaine et confirme l’impression générale que la Russie ne craint pas de se défendre.

Traduit par Oscar Grosjean pour Investig'action

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