Océan Indien : ici se joue la grande bataille pour la domination mondiale

Le sort du monde se joue-t-il aujourd’hui dans l’océan Indien ? Surmonté par l’arc de l’Islam (qui va de la Somalie à l’Indonésie en passant par les pays du Golfe et l’Asie centrale), la région est bien devenue le nouveau centre de gravité stratégique de la planète. Ce nouveau chapitre de notre série « Comprendre le monde musulman » nous y emmène en croisière. Mohamed Hassan* nous explique comment le développement économique de la Chine bouleverse les rapports de force mondiaux et sort les pays du Sud de leur dépendance à l’Occident. Il nous dévoile aussi les stratégies mises en place par les Etats-Unis pour tenter de garder le leadership. . Et pourquoi l’empire US est néanmoins voué à s’éteindre. Enfin, il nous prédit la fin de la mondialisation. Reste à savoir si ce hold-up planétaire se terminera sans heurts, ou si les braqueurs liquideront des otages dans l’aventure.


De Madagascar à la Thaïlande en passant par la Somalie, le Pakistan ou la Birmanie, le bassin de l’océan Indien est particulièrement agité ! Comment expliquez-vous ces tensions ?
Les rapports de force à l’échelle mondiale sont en plein bouleversement. Et la région de l’océan Indien se trouve au cœur de cette tempête géopolitique.

De quelle région parle-t-on exactement ?
Elle va de la côte orientale de l’Afrique jusqu’au sud de l’Asie. Avec un lac (la mer Caspienne), et trois rivières : la mer du Golfe, la mer Rouge et la mer Méditerranée.
Pourquoi cette région est-elle si importante ? D’abord parce que 60% de la population mondiale est concentrée en Asie et se trouve connectée à l’océan Indien. A elles seules, la Chine et l’Inde représentent 40% de la population mondiale. En outre, l’émergence économique de ces deux puissancesa fait de l’océan Indien une zone particulièrement stratégique. Aujourd’hui, 70% du trafic pétrolier mondial passe par cet océan. Ce pourcentage devrait augmenter avec les besoins croissants des deux pays. Par ailleurs, 90% du commerce mondial se fait par bateaux containers et l’océan Indien accueille à lui seul la moitié de ce trafic.
Comme le prédit le journaliste américain Robert D. Kaplan, proche conseiller d’Obama et du Pentagone, l’océan Indien va devenir le centre de gravité stratégique mondial du 21ème siècle. Non seulement cet océan constitue un passage vital pour le commerce et les ressources énergétiques entre le Moyen-Orient et l’Asie de l’Est, mais il est aussi au cœur de l’axe économique qui se développe entre la Chine , d’une part, et l’Afrique et l’Amérique Latine, d’autre part.

L’essor de ces relations commerciales nouvelles signifie-t-il que le Sud est en train de se libérer de sa dépendance à l’Occident ?
En effet, certains chiffres donnent le vertige : le commerce Chine – Afrique a été multiplié par vingt depuis 1997. Celui avec l’Amérique Latine par quatorze en moins de dix ans ! L’Inde et le Brésil aussi collaborent plus étroitement avec le continent noir. Sous l’impulsion du développement chinois, les investissements Sud-Sud ont rapidement augmenté. Après avoir été pillé et saccagé durant des siècles, le Sud sort enfin de sa torpeur.

Pourquoi tant de pays d’Afrique et d’Amérique Latine se tournent-ils vers la Chine ?
Depuis des siècles, l’Occident s’est livré à un véritable pillage des ressources du Sud, empêchant ces pays de se développer, notamment à travers une dette odieuse. Mais la Chine propose de meilleurs prix pour les matières premières et elle investit dans les pays du Sud pour développer des infrastructures, des programmes sociaux ou des projets d’énergie non polluante. Elle a également supprimé les taxes à l’importation sur de nombreux produits africains, ce qui favorise grandement la production et le commerce de ce continent. Enfin, elle a également annulé la dette des pays africains les plus pauvres.
De plus, contrairement aux puissances occidentales, la Chine n’entend pas s’immiscer dans la politique intérieure de ses partenaires économiques. Lors d’une conférence ministérielle sino-africaine, le Premier ministre chinois Jiabao résumait ainsi la politique de son pays : « Notre collaboration économique et notre commerce s’appuient sur l’avantage réciproque. (…) Nous n’avons jamais posé de conditions politiques à l’Afrique et nous ne le ferons jamais non plus dans le futur. » Quelle différence avec les puissances occidentales qui n’ont eu de cesse de faire et défaire les gouvernements en Afrique ! Le Sud a soif d’indépendance : s’allier avec la Chine est une véritable opportunité pour étancher cette soif.
Enfin, les pays capitalistes occidentaux connaissent une grave crise économique, qui a des répercussions sur la Chine, mais ne l’empêche pas de maintenir une bonne croissance. Dans pareille situation, il est normal que les pays africains et latinos se tournent vers le partenaire économique le plus solide. Comme le soulignait le Financial Times, autrefois, le Brésil aurait été touché par la crise survenue aux Etats-Unis. Mais en 2009, son économie a continué de croître, et ce n’est pas un hasard si la Chine est devenue son principal partenaire économique.

Cet axe Sud-Sud défie l’hégémonie occidentale. Les Etats-Unis et l’Europe laisseront-ils la Chine empiéter sur leurs plates-bandes ?
Globalement, le développement de cet axe Sud-Sud présente deux menaces importantes pour les intérêts des puissances impérialistes, et particulièrement pour les Etats-Unis. Tout d’abord, il retire de la zone d’influence occidentale des pays riches en matières premières. Ensuite, il permet à la Chine de disposer de toutes les ressources nécessaires à la poursuite de son développement fulgurant. En pleine ascension, Pékin est en train de rattraper la première puissance économique : les Etats-Unis. Selon Albert Keidel, ancien économiste de la Banque Mondiale et membre de l’Atlantic Council, la Chine pourrait passer devant en 2035.
Aujourd’hui, Washington cherche donc à contenir l’émergence chinoise pour garder le leadership. Et le contrôle de l’océan Indien est au cœur de cette stratégie. La lutte contre la piraterie somalienne est d’ailleurs un prétexte invoqué pour positionner les forces de l’Otan dans l’océan Indien et préserver un contrôle des puissances occidentales sur ce bassin. Le Japon aussi a entamé la construction d’une base militaire à Djibouti pour lutter contre la piraterie.

On parle tantôt de pirates, tantôt de terroristes islamistes. Menace réelle ou prétexte ?
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de menace. Simplement, les puissances occidentales l’instrumentalisent pour asseoir leurs intérêts stratégiques dans la région. Comment la piraterie s’est-elle développée en Somalie ? Depuis plus de vingt ans, il n’existe pas de gouvernement dans ce pays. Certaines compagnies européennes en ont profité pour venir piller les poissons au large des côtes, et d’autres pour déverser des déchets toxiques. Dans ces conditions, les pêcheurs somaliens, empêchés de travailler, se sont lancés dans la piraterie pour survivre. Bien sûr, le phénomène a pris une autre dimension depuis. Mais si vous voulez résoudre le problème de la piraterie, il faut l’attaquer à la racine et rétablir un ordre politique légitime en Somalie.

Ordre dont les Etats-Unis n’ont pas voulu jusqu’ici… (lien itw somalie)
Oui, et leur politique insensée pourrait créer des troubles beaucoup plus sérieux. En effet, il faut savoir que la Somalie est le centre historique de l’Islam en Afrique de l’Est. Autrefois, l’influence des chefs religieux somaliens était très importante. Ils avaient porté l’islam sunnite jusqu’au Mozambique. Aussi, lorsque les chiites omanis étendirent leur influence à l’Afrique orientale au cours du 18ème siècle, ils influencèrent énormément la culture de la région, mais ne parvinrent pas à convertir la population au chiisme.
Aujourd’hui, un mouvement islamique pourrait se développer à cause des erreurs commises par les Etats-Unis dans la Corne de l’Afrique. Et si les dirigeants de ce mouvement utilisent cette histoire commune pour rallier des membres dans toute l’Afrique orientale et défendre la Somalie en tant que centre historique de l’islam africain, alors la menace deviendra vraiment très sérieuse pour les Etats-Unis !

L’océan Indien est surmonté par « l’arc de l’Islam », qui s’étend de l’Afrique orientale à l’Indonésie en passant par les pays du Golfe et de l’Asie centrale. Comment cet océan, berceau de puissances musulmanes, est-il passé sous domination des puissances occidentales ?

Avant l’ouverture du Canal de Suez en 1869, quatre grandes puissances dominaient la région : l’empire turc ottoman, celui des Perses (Iran actuel), celui des Moghols (empire musulman qui se développa en Inde) et la Chine. A travers l’océan Indien, le commerce avait mis en contact les populations musulmanes avec d’autres peuples de la région et permis à l’Islam de s’étendre jusqu’en Chine et en Afrique orientale. C’est ainsi que l’arc de l’Islam s’est formé et que l’océan Indien fut en grande partie dominé par des puissances musulmanes.

Mais un événement majeur, survenu en Inde, va amorcer la domination européenne sur cette région : la révolte des Cipayes en 1857. Les Cipayes étaient des soldats indiens au service des compagnies anglaises. Les injustices infligées par leurs employeurs les amenèrent à une rébellion qui, très vite, déboucha sur un grand mouvement populaire. Ce fut une révolte très violente, les Cipayes massacrèrent beaucoup d’Anglais mais ceux-ci parvinrent finalement à réprimer le mouvement. En Grande-Bretagne, une grande campagne de propagande dénonça la barbarie des Cipayes. Karl Marx analysa cet événement et en tira d’autres conclusions : « Leurs méthodes sont barbares, mais nous devons nous demander qui les a amenés à faire preuve d’une telle brutalité : les colons britanniques installés en Inde. »
Aujourd’hui, nous vivons la même chose avec les attentats du 11 septembre. Toute l’opinion publique occidentale est amenée à s’indigner devant les méthodes barbares des terroristes islamistes. Mais ne posez surtout pas de questions sur les facteurs qui ont donné naissance à cette forme de terrorisme : cela nous renverrait à la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient durant ces cinquante dernières années.
Finalement, la répression de la révolte des Cipayes eut deux conséquences importantes : tout d’abord, la colonie indienne, jusque là gérée par des compagnies privées, passa officiellement sous l’administration du gouvernement britannique. Ensuite, la Grande-Bretagne déposa le dernier leader musulman indien, l’empereur moghol Muhammad Bahâdur Shâh. Il fut envoyé en exil en Birmanie où il termina ses jours. 

Onze ans après la révolte des Cipayes, s’ouvre le canal de Suez qui permet de relier la Méditerranée et l’océan Indien. Un fameux coup de pouce pour la domination européenne de cet océan ?
Tout à fait. La colonisation européenne dans le bassin de l’océan Indien s’accélère alors, la France prenant Djibouti et la Grande-Bretagne l’Egypte, puis Bahreïn afin de protéger l’Inde de l’expansion russe.
Ensuite, après de nombreux bouleversements entre les impérialismes à la fin du 19ème siècle, (unification de l’Allemagne et de l’Italie, partage de l’Afrique entre les puissances européennes), l’Empire du sultanat d’Oman était la dernière grande puissance arabe active dans l’océan Indien. Pour le renverser, les Européens montèrent une campagne de propagande sur le fait que les Omanis exploitaient des Africains comme esclaves. Sous prétexte de combattre l’esclavagisme, l’Europe mobilisa ses troupes dans l’océan Indien et renversa le sultanat d’Oman. Ainsi, la domination occidentale sur l’océan Indien devenait totale.

Mais aujourd’hui, cette domination est remise en cause par les puissances émergentes d’Asie et l’océan Indien pourrait devenir le théâtre d’une compétition sino-américaine. Les Etats-Unis étant en déclin et la Chine en ascension spectaculaire, comment Washington pourrait-elle bloquer son principal concurrent ?
Le Pentagone est bien implanté dans la région : énorme base militaire d’Okinawa (Japon), accords avec les Philippines sous prétexte de lutte contre le terrorisme, excellents rapports avec l’armée indonésienne qui fut formée par Washington pour massacrer un million de communistes et instaurer une dictature militaire dans les années 60…
En outre, les Etats-Unis peuvent compter sur leur base militaire de Diego Garcia. Cette île corallienne située au cœur de l’océan Indien ferait rêver plus d’un vacancier avec sa plage de sable blanc et ses palmiers. Cependant, l’histoire de cette île est nettement moins glamour : en 1965, Diego Garcia et le reste de l’archipel des Chagos ont été intégrés au territoire britannique de l’océan Indien ; en 1971, tous les habitants de l’île de Diego Garcia ont été déportés par les Etats-Unis qui y construisirent une base militaire : c’est depuis cet endroit stratégique que Washington a mené certaines opérations dans le cadre de la guerre froide, des guerres d’Irak et d’Afghanistan. Aujourd’hui, bien que des tribunaux britanniques leur aient donné raison, les habitants de Diego Garcia sont empêchés de retourner sur leur île par le gouvernement du Royaume-Uni.
Les Etats-Unis ont donc une bonne implantation militaire dans la région. De son côté, la Chine a deux talons d’Achille : les détroits d’Ormuz et de Malacca. Le premier (entre Oman et l’Iran)constitue l’unique entrée vers le Golfe Persique et il ne mesure que 26 kilomètres à son passage le plus étroit. Environ 20% du pétrole importé par la Chine passe par cet endroit. L’autre point faible, le détroit de Malacca (entre la Malaisie et l’île indonésienne de Sumatra), est très fréquenté et très dangereux ; or, c’est le principal point de passage pour les marchandises venant de l’océan Indien à destination de la Chine. Environ 80% des importations chinoises de pétrole passent par ce détroit. Les Etats-Unis étant très bien implantés dans cette zone, ils pourraient bloquer le détroit de Malacca si un conflit devait éclater avec la Chine. Et ce serait une catastrophe pour Pékin.


Cela explique pourquoi la Chine cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement en ressources énergétiques ?
Tout à fait. Face à ce problème majeur, la Chine a développé plusieurs stratégies. La première consiste à s’approvisionner en Asie Centrale. Un gazoduc relie maintenant le Turkménistan à la province chinoise du Xinjiang ; d’ici 2015, il devrait fournir quarante milliards de mètres cubes par an, soit près de la moitié de la consommation chinoise actuelle. Un gazoduc relie également la Chine au Kazakhstan, acheminant du pétrole de la mer Caspienne.
Il y a aussi le sud de l’Asie. Pékin a passé des accords avec le Bangladesh pour s’approvisionner en gaz et en pétrole. On a annoncé récemment la construction d’un oléoduc et d’un gazoduc qui fourniront respectivement, depuis le Myanmar (Birmanie), 22 millions de tonnes de pétrole et 12 milliards de mètres cube de gaz par an.
Enfin, la troisième stratégie chinoise, surnommée « collier de perles », consiste à construire des ports dans des pays amis le long de la côte nord de l’océan Indien. Objectif : disposer d’un trafic maritime autonome dans cette région. Dans cette stratégie, s’inscrit la construction au Pakistan du port en eaux profondes de Gwadar. Ce type de port est particulièrement adapté au trafic de bateaux containers et la Chine devrait en construire d’autres, notamment en Afrique. Il faut savoir que certains des bateaux containers acheminant des marchandises vers la Chine depuis l’Amérique latine sont trop gros pour rejoindre l’océan Pacifique via le canal de Panama. Ils passent donc par l’océan Atlantique, puis par l’océan Indien avant de rejoindre la Chine. Durant ce périple, ils ne devraient plus nécessairement transiter par l’Europe comme maintenant et rejoindre l’océan Indien à travers le canal de Suez. Dans le cadre de l’axe Sud – Sud, ces bateaux containers pourraient plutôt transiter par l’Afrique en reliant l’Amérique Latine et l’Asie.
Ceci aurait de grandes conséquences pour l’Afrique. Des pays comme le Mozambique, la Somalie, l’Afrique du Sud ou Madagascar pourraient rejoindre ce grand réseau de l’océan Indien. Si l’on y développe de nouveaux ports comme celui de Gwadar, cela provoquerait un boom économique considérable dans cette région d’Afrique. Parallèlement, les activités des grands ports européens comme Marseille ou Anvers déclineraient. Connecter l’Afrique au marché asiatique grâce à l’océan Indien serait une véritable aubaine pour le continent noir. Nelson Mandela, lorsqu’il était président de l’Afrique du Sud, souhaitait voir aboutir ce projet mais les Etats-Unis et l’Europe s’y opposèrent. Aujourd’hui, la Chine a les moyens de prendre les devants. Cet axe Sud-Sud se met en place: les pays du tiers monde échappent aux divisions instaurées entre eux et coopèrent de plus en plus. Le monde est en plein bouleversement !

Comment la Chine est-elle devenue une si grande puissance en si peu de temps ?
Jusqu’au 19ème siècle, la Chine était une grande puissance. Elle vendait des marchandises de bonne qualité et disposait de plus de devises étrangères, d’or et d’argent que les puissances européennes. Mais le pays n’était pas vraiment ouvert au commerce international. Il existait seulement quelques comptoirs sur les côtes, au grand dam de la Grande-Bretagne. Cette dernière, en pleine révolution industrielle, cherchait à écouler une importante quantité de ses produits dans l’ensemble de la Chine.
Aussi, lorsque le vice-roi Lin Zexu ordonna en 1838 la destruction de caisses d’opium que la Grande-Bretagneimportait illégalement sur le territoire chinois, les Britanniques y trouvèrent un prétexte de guerre. Lord Melbourne envoya une expédition sur Canton, ce fut la première guerre de l’opium. Elle prit fin quatre ans plus tard. Vaincus, les Chinois furent forcés d’ouvrir davantage leur pays au commerce international.
Mais les puissances impérialistes souhaitaient pénétrer plus encore vers l’intérieur de la Chine afin d’y écouler leurs marchandises. Et elles exigeaient la légalisation de la vente d’opium, malgré les ravages que celui-ci provoquait dans la population. Car ce commerce très lucratif leur permettait de se faire payer en lingots d’argent et d’avoir une balance commerciale avantageuse. Face au refus de l’Empire chinois, la Grande-Bretagne et la France déclenchèrent la « seconde guerre de l’opium » (1856 – 1860). A genoux, la Chine devint alors une semi-colonie des puissances occidentales. Finalement, la vente de l’opium fut légalisée et la Grande-Bretagne et les Etats-Unis s’y adonnèrent avec grand profit.

De tout ça, on ne parle jamais en Europe, où on semble finalement bien mal connaître l’histoire de la Chine…
Ailleurs aussi. Il est important de comprendre que ces guerres impérialistes et les destructions causées par les puissances coloniales ont provoqué la mort de plus de cent millions de Chinois. Certains furent emmenés comme esclaves dans des mines au Pérou dans d’épouvantables conditions de travail qui provoquèrent de nombreux suicides collectifs. D’autres furent exploités pour construire les chemins de fer aux Etats-Unis. Tandis que des milliers d’enfants chinois furent kidnappés pour creuser les premiers puits de pétrole de Shell à Brunei, alors que les techniques de forage mécanisées n’étaient pas encore au point. Ce fut une période terrible. Aucun peuple n’a autant souffert. Il faudra attendre 1949 et la révolution menée par Mao, pour voir la Chine redevenir un Etat indépendant et prospère.

Certains attribuent ce formidable essor chinois à Deng Xiaoping : ce n’est qu’en prenant ses distances avec le maoïsme et en ouvrant la Chine aux capitaux étrangers qu’il aurait permis au pays de se développer…
C’est oublier que la Chine sous Mao connaissait déjà une croissance continue oscillant entre les sept et dix pourcents ! Certes, Mao a commis des erreurs durant la révolution culturelle. Mais il a tout de même sorti un pays d’un milliard d’habitants de l’extrême pauvreté. Et il a permis à la Chine de redevenir un Etat indépendant après un siècle d’oppression. Il est donc faux d’attribuer uniquement le développement de la Chine à la politique d’ouverture de Deng Xiaoping. Parti de rien, ce pays n’a cessé de se développer depuis la révolution de 1949. Et cette tâche n’est pas terminée.
Bien évidemment, l’ouverture actuelle au capitalisme soulève beaucoup de questions sur l’avenir de la Chine. Il y aura très certainement des contradictions entre les différentes forces sociales avec ce renforcement d’une bourgeoisie locale. La Chine pourrait devenir un pays totalement capitaliste, mais pas dominé par l’impérialisme. Mais dans les deux cas, les Etats-Unis chercheront à empêcher que ce pays devienne une grande puissance ayant les moyens de leur tenir tête.


Justement, certains affirment que la Chine est elle-même devenue une puissance impérialiste, exportant ses capitaux aux quatre coins de la planète et prospectant partout dans le Sud pour s’approvisionner en matières premières ?
Il y a une confusion, même au sein de la gauche, sur la définition de l’impérialisme apportée par Lénine (qui a sans doute le mieux étudié ce phénomène). Certains ne retiennent qu’une seule composante de cette définition : l’exportation de capitaux vers des pays étrangers. Bien sûr, c’est un facteur essentiel. En effet, grâce à l’exportation de capitaux, les puissances capitalistes s’enrichissent plus vite et finissent par dominer l’économie des pays moins développés. Mais dans le cadre de l’impérialisme, cette domination économique est inséparable d’une domination politique qui transforme le pays en semi-colonie.
Autrement dit, si vous êtes un impérialiste, vous devez, dans les pays où vous exportez des capitaux, créer votre propre marionnette : un gouvernement servant vos intérêts.Vous pouvez aussi entraîner l’armée de votre semi-colonie pour organiser des putschs militaires lorsque la marionnette n’obéit pas. Cela s’est passé récemment au Honduras où le président Manuel Zelaya a été destitué par une armée dont les officiers ont été formés dans les académies militaires étasuniennes. Vous pouvez également infiltrer l’appareil politique avec des organisations comme la CIA pour vous créer des collaborateurs internes. Bref, l’impérialisme repose sur une double domination : économique et politique. L’une ne va pas sans l’autre. Voilà qui fait une grande différence avec la Chine. Celle-ci ne s’ingère pas dans les affaires politiques des pays avec qui elle commerce. Et l’exportation de ses capitaux ne vise pas à étouffer et dominer l’économie des pays partenaires. Donc, la Chine non seulement n’est pas une puissance impérialiste, mais elle permet même aux pays victimes de l’impérialisme de se libérer en bouleversant les rapports de domination établis par l’Occident.

 

Les Etats-Unis peuvent-ils encore stopper leur concurrent chinois ? D’accord, le Pentagone est bien implanté dans la région, mais une confrontation militaire directe avec la Chine parait improbable : Washington semble toujours embourbé au Moyen-Orient et, d’après de nombreux experts, ne serait pas en mesure de remporter un conflit direct contre Pékin.

En effet, bombarder et envahir la Chine n’est pas une option envisageable. Les Etats-Unis ont donc élaboré d’autres stratégies. La première consiste à s’appuyer sur des Etats-vassaux en Afrique pour contrôler le continent et empêcher la Chine d’accéder aux matières premières. Cette stratégie n’est pas neuve, elle avait été mise au point après la Seconde Guerre mondiale pour contenir le développement du Japon.

 

Et quels sont aujourd’hui ces Etats-vassaux ?

En Afrique du Nord, vous avez l’Egypte. Pour l’Afrique de l’Est, c’est l’Ethiopie. Pour l’Afrique de l’Ouest, le Nigéria. . Pour le Sud et le centre du continent, Washington misait sur l’Afrique du Sud. Mais cette stratégie est un échec. Comme nous l’avons vu, les Etats-Unis ne parviennent pas à empêcher les Etats africains de commercer avec la Chine et ils ont perdu beaucoup d’influence sur ce continent. En témoigne le camouflet essuyé par le Pentagone lorsqu’il a cherché, en vain, un pays pour accueillir le siège de son commandement régional Africom. Tous les Etats du continent ont refusé d’abriter cette base. Le ministre sud-africain de la Défense a expliqué que ce refus était « une décision africaine collective » et la Zambie avait même rétorqué au secrétaire d’Etat américain : « Aimeriez-vous avoir un éléphant dans votre living ? » Actuellement, le siège de ce commandement régional pour l’Afrique est basé à… Stuttgart ! C’est la honte pour Washington.

Une autre stratégie US pour contrôler l’océan Indien serait d’utiliser l’Inde contre la Chine en exacerbant les tensions entre ces deux pays. Cette technique avait déjà été utilisée pour l’Iran et l’Irak dans les années 80. Les Etats-Unis armaient les deux camps à la fois et Henry Kissinger avait déclaré : « Laissez-les s’entretuer ! » Appliquer cette théorie à l’Inde et à la Chine permettrait de faire d’une pierre deux coups en affaiblissant les deux grandes puissances émergentes d’Asie. D’ailleurs, dans les années 60, les Etats-Unis avaient déjà utilisé l’Inde dans un conflit contre la Chine. Mais l’Inde fut vaincue et aujourd’hui, je ne pense pas que ses dirigeants feraient la même erreur de partir en guerre contre leur voisin pour les intérêts d’une puissance étrangère. Il existe bien des contradictions entre Pékin et New Delhi, mais elles ne sont pas majeures. Ces deux nations émergeantes du Tiers-Monde ne devraient pas s’engager dans ce genre de conflit typiquement impérialiste.

Pas d’issue donc pour les USA en Inde ou en Afrique. Mais en Asie de l’Est, ils ont de nombreux alliés. Ne peuvent-ils compter sur eux pour contenir la Chine ?
Là aussi, Washington a échoué, à cause de sa cupidité. L’Asie du Sud-Est a connu une terrible crise économique en 1997, provoquée par une grosse « erreur » des Etats-Unis. Tout est parti d’une dévaluation de la monnaie thaïlandaise qui avait été attaquée par des spéculateurs. Du coup, les Bourses se sont affolées et beaucoup d’entreprises ont fait faillite. La Thaïlande espérait recevoir le soutien des Etats-Unis, dont elle était un fidèle allié. Mais la Maison Blanche ne bougea pas. Elle rejeta même l’idée de créer un Fonds monétaire asiatique pour venir en aide aux pays les plus touchés. En fait, les multinationales US ont profité de cette crise asiatique pour éliminer des concurrents asiatiques dont l’ascension les inquiétait.
Finalement, c’est la Chine qui sauva la région de la catastrophe en décidant de ne pas dévaluer sa monnaie. Une monnaie faible favorise les exportations, et si le yuan était descendu, l’augmentation des exportations chinoises aurait complètement achevé les économies des pays voisins déjà mal en point. Donc, en maintenant la valeur de sa monnaie, la Chine a permis aux pays de la région de relancer leurs exportations et de se relever. Alors que de nombreux gouvernements asiatiques gardaient une certaine rancœur contre Washington pour son rôle joué dans cette crise, le Premier ministre malaisien déclara : « La collaboration de la Chine et son haut sens des responsabilités ont préservé la région d’un scénario encore bien plus catastrophique ».
Depuis lors, les relations économiques entre la Chine et ses voisins n’ont cessé de se développer. En 2007, Pékin est même devenu le premier partenaire commercial du Japon, pourtant un des alliés les plus stratégiques des Etats-Unis en Asie.
De plus, la Chine n’a pas de prétention hégémonique dans la région. Les Etats-Unis pensaient que les pays de l’océan Indien seraient effrayés par la puissance chinoise et chercheraient à être protégés. Mais la Chine établit avec ses voisins des relations basés sur le principe d’égalité. De ce point de vue, les Etats-Unis ont donc aussi perdu la bataille en Asie de l’Est.

Les Etats-Unis n’ont donc aucun moyen d’empêcher la Chine de les concurrencer ?
Il semble que non. Pour se développer, la Chine a un besoin vital de ressources énergétiques. Les USA cherchent donc à contrôler ces ressources pour empêcher qu’elles atteignent la Chine.C’était un objectif essentiel des guerres d’Afghanistan et d’Irak, mais celles-ci ont tourné au fiasco. Les Etats-Unis ont détruit ces pays pour y placer des gouvernements qui leur seraient dociles, mais n’y sont pas parvenus. Cerise sur le gâteau : les nouveaux gouvernements irakien et afghan commercent avec la Chine ! Pékin n’a donc pas eu besoin de dépenser des milliards de dollars dans une guerre illégale pour faire main basse sur l’or noir irakien: les compagnies chinoises ont simplement remporté des concessions pétrolières dans une vente aux enchères tout à fait réglementaire.
On le voit, la stratégie de l’impérialisme américain est donc un échec sur toute la ligne. Il reste néanmoins une option aux Etats-Unis : maintenir le chaos pour éviter que la stabilité de ces pays stratégiques ne profite à la Chine. Cela suppose de poursuivre la guerre en Irak et en Afghanistan et de l’étendre à d’autres pays comme l’Iran, le Yémen ou la Somalie.
Cette vision à court terme pourrait s’avérer catastrophique car elle amènerait encore plus de peuples sur la ligne anti-américaine, anti-Otan et anti-Occident. Ceux qui voudraient continuer sur la voie militaire feraient mieux d’étudier l’histoire des Etats-Unis de ces soixante dernières années : Washington n’a gagné aucune guerre si ce n’est contre la minuscule île de Grenade (1983).

Comment s’est amorcé ce déclin de « l’Empire américain » ?
Après la Seconde Guerre mondiale, ce pays avait tiré le jackpot. Il était en effet intervenu très tard dans le conflit, après avoir longtemps financé (de manière très lucrative) les deux camps : Alliés et nazis. Finalement, Washington décida de venir au secours des Alliés. Lorsque le conflit prit fin, la Grande-Bretagne était minée par les dettes, la puissance allemande était détruite et l’Union Soviétique avait payé un lourd tribut (plus de vingt millions de morts) pour venir à bout de l’armée nazie. Par contre, les Etats-Unis, n’ayant fait pratiquement aucun sacrifice, en sortirent grands vainqueurs : ils avaient un vaste territoire, une industrie qui tournait à plein pot, de grosses capacités d’agriculture et leurs principaux concurrents européens étaient à genoux. Voilà comment les Etats-Unis sont devenus une superpuissance mondiale.
Mais par la suite, ils ont dépensé tout ce jackpot gagné durant la Seconde Guerre mondiale pour combattre le communisme. L’économie américaine a été militarisée et les guerres se sont enchaînées, de la Corée à l’Irak en passant par le Vietnam pour ne citer que celles-là. Aujourd’hui, pour chaque dollar débloqué par le budget du gouvernement américain, soixante cents vont à l’armée. Un désastre ! Les autres industries majeures du pays ont été détruites, les écoles et les hôpitaux publics sont dans un état déplorable.
Cinq ans après le passage de l’ouragan Katrina, des habitants de la Nouvelle Orléans vivent encore dans des camps. On peut comparer cette situation avec celle du Liban : ceux qui avaient perdu leur maison à cause des bombardements israéliens de 2006 ont retrouvé un toit grâce au Hezbollah. Ce qui a fait dire à un mollah vivant aux USA qu’il valait mieux être libanais que de vivre aux Etats-Unis car, au pays du cèdre, on a au moins un toit sur la tête.

Ce processus de militarisation a plongé les Etats-Unis dans l’endettement. Mais aujourd’hui, leur principal créancier n’est autre que… la Chine ! Curieusement, le destin de ces deux grands concurrents semble donc intimement lié.
Oui, l’économie est quelque chose de fou ! En fait, la Chine exporte beaucoup de produits vers les Etats-Unis, qui lui rapportent beaucoup de devises en dollars. L’accumulation de ces devises permet à la Chine de maintenir un taux de change stable entre le yuan et le billet vert, ce qui favorise ses exportations. Mais l’accumulation de ces dollars US conduit également Pékin à acheter des bons du Trésor américain qui financent la dette étasunienne. En finançant la dette des Etats-Unis, on peut donc dire que la Chine finance la guerre contre le terrorisme ! Or, le Pentagone mène cette guerre pour mieux contrôler les ressources énergétiques dans le monde et tenter de contenir l’émergence chinoise. Vous voyez : la situation est paradoxale ! Mais cette campagne des USA est un échec et leur économie est au bord de la faillite.
Il ne leur reste qu’une option : réduire leurs dépenses militaires et utiliser leur budget pour relancer l’économie. Mais l’impérialisme possède une logique dominée par le profit immédiat et la concurrence sans frein : du coup, il continue sur sa lancée jusqu’à ce qu’il meure. L’historien Paul Kennedy a étudié l’histoire des grands empires : à chaque fois que l’économie d’une grande puissance est en perte de vitesse, mais que ses dépenses militaires augmentent, alors cette grande puissance est amenée à disparaître.

C’est donc la fin de « l’Empire américain » ?
Qui peut le dire ? L’Histoire est faite de zigzags et je n’ai pas de boule de cristal pour prédire l’avenir. Mais tout porte à croire que l’hégémonie des Etats-Unis touche à sa fin. Il n’y aura plus de superpuissance mondiale et les USA vont probablement redevenir une puissance régionale importante. Nous allons assister au retour inévitable du protectionnisme et par conséquent, à la fin de la mondialisation. Des blocs économiques régionaux vont émerger et de ces blocs, l’Asie sera le plus fort. Aujourd’hui, les milliardaires sont de moins en moins du côté des Blancs occidentaux. Ils sont en Asie où se trouvent la richesse et les capacités de production.

Qu’adviendra-t-il de l’Europe ?
Elle possède des liens très forts avec les Etats-Unis. Notamment à travers l’Otan, une invention des USA, apparue après la Seconde Guerre mondiale pour contrôler le vieux continent. Cependant, je pense qu’il existe deux types de dirigeants en Europe : les pro-US et les vrais Européens. Les premiers restent dépendants de Washington. Les seconds privilégient les intérêts propres de l’Europe et se lient à la Russie. Avec la crise économique et le déclin des USA, l’intérêt logique de l’Europe est de se tourner vers l’Asie.

Dans son célèbre livre Le grand Echiquier, le politologue américain Zbigniew Brzezinski redoutait de voir apparaître pareille alliance entre l’Europe et l’Asie. Mais il disait que cette union ne verrait probablement jamais le jour en raison des différences culturelles.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis dominaient la scène économique, particulièrement en Europe, et ils ont pu exporter leur culture et leur mode de vie. L’économie génère en effet des liens culturels, mais la culture ne crée des liens que lorsque l’estomac est rempli. On ne mange pas de culture. Aussi, lorsque l’estomac est vide, la culture passe après l’économie.
C’est pourquoi aujourd’hui, alors que le monde capitaliste est en crise, l’Europe doit faire passer ses intérêts économiques avant les liens culturels l’unissant aux Etats-Unis. Il serait donc logique qu’elle se tourne vers l’Asie. D’autant que les liens culturels Europe – USA ont été forgés par Hollywood. Historiquement, on peut dire que les liens culturels sont plus forts entre, par exemple,l’Italie et la Lybie ou bien entre l’Espagne et le Maroc.
 
Henry Kissinger, lorsqu’il n’ordonnait pas de laisser les Iraniens et les Irakiens s’entretuer, disait que l’hégémonie des Etats-Unis était indispensable pour maintenir la paix et propager la démocratie dans le monde. De nombreux spécialistes comme Brzezinski ont soutenu la même idée. La fin de « l’Empire américain » ne risque-t-elle pas de provoquer des conflits majeurs ?

La démocratie dont ils parlent est celle des pays impérialistes occidentaux qui ne représentent que 12% de la population mondiale. De plus, on ne peut pas vraiment dire que l’hégémonie des USA ait apporté paix et stabilité dans le monde. Au contraire ! Pour rester l’unique superpuissance mondiale, ils ont enchaîné les guerres et fomenté des conflits aux quatre coins de la planète.

Aujourd’hui, beaucoup d’Européens, mêmes s’ils condamnent les excès des Etats-Unis, ne souhaiteraient pas voir tomber « l’Empire américain ». Cela fait plus de soixante ans en effet que Washington domine militairement le vieux continent, affirmant assurer sa sécurité. Beaucoup d’Européens sont donc effrayés à l’idée de faire une croix sur cette « protection » et d’assumer eux-mêmes leur sécurité.

Une armée européenne exigerait qu’une grosse partie de l’économie européenne soit investie dans l’armée. Mais celle-ci n’est pas un secteur productif et ce refinancement massif pourrait provoquer une nouvelle crise. De plus, si vous investissez dans l’armée, une question va se poser : qui va combattre ? En cas de guerre, l’Europe connaîtrait de sérieux problèmes démographiques.

Selon moi, cette situation permet de comprendre la volonté manifestée par certains dirigeants européens de se rapprocher de la Russie. C’est la seule alliance, pacifique et prospère, qui soit envisageable pour l’Europe. Mais cela suppose de laisser la Russie devenir une grande puissance dans laquelle les Européens pourraient investir leurs technologies. Or, les Etats-Unis se sont toujours opposés à l’intégration de la Russie à l’Europe. Si elle se produit quand même, il y aura en effet quelqu’un de trop et Washington devra quitter le vieux continent.

Les huit années de l’administration Bush, sa politique guerrière, ses dépenses militaires pharaoniques et ses échecs cuisants ont accéléré la chute des Etats-Unis. Pensez-vous que Barack Obama puisse y changer quelque chose ?

Son élection est historique. Les Afro-américains ont tellement souffert par le passé. Même s’ils ont contribué énormément au développement des Etats-Unis, leurs droits politiques ont été trahis. En effet, durant la guerre civile américaine, les Afro-Américains étaient victimes de l’esclavage dans le Sud. La bourgeoisie du Nord leur promit alors la liberté s’ils acceptaient de se battre pour elle. Les esclaves acceptèrent et leur participation au conflit permit au Nord de l’emporter. Entre 1860 et 1880, les Etats-Unis connurent une période prospère, sans racisme, qualifiée de reconstruction par le célèbre leader afro-américain William Edward Burghardt Du Bois. Mais très vite, l’élite US prit peur en voyant se rallier des gens de couleur, travailleurs et citoyens ordinaires : les propriétés de la minorité bourgeoise étaient menacées par la solidarité des couches populaires. La ségrégation fit donc son retour. Elle avait pour but de briser l’unité des classes populaires et de monter les simples citoyens les uns contre les autres afin de préserver l’élite de toute révolte.
Au regard de l’histoire des Etats-Unis, l’ascension d’un homme noir à la Maison Blanche est donc très importante. Mais si Barack Obama est un président progressiste de par sa couleur, cela ne suffit pas : le caractère réactionnaire de l’impérialisme US refait surface, on le voit de plus en plus. Par conséquent, je ne pense pas que Barack Obama pourra changer quoi que ce soit dans les mois ou les années à venir. L’impérialisme ne peut être changé ou adapté. Il doit être renversé.

Et quelle est la place du monde musulman dans ce grand affrontement USA – Chine ? Son rôle est-il réellement important ?
Très important. Comme nous l’avons indiqué au début de cet entretien, les Etats-Unis ont diabolisé le “péril islamiste” dans toute une série de pays qui bordent l’Océan Indien : Somalie, pays du Golfe, Asie centrale, Pakistan, Indonésie… L’objectif, lié aux intérêts des multinationales US, est de contrôler le pétrole et les ressources énergétiques ainsi que les passages stratégiques de la région. Mais au Moyen-Orient et dans l’ensemble du monde musulman s’est développé un courant anti-impérialiste qui résiste à la domination des Etats-Unis.
Il s’agit d’un facteur très positif. Tous les peuples du monde ont intérêt instaurer des relations basées sur le principe d’égalité et à mettre fin au plus vite à l’hégémonie occidentale qui a provoqué tant d’agressions et de crimes. Dans le passé, toutes sortes de personnalités et de courants politiques ont essayé de pousser le monde musulman dans les bras des Etats-Unis et leur grande alliance anticommuniste. Mais en réalité, l’intérêt des peuples de “l’arc de l’Islam”, l’intérêt des musulmans se trouve de l’autre côté. Si chacun comprend et soutient le rôle positif de la Chine dans le rééquilibrage des forces mondiales aujourd’hui, alors devient possible une grande alliance de tous les pays qui entendent se développer de façon autonome, dans l’intérêt de leur population, donc en échappant au pillage et aux ingérences des puissances impérialistes.
Chacun devrait informer autour de soi et faire prendre conscience de ces changements importants et positifs. Mettre fin à l’hégémonie des puissances impérialistes ouvrira de grandes perspectives pour la libération des peuples.

Mohamed Hassan recommande les lectures suivantes :
  • Robert D. Kaplan, Center Stage for the Twenty-first Century, in Foreign Affairs, March/April 2009
  • Robert D. Kaplan, The Geography of Chinese Power, in Foreign Affairs, May/June 2010
  • Chalmers Johnson, No longer the lone superpower – Coming to terms with China
  • Cristina Castello, “Diego Garcia”, pire que Guantanamo: L’embryon de la mort
  • Mike DAVIS, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales.
    Aux origines du sous-développement, Paris, La Découverte, 2003, 479 pages
  • Peter Franssen, Comment la Chine change le monde
  • Pepe Escobar, China plays Pipelineistan
  • Edward A. Alpers, East Africa and the Indian Ocean,
  • Patricia Risso, Merchants And Faith: Muslim Commerce And Culture In The Indian Ocean (New Perspectives on Asian History)
  • F. William Engdahl, A Century of War, Anglo-American oil politics and the new world order
  • Michel Collon, Media Lies and the Conquest of Kosovo (NATO’s Prototype for the Next wars of Globalization), traduction anglaise de Monopoly, Investig’Action

 

 

Mohamed Hassan* est un spécialiste de la géopolitique et du monde arabe. Né à Addis Abeba (Ethiopie), il a participé aux mouvements d’étudiants dans la cadre de la révolution socialiste de 1974 dans son pays. Il a étudié les sciences politiques en Egypte avant de se spécialiser dans l’administration publique à Bruxelles. Diplomate pour son pays d’origine dans les années 90, il a travaillé à Washington, Pékin et Bruxelles. Co-auteur de L’Irak sous l’occupation (EPO, 2003), il a aussi participé à des ouvrages sur le nationalisme arabe et les mouvements islamiques, et sur le nationalisme flamand. C’est un des meilleurs connaisseurs contemporains du monde arabe et musulman.

Déjà paru dans notre série "Comprendre le monde musulman"

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