Pour en finir avec la question de la mixité sociale dans le cadre scolaire

Alors qu’experts et médias n’ont plus que ces mots à la bouche, je souhaite que cesse ce débat stérile sur « la mixité sociale, urbaine et scolaire ». Quelle perte de temps alors que les enfants sont toujours triés et exclus en masse, quelle que soit la couleur de leur peau. Ce débat est marginal, il ne pose pas les vraies questions.

De plus, cette réforme cible particulièrement les familles fragilisées; déjà taxées de démissionnaires, aujourd’hui elles seraient coupables de ne pas vouloir militer pour la mixité sociale. « Diversité scolaire, équilibre social, mixité sociale » sont les concepts de la nouvelle croisade qui doit régler tous nos problèmes. Au secours, les missionnaires sont de retour !

En France ou en Autriche, la mixité sociale est devenue un outil de contention utilisé pour limiter l’entrée des migrants dans certaines villes (Autriche) ou dans certains quartiers (France), voire un mécanisme de déportation ( le « busing » au Etats-Unis ou le « bands » en Angleterre : politique de quotas dans les écoles et dans chaque classe). La mixité est un bel outil politique qui se retourne exclusivement contre les personnes qu’il est censé servir.

Je souscris à l’analyse de Alexandre Achrafieh quand il écrit : «Je critique l’utilisation du concept de ‘mixité sociale’ dans la politique de la ville. Cette conception est souvent élitiste et gestionnaire, et considère que seules les classes moyennes fournissent un apport culturel et social intéressant à la vie d’un quartier. La politique de la mixité sociale est poursuivie dans l’espoir qu’une dilution du nombre de non-blancs réduira la possibilité de révoltes. Si le mélange de travailleurs de différents milieux et de différentes origines dans un même quartier est dans l’intérêt de la classe ouvrière car il peut contribuer à réduire les préjugés et faciliter des luttes unies, la mixité sociale des gestionnaires peut devenir une arme contre les plus pauvres.

Et bien sûr, la mixité sociale ne pourra jamais améliorer de façon significative les conditions de vie des ouvriers et des chômeurs. On a beau se mélanger tous ensemble, ce n’est qu’en luttant ensemble qu’on avancera ». La classe laborieuse, ouvriers et salariés qui représentent 60% de la population, seront les seuls à se partager la pénurie de moyens, le manque d’espace et la misère; la bourgeoisie ne sera absolument pas touchée par cette obligation, enfermée dans ses ghettos pour nantis. Mélangez-vous, nous disent ceux d’en haut, cela rendra les problèmes qui vous accablent moins visibles et rehaussera les résultats des migrants, nous y gagnerons peut-être la paix sociale. Ce rêve en forme de collaboration de classes, entretenu par les puissants, occulte une réalité essentielle : les droits et les salaires misérables de ceux d’en bas. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une simple question de régulation des flux humains. On veut par la contrainte atténuer les endroits trop « foncés », la peur des banlieues est bien présente dans les esprits. La volonté à l’œuvre ici est la « désethnisation » des quartiers. Sans le dire ouvertement, derrière des mots et des slogans tels que « discrimination positive » ou « mixité », se cache la peur de l’étranger. De quelle mixité parlent ceux d’en haut ?

Dans nos quartiers et nos écoles, nous avons le plus grand taux de mixité culturelle voire ethnique, y compris une grande mixité d’emplois. Plombier, charpentier, menuisier, boulanger, comptable et soudeur s’y côtoient ; la seule chose qui soit véritablement homogène dans nos quartiers est la précarité. Il existe une solution: augmenter les salaires et les droits. Mélanger les cartes pour mieux les trier ensuite n’est pas la formule la plus appropriée pour éduquer nos enfants, la mixité ne se mesure pas seulement à la porte d’entrée mais aussi à la porte de sortie de l’école. Ce qui nous inquiète, ce n’est pas qu’on veuille éclaircir des écoles foncées, c’est l’exclusion et le tri des enfants foncés, voire des enfants de la classe laborieuse. Le QI de nos enfants est parfaitement normal, aucune détermination biologique particulière ne limite leur développement cognitif. Nos enfants n’ont pas besoin d’être les prisonniers d’un jeu de dames (un blanc, un noir) ni d’une politique de quotas (un tiers de blancs, un tiers de foncés, un tiers de noirs) pour réussir. Voilà ce que nous dit un des plus grands spécialistes noirs sur cette question, W.E.B. DuBois

[1 ] : « L’intelligentsia noire des Etats-Unis doit cesser de prendre la fuite dans le plus grand désordre dès qu’elle entend prononcer le mot « séparation ».

L’opposition à la séparation raciale, ou ségrégation, n’est pas ou ne devrait pas être l’expression d’une réticence des gens de couleur à travailler les uns avec les autres, à coopérer les uns avec les autres, à vivre les uns avec les autres. L’opposition à la séparation est une opposition à la discrimination. L’expérience des Etats-Unis est que généralement, lorsqu’il y a ségrégation, il y a discrimination raciale. Mais les deux choses ne vont pas nécessairement de pair. Et on ne devrait jamais s’opposer à la ségrégation, à moins que cette ségrégation ne signifie discrimination. Non seulement rien ne s’oppose à ce que des gens de couleur vivent aux côtés de gens de couleur dès lors que cela ne s’inscrit pas dans un contexte de discrimination, que les rues sont bien éclairées, qu’il y a l’eau courante, que les égouts fonctionnent, que la sécurité publique est bien assurée, et dès lors que quiconque le souhaite, quelle que soit sa couleur, peut s’installer dans le voisinage. De même pour les écoles, rien ne s’oppose à ce qu’il y ait des écoles où les élèves sont de couleur et où les professeurs sont de couleur. Au contraire, les élèves de couleur sont des êtres humains qui peuvent tout à fait être aussi éveillés que n’importe quels autres enfants, et nous savons bien qu’il n’y a pas de meilleurs professeurs que des professeurs de couleur dès lors qu’ils sont convenablement formés. Mais si le fait qu’une école soit ainsi une école noire est une raison suffisante pour qu’on prête moins d’attention aux bâtiments, pour qu’il y ait moins d’équipements, et de moins bons professeurs, alors, oui, il y a quelque chose qui s’y oppose. Et ce quelque chose ne s’oppose pas à la couleur de peau des professeurs ou à celle des élèves, mais à la discrimination . »

Cette préoccupation de mixité et ces euphémismes en ZUP, ZAP, ZEP, et autres « inégalités justes » voulues par nos experts cachent en toile de fond l’instrumentalisation des ressources humaines : l’adaptation de nos enfants doit garantir à peu de frais une plus-value au monde de l’entreprise. Compétition mondiale oblige, l’être social est devenu un produit à formater au moindre coût : investir dans l’enseignement n’est pas une priorité, ni diminuer le nombre d’enfants par classe, ni améliorer le soutien scolaire. Non, tout cela coûte trop cher. Nos experts ont trouvé une parade : la mixité sociale va garantir un meilleur rendement par élève. Ouvriers et employés seront contraints de mélanger leurs enfants au immigrés et primo-arrivants de façon à relever le niveau de ces derniers.

C’est exactement ce qu’on nous demande. 70% de nos enfants sont enregistrés dans leur zone géographique respective mais visiblement cela n’est pas suffisant. La carte scolaire, la sectorisation par zone, les bassins scolaires doivent permettre de réguler les flux d’écoliers. Cette mascarade n’atteindra pas ses objectifs parce qu’elle n’a pas la volonté d’aider tous les enfants, et le système de tri et de sélection demeure identique.

Voici ce que nous dit Eric Maurin sur cette question : « De façon générale, le lien entre sélectivité de l’enseignement secondaire et ségrégation scolaire apparaît plus net qu’entre libre choix des parents et ségrégation ; les pays où la ségrégation est la plus forte se recrutent non pas parmi ceux qui laissent le moins ou le plus de choix aux parents, mais parmi ceux qui n’ont pas adopté le collège unique et laissent à leurs meilleures écoles secondaires la capacité de sélectionner les élèves dès 10 ou 11ans, comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Hongrie ».

On ne nous endormira pas avec tous ces néologismes sur l’entreprise éducative. En France, on parle maintenant de retirer la carte scolaire pour mieux faire passer les bassins scolaires ou la liberté de choix régulée. Nicolas Sarkozy : « Je remplacerai la carte scolaire par une obligation de mixité sociale, géographique et scolaire des effectifs, qui pèsera sur les établissements ». En Finlande par contre, la carte scolaire est un droit et non un devoir, et ils ne pratiquent plus le tri depuis longtemps.

Un rapport de l’UNICEF nous explique bien que ce ne sont pas les étrangers qui créent les disparités dans les écoles mais bien le système scolaire lui-même. A catégories sociales égales, les enfants issus de l’immigration font aussi bien que les autres et même un peu mieux, leurs éventuels échecs ont plus à voir avec des difficultés sociales (chômage, logement, exclusion) qu’avec leur origines. La seule chose à faire pour véritablement aider l’ensemble des élèves est d’arrêter la séléction et le tri. Si 30% de nos enfants sont hors-secteur, ce n’est pas à cause de la ségrégation mais bien à cause de la discrimination, de la sélection, de l’exclusion, du tri et des redoublements qui forment toujours la pierre angulaire de notre enseignement. Que l’on cesse de se préoccuper de la couleur de notre peau, là n’est pas le problème.

[1 ] W.E.B. DuBois (1868-1963) est l’un des plus importants intellectuels afro-américains. Historien, sociologue, militant des droits civiques, littérateur, théoricien de l’émancipation des Noirs, il est en outre l’un des fondateurs du panafricanisme. Son maître livre, Les âmes du peuple noir, paru en 1903, un grand classique plus de cent fois réédité aux États-Unis, a été traduit en français avec un peu plus d’un siècle de retard en 2004.

CARLOS PEREZ auteur de L’enfance sous pression. Quand l’école rend malade, ISBN 13 : 9782930402468, 176 pages, Editions Aden 2007

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