Portrait de l'U.E.



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OUI ou NON à la Constitution Européenne ?

Des questions sur l'Europe ?

Pour une Euro-armée ? Dans quel but ?

Photo de l'assistance; à droite Michel Collon

Sur ce thème, Stop USA – Bruxelles avait rassemblé, le 3 juin 2005, sept orateurs de qualité pour un débat passionnant : Les guerres de Bush et l'Euro-Armée auront-elles un impact sur nos conditions sociales ici ? Au profit de qui ? Tenu au lendemain de la victoire du « Non » au référendum français, et alors que les Belges n'avaient pas eu le droit de se prononcer, ce débat a permis de tracer un lien direct et clair entre les questions sociales et les questions de la guerre. Le débat, en forme de talk show, était animé par Michel Collon. Comme lors des précédents débats, la discussion était introduite par un « Vidéo-trottoir », réalisée par Vanessa Stojilkovic, et qui présentait les opinions « de la rue » sur l'Europe en général. En voici la première partie.

Affiche du débat par Matiz

INTERVENANTS :

• Zoé Génot, députée Ecolo qui s'était abstenue au parlement

• Henri Houben, économiste d'Attac-Bruxelles

• Herwig Lerouge, auteur de plusieurs analyses sur l'UE

• Jean-Claude Paye, auteur de plusieurs livres sur les libertés démocratiques

• Max Ferraille, délégué syndical CSC STIB

• Tony Busselen, animateur du site Debout Congolais !

• Vanessa Stojilkovic, réalisatrice du film Les Damnés du Kosovo

Herwig Lerouge : « Le plombier polonais n'est pas un fantasme »

Le plombier polonais, fantasme ou réalité ?

Je n'en suis pas sûr aujourd'hui, mais si la Constitution, si la directive passe, ce ne sera plus un fantasme du tout. Je constate, dans la vidéo qu'on a vue, que beaucoup de gens sont conscients de ce qui peut arriver en Europe si cette Constitution est votée. On constate toute l'impuissance des campagnes médiatiques où on essaye de les convaincre du contraire, en France et en Hollande, elles sont vouées à l'échec parce que la réalité des choses est là.

Il y a quelque temps, le journal "Libération" a publié un article sur une grève en Suède à Stockholm. Des syndicats bloquaient l'accès à une école en construction, cette construction était réalisée par un entrepreneur letton avec des ouvriers de Lettonie. Ces ouvriers étaient payés selon les conventions collectives en vigueur en Lettonie, c'est à dire 3 à 4 fois moins que ce qu'imposent les conventions collectives en Suède. Et ça, les travailleurs et les syndicats ne l'ont pas accepté, ils ont bloqué l'accès de cette école aux fournisseurs, ils ont fait arrêter les travaux et sont allés au tribunal du travail qui leur a donné raison.

Donc pour le moment, les travailleurs lettons en Suède doivent respecter les conventions collectives de la Suède. Mais le ministre des Affaires étrangères de Lettonie s'est fâché et a dit que ce jugement du tribunal était contraire à l'esprit et à la lettre de la Constitution européenne et que si la Constitution européenne était votée ce ne serait plus le cas.

Il a raison : si cette Constitution passe, on aura beaucoup plus de difficultés pour condamner cet entrepreneur. Parce que la Constitution se base en fait sur les mêmes principes que la directive Bolkestein qui applique le principe du pays d'origine. C'est-à-dire : quelqu'un qui accepte un travail dans n'importe quel pays de l'Union Européenne peut effectuer ce travail aux conditions de son pays d'origine. Concrètement, le plombier ou l'informaticien polonais ou letton qui viendrait travailler en Belgique, il pourra le faire aux salaires, aux conditions de Sécurité sociale en vigueur en Pologne ou Lettonie. Ce n'est pas possible aujourd'hui, mais ça le sera si cette directive est appliquée.

Mais le plombier, c'est un indépendant. Les salariés sont-ils vraiment menacés ?

Cette directive prévoit que le principe du pays d'origine est valable pour les indépendants uniquement. Mais nous connaissons tous les "faux indépendants". Il y a déjà en Belgique, un tas d'astuces et de trucs, pour faire passer pour des indépendants des gens qui sont dans une relation salarié – patron.

Des tas de supermarchés Intermarché ont des gérants soi-disant indépendants, franchisés, mais on sait très bien qu'ils sont complètement dépendants d'Intermarché, ça c'est un problème.

Un deuxième problème, c'est qu' officiellement dans le texte, il est dit que les entreprises qui utilisent des salariés doivent respecter les conditions minimales du pays dans lequel ils vont travailler. Ca implique que la concurrence va être extrêmement grande, pour abaisser dans l'ensemble d'un certain secteur vers des salaires minimaux. Les maçons polonais vont travailler ici au salaire minimum qui sera inférieur au salaire normal dans la construction ici. Cela pousse les salaires vers le bas.

Si vous avez vu dans "La Dernière Heure" ce qui se passe déjà aujourd'hui en Belgique, c'est vraiment l'illustration de ce vers quoi on va. C'est un reportage sur des ouvriers portugais qui vivent dans des containers à Bruxelles.130 ouvriers engagés pour 8 mois, ils rentrent trois fois par an chez eux au Portugal, ils ont un salaire de 500 euros…

On dit que c'est légal, je ne trouve pas que c'est légal d'avoir un salaire de 500 euros. Ils expliquent qu'ils ont été engagés par des entrepreneurs belges et embauchés parce que les travailleurs belges refusent de travailler après quatre heures de l'après-midi et le samedi. Donc, on voit qu'on est en train d'importer cette main d'oeuvre des pays à bas salaire dans le but de détruire tous les acquis sociaux qui existent ici dans les conventions collectives, dans la loi, etc.

En faisant pression vers le bas, même si on a retiré Bolkestein, pour donner une chance à Chirac, parce que Bolkestein faisait voter NON, donc on a fait semblant de le retirer.

Heureusement donc qu'on a voté NON, parce que si on avait voté OUI en France et en Hollande, ils n'auraient pas attendu un mois pour remettre Bolkestein sur la table. Parce que la Constitution et Bolkestein, c'est la même chose. Les principes de Bolkestein sont dans la Constitution.

A tous les niveaux, il va y avoir une pression à la baisse, au niveau des salaires, des acquis sociaux, du chômage, de l'assurance maladie, de toutes sortes de choses quotidiennes qui touchent les gens.

Mais c'était déjà commencé avant la Constitution, avec les accords de Lisbonne ?

L'accord de Lisbonne est déjà en vigueur depuis 2000, conclu par les chefs d'Etats, dont la majorité sont des chefs d'Etats socialistes. On allait faire de l'Union Européenne la puissance la plus compétitive du monde. Donc cet accord était clairement dirigé contre les Etats-Unis.

Il s'agissait pour le patronat européen – parce que c'est sous la pression de ce patronat en premier lieu que cet accord a été conclu – que les multinationales européennes puissent concurrencer les multinationales américaines aux mêmes conditions. Parce que, selon elles, les entreprises européennes ont un certain désavantage par rapport aux américaines, notamment au niveau des "charges patronales" beaucoup moins élevées aux Etats-Unis. Et l'autre désavantage que l'on veut éliminer, c'est la structure du marché du travail. On veut un marché du travail plus flexible. Pour arriver au principe en vigueur aux Etats-Unis où on engage quelqu'un aussi longtemps qu'on en a besoin et on le jette quand on en n'a plus besoin, on le réengage, etcetera.

C'est ça qui a été convenu à Lisbonne et aussi qu'il faut mettre plus de gens sur le marché du travail, ce qui n'est pas la même chose que de donner du travail à plus de gens.

Plus de gens sur le marché du travail, ça veut dire qu'on les raye du chômage ou qu'on les fait travailler plus longtemps. Et ça, c'est une des grandes mesures prises à Lisbonne. Surtout chez les travailleurs âgés de 55 ans, il fallait arriver à ce que la moitié d'entre eux travaillent encore en 2010. En Belgique aujourd'hui, ce n'est que le quart. Pour ça, on va prendre toute une série de mesure qui vont jusqu'à la suppression de tous les systèmes de prépensions, de mise à la retraite anticipée, d'arrangement de la carrière. Il faudra avoir travaillé plus longtemps pour avoir droit à une pension.

On va donc travailler beaucoup moins, mais beaucoup plus longtemps ?

Il a été décidé – et on a trouvé de nouveaux mots pour ça – qu'on allait augmenter "l'employabilité". Cela veut dire que tout le monde sera responsable de trouver du travail ou pas.

Donc, on abolit "le droit au travail", qui ne se trouve d'ailleurs pas dans la Constitution. Dans la Constitution, se trouve "le droit de chercher du travail". Cela veut dire que si vous ne trouvez pas du travail, c'est de votre faute, c'est parce que vous n'avez pas suivi assez de formations, c'est parce que vous n'êtes pas assez flexible, parce que vous n'êtes pas prêt à aller travailler à 300 km de chez vous.

Et c'est donc ça l'aspect de Lisbonne que je veux montrer : c'est le principe de l'activation des chômeurs, la chasse aux chômeurs. Pour chaque chômeur, on contrôle qu'il cherche bien du travail. Dans une première phase, on dit qu'on va l'aider. Mais le but est de créer un climat où tout le monde est responsable de trouver du travail par lui-même, et s'il ne fait pas assez pour sa formation, alors tant pis pour lui, il n'aura plus droit à des allocations de chômage parce que ce sera de sa faute s'il n'a pas trouvé du travail.

En fait ce qui se passe avec Lisbonne, c'est qu'on va vers une société où il n'y a plus de sécurité d'emploi, plus de sécurité d'avoir une pension sérieuse, plus de sécurité de salaire. Donc on va vers une société où chacun est responsable de lui-même, de son avenir et où l'Etat n'est plus obligé de fournir aux gens des soins de santé, une allocation de chômage qu'on perde son emploi à cause de licenciements ou d'autres raisons. Une société dans laquelle on est usé à 50 ans mais où on devra travailler jusque 70 ans, sinon on n'aura pas de quoi vivre. Le système de prépensions publiques aura des prépensions insuffisantes. Tout ça aura en effet pour conséquence que les charges patronales vont diminuer de façon considérable, mais tous les systèmes sociaux aussi en proportion.

Pour résumer, on est engagé dans un processus qui met en concurrence systématique, vers le bas, le plus possible, tous les travailleurs de partout. Une sorte de chantage généralisé.

On vient de parler de « charges patronales excessives », donc je vais me tourner vers notre deuxième intervenant…

Max Ferraille

délégué STIB (métro, trams, bus de Bruxelles) :

« ‘Charges salariales' ? Ce terme cache le vol du salaire indirect »


« Charges patronales excessives », est-ce que c'est aussi le terme qu'emploient les travailleurs sur la question ?

Un peu d'Histoire : les acquis sociaux ne sont pas un cadeau que les patrons ont fait aux travailleurs. Les acquis sociaux, ce sont nos aînés qui en 1936, puis en 1945, lors des luttes au plus fort de la crise ont pu imposer au patronat de regarder avec dignité les ouvriers.

Aujourd'hui, on parle de "charges salariales". Mais est-ce que les travailleurs connaissent réellement leur salaire ? Moi-même encore récemment, j'ai découvert qu'il y avait un salaire caché, un salaire qu'on appelle "indirect". Ca non plus, ce n'est pas un fruit du hasard, ce sont nos aînés qui ont exigé du patronat qu'il verse une partie de notre salaire au niveau d'une caisse pour assurer notre sécurité sociale, pour nos aînés, pour les enfants, pour les pensions, le chômage.

(Il montre un schéma graphique) Voilà comment un travailleur voit généralement son salaire : il y a une partie de net, puis il y a un versement participatif pour les impôts et puis une partie versée à la sécurité sociale. Mais avant que vous ayez ça, il y a déjà une partie du salaire qui a été versée par les patrons à cette fameuse caisse de sécurité sociale, et ce morceau-là c'est le salaire indirect, le salaire caché qui est aujourd'hui volé.

Je m'explique : quand on parle de « charges patronales exagérées », nos ministres, dont le premier Verhofstadt, se vantent encore de pouvoir offrir une partie de notre salaire en cadeau au patronat. Notre argent, plutôt que d'être versé dans la caisse, devient du profit qui devrait être à notre service pour créer des emplois.

« 200 000 emplois » (promis par le premier ministre), je pense que c'est une farce qu'ils veulent nous faire. Mais on a perdu beaucoup d'emplois et maintenant ces emplois qu'ils créent, sont des emplois intérimaires, des emplois invisibles.

En reprenant une partie du salaire qui avait été acquis, on est donc en train d'entraîner les travailleurs dans une spirale vers le bas. Y a-t-il une riposte ?

Moi, je vois une riposte possible : celle de Monsieur Debune, l'ancien secrétaire générale du syndicat FGTB socialiste, qui s'est opposé fermement à la Constitution. Il a dit : « Une Europe des travailleurs, c'est une Europe où les travailleurs sont unis, où ils sont représentés, où ils ont des droits et où ils sont défendus. » Et donc, quand il a dit NON à cette Europe, c'est parce qu'il n'y avait aucun de ces paramètres. Dans cette Europe, seul le profit patronal est protégé. En Europe, il n'y a aucune protection concernant les acquis sociaux, que ce soit les pensions, un salaire minimum, le chômage, le droit aux soins de santé, il n'y a rien de clairement défini. Et Debune s'était opposé en disant : « Si on ne met pas une garantie minimale, demain nous allons être victimes d'un "dumping sociale" sans pareil. » Il ne s'est pas trompé.

Dans ton entreprise, à la STIB, les travailleurs sont-ils inquiets de cette Constitution ? On en parle ?

Aujourd'hui, les travailleurs en parlent très peu. Pas par pudeur mais par peur.

Il y a eu chez nous une grève en fin d'année pour un manque d'effectifs. En fait on attendait le signal de l'Europe qui avait libéralisé les transport. Et les monopoles publics : il en reste trois en Europe – la RATP, la STIB, les transports de Berne – où il y a du bus, du tram, du métro…

Ils croyaient qu'au niveau européen, on allait casser ça et que déjà trois lignes de bus allaient être sous-traitées. Il y a une grande peur. Et de toute manière, il y a une réalité que l'on vit tous : actuellement, on fait croire au monde du travail qu'il y a un problème d'argent, qu'il y a un problème de financement, les services publics sont sous financés. Par contre, il y a d'énormes profits. Et si les patrons nous payaient le salaire qu'ils nous volent, il n'y aurait pas de problème pour la Sécurité sociale

Tu indiques que la Constitution européenne est inquiétante mais dans le Vidéo-trottoir que nous venons de voir, quelqu'un dit « la Constitution est pas terrible mais on peut toujours l'améliorer »… Alors, est-elle un point de départ ?

Ca aussi, c'est un mensonge éhonté de nos politiciens. Une fois que la Constitution est signée, on ne peut plus faire marche arrière et c'est grave. Il faut savoir que ces gens-là, malgré une opposition très forte avant les votes, ne veulent pas rediscuter la Constitution. Donc, ce ne sont pas des gens démocratiques, ni à l'écoute du peuple mais à l'écoute de l'argent, à l'écoute du profit.

Pour résumer, tu dis donc que c'est « les charges patronales excessives » en réalité, c'est du salaire indirect qu'on reprend. Et qu'on entraîne les travailleurs dans une spirale vers le bas. Mais, en France, ce qui nous a frappé, c'est que tous les médias ont voté massivement pour la Constitution et pourtant ils ont perdu. Comment ça se fait ?

Je crois qu'à force de dire « C'est l'Europe qui fait ceci, qui fait cela », les politiciens ont montré leurs limites et ne savent plus cacher la vérité aux travailleurs. Et, c'est aussi très important, le PS vit une déchirure comme beaucoup de syndicats qui ont voté OUI. Ils ne sont pas les portes-parole de la masse, des travailleurs. Je crois que ceux qui ont écrit cette Constitution l'ont fait sans tenir compte des citoyens et c'est une réponse cinglante qu'ils ont reçue.

Jean-Claude Paye

Analyste des libertés démocratiques

« Le mandat d'arrêt européen donne force de loi au pire de l'Europe »


S'il y a plus de résistance sociale, il y aura plus de lutte. Et plus de répression ? On entretient l'impression que l'Union Européenne est beaucoup plus démocratique aussi sur le plan des règles intérieures. Qu'elle ne prend pas des lois aussi graves que Bush avec son "Patriot Act".

Mais en fait, si on est bien informé, on se rend compte que l'Union Européenne est en train, en cachette, de faire passer une série de lois antidémocratiques extrêmement dangereuses. Donc, ça valait la peine d'inviter Jean -Claude Paye, un des meilleurs spécialistes sur nos droits démocratiques. Pour savoir : que nous prépare-t-on concrètement sur le plan de la répression ?

Jean-Claude Paye.
Si on veut savoir ce qu'est l'Union Européenne, il y a beaucoup mieux que la Constitution, il faut regarder du côté de la coopération policière et judiciaire et surtout comment cette coopération est inscrite dans le droit pénal et la procédure pénale. Et comment s'organise cette coopération européenne avec les Etats extérieurs, principalement les Etats-Unis. Et là, on s'aperçoit de deux choses :

– L'Union Européenne n'est pas un Etat supranational en voie de construction mais est au contraire une coalition d'Etats nationaux dont les différents pouvoirs se renforcent à travers la construction européenne.

– Deuxièmement, l'Union Européenne n'est pas une alternative à la puissance des Etats-Unis. Au contraire, on s'aperçoit qu'elle est une petite sous-structure inscrite dans un ensemble plus grand qui est dominé par le pouvoir exécutif américain.

Je vais donner quelques exemples…

Une semaine après les attentats du 11 Septembre, deux projets de décisions-cadres sont déposés subitement par la Commission devant le Conseil. Il y a le projet relatif au terrorisme et le projet relatif au mandat d'arrêt européen.

Ces deux projets sont présentés comme une résultante des attentats du 11 septembre. Mais on peut se demander, si on a un peu de bon sens, comment on peut établir deux projets de loi en l'espace d'une semaine. On estime qu'il faut six mois à un an rien que pour écrire la loi et davantage pour la concevoir. Donc, on peut sans se tromper dire que, aussi bien du côté européen que du côté des Etats-Unis, il y avait des projets de loi dans les tiroirs et qu'on attendait la bonne occasion pour les passer.

Si l'on regarde du côté européen, on voit "décision-cadre relative au terrorisme". Il existait seulement six pays – la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne et le Portugal – qui bénéficiaient déjà d'une loi anti-terroriste. Des pays comme la Belgique avaient la possibilité de poursuivre des actes terroristes avec d'autres législations. Par exemple des délits classiques tel que le meurtre, le détournement d'un avion ou poser une bombe, ça a toujours été puni dans n'importe quel droit pénal, il ne faut pas une législation spéciale pour ça. En plus, en Belgique, il y avait des notions telles que l'association de malfaiteurs ou de réseaux criminels, qui permettaient déjà d'enquêter et de poursuivre les organisations elles-mêmes et de créer un délit d'appartenance.

Donc, on pouvait être poursuivi sur le simple fait d'appartenir à une organisation sans avoir commis un délit déterminé. Il y a dans le code pénal des pays qui n'avaient pas de législation anti-terroriste, tout ce qu'il faut et davantage, pour poursuivre des délits terroristes. Donc si on impose aux neuf pays qui n'ont pas de loi anti-terroriste d'intégrer une telle législation dans leur code pénal, c'est pour un ensemble de raisons qui ne sont pas avouées.

Alors, ces raisons, on peut les voir dans les pays qui avaient déjà une telle législation. On s'aperçoit que dans des pays comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, les lois anti-terroristes permettent une généralisation des procédures d'exception à tous les stades de la procédure pénale : de l'enquête policière jusqu'à l'enfermement des gens.

Par exemple, en Espagne, si on est soupçonné de terrorisme, on n'a pas le choix de son avocat, on a un avocat qui est désigné par les personnes qui vous arrêtent. Ensuite il y a un délai de 72 heures pendant lequel vous ne pouvez voir personne, pas un coup de téléphone à votre famille, ni même un avocat et non plus celui qui est désigné d'office. Vous pouvez appeler cet avocat au bout des 72 heures au moment où vous devez signer votre déclaration – généralement des aveux – après avoir subi ce qu'on appelle "des pressions physiques modérées" dans le langage américain, c'est-à-dire de la torture qui est systématique en Espagne.

En Italie, il y a possibilité de mettre en détention pendant dix ans et huit mois. En Allemagne, on peut lire le courrier entre l'avocat et la personne qui est détenue. On peut faire comme ça le tour de toutes les législations anti-terroristes au niveau national. Chacune permet le développement de procédures d'exception.

Donc, on peut se dire que si on veut imposer un tel type de législation au niveau européen, ce n'est pas pour lutter contre le terrorisme, parce qu'il y a déjà tout ce qu'il faut, c'est simplement pour pouvoir généraliser les procédures d'exception dans tous les pays qui auront ce type de législation.

Là, intervient la deuxième "proposition-cadre" proposée après les attentats du 11 septembre : "le mandat d'arrêt européen" que la Belgique a intégré dans son code pénal comme l'ensemble des autre pays européens.

Le mandat d'arrêt européen est une procédure qui se substitue aux accords d'extradition. Parce que ces accords embêtaient beaucoup la justice et la police, c'est long et il y a beaucoup de contrôles à effectuer tels que la demande de légalité: est-ce que la demande est bien légale ? Est-ce qu'il y a bien un délit inscrit dans la législation du pays qui reçoit la demande ?

Ce n'est pas sans importance. Parce que, dans un pays comme l'Italie, il y a toujours des incriminations qui sont issues du code fasciste. Il y a, par exemple, la notion d'organisation subversive, une organisation subversive est une organisation qui par exemple prône la lutte des classes, qui prône le renversement par la violence d'une classe par une autre. Et généralement depuis la fin des années 70, tous les gens des mouvements sociaux sont poursuivis sur la base de cette incrimination. Non seulement c'est une incrimination qui date de 1923, qui a été rédigée par le ministre de la Justice sous Mussolini, et qui n'a pas été supprimée mais qui au contraire a été renforcée. En 1979, la loi Cossiga qui confirme la notion d'incrimination subversive et qui augmente les peines en cas de terrorisme.

L'exemple italien est fort intéressant parce que, du point de vue du droit, on a tout à fait la jonction entre le droit fasciste et le droit de modernité où les exceptions sont basées sur la notion d'organisation terroriste.

Donc, toutes les demandes d'extradition qui avaient lieu sur cette base d'incrimination, par exemple pour les gens réfugiés en Belgique ou en France, tout ça était refusé par le pouvoir politique parce que ce n'était pas une incrimination reconnue en France ou en Belgique. Avec le mandat d'arrêt européen, ça n'a plus d'importance, il n'est pas besoin que ce soit un délit dans le pays qui reçoit la demande, il suffit qu'un pays réclame la personne et la personne est quasiment automatiquement remise. Les seules choses sur lesquelles on peut intervenir, c'est des questions de procédure, si les cachets sont bien au bon endroit, dans le bon ordre et si par exemple il n'y a pas prescription.

Vous vous souvenez, il y a deux Basques en Belgique dont l'Espagne demandait l'extradition dans le cadre du mandat d'arrêt. Ils étaient en Belgique depuis plus de dix ans et l'Espagne avait déjà demandé à deux reprises leur extradition sur la base des anciennes procédures. Cela avait toujours été refusé sur la base de l'illégalité : ces gens étaient accusés d'avoir hébergé des personnes de l'ETA qui des mois après être passé chez eux avaient commis un attentat. Le problème pour le pouvoir c'est qu'ils avaient été dénoncés par une personne qui avait été torturée, et un jugement en Espagne reconnaissait que du fait de torture, ces aveux étaient nuls.

C'est une situation de "force jugée", où il y a un acte judiciaire qui dit que la demande est illégale même du côté espagnol. Mais dans le cadre du mandat d'arrêt, ça n'a pas d'importance, la demande est satisfaite. Donc ces deux Basques sont restés en Belgique parce qu'il y avait prescription. Mais s'ils étaient en Belgique depuis quatre ou cinq ans, ces gens auraient été remis automatiquement.

Avec cette procédure du nouveau mandat d'arrêt, il n'y a plus de décision à prendre par un pouvoir politique qui peut éventuellement être soumis à des pressions ou une mobilisation comme dans ce cas-là ou celui d'une réfugiée turque, il y a quelques annéées. Cela veut dire que la police et la justice pourront automatiser les extraditions ?

C'est ça. C'est une procédure automatique basée sur un principe qu'on appelle la reconnaissance mutuelle. C'est-à-dire que toute décision d'une autorité judiciaire d'un pays européen est reconnue comme automatiquement démocratique par les autres. Cela veut dire que l'incrimination fasciste italienne devient automatiquement démocratique. Cela veut dire que l'Espagne qui demande des gens pour les torturer et pour leur empêcher d'avoir un avocat, c'est une procédure démocratique. Donc, on voit que, dans le cadre du "mandat d'arrêt" à travers une législation anti-terroriste, chaque pays développe des procédures d'exception différentes qui ont cours non seulement dans le pays où ces lois sont votées mais aussi dans le reste de l'Europe.

Donc, en fait, on prend ce qu'il y a de pire en Europe et on lui donne le droit d'être la loi dans toute l'Europe…

Tout-à-fait bien résumé ! (rires de la salle). Donc, nous aurons le pire de chaque législation nationale mais aussi le pire de l'unification européenne. Il y a quelque chose d'intéressant dans la "décision-cadre européenne" par rapport aux lois déjà existantes même par rapport à son modèle anglais. Parce que je ne vous ai pas dit, mais on nous explique les lois anti-terroristes décidées après le 11 septembre, avec des délais de trois jours, une semaine… C'est pas crédible, mais si on prend la loi anglaise qui a servi de modèle à l'écriture de la "décision cadre européenne", elle est entrée en vigueur en février 2000. C'est-à-dire sept mois avant les attentats, donc là il y a une capacité d'anticipation sur les événements, je vous laisse juger. (rires de la salle)

Ce qui est intéressant dans cette décision, même par rapport aux lois les plus modernes comme la loi anglaise, c'est qu'elle introduit cet élément.. Dans chaque loi anti-terroriste, vous avez un élément objectif, par exemple détourner un avion, un meurtre. Et un élément subjectif, c'est le fait que vous commettez une action dans le but de faire pression sur un gouvernement ou une organisation internationale. C'est donc intéressant parce que, par exemple, le but de tout mouvement social où vous manifestez, c'est pour faire pression sur le gouvernement pour qu'il ne privatise pas les services publics. Vous faites pression sur le gouvernement donc vous rentrez dans ce cadre-là.

Surtout que dans la "décision cadre européenne", l'élément objectif, ce n'est pas nécessairement un meurtre, ce peut être également de prendre d'assaut un bâtiment public ou un moyen de transport public. Donc la capture publique d'un moyen de transport public pour éviter sa capture privée, c'est-à-dire sa privatisation, si vous prenez d'assaut une rame du métro dans l'intention de faire pression contre un gouvernement pour qu'il ne soit pas privatisé, vous rentrez tout à fait dans le cadre d'organisation terroriste. C'est intéressant et c'est tout à fait spécifique à la "décision-cadre européenne". Donc on voit bien qui est visé la dedans, surtout quand on sait qu'il y a la notion d'organisation internationale.

Lorsqu'on sait ce qui va être discuté au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce on voit aussi que les altermondialistes contre l'OMC sont directement visés par cette "décision cadre européenne" qui est intégré dans notre droit pénal.

Ce qui est intéressant dans cette décision, même par rapport aux lois les plus modernes comme la loi anglaise, c'est qu'elle introduit cet élément.. Dans chaque loi anti-terroriste, vous avez un élément objectif, par exemple détourner un avion, un meurtre. Et un élément subjectif, c'est le fait que vous commettez une action dans le but de faire pression sur un gouvernement ou une organisation internationale. C'est donc intéressant parce que, par exemple, le but de tout mouvement social où vous manifestez, c'est pour faire pression sur le gouvernement pour qu'il ne privatise pas les services publics. Vous faites pression sur le gouvernement donc vous rentrez dans ce cadre-là.

Surtout que dans la "décision cadre européenne", l'élément objectif, ce n'est pas nécessairement un meurtre, ce peut être également de prendre d'assaut un bâtiment public ou un moyen de transport public. Donc la capture publique d'un moyen de transport public pour éviter sa capture privée, c'est-à-dire sa privatisation, si vous prenez d'assaut une rame du métro dans l'intention de faire pression contre un gouvernement pour qu'il ne soit pas privatisé, vous rentrez tout à fait dans le cadre d'organisation terroriste. C'est intéressant et c'est tout à fait spécifique à la "décision-cadre européenne". Donc on voit bien qui est visé la dedans, surtout quand on sait qu'il y a la notion d'organisation internationale.

Lorsqu'on sait ce qui va être discuté au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce on voit aussi que les altermondialistes contre l'OMC sont directement visés par cette "décision cadre européenne" qui est intégré dans notre droit pénal.

Je veux dire que ça, c'était la partie la plus soft (rires), vraiment la plus soft. Parce que si on veut voir vers quoi on va vraiment, je vous ai parlé de l'Angleterre et de sa grande capacité d'anticipation, ça c'est encore prouvé. Cette fois-ci, le 11 mars 2005, donc c'est tout nouveau, l'Angleterre a voté une nouvelle loi anti-terroriste qui corrige l'ancienne, laquelle – comme le "Patriot Act" – autorisait l'incarcération à durée indéterminée, sans inculpation, sans aucun délit, de toutes personnes étrangères soupçonnées de terrorisme.

Et un jugement de la cour suprême a dit, c'est quand même injuste tout ça, on discrimine les nationaux des étrangers, vous ne pouvez pas rester avec cette discrimination ! Donc, les procédures d'exception sont passées des étrangers à l'ensemble de la population. Mais on ne pouvait pas faire l'incarcération, donc on a pris des mesures plus douces dans un premier temps. C'est-à-dire que si vous êtes soupçonné de faire partie ou d'être en contact avec des personnes ou des personnes qui sont elles-mêmes soupçonnées de terrorisme, donc vous avez un soupçon en deux temps là, on est déjà au carré.

Mais on peut prendre vis-à-vis de vous un ensemble de mesure de contrôles par exemple un bracelet électronique, vous obliger à pointer au commissariat tous les jours, des perquisitions de nuit en votre absence, vous empêcher d'avoir un emploi et ça va jusqu'aux arrêts domiciliaires.

Dans le cas des arrêts domiciliaires, il faut l'autorisation d'un tribunal. On peut se demander sur quoi l'appréciation peut se fonder puisqu'il n'y a pas de jugement et puisque le fait de décider de vous placer sous cette mesure de contrôle dépend d'une évaluation des services secrets dont le dossier est secret. C'est-à-dire que le juge convoque le type des renseignements et lui demande :

– "Monsieur, avez vous la preuve ?"

– "Oui, monsieur le juge"

et alors le juge prend sa décision. (rires)

Vous voyez vers quoi on va, tout ce qu'on a vu en Angleterre, on est en train d'essayer de nous le faire passer en Europe. Et tous ces types de mesures on va les voir apparaître comme projets dans différents pays. Et donc je vous en parle maintenant pour que vous soyez prêts à y répondre.

Pourrais-tu nous parler de la liste des organisations terroristes en Europe et aux Etats-Unis ?

Ce type de procédure où on prend des mesures sans contrôle judiciaire, sans preuves, il existe déjà au niveau européen. Puisqu'il y a des listes d'organisations terroristes, celle du Conseil qui permet par exemple de bloquer vos comptes bancaires, de supprimer l'ensemble d'aides de l'Etat juste parce que vous êtes inscrit sur la liste. Et c'est une décision administrative qui se fait par des fonctionnaires du Conseil généralement sur la demande des Etats-Unis. Par exemple, en Hollande, l'ancien président du parti communiste philippin José-Maria Sison, qui était réfugié en Hollande… Du jour au lendemain, il a vu son compte bloqué, il avait un logement du CPAS hollandais, on l'a mis dehors de son logement et donc il a appris du jour au lendemain qu'il était repris sur la liste anti-terroristes.

En fait, ce sont les Etats-Unis qui ont fait la demande dans ce cas-là…

Effectivement. Et la Hollande, puis l'Union Européenne l'ont repris sur la liste des organisations terroristes. Et donc, vous pouvez être repris sur une liste et être terroriste sans le savoir puisque la liste Europol est secrète. Ce qui permet de légaliser certaines procédures d'enquête très intrusives. Comme, par exemple, lire votre courrier électronique, ouvrir votre courrier, perquisitionner de nuit également en votre absence et, si on trouve quelque chose, on pourra le retenir contre vous. Pas par les services secrets parce que c'est illégal, mais ici comme vous êtes inscrit sur la liste Europol, généralement à la demande des Etats-Unis, si on trouve quelque chose même si ça n'a aucun rapport avec ce que l'on cherche, ça pourra être retenu contre vous.

Je ne doute pas que tu as encore beaucoup de mauvaises nouvelles à nous annoncer ! Je retiens donc de ceci qu'avec le mandat d'arrêt international, qui permet en fait aux pires régimes de faire ce qu'ils veulent dans tout le territoire de l'Europe, avec la définition des actes terroristes et de la liste des organisations terroristes, en fait complètement arbitraire, politisée et soumise aux USA, on est en train de prendre une série de mesures antidémocratiques, extrêmement dangereuses et qu'on a intérêt à faire connaître…

Zoé Génot

Députée Ecolo

“Dans les relations commerciales Nord-Sud, l'UE est pire que les USA”


Je vais maintenant donner la parole à Zoé Génot qui est députée Ecolo et qui s'est abstenue, qui a refusé d'approuver la Constitution ici au Parlement en Belgique. Elle a développé un ensemble de raisons pour s'y opposer. Certaines ont déjà été évoquées ce soir.

Mais vous avez beaucoup travaillé sur la question de l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce. Donc des relations commerciales Nord /Sud. Là aussi, on nous dit souvent que l'Europe est bien meilleure que les Etats-Unis, est-ce vrai ?


Je crois que beaucoup de gens de bonne foi avaient envie d'un projet européen fort en disant “C'est important qu'en face des Etats-Unis, on ait une Europe forte parce que cette Europe forte va pouvoir entretenir des relations plus fraternelles avec les pays du Sud, les soutenir, faire de la coopération, etc…” Dans les débats qu'on a eu l'occasion de faire sur OUI ou NON à la Constitution, cet argument revenait très souvent.

Mais quand on gratte un peu sur ce que fait l'Europe, en effet on a une petite coopération mais surtout on négocie avec les pays du Sud par exemple au niveau des grandes discussions mondiales au niveau des discussions à l'OMC, on est en train de faire des demandes aux pays du Sud pour qu'ils ouvrent leurs marchés de services à toute une série de nos entreprises… Les négociations de l'AGCS, c'est un peu Bolkestein mais à l'échelle mondiale. Et dans ce cadre-là, on voit que non, l'Europe n'est vraiment pas le grand frère des pays du Sud! On demande aux pays du Sud de libéraliser un plus grand nombre de services que les Etats-Unis.

A côté de ça, les Etats-Unis ont, semble-t-il, des entreprises qui sont peut-être moins intéressées par ces marchés des services. Alors qu'en Europe on a pas mal d'entreprises du genre Suez , Lyonnaise des Eaux qui s'intéressent beaucoup aux traitements de l'eau ou des déchets, à l'électricité, aux transports en commun, etc… On fait toute une série de demande aux pays du Sud : "On voudrait que vous libéralisiez tel et tel secteur". Et puis les pays du Sud n'avaient pas tellement envie de libéraliser ces secteurs. Donc beaucoup ont dit qu'ils ne voulaient pas participer.

Alors l'Europe a pris toute une série de mesures pour faire pression afin que que les pays du Sud y participent. Et pour relancer ces négociations parce que les pays du Sud n'étaient vraiment pas suffisamment preneurs à leur sens. Et cela se passe dans la plus totale discrétion puisqu'à l'heure actuelle par exemple, ils viennent de rediscuter une nouvelle liste de services qu'on demande aux pays du Sud d'ouvrir…

Avez-vous entendu parler de cette liste ? C'était au mois de janvier. Vous n'en avez pas entendu parler. Et même nous, au niveau du Parlement, on a beaucoup de mal à en entendre parler. Alors quand je demande au ministre des affaires extérieures : "Vous avez été consulté sur la liste, qu'est ce qu'il y a dedans ?", on me répond que c'est confidentiel, on ne peut pas vous le dire et vous ne pouvez pas y avoir accès.

Fatalement, il faut qu'il y ait un grand débat démocratique sur la question, c'est un peu compliqué sans avoir accès aux documents. Et là, avec cette Constitution ça irait mieux sur ce plan-là ? Non et ça serait pire. Parce qu'on dit souvent "La Constitution européenne, c'est plein de mauvaise choses mais qui existent déjà"… C'est vrai mais il y a quelques reculs supplémentaires et donc dans ce domaine ce qu'on peut voir par exemple, c'est que l'Europe dans sa politique extérieure, avait jusqu'ici pour objectif principal la réduction des barrières douanières, ça c'était déjà dans les traités actuels. C'est déjà pas hyper- sympathique.

Mais maintenant, son objectif de politique extérieure commerciale, ce sera la réduction des “barrières douanières et autres”. Ce "et autres", c'est en fait une série de pays qui ont des législations pour des secteurs stratégiques. Par exemple, en Indonésie, l'eau, ça peut être soit sous des monopoles publics, soit sous des monopoles nationaux. Et donc maintenant l'Europe aura comme mandat de démanteler toutes ces législations qui protégeaient les pays du Sud de nos multinationales. Donc, on le voit dans la Constitution il y a de nouveaux reculs, et plusieurs reculs dans plusieurs domaines, ceci n'est qu'un exemple.

Autre élément, grâce au fait que la politique extérieure est un élément où l'Europe a plein pouvoirs, où les Etats n'ont quasiment rien à dire, le fait d'élargir encore sa sphère fait que si quelque chose comme Bolkestein passe…

Parce que Bolkestein n'est pas retiré, Bolkestein avance, à l'heure actuelle la directive Bolkestein est discutée au Parlement Européen et est discutée dans des groupes de travail des différents gouvernements, les différents gouvernements travaillent sur ces matières et ça continue… Donc si la directive passe, ça veut dire que l'Europe est pleinement compétente pour la libéralisation des services. Donc là, je n'aurais même plus la possibilité d'interroger le ministre pour me dire qu'il ne peut rien me dire parce que c'est confidentiel, ce sera encore plus une compétence exclusive de l'Europe. Donc c'est doublement important de se battre contre cette directive Bolkestein.

Ceci confirme, sur un autre plan encore , la gravité des menaces et des reculs. Alors, chacun se demande comment ça se fait qu'il y a eu si peu de débat au parlement ? Dans une des rares séquences intéressantes de la RTBF sur la Constitution, on interviewait à la sortie du parlement des députés qui venaient de la voter et qui manifestement ne l'avaient pas ouverte et n'y connaissaient rien. Comment jugez-vous ce débat au parlement ?

C'est d'autant plus insultant qu'on a donné aux parlementaires le jour même le texte de la Constitution. Ca veut dire que si on n'avait pas pu la lire, si on n'avait pas pu se la procurer avant, c'était assez étonnant, assez dommage comme façon de procéder.

En fait il y a eu deux débats. Le premier: est-ce qu'on veut un référendum ou pas ? Et puis il y a eu le débat sur la Constitution. Il y a eu un show médiatique au Sénat début décembre. Pour vous donner un peu le climat, la première intervention, c'était : un débat pour expliquer aux citoyens qui étaient invités par différents journaux sur qu'est-ce que c'est la Constitution, que peut-on trouver dedans ? Et la première intervention, c'était Elio Di Rupo (président du PS), annonçant que le plus gros de son parti était pour le Oui à la Constitution et c'était à peu prêt tout.

Donc c'était assez étonnant, il n'y avait aucun contradicteur invité, ça n'avait apparemment pas été prévu. D'ailleurs pas mal de citoyens sont partis. Au parlement même, il y a eu de petits débats mais vu qu'on était très minoritaire dans le camp du NON, par exemple quand j'ai fait mon intervention les gens sont partis, mais on ne peut pas dire que le débat était particulièrement enflammé dans l'Assemblée.

Comment jugez-vous le fait qu'Elio Di Rupo ait dit qu'on avait fait une erreur en organisant un référendum en France ?

Là, je le trouve très cohérent parce que, depuis le début, il dit ça.

On avait déjà eu l'occasion de discuter de plus de démocratie directe c'est-à-dire des référendum. Pas que sur des questions internationales mais aussi dans d'autres domaines. Durant la législature passée, le parti socialiste, il faut lui reconnaître sa cohérence il a toujours dit NON. Il y a eu une bagarre juridique pour savoir si on pouvait organiser une consultation de la population.

Dans notre Constitution, il est prévu que c'est le parlement qui décide des lois etc… Et donc ces articles là ne pouvaient pas être changés dans la Constitution cette fois-ci, parce que ça n'avait pas été prévu. Mais, par contre, on pouvait changer un article qui disait la façon dont la Belgique ratifie les traités. On pouvait changer cet article-là et dire que pour ratifier des traités importants, on demandait son avis au peuple belge, c'était possible d'un point de vue juridique. La scission s'est faite là, entre les socialistes et les sociaux-chrétiens qui étaient contre l'idée d'organiser un référendum et les libéraux et les écolos qui étaient pour l'organisation d'un référendum. Et la majorité fait qu'il n'y a pas eu de référendum en Belgique.

Et je pense que c'est vraiment dommage parce que, quand on voit la France, c'est extraordinaire, on n'a jamais autant parlé d'Europe, il n'y a jamais eu autant de gens qui ont compris un petit peu comment ça fonctionnait, un petit peu de quoi elle s'occupait, un petit peu les politiques qu'elle essaye de mener, etc… J'étais stupéfaite d'entendre et de lire au contraire la pertinence de l'analyse de plein de citoyens et ce n'est possible que par le référendum.

C'est peut-être ça qui était dangereux, j'ai vu un sondage montrant que plus les gens étaient informés sur la Constitution, plus ils votaient NON.

Ca, c'est vrai! On a vu dans les sondages, vraiment le NON augmentait. Malgré le fait que dans les médias, au départ il y a eu de grandes difficultés pour passer une information complète. Peu à peu, cette information a quand même fait le tour parce qu'il y avait référendum. On ne s'intéresse pas pour le plaisir à un texte de 800 pages, 448 articles, des protocoles, des déclarations. On ne lit pas les analyses là-dessus si on sait que de toute façon on ne va pas vous demander votre avis. Tandis que là, pour une fois, on allait leur demander leur avis, il y avait quand même une motivation à s'informer, à en discuter….

Un de vos électeurs dit dans le Vidéo-trottoir : "Moi, je suivrai Ecolo, mais il faut qu'on m'explique"

Comment la discussion s'est-elle faite à Ecolo ? En octobre-novembre, on a fait un petit tour de table et ils étaient étonnés qu'on n'était pas tous pour la Constitution. Donc, on s'est dit qu'on allait organiser un débat interne dans les autre régionales, avec chaque fois une personne pour et une personne contre, Ca a souvent été moi qui me suis déplacée dans les différentes régionales avec ou non des appuis extérieurs. Ca a eu des succès très divers parce que l'année passée on en parlait mais pas beaucoup. Et comme nos militants sont des gens comme les autres ce n'était pas un sujet qui les passionnait autant que maintenant.

Donc, quand on a fait le débat à Bruxelles, il y avait 20 militants, c'est pas terrible; Par contre, à Arlon où on a organisé le débat avec deux syndicats, Attac et une ONG locale, il y avait 120 personnes pour entendre les différents arguments qui s'échangeaient sur la Constitution. Donc il y avait moyen de mener le débat.

Mais quand on a fait le vote final au sein d'Ecolo après avoir fait le tour des diverses régionales, on a perdu parce qu'aux deux-tiers, les militants venus représenter chaque régionale ont décidé d'être pour le OUI. J'espère qu'à la suite du débat français ils ont réajusté leurs vues. Mais en tout cas à l'époque, ça n'était pas le cas et donc le parti a décidé de soutenir le OUI à la Constitution. Par rapport aux militants qui s'étaient engagés dans le débat, et qui avaient pris la décision d'être pour le OUI, je ne pouvais pas totalement me désolidariser. Ou si on peut toujours en tant que député, on ne peut pas nous enlever notre mandat, donc on peut voter ce qu'on veut. Mais je trouvais que ce n'était pas correct vis-à-vis des militants, c'est pour ça que je me suis abstenue tout en continuant à dénoncer à la tribune l'ensemble des critiques que j'ai par rapport au texte. Puisqu'on n'a pas eu de référendum en Belgique, je trouvais que c'était important de continuer à porter cet ensemble de critiques largement dans les divers débats qu'il y a eu en communauté francophone depuis.

Henri Houben

Economiste d'Attac-Bruxelles :

« Les Européens les plus riches veulent rattraper les Américains les plus riches »


Henri Houben, économiste d'Attac, on nous dit souvent que le modèle social européen est vraiment supérieur à celui des USA… Alors, s'il est si beau pourquoi est ce qu'on l'abandonne et on le détruit ?

Henri Houben. En fait, pour répondre de manière très simple : ce qui prime, ce sont les intérêts des grands groupes industriels et européens. Et c'est en fonction d'eux qu'on fait la politique au niveau européen. Donc, on a parlé du processus de Lisbonne qui fixe pour 2010 l'objectif : faire de l'économie européenne la puissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde.

Donc, c'est très orienté vers la compétitivité. Il s'agit très clairement de rendre les entreprises européennes plus compétitives que leurs concurrents. Dans le monde, actuellement le concurrent numéro 1 dans la plus part des secteurs, ce sont les Etats-Unis, les entreprises américaines.

En fait, quand on regarde les entreprises européennes ou la situation des grands actionnaires de ces entreprises, on voit qu'ils se trouvent en compétition à tous les niveaux, avec contre les Etats-Unis. Par exemple, au niveau de la répartition des richesses, c'est très intéressant : chaque année, un rapport XXXXXXXXX est diffusé en Juin, sur la richesse mondiale. Deux sociétés financières le font, parce qu'elles gèrent la fortune des gens les plus riches dans le monde, ils évaluent les gens qui ont une fortune financière de plus de 1 million de dollars. Pour l'année passée, XXXXXXXX ont une richesse d'à peu près dix mille milliards.

Donc pour résumer, les Européens très riches trouvent qu'ils ne sont pas assez riches et qu'ils doivent rattraper ceux des Etats-Unis… Mais d'où vient l'avantage des Etats-Unis ?

Il vient de la situation qui a suivi la deuxième Guerre mondiale. Iis se sont installés comme puissance politique , militaire, économique, etc. Mais la situation actuelle provient surtout depuis 1989. Jusqu'alors, la politique américaine était surtout tournée vers l'Union Soviétique. Il fallait permettre d'une certaine manière le developpement de certaines régions dont l'Europe parce que ça servait surtout de base et de tremplin contre l'Union Soviétique. Mais évidemment, à partir du moment ou l'Union Soviétique s'est effondrée, l'Europe n'a plus eu ce rôle.

Est-ce aussi parce que la crise s'aggrave et les marges de profit baissent, donc il faut prendre les profits même aux amis européens ?

Tout à fait. Les deux facteurs jouent en même temps. A partir de 89, UE et USA sont réellement devenus des concurrents. Donc ils ont pris toute une série d'orientations… Je vous signale que, par exemple, à la fin des années 80, ceux qu'on trouvait très compétitifs c'étaient les Japonais. A la fin des années 80, un livre paru aux USA et s'appelant « Made in USA » , expliquait le déclin industriel américain…

Mais les avantages des USA, maintenant, c'est quoi concretement ?

C'est qu'ils utilisent, en même temps, toute une série d'avantages qu'ils ont par leur rôle important au niveau international : la puissance militaire, le rôle du dollar, le fait que 60 % du commerce mondial est libellé en dollars, de sorte que les USA ne sont pas obligé de rembourser les dollars à l'étranger.

Et le controle du pétrole, qu'ils ont accentué à partir des guerres du golfe qu'ils ont menées. Donc là, en effet, il y a un conflit d'intérêt entre les USA qui essayent d'avoir la main mise sur le pétrole, principalement au Moyen-Orient. Vous savez que les deux tiers des réserves estimées de pétrole se trouvent dans cette zone, Arabie Saoudite, Irak, Iran, Koweit… Donc, c'est une région extrêmement stratégique. Car il n'y aura pas du pétrole indéfiniment. Et de ce point de vue-là, les Européens et l'ensemble de l'Asie (qui s'approvisionnent beaucoup au Moyen-Orient) se trouvent soumis à un moyen de pression des Etats-Unis.

Donc quand la dame que nous avons vue dans le Vidéo-trottoir dit que l'Europe essaye de copier le modèle des USA, elle a raison ?

Tout à fait. Il y a véritablement un copiage. Le processus de Lisbonne, c'est vraiment utiliser le modèle américain dans tous ses aspects : au niveau social, au niveau économique au niveau des relations avec le tiers-monde. Et essayer d'avoir des zones particulières où on pourra implanter des bases industrielles. Comme les Etats-Unis utilisent beaucoup le Mexique pour implanter toute une série d'entrprises avec une haute intensité de main d'œuvre, et cela permet de réexporter vers les USA.

Ici, on est occupé à faire un peu la même chose avec les pays de l'Est, avec la Turquie et d'autre pays. On est vraiment occupé à copier le modèle américain sous tous les aspects. Avec un problème en fait : copier le modèle américain ne peut pas se faire sans une opposition manifeste contre les USA. Parce que, comme je l'ai dit, le système américain possède la puissance politique, la puissance militaire, le dollar et un contrôle sur le pétrole. Donc L'Europe devra développer la puissance militaire, elle devra substituer au dollar l'euro. Donc là automatiquement un conflit. Et ils devront essayer de s'approprier les réserves pétrolières.

Donc, si je comprends bien, ce n'est pas seulement une guerre économique, mais ça va s'étendre sur tous les terrains. Y compris peut-être sur le terrain militaire…

Cela risque, oui. L'Europe ne va pas le faire dans les dix ans à venir parce que, sur le plan militaire, elle a un retard important à ratraper. Mais effectivement, si on suit la logique économique, c'est à dire de développement des grandes entreprises, les USA favorisent le développement des grandes entreprises américaines et donc les Européens essaient de construire une structure qui leur permette à eux d'avantager les entreprises européennes.

L'industrie militaire, c'est très intéressant pour le développement d'une économie comme celle des USA ou de l'Europe : pour la relancer ?

Cela peut. Mais ça a des effets positifs comme négatifs. C'est un secteur bien particulier. Donc aux USA, il y a en fait une croissance de cette industrie. Plus exactement, croissance de tous les secteurs militaires des industries. Car il faut savoir que toute une série d'entreprises se disent civiles mais ont des implications militaires. Exemple : l'aéronautique, le combat entre Airbus d'un côté, et Boeing, de l'autre. En réalité, les deux sociétés sont très impliquées dans le militaire. Pareil pour l'électronique. Ca veut dire qu'il y a possibilité à un moment donné lorsqu'il y a une véritable crise de substituer. S'il y a une baisse de la demande civile, lui substituer une demande militaire.

Quand les gens du Vidéo-trottoir disent : « Moi, je suis pour une Euro-Armée mais une armée humanitaire et pas pour faire la guerre », là on est un peu dans l'illusion ?

Pour l'instant oui, c'est très clair, le projet de l'Europe, c'est de faire une armée. Et il y a deux courants principaux en Europe. Il y a ceux qui veulent une armée pour soutenir les interventions américaines dans le monde telles qu'elles se font, en Irak et dans d'autre régions. Les exemples donnés, ce sont des interventions après les USA. Mais il y a la possibilité qu'une armée européenne se crée et mène le même type d'interventions que l'armée US, mais au nom de l'Europe uniquement.

Je retiens donc qu'il y a une logique économique : si les patrons européens décident de détruire le social, ce n'est pas parce qu'ils sont méchants, mais parce que s'ils ne le font pas, ils vont se faire éliminer par leur concurrents. Donc cette course à la destruction du social, c'est une logique économique du système.

Tony Busselen

Animateur du site www.deboutcongolais

« La rivalité France – USA explique les guerres les plus sanglantes depuis 1945 »


On est passé tout doucement du social ici en Europe, qui touche tous les travailleurs et la population, à la logique de prendre dans le social et augmenter les budgets militaires… Je vais demander à Tony Busselen : on nous dit que l'Europe est plus démocratique que les Etats-Unis, on voit ça aussi dans le vidéo-trottoir, est-ce confirmé par l'exemple de l'Afrique ?

Non je ne crois que l'on puisse dire ça. Un exemple le montre très bien : la plus grande opération qu'il y ait eu en Afrique par une armée européenne, c'était l'Opération Turquoise, pendant le génocide au Rwanda, en 1994, entre avril et juin on a massacré un million de gens sur une population de sept millions. Ce génocide a été le travail de l'armée rwandaise qui encadrait aussi des milices. Cette armée était le produit de l'armée belge, travail repris depuis les années 80 par l'armée française. L'entraînement de cette armée était fait par les Français à tous les poste importants du quartier-général, de l'état-major de cette armée, il y avait les conseillers français et aussi belges…

Et vers la fin de ce génocide, le FPR, le mouvement qui combattait les génocidaires, était en train de battre cette armée génocidaire, mais l'armée française a envoyé une force militaire au Rwanda -l'Opération Turquoise, soi-disant pour des raisons humanitaires… Ils ont occupé un terrain au sud du Rwanda et là, ils ont laissé rentrer toutes les milices et les militaires de l'armée génocidaire et ils ont empêché l'avance du mouvement qui se battait à ce moment-là contre le génocide. Ils ont donc permis aux génocidaires de se replier au Congo où ils se sont installés : environ un million de personnes.

C'était important pour la France à ce moment-là parce que le Rwanda, c'était la porte d'entrée pour prendre les richesses du Congo. Le Rwanda, c'était entre la sphère d'influence anglophone et le Zaïre sous l'influence francophone. Et donc perdre le Rwanda, c'était le début de la perte de l'Afrique centrale. Or, la France voulait garder cette carte qui était l'armée qu'ils avaient formée. C'est pour ça qu'ils ont voulu sauver cette armée. Cela a donc créé entre 94 et 96, à l'est du Zaïre, des immenses quantités de réfugiés, encadrés par des milices et des soldats génocidaires qui voulaient reprendre le Rwanda.

Donc, on peut dire que la France de Mitterrand était complice du génocide ?

Il a été complice et pire; la France a vraiment donné de l'aide militaire aux génocidaires, les a protégé et a continué à les armer entre 94 et 96 pour relancer la guerre.

Avec des exemples plus récents d'intervention militaire de l'armée française – je pense au Sénégal, au Togo, à la Côte d'Ivoire – est-ce que là aussi, on a des indications que ce n'est pas pour séparer des populations, comme on nous le dit dans le vidéo-trottoir, mais pour des intérêts économiques et stratégiques ?

Il est clair que la France, à partir de la colonisation, a amassé beaucoup d'intérêts économiques. Par exemple, au Sénégal, il y a 250 sociétés françaises qui ont en tout un chiffre d'affaire de plus d'un milliard d'euros. En Côte d'Ivoire, plus de 70% est sous le contrôle de la France, 70 % aussi de toutes les activités portuaires. Donc, ils ont beaucoup d'intérêts économiques.

Récemment, le gouvernement de Gbagbo en Côte d'Ivoire a commencé à se comporter de façon un peu plus indépendante vis-à-vis de la France, qui n'a pas hésité à créer une situation de guerre civile. Elle est intervenue et quand il y a eu des manifestations très importantes en novembre 2004, l'armée française a tiré avec des armes sur des manifestants qui n'étaient pas armés. Il y a eu 64 morts. On voit qu'il ne faut avoir aucune illusion sur les intentions plus humaines ou humanitaires des pays comme la France.

Tu disais que le Rwanda, c'est un peu la charnière entre la zone d'influence anglo-américaine et la zone française… Est-ce qu'aujourd'hui en Afrique, la rivalité entre l'Europe et les USA pour contrôler les importantes richesses dont l'économie mondiale dépend beaucoup, est-ce que cette rivalité peut expliquer de tels crimes ?

Autrement dit : est-ce que la guerre économique dont on a parlé débouche aussi sur une guerre tout court avec des morts en Afrique ?


Il est clair que sans cette rivalité, il n'y aurait pas eu ce génocide au Rwanda et il n'y aurait pas eu cette guerre au Congo avec quatre millions de morts. Il faut dire que ce sont les guerres les plus sanglantes depuis la Seconde Guerre mondiale.

On parle peu des USA en Afrique, est-ce qu'on sous-estime leur importance ?

Oui, parce que les Etats-Unis n'y envoient pas des soldats comme en Irak. En Afrique, on déteste les Français, et les USA se présentent comme ceux qui n'ont pas eu de colonie et qu'ils ont eux même été colonisés. Alors, ils se présentent comme les alliés naturels de ceux qui combattent les anciens colonisateurs.

Ceci doit être ajouté à leur force. Parce qu'il faut dire que l'impérialisme américain est beaucoup plus fort que l'impérialisme européen. Donc, ils ont vraiment pris l'initiative dans les années 90. Et de l'autre côté, des puissances comme la France ou la Belgique ne veulent pas perdre leurs intérêts, leur sphère d'influence. Et ça contribue largement à ces guerres.

Votre groupe de travail essaye de développer la solidarité avec les peuples africains. Les révolutionnaires africains doivent être dans une situation très complexe avec ce jeu de grande puissances ?

Il faut bien reconnaître le rôle très dangereux des Etats-Unis. De l'autre côté, les anciennes puissances coloniales savent qu'elles ne peuvent plus continuer comme avant. Avant, elles avaient des armées directement contrôlées par les armées française ou belge… A des postes importants de l'armée au Togo, par exemple, ou du Rwanda dans le temps, il y avait des conseillers français ou autres.

Maintenant, ils n'arrivent pas à garder le contrôle et donc il cherchent à le récupérer et pour eux l'Euro-Armée peut être une solution. Par exemple, au Congo, en été 2003, il y a eu l'opération « Artémis ». C'était la première opération conjointe des différentes armées européennes. Pendant cette opération, notre premier ministre Verhofstadt a dit que c'était une façon de revenir sur le terrain. Aprés le génocide au Rwanda, le gouvernement et le parlement belges ont décidé de ne plus envoyer de soldats ni au Rwanda, ni au Congo. Donc, ceci leur permet de revenir en Afrique sous la couverture d'une armée européenne.

Par à ce que les gens expriment dans le vidéo-trottoir, il y a des illusions donc. Car fait les motivations de la France et de l'Europe en Afrique sont impérialistes aussi, même si la France est une puissance beaucoup plus petite, beaucoup plus faible que les USA. Des illusions dangereuses donc. Et d'autre part, une sous-estimation du rôle des USA qui sont en train de s'infiltrer et de prendre le contrôle partout…

Vanessa Stojilkovic :

Réalisatrice du film Les Damnés du Kosovo

« La guerre – des USA ou de l'UE – ce n'est pas exotique, c'est contre nous aussi »


Notre dernière intervenante est Vanessa. J'en suis certain : lorsque, dans le Vidéo-trottoir, quelqu'un a dit que l'intervention militaire au Kosovo, ça c'était bénéfique, j'imagine qu'en tant que Yougoslave vous avez dû beaucoup discuter après avec cette personne ? Quand l'Union Européenne fait la guerre, est-ce humanitaire ?

C'est vrai que ça me fait bondir, mais depuis le temps, j'ai l'habitude. Est-ce que la guerre que l'Europe a menée avec l'OTAN était plus démocratique ? Malheureusement, vous n'aurez pas l'occasion de demander aux deux mille civils – tués dans leur usine, à l'hopital ou tout simplement chez eux par les bombes – si les bombes françaises leur ont fait moins mal que les bombes américaines. Les bombes ne peuvent pas être humanitaires.

Un autre aspect très important, qu'on oublie beaucoup, c'est que la guerre, ce ne sont pas que les bombes. Une des premières mesures que l'Europe a prises contre la Yougoslavie c'est l'embargo. L'embargo est assassin, je peux en témoigner. Ma famille, toute ma famille, au sens large, nous étions une soixantaine en 1991. Pendant les bombardements de 99, personne n'a été tué. Par contre, l'embargo, que ce soit directement ou indirectement, il nous a fait perdre trente membres de la famille. Donc la guerre, ce n'est pas que des bombes. C'est aussi d'autres armes, tout aussi cruelles, barbares et inhumaines.

Ma grand-mère est décédée parce qu'elle n'a plus eu d'insuline pour son diabète et ça n'est qu'un exemple. Pareil pour les cancers qui tuent en trois mois, des cancers développés suite aux bombardements. Pareil pour quantité de maladies qui se soignent très bien ici, mais qui, là-bas, ne pouvaient plus être guéries, notamment à cause de l'embargo qui bloquait les médicaments.

Je voulais dire aussi : j'avais été surprise, en arrivant en Belgique, quelqu'un m'avait dit que la Belgique ne faisait pas partie de l'OTAN, que la Belgique ne faisait pas des choses comme ça. Alors, je veux vous lire une petite citation du général Herteler, chef de l'état-major belge pendant cette guerre : « Peut-être nous devons faire ressentir les bombardements en faisant mal à la population serbe elle-même, infligeons-leur des pertes, touchons-les dans leur confort. La plus grande catastrophe ne serait pas qu'il y ait des pertes de vies mais que les opérations de l'OTAN ne soient pas un succès. » Voilà, ça c'est l'armée belge, c'est l'armée que vous financez, ce sont les bombes qu'ils ont jetées en votre nom !

L'Union Européenne a dit que son intervention été nécessaire parce qu'il fallait séparer les peuples qui se détestaient…

Oui c'est toujours l'argument utilisé. Les médias, quand il nous présentent un conflit auquel nous participons, ils le présentent toujours de manière acceptable pour l'opinion publique. Quand on voit comment les médias ont fait la propagande pour le « Oui » à la Constitution, on peut quand même se demander : quand il s'agit de la guerre pour des intérêts économiques, est-ce que notre info est bonne ?

Dernièrement, un média-mensonge a permis de faire une guerre qui est encore en cours. Il s'agit des « armes de destruction massive » créées par le démissionnaire Alastair Campbell, conseiller en communication de Tony Blair. Eh bien, j'ai le grand plaisir de vous apprendre que c'est ce même Alastair Campbell qui nous a informé sur le Kosovo : le génocide, les charniers, la purification ethnique, etc. C'est lui qui organisait les conférences de presse de Jamie Shea, le porte-parole de l'Otan pendant toute la guerre contre la Yougoslavie.

On pourrait se dire que là, il disait la vérité et qu'il nous a menti seulement pour les armes de destruction massive. Pourtant, toutes ces infos de charniers et de génocide ont été démenties officiellement. Mais discrètement puisqu'on n'en a pas entendu parler dans les grands médias.

A présent, il y a à nouveau une campagne sur Srebrenica, il faut savoir qu'il y a actuellement un chantage sur la Serbie pour son adhésion à l'Europe, elle se fera en 2012 à condition que la Serbie accepte la version occidentale du massacre de Srebrenica. Ca veut bien dire qu'apparemment il y a une autre version, suffisement convaincante pour qu'on fasse un tel chantage.

Séparer les peuples est toujours un bon argument pour cacher l'agression elle-même. On entend dire que, oui l'Europe a une responsabilité, parce que l'Allemagne a reconnu la Croatie et tout le monde disait que ça allait déclencher une guerre civile. Mais en fait la responsabilité est bien plus grande : elle remonte à 1979, quand le BND qui est l'équivalent de la CIA pour l'Allemagne, envoie des agents secrets en Croatie pour soutenir et mettre au pouvoir Franjo Tudjman, qui est le Le Pen croate. Tudjman devient président. Publiquement, il remercie Dieu que sa femme ne soit ni serbe ni juive, il rétablit le drapeau fasciste croate, il réhabilite des anciens fascistes… Ce ne sont que quelques exemples pour faire bref. Les Etats-Unis ont soutenu eux le camp bosniaque musulman, soit le président Izetbegovic, un ancien membre de la jeunesse hitlérienne. Ils ne sont pas venus séparer les peuples, non, ils sont venus attiser ce qu'il y avait de plus dangereux en Yougoslavie.

Il y avait un arrière-plan économique ?

Tout est là, oui. Les objectifs n'étaient absolument pas humanitaires mais économiques. En fait, à la chute du Mur, l'Occident n'a plus eu besoin de cette Yougoslavie qui était en fait une vitrine financée par les Etats-Unis parce qu'elle propsait à l'époque de la guerre froide une troisième voie, une alternative entre socialisme et capitalisme. Financée par les Etats-Unis qui ne supportaient plus de voir tous ces pays basculer dans le socialisme, la troisième voie était un moindre mal.

C'était une stratégie pour lutter contre le socialisme et l'influence de l'URSS.

Donc, à la chute du Mur, la Yougoslavie n'avait plus de rôle à jouer pour le capitalisme et pouvait à son tour subir sa reconversion. A savoir, offrir aux multinationales un contrôle total. Comme elle l'entreprenait dans le reste du monde à l'époque de la globalisation.

Il fallait pour cela commencer par supprimer tous les droits des travailleurs qu'on pouvait envier. Pour donner un exemple, en Yougoslavie, les directeurs étaient élus par les ouvriers de l'usine et pouvaient être renvoyés par eux. Ce qui est scandaleux évidemment, du point de vue des patrons. Ces travailleurs solidaires représentaient une force de résistance qu'il fallait à tout prix détruire… Et la Banque mondiale et le FMI ont commencé par mettre l'économie en faillite. Ensuite, l'Occident a soutenu les nationalismes.

Ceci faisait croire que la crise provenait non pas d'une stratégie pour la privatisation, mais de la fainéantise des autres minorités nationales. Le licenciement de deux-tiers des travailleurs complétait la crise et le démantèlement de la Yougoslavie devenait un succès. Grâce à la guerre, menée du point de vue des patrons et des régimes capitalistes qui se frottaient les mains de pouvoir récupérer cette main-d'oeuvre extrêmement qualifiée et bon marché. L'objectif était d'éliminer tous les vestiges du socialisme.

Ensuite, par les bombardements sur la Yougoslavie, ils ont pu détruire toutes les usines d'Etat. Par contre, les usines privées ont été miraculeusement épargnées. Peut-être ont-elles bénéficié de ces « frappes chirurgicales » ? Mais comme la population était toujours derrière son président, il y a eu en 2000 une campagne de la CIA qui a financé une coalition de l'opposition. Notamment un groupe de jeunes qui se sont appelé "Otpor". Ce qui signifie résistance. En fait, pour renverser la résistance du gouvernement serbe aux pressions des multinationales qui voulaient privatiser toute l'économie du pays.

Cette campagne fut une réussite, c'est un gouvernement pro FMI qui est arrivé au pouvoir. Résultat le prix du pain est passé de 4 à 30 dinars, le prix de l'électricité a été multiplié par quatre, or, le chauffage urbain à Belgrade est électrique et les hivers sont à – 25 dans cette région au climat continental.

Tout a été privatisé du jour au lendemein, avec licenciements sans indemnités grâce aux changement apportés à la nouvelle Constitution plus "démocratique" dans laquelle les travailleurs ne bénéficiaient plus d'aucun droit.

La santé était gratuite avant. Maintenant, il faut absolument tout payer. Quand on doit aller à l'hôpital, il faut payer toutes les factures, du chirurgien à la seringue, et il faut apporter ses draps et sa nourriture. Tout ça alors que la population n'avait plus de revenu et venait de subir un embargo de plus de dix années.

La guerre contre la Yougoslavie est une guerre de la globalisation, une guerre de la privatisation. Prenons un exemple, pour montrer cette rivalité entre l'Europe et les USA… US Steel, la sidérurgie américaine a racheté Sartid, les plus grandes forges des Balkans. US Steel ferme progressivement aux USA et va innonder le marché européen d'acier à bon marché produit dans les Balkans. Du coup, la sidérurgie belge n'aura pas d'autre choix que de faire pareil ou de licencier. Parce qu'elle ne peut être aussi compétitive que ces travailleurs yougoslaves payés un dollar de l'heure (après avoir fait grève pendant plusieurs semaines) !

La France et l'Allemagne ne sont pas restées sans rien puisque la France a récupéré tout le réseau de téléphonie mobile au Kosovo. Avec ces 45.000 soldats internationaux qui appellent leurs familles, il y avait du beurre à se faire. L'Allemagne a racheté l'électricité, c'est pour cela que le prix a été multiplié par quatre afin d'assurer à l'Allemagne de bien meilleurs bénéfices.

Ca veut dire que, lorsque la France, l'Allemagne, les USA font la guerre, c'est à la fois contre les peuples là-bas mais aussi contre l'emploi ici et les conditions de travail ?

Oui, et c'est pas fini parce qu'il s'agit également d'installer des bases militaires pour attaquer un peu plus loin. Mais ces guerres sont en effet contre nous ici, puisqu'elles visent à détruire l'indépendance économique des pays. Ce qui met en chantage tous les travailleurs de toute la planète.

Et surtout quand l'Europe fait la guerre, elle la fait en notre nom, avec notre argent et contre nous. Parce que : 1. Elle est financé avec nos impôts. 2. Ce sont nos enfants qui vont faire cette guerre et pas les enfants des patrons, vous n'avez qu'à voir les campagnes de recrutement pour l'armée qui s'adressent aux chômeurs ayant de faibles diplômes. Et 3. Ce sont nos conditions de travail qui régressent parce que nous sommes mis en concurence avec ces travailleurs à bon marché que l'embargo et la guerre ont mis à genoux. Et ça va jusqu'à la fermeture des usines ici pour les rouvrir là-bas.

La guerre, ce n'est que la continuité de la loi de la compétitivité, un aboutissement de notre système. C'est la guerre pour la main d'œuvre, pour des nouveaux marchés, pour évincer les concurents. La guerre, ce n'est ni exotique, ni le résultat de la haine. Non, la guerre fait vraiment partie du système. Sans la guerre, le système capitaliste ne pourrait pas fonctionner.

Nous avons tous une responsabilité et nous en sommes tous victimes à la fois.

De ceci, on peut donc retenir que c'est toujours la même guerre, que c'est une guerre à la fois contre eux là-bas et contre nous ici.

On se rend compte qu'on se trouve face à un chantage général, diviser et monter les gens les uns contre les autres. Toujours pour enrichir un pour mille de la population. On se retrouve donc tous en face du même problème. Après une courte pause, nous écouterons les questions du public…

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