Paramilitaires, État et élites en Colombie : le mariage éternel

Depuis le début du XXe siècle, l’histoire de la Colombie a été ensanglantée par un conflit civil meurtrier, principalement dans les régions où l’extraction des ressources par les multinationales et les grandes entreprises nationales sont en œuvre.

En 1982, grâce à l’œuvre littéraire de Gabriel García Márquez, le monde entier prend connaissance de l’assassinat des dirigeants syndicaux en grève contre la multinationale United Fruit Company dans la région d’Urabá par l’armée nationale colombienne.

A l’occasion de ces exactions, l’État colombien va démontrer ce que sera sa politique: la défense de l’investissement et des exploitations par les grandes entreprises étrangères, au détriment de la garantie des droits de l’homme, des droits des personnes et de celui des populations locales.

Désormais, les entreprises comme Nestlé, ou Coca Cola, Chiquita Brands (United Fruit Company), le plus grand opérateur de charbon dans le pays Drummond, Monsanto, anglogold Ashanti de l’Afrique du Sud, la British Petroleum Company, Repsol YPF, Union Fenosa, Endesa, Canal Isabel II, Aguas de Barcelona ou encore Telefónica, entre autres, bénéficient d’une forte protection juridique, politique et militaire de la part de l’Etat. Malgré les meurtres, l’accaparement des terres et les déplacements de populations forcés, les disparitions et toutes sortes de crimes contre la population civile, l’état d’impunité est presque total.

En conséquence, tant en Colombie et qu’en Amérique latine, émergent des formations paramilitaires en réponse à l’augmentation des groupes rebelles qui s’opposent à la concentration des richesses dans les mains de quelques uns, en réponse également à la confiscation des terres et à l’assassinat de ceux qui s’organisent au sein de mouvements pour le changement social.

Ces groupes paramilitaires, dont le développement s’effectue dans les années 80, se présentent principalement comme une milice privée paramilitaire dédiée à la défense des terres détenues par les grands propriétaires terriens et les grandes multinationales dans le pays. Avec la dynamique de la guerre en Colombie, qui dure maintenant depuis plus de 50 ans, ces mouvements commencent à montrer leur efficacité mortifère.

{{ {{{Une «externalisation»: Paramilitarisme et Etat faible}}} }}

De manière progressive, ceux qui avaient commencé en tant que groupes locaux et escadrons de la mort, selon le modèle paramilitaire proposé par Stathis Kalyvas, deviennent de grandes milices armées et paramilitaires. L’action de ces groupes vise à mettre en place un état parallèle qui puisse coexister avec l’État dans une connivence tacite. Cette stratégie va leur permettre de s’emparer d’une partie du pouvoir, en plaçant leurs alliés régionaux à des postes d’élus comme maires et gouverneurs.

Ainsi, cette stratégie a permis à l’oligarchie colombienne et aux élites régionales de maximiser leurs profits sur le terrain. Des profits et des intérêts qui consistent, avant tout, à mettre les grandes multinationales bien à l’abri de toutes protestations et de potentielles luttes sociales qui pourraient mettre en question leurs réseaux.

La faiblesse de la réglementation de l’État a abouti au monopole de la violence, au sens wébérien du terme, par ces groupes paramilitaires, créant ainsi «de facto» et même « de jure » une externalisation ou privatisation de la violence. Dans la plupart des cas, l’Etat a encouragé et maintenu leur existence face à ceux qui détiennent le pouvoir de l’Etat, alors que dans d’autres cas, il a permis à la complicité internationale d’exterminer toute tentative de révolte par des mouvements sociaux.

{{ {{{L’oligarchie multinationale et nationale des paramilitaires : bénéficiaire direct}}} }}

Les anciens chefs des Forces de Défense de Colombie (paramilitaires démobilisés), ont avoué au Bureau du procureur général avoir reçu des fonds de sociétés bananières multinationales américaines opérant dans la région d’Urabá (nord-ouest).

En mars 2007, même, la multinationale américaine Chiquita Brands a accepté une amende des États-Unis pour avoir effectué des paiements aux paramilitaires. Ces déclarations ont été faites en vertu de la Loi « justice et paix ». Et de fait, depuis 2005, ces anciens chefs ont démobilisé seulement une partie de ces groupes hors la loi. Ce processus de paix avec les paramilitaires qui pourtant est resté sans succès, a au moins contribué à faire éclater quelques parcelles de vérité et à démasquer des gouvernements passés et récents. Dernièrement, ces chefs paramilitaires ont même révélé avoir collaboré avec l’actuel président Juan Manuel Santos et l’ancien vice-président Francisco Santos (son cousin), ce que ces derniers ont évidemment démenti.

Ce n’est pas un hasard si les domaines de ressources comme l’extraction de pétrole, de l’énergie et des minéraux sont militarisés. Il y a par exemple, le cas d’Arauca, dans l’est du pays, où des actions paramilitaires, des opérations de garde de la multinationale contre les protestations constantes des agriculteurs, des autochtones et des syndicats sont monnaie courante pour ces populations.

Comme le suggère le conflictologue Kalyvas, de l’Université de Yale, le fait que les paramilitaires apparaissent comme une structure purement défensive, n’empêche pas que dans un «état de guerre» ces groupes créent les conditions favorables d’un point de vue politique et économique, pour renforcer cette situation de désordre et de troubles.

{{ {{{Les mouvements sociaux et le processus de paix en cours}}} }}

Malgré les efforts de cet Etat colombien en transition, dans lequel ont pourtant été créés des règlements et des entités publiques pour indemniser les victimes du conflit et restituer les terres spoliées, certaines branches de ces forces de sécurité persistent à entraver tout effort institutionnel. Les tentatives visant à réformer le pays à travers un véritable tournant politique et social restent donc, lettre morte.

Malgré aussi, l’établissement d’un Bureau des négociations, à La Havane en septembre 2012, entre le gouvernement national et les FARC, des problèmes persistent pour entériner la fin du « post-accord » politique en Colombie : à savoir, les revendications de l’élite créole pour le processus de paix. Un accord pour mettre fin au conflit armé permettrait aux élites multinationales et régionales d’exploiter les forêts qui abritent actuellement beaucoup de membres de l’insurrection. Si ces structures étaient démobilisées, on pourrait offrir plus de territoires, riches en ressources naturelles aux populations locales. Un autre problème du Bureau de La Havane est que le phénomène paramilitaire ne se pose pas comme « LE » grand problème national. En outre, il y a la tendance à centraliser le «post-conflit» comme un combat uniquement contre les guérilleros et non pas avec les paramilitaires, même au sein des forces de sécurité. Ces derniers ont mis en place des structures très organisées pour exercer leur pouvoir en dehors même de la chaîne de commandement officielle de l’armée, déclare Kalyvas dans «La puissance paramilitaire, Paramilitarisme : Une perspective théorique»,

Dans ce grand mouvement de «consolidation de la paix », 55 défenseurs des droits humains ont été tués et 488 ont reçu des menaces de mort, l’année dernière, selon le portail Verdad Abierta. Selon Héctor González Cubillos Tolima Branch, président de l’Union nationale des professionnels de la sécurité, les syndicats en Colombie sont devenus des syndicats de droite, défendant plus le patron que les travailleurs. Plus de 170 meurtres de leaders syndicaux ont eu lieu ces dernières années et plus de 90% de cas ont été laissés libres en toute impunité, selon la Confédération générale des travailleurs CGT. Aussi, quand ils parlent de consolidation de la paix, de quelle paix parlent-ils ?

De surcroît, les grands médias du pays ont aussi été responsables de la perpétuation de la stigmatisation des mouvements sociaux, paysans, indigènes, étudiants et travailleurs, à travers des articles et des émissions, disant qu’ils sont liés à l’insurrection. Ainsi, les grands médias officiels répètent constamment au peuple colombien la chose suivante : il faut se méfier de ceux qui travaillent pour le changement social et la lutte politique.

Il semble en fait, que ces médias justifient l’existence de ces groupes paramilitaires pour créer dans les consciences collectives, une culture du Paramilitarisme, comme en témoigne le succès des politiques et des pratiques de l’ex-président Álvaro Uribe Vélez, encore aujourd’hui ancrées dans la réalité de nombreuses régions du pays.

Traduction : Collectif Investig’Action

Source : [Le Journal de Notre Amérique n°3->http://investigaction.net/Le-Journal-de-Notre-Amerique-no3.html], Investig’Action

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