Point de vue laïque et féminin sur la mort du pape

Au terme d’une « agonie spectacle » très médiatiquement mise en scène par son entourage, il est impossible de décréter à chaud si le règne pontifical de Jean-Paul II sera jugé ou non par l’histoire religieuse comme un « grand » règne.

Objectivement, on peut seulement en dire que ce fut un long règne (par rapport à ceux de Jean XXIII et Jean-Paul Ier évidemment, mais pas par rapport à celui de Pie IX qui dura 32 ans) et extrêmement politisé.

Tout autre bilan dépend totalement du point de vue de l’observateur. Pour moi, femme et laïque, je mettrais dans le plateau de la balance son anti-féminisme, sa volonté de procéder à une contre-réforme de l’église et de la réaffirmer comme une puissance politique conservatrice.

L’anti-féminisme du pape s’est drapé dans une mariolâtrie très polonaise qui a été un vrai obstacle à la progression du dialogue oecuménique avec les protestants.

Si Jean-Paul II a célébré la femme céleste sous la métaphore typique des fantasmes les plus machistes (vierge et mère!) il a par contre écrasé d’une manière qu’il voulait définitive les aspirations des femmes catholiques à l’égalité.

Prenant les prétextes « historiques » les plus éculés et les moins convaincants( « le Christ a choisi de s’incarner dans le sexe masculin »), il a établi en 1994, du haut de son infaillibilité, qu’il serait interdit aux femmes, jusqu’à la fin des temps et sans que la question puisse être reposée, d’accéder au sacerdoce et donc par conséquent à toute fonction de pouvoir dans l’Église.

Ces déclarations formelles sont un cadavre fameusement encombrant que son successeur ne pourra manquer de voir ressortir, tôt ou tard, par les femmes catholiques qui ne sont pas – quoique Jean-Paul II ait pu espérer – imperméables à l’évolution générale du rôle des femmes. Ce sont probablement elles qui remettront en question les déclarations de Jean-Paul II se voulant également définitives, pour condamner non seulement – cela est bien connu – l’avortement et la contraception « artificielle », mais aussi – on a moins fait d’écho à ces déclarations-là mais elles sont formelles – toute forme de contraception soustrayant les relations sexuelles à la puissance divine sur la procréation . Sur ce terrain où les femmes n’accepteront aucune marche arrière, il est certain que les recommandations formelles de Jean-Paul II ne pouvaient dès leur énoncé qu’être considérées par les catholiques occidentales comme lettres mortes, nulles et non avenues, à enfreindre immédiatement et avec de moins en moins de problèmes de conscience. Il a à cette occasion accéléré la sécularisation de la vie sexuelle et le décalage entre la pratique des couples – mêmes catholiques – et l’enseignement de l’Église. La volonté radicale et crispée de Jean-Paul II de contrôler la morale des couples a accentué ces contradictions et largement contribué à l’abandon de la pratique religieuse.

La vision conservatrice de la femme chez Jean-Paul II fait partie de la vision conservatrice de l’Église et de la société qu’il a tenté d’appliquer en « reprenant en mains » l’Église « dévoyée » par trop de libéralisme et d’innovations suite au concile de Vatican II.

Car une des ambiguïtés de Jean-Paul II a toujours été de se référer théoriquement au concile (comme sur le plan politique aux droits de l’homme) pour, de fait, s’attaquer aux ouvertures pratiquées par Vatican II.

Ainsi, le dialogue interreligieux, toujours prôné théoriquement, est bloqué non seulement par rapport aux protestants, mais aussi à l’Est par un prosélytisme agressif téléguidé depuis le Vatican contre les orthodoxes, et envers les juifs, par une condescendance sans véritable mea culpa de l’Eglise en tant que telle (cf. l’encyclique « Nous nous souvenons – Réflexions sur la Shoah » ).

Jean-Paul II a mené la « contre-réforme » de l’Église catholique sous diverses formes. On ne pourra passer sous silence la condamnation et la mise à l’écart de tous les théologiens catholiques originaux, ayant tenté d’intégrer à la théologie les apports du XXe siècle (Hans Küng, Edward Schillebeeckx, Eugène Drewermann…).

De même, le pape récemment décédé a lutté par tous les moyens contre l’inculturation de l’Église dans les cultures non occidentales, inculturation considérée à Rome comme une perte de son authenticité.

Mais c’est sur le plan politique que le caractère résolument conservateur de Jean-Paul II s’est le plus clairement manifesté.

On sait ses contacts avec la C.I.A. afin d’obtenir pour « Solidarité » les moyens de déstabiliser le régime communiste en Pologne. Son rôle a été décisif dans la chute des Etats-partis de l’Est, mais, dix ans après l’euphorie de ce moment, il faut se demander loyalement si l’établissement d’un seul régime économico-politique mondial a été autre chose qu’une formidable victoire pour les politiques les plus réactionnaires, ayant en tout cas plongé dans la misère la plus profonde des millions d’habitants de l’Est qui y échappaient auparavant par des politiques sociales d’emploi, de logement, de santé et de protection de l’enfance. Jean-Paul II a toujours officiellement nié qu’il faisait de la politique mais celle-ci a été l’activité principale de son règne. Les questions de foi et de religion sont d’utilité réduite pour saisir les enjeux majeurs de son pontificat. Il s’agit seulement de suivre la stratégie du chef d’une institution politique, marquée par son caractère politiquement réactionnaire.

Dans la mesure de ses moyens diplomatiques et moraux, il a ainsi soutenu la Croatie, la tyrannie à Haïti et dans de nombreuses dictatures Sud-américaines, la force nucléaire française, mais par contre, il a condamné les théologiens de la Libération (il leur confisquera même ce concept), ou des prêtres progressistes tels que Mgr Gaillot en France.

Au-delà d’un discours banal d’amour pour les pauvres, il a agi contre les défenseurs de ceux-ci et avancé ses pions pour préparer à son successeur une Église hautement réactionnaire. Ses nominations d’évêques fidèles à l’Opus Dei, parfois violemment imposées contre la volonté des fidèles, en sont une manifestation tactique.

Quelle Église lègue-t-il à son successeur?

Celui-ci devra compter avec cette majorité d’évêques réactionnaires nommés par Jean-Paul II.

Mais il sera extrêmement difficile pour lui de remplir les églises d’Occident et de réaliser un retour de la foi, toujours annoncé mais qui tarde à se manifester.

Les statistiques publiées par les Églises catholiques (et notamment l’archevêché de Malines – Bruxelles) sont formelles : sous le pontificat de Jean-Paul II la pratique religieuse s’est effondrée, la foi s’est effritée, les ordinations se sont raréfiées.

Si certains catholiques consternés par l’obscurantisme du pape ont bruyamment claqué la porte (je pense pour notre pays au professeur Karel Dobbelaere de la K.U.L., passé au protestantisme), beaucoup sont partis sur la pointe des pieds.

Devant ces désertions massives en Europe, le pape a tenté d’opérer une délocalisation générale de l’Église vers le Tiers-Monde dont on ignore encore si elle s’avérera payante. Pour nos régions, nous avons sans doute assisté sous le règne de Jean-Paul II – et malgré la haute médiatisation du personnage – à un effondrement historique de l’Église catholique par faute d’adaptation.

Au cours du pontificat de Jean-Paul II, dans quasiment toute l’Europe, l’Eglise, en tant qu’institution, a perdu ses capacités de prescrire des comportements et même des croyances.

Cet événement, probablement dramatiquement irréversible pour l’Église, pousserait plutôt la laïque que je suis à marquer d’une pierre blanche le pontificat de Jean-Paul II et à souhaiter à son successeur de poursuivre dans la même voie…

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