Ne pas céder, c'est rester vivant

Palestine occupée, 27 novembre 2003

Ce à quoi j’ai assisté aujourd’hui était très pénible à supporter, même si je n’ai pas vu une goutte de sang couler. Voir des soldats qui ne cachent pas le plaisir qu’ils prennent à humilier et à insulter d’autres hommes, sans pouvoir intervenir, sans pouvoir les arrêter, est une forme de torture dont on ne sort pas indemne.

C’est le dernier jour de « l’Aïd el Fitr ». Un jour qui devrait être pétri de douceur et d’amour. Rien de tout cela, en ces contrées en butte au fanatisme des soldats israéliens.

Quand je suis arrivée sur ces lieux maudits, des longues files de gens étaient en attente de pouvoir rentrer à Naplouse, d’autres d’en sortir. Voir des hommes armés mettre des hommes désarmés dans une telle situation d'infériorité, et se trouver soi-même aussi impuissant a changer le cours des choses, vous met très en colère contre les politiciens qui nous gouvernent en Europe. Ces politiciens qui font mine de s’inquiéter, mais qui, par peur des foudres qu'ils pourraient encourir, par lâcheté, par indifférence, ne condamnent qu’en termes très vagues l’Etat d’Israël. Un état, qu’incarnent, aux yeux de ces Palestiniens martyrisés nuit et jour, de jeunes soldats méprisants.

On se sent très en colère aussi, contre tous les supporters d’Israël – comme Adler et Finkielkraut, pour ne citer que les plus offensifs – qui s’activent depuis des lustres pour embellir les Israéliens qui commettent des crimes, et défendre l’indéfendable. Des gens malhonnêtes qui veulent nous faire croire que l’Etat d’Israël est une démocratie, que les braves Juifs qui l’habitent et qui font des guerres a tous leurs voisins, sont victimes des Arabes et de notre méchanceté, que les tortionnaires israéliens – parce que juifs – sont des gens merveilleux.

L’on ressent encore plus vivement, depuis ici, combien il est important de désigner ces imposteurs et de les combattre. Car ces hommes-là, qui tiennent haut le pavé, sont les agents d’un état qui fait la guerre a des enfants et pratique l’apartheid. Les journalistes, les politiciens, les honnêtes gens, ne peuvent pas continuer de se taire par peur d’être taxés , par eux, d’antisémitisme.

Finkielkraut, Wolfowitz, Perle, Adler, font partie d’un tout qui est indissociable de ce qui se passe de tragique au Moyen Orient. Ce sont encore ces hommes là qui, durant toutes ces années si cruelles pour les Palestiniens, ont empêché la vérité de triompher et ont favorisé les guerres et couvert les criminels. Les voix qui s’élèvent ici où là pour dire qu’il faut les ignorer, se trompent lourdement. Ces hommes doivent être combattus avec force, tout comme Sharon, dont ils sont les instruments de propagande.

C’est à tout cela que je songeais dans la file, au milieu de ces gens enfermés derrière des blocs de bétons, surveillés par des soldats hideux, menacés d’être tués s’ils ne se plient pas à leurs abus. J'avais aussi le temps de constater la laideur et la saleté qui accompagne immanquablement ces lieux jamais nettoyés où les gens arrivent propres et où leurs vêtements sombres sont bien vite couverts de terre.

Alors que l’inhumanité de ces barbares en uniforme fait monter en moi une angoisse de plus en plus irrespirable, les Palestiniens, eux, engagés depuis longtemps dans cette lutte inégale, ont cela d’admirable, qu’ils demeurent, envers et contre tout, stoïques. Rien que pour cela ce sont des êtres dignes d’être aimés. « Avez-vous peur ? » ai-je demandé à une jeune femme qui portait sur ses bras son bébé enveloppé dans une couverture rose. Elle a haussé l’épaule. Puis elle a dit, d’une petite voix lasse, cette chose étonnante : « Il faut vivre, il faut oublier la peur».

Lorsque je me suis tournée sur ma droite, j’ai aperçu, en contrebas, trois jeunes hommes, tenus à distance les uns des autres, les mains attachées derrière le dos, en position accroupie. Ils avaient un air apeuré, comme si toute l’inhumanité de la situation était peinte sur leur visage. Quand l’un d’eux a fait mine de se lever pour se dégourdir les membres, j’ai vu un soldat se précipiter sur lui, le menacer du canon de son arme qu’il poussait tout contre son ventre. C’était une sorte de danse macabre entre un homme menotté, qui avait le courage de sa peur, et un soldat lourdement armé qui affichait son inhumaine brutalité. Alors que le jeune homme reculait avec effroi, le soldat le martyrisait encore plus cruellement. Tout cela se faisait sans que personne ne puisse intervenir, dans un silence pesant. Quand j’ai fait appel à la conscience du soldat il m' a répondu d’un air sarcastique: "Je n’ai aucune conscience pour des gens comme vous ».

Quand est venu mon tour de me présenter au check point, j’ai eu la surprise de me voir refuser le passage, donc l’entrée à Naplouse toute proche où Z. m’attendait.

En quoi ma personne serait-elle une menace pour la sécurité de ces tyrans, si j’entrais à Naplouse ? Leur sécurité ! C’est ce que prétextent ces faiseurs d’injustice et de désordre, pour justifier l’arbitraire et la violence qu’ils exercent contre les Palestiniens et la dureté du système d’apartheid qu’ils ont perfidement mis en place pour les pousser à haïr, à se venger, à exploser.

Durant toutes ces années atroces, la diplomatie européenne, au lieu de prendre le taureau par les cornes et d’agir pour défendre la population palestinienne, s’est perdue en déclarations futiles et autres offres de paix, aussi illusoires qu’absurdes.

Il faudrait que le monde envoie des observateurs internationaux en urgence ; il faudrait que dans chaque véhicule qui transporte des Palestiniens il y ait des témoins en permanence, ainsi que sur tous les check points et autres lieux de persécution. Non pas des témoins pourchassés et méprisés, comme ces volontaires sans pouvoir que nous sommes, mais des témoins à qui l’on garantit de pouvoir filmer et montrer ensuite au monde, cette réalité effrayante, qu’Israël veut cacher et que nos médias, complices de sa violence, se sont ingéniés à édulcorer.

Avec un Palestinien d’âge mûr, possédant la nationalité américaine, nous avons décidé de tenter notre chance du côté du check point d’Awartaa. Un check point en contrebas d’une colonie juive agressive. Il y avait là une longue file en attente, composée uniquement d’hommes sombrement habillés. C’était impressionnant la vision de ces hommes, grands, solides, silencieux, alignés comme des moutons. Avec mon compagnon d’infortune, voyant que rien ne bougeait, nous avons décidé de remonter la file, avec nos passeports comme armure. Miradors, présence massive de soldats, qui aboyaient dans une langue incompréhensible pour nous tenir à distance, nous ont fait reculer.

Quand nous sommes revenus sur nos pas, les hommes alignés paraissaient comme recueillis dans une sorte de paix . Ils n’avaient d’autre choix que de rester là et d’attendre qu’on se daigne les laisser passer pour rentrer chez eux. Leurs yeux intenses nous ont parlé de respect, de sympathie, mais aussi d’insoumission.

Nous avons traversé cette rase campagne glaçante, en tirant nos bagages et en croisant des hommes qui cherchaient, tout comme nous, une porte d’entrée. Nous avons passé le check point de Bourin sans problèmes, puis un deuxième check point. Au troisième et dernier, les soldats nous ont barré la route. Impossible de dialoguer, de faire appel à leur miséricorde.

Nous avons repris la route, jusqu’à ce qu’un chauffeur de taxi nous propose de tenter l’impossible. C’est-à-dire, d’emprunter la route à l’usage exclusif des colons juifs. Une route qui surplombait le check point d’Howarah. Après avoir longé une colonie toute entourée de barrières électrifiées, nous avons atteint un village arabe. Nous croyons avoir enfin réussi, quand, à un barrage routier, on nous a stoppés, ordonné de reculer.

Tout cela démontre que les Palestiniens sont pieds et poings liés. Qu’ils n’ont aucune porte d’entrée ni de sortie pour échapper à leurs tortionnaires.

Quand nous sommes revenus au check point d’Howarah pour trouver un véhicule qui nous ramènerait à Ramallah, d’où nous étions partis le matin, il y avait une foule bloquée, encore plus considérable, des enfants qui pleuraient, des étudiants qui devaient perdre leur temps et leur argent, des parents et des grands parents qui devaient rester une journée sans manger, sans boire, sans pouvoir aller aux toilettes.

Et les trois jeunes garçons menottés, étaient toujours là au bas du talus qui imploraient des yeux cette foule de gens qui voulait, mais ne pouvait. Ce sont des moments où l’air se raréfie, ou personne ne bouge ni ne montre aucune émotion. A ce moment-ci j’ai réalisé combien sortir, se montrer à la face de cette soldatesque, aussi dur que cela soit, est important pour les Palestiniens.

Ne pas céder, faire face, est une manière de rester vivant.

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