Pauvreté à Gaza : "Moi aussi, j'ai pleuré, Marianne…"

Gaza, l’irrésistible ascension de la misère

Pour un visiteur ordinaire, la pauvreté se voit peu à Gaza. Et pourtant, elle existe. Mais on ne l’étale pas ou le moins possible. Et les jeunes gens sortent de leur pauvre maison chemise blanche ou T-shirt impeccablement repassé. Quant aux jeunes filles, la jalabyia leur permet de s’habiller sans trop de frais. Depuis le gouvernement du Hamas, les rares mendiants ont disparu des rues. Les nuées de petits gamins qui vendaient biscuits, mouchoirs en papier, chewing-gum et autres babioles aux automobilistes ne sont plus là non plus. Mauvaise image pour le gouvernement.

Revue de l'association belgo-palestinienne, septembre 2007

Mais les chiffres sont là. Le blocus imposé à la Bande de Gaza a aggravé la pauvreté qui sévissait déjà. Vu la pénurie de vivres, le prix des produits de base (huile de cuisson, farine, sucre, lait) a augmenté de 30% et plus. En juillet, la Commissaire générale de l'UNRWA, Karen Abou Zayd , a d’ailleurs appelé à une aide financière d’urgence (30 millions de dollars) : 90% des familles de réfugiés vivant sous le seuil de pauvreté, soit 780.000 personnes . Même le secrétaire général de l’ONU , Ban Ki-moon, s’est ému de la situation ; il a noté « en particulier les nouveaux chiffres publiés par la Banque mondiale qui montrent que, le mois dernier (juin 2007) seulement, 3.190 commerces ont fermé, poussant plus de 65.000 personnes au chômage ». Il a prévenu que « Si on laisse s'écrouler ce qui reste de l'économie de Gaza, la pauvreté, qui touche déjà les deux tiers des ménages, s'accroîtra davantage et la population de Gaza deviendra pratiquement totalement dépendante de l'assistance humanitaire. » Et de demander la réouverture de tous les points de passage. Sans aucun effet.

Blocus et pauvreté extrême. Blocus et catastrophe sanitaire aussi. D’après les statistiques du Centre Palestinien des Droits de l’Homme, plus de 150 types de médicaments sont épuisés dans les hôpitaux et les cliniques. La majorité de ces médicaments sont essentiels pour soigner les maladies chroniques. Le centre note que 20 groupes de médicaments manquent dans toutes les pharmacies privées de Gaza, ce qui affecte sérieusement l’état de santé de milliers de personnes. Il y a deux semaines, des centaines de malades dialysés ont envoyé une lettre déchirante au Président palestinien Mahmoud Abbas et à son Premier ministre déchu Ismail Hanieyh, leur demandant de leur fournir le traitement dont dépend leur vie. De toute manière, de moins en moins de gens ont les moyens de se payer le médecin et les médicaments.

Derrière ces chiffres, il y a des visages, des drames personnels, une réalité que peu imaginent. La Coordination des femmes citoyennes du monde a décidé d’aider concrètement des familles dans le besoin. Elle ne parraine pas moins de 1200 familles à Jénine, 230 familles dans la Bande de Gaza et 320 scolarités d’enfants à Naplouse. Pour éviter les choix partisans, elle s’est adressée sur Gaza à des personnes dignes de confiance qui distribuent l’argent, réévaluent la situation des familles et proposent d’autres noms. Par ailleurs, des membres de la coordination téléphonent régulièrement aux bénéficiaires pour leur apporter un soutien moral. Nabila est l’une de ces personnes qui, sur place, va porter l’aide envoyée par la coordination. Son témoignage en dit long.

« Cette fois-ci, j’ai vécu trois histoires qui m'ont profondément touchées … La première lorsque j’ai donné les 100$ à une femme qui a cinq enfants et dont le mari ne travaille pas. Je l'ai appelée et elle m’a remercié pour la première somme et puis je lui ai dit " wlad ilhlala iftakarouki tani" ( les gens charitables ont de nouveau pensé à toi) En une seconde, les larmes. J’ai vu un espoir dans ces grands yeux … et elle est partie sans rien dire. Je l’ai rappelée et elle est revenue. Puis elle a pris son argent et, sans me dire un mot ou bien me jeter un regard, elle est partie. Je suis sûre qu'elle ne savait pas quoi dire ou bien comment vous remercier. La deuxième histoire s'est passée lorsque j'étais au supermarché. J'ai entendu le propriétaire demander à un homme de prendre tou ce qu'il voulait sans payer tout de suite. Lorsque l'homme est sorti, le propriétaire a expliqué à son copain que c'était un homme qui n'avait rien et qu'il lui devait plus 1500 shekel. Je lui ai demandé de me donner sa carte d'identité pour être sûre. Et puis je lui ai dit de me téléphoner dès que cet homme repasserait. Le lendemain, en fin de journée, l'homme est arrivé et, moi, je suis descendue avec les 100 $. Je lui ai dit que cette somme-là venait de Belgique de la part de femmes marocaines. Sa reaction ? "Tu sais je ne vais penser à rien. Ma femme avait envie d'aller à la plage depuis longtemps et je n'avais pas d’argent pour lui acheter quelque chose à y emmener. Je vais lui acheter des biscuits et du jus et je vais la prendre demain inshallah ». J’ai senti son cœur sauter de la joie.

Finalement, ma dernière histoire s'est passée avec un jeune homme de 24 ans, le jour de son mariage. Je passais pour chercher une femme et lui donner 100$ et je l'ai trouvée qui pleurait Je lui ai demandé pourquoi elle pleurait et elle m'a dit que le marié n'avait rien à porter et qu'il n'avait pas d'argent pour payer la sono. Alors, il n'avait pas de musique. J'ai donc appelé le marié et je lui ai dit « Un groupe des femmes de Belgique te disent "alf mabrouk" » en lui donnant l’argent. Il a insisté pour que j'assiste à la fête et je suis restée avec eux. Il était si heureux. Avant mon départ, il m'a demandé de vous dire un mot …. "min ghirkum kont mosh rah afrah" (Sans vous, je n'aurais jamais été heureux) … »

Dans une autre lettre, elle raconte ce qui lui est arrivé alors qu’elle allait à Beit Hanoun pour donner de l'argent à un homme dont la maison avait été détruite et qui a 3 enfants. « … sur le chemin, j’ai remarqué un homme sur la route qui s'explosait à pleurer. Il jurait comme un fou vers les voitures qu'il n'avait rien à donner à ses enfants depuis deux jours. Je suis sortie (du taxi) et je suis restée avec lui. Au début, Marianne, il m'a insultée mais je suis restée à côté en lui parlant sans qu'il me voie. J'ai senti sa douleur et, je te jure, j'ai senti à quel point j'adore ma Gaza … Finalement, l'homme m'a demandé si je veux voir ses enfants qui n'ont plus de maison et qui vivaient dans une tente de l'UNRWA. Je suis allée avec lui en oubliant toutes les traditions de la culture palestinienne qui m'empêche de marcher avec lui comme ça dans la rue. Je lui ai dit que je sentais très bien ce qu'il voulait me dire … Marianne, il s'est mis à genoux et il a pleuré et pleuré … Moi aussi, j'ai pleuré, Marianne … »

Marianne Blume

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