Message à Wahoub qu'on dit terroriste

Wahoub Fayoumi, journaliste à la RTBF a été arrêtée et mise en prison! Ils disent que c'est une terroriste, qu'elle est dangereuse pour nous et qu'il faut donc l'enfermer!

La jeune femme que je connais n'est ni terroriste, ni dangereuse, au contraire, c'est une femme intelligente, sensible aux problèmes sociaux, aux plus démunis, que son engagement a poussée au point de laisser une partie d'elle-même devant un centre fermé pour étrangers en 2003.

Je l'ai connue quelques mois après, quand elle est venue avec d'autres nous chercher pour un coup de main car dans leur quartier une centaine de personnes avaient été arrêtées.

La police avait perquisitionné très tôt le matin, des femmes, des enfants et des vielles personnes ont été embarquées sans aucune distinction, tout simplement parce qu'elles n'avaient pas de documents en règle, des "sans papiers".

A l'époque j'ignorais complètement l'existence même de cette réalité, mais Wahoub et ses amis nous ont montré une face cachée de la Belgique, celle qu'on ne voit pas si on ne prête pas attention et dans laquelle des milliers de personnes souffrent des conséquences de politiques de plus en plus dures contre les étrangers.

Les mois qui ont suivi cette rafle de 2003 sont devenus pour moi des prises de conscience qui ont bouleversé mes projets comme des coups de poing dans la gueule qui vous laissent un goût amer dans la bouche et une furieuse envie de vous battre.

Ceci est arrivé pendant les vacances d'été, sous le contraste d'un soleil radieux. Un baptême célébré avec des Afghans dans l'église de St Croix à la place Flagey, des Iraniens au foyer de l'ULB et Semira Adamu à la salle de la Madeleine. Je ne t'oublie pas mon amie, car grâce à toi une partie de moi a changé pour toujours et je t'en remercie ! Notre esprit critique nous pousse à mettre en cause l'organisation sociale et économique du système, ceci n'est nullement une raison pour nous traiter de terroristes.

Et si aujourd'hui ils disent que tu es dangereuse alors moi aussi je le suis et ils devront m'arrêter, ainsi que tous les autres qui ne baissent pas les yeux devant tant d'injustices.

Derrière mes barreaux à moi, je t'embrasse chère Wahoub et je t'attends pour continuer le combat ensemble!

Oscar Flores / 0496 40 33 09

++++++++++

Le Cauchemar, lettre de prison

By Wahoub Fayoumi on 18/06/2008 – 20:18

mardi 17 juin 2008, 07:08

Je suis journaliste. Mais ce n'est pas pour ça que j'écris aujourd'hui. Ce texte est mon témoignage. Quelque chose d'immense et d'effrayant m'est arrivé, il y a plus d'une semaine.

C'était jeudi. Le 5 juin, c'est l'anniversaire de mon compagnon. A 5h00 du matin, on frappe à la porte. Je dormais encore, je m'habille vite, ça a l'air important. Lorsque j'ouvre, je vois des policiers dans la cage d'escalier. Il y en a beaucoup. Je pense à un cambriolage. On me dit que c'est pour une perquisition. Chez moi ? « Vous venez chez moi ? » je dis. Oui. Je leur demande pourquoi. « On ne sait pas. On a juste un mandat. » Ils entrent. « Vous êtes seule ? Vous êtes sûres ? » Ils sont 6 ou 7. Ce n'est pas normal. « Que ce passe-t-il ? » je dis. Sur le papier, il y a écrit « terrorisme », « urgence ». « Vous êtes privée de liberté, madame. » On ne réalise rien à ce moment-là. On ne comprend simplement pas les mots. La tête tourne. Ils fouillent. Tout. La cuisine, la salle de bain, mes vêtements, mes livres. Ils mettent des choses de côté, ils disent « on saisit ». ça dure 3 heures. Ils prennent les ordinateurs, des affiches, des livres, un bouquin en arabe. Je leur dit « je dois aller au travail. » « Je ne pense pas que ce soit possible. » Je voudrais téléphoner, mon GSM est déjà saisi. Mon équipe attendra à Reyers, mon compagnon aussi, je ne verrai pas mon frère qui prépare un voyage de plus d'un an en Espagne et au Mali. Personne ne saura où je suis aujourd'hui.

« Au bureau » comme ils disent, c'est l'interrogatoire. Des questions sur mon nom, mon âge, mon loyer, mon numéro de carte de banque, mes opinions politiques, mes amis. Des heures passent, je commence à trembler. Aux questions auxquelles je réponds « je ne sais pas », ils insistent. Avant de comprendre ce qu'ils veulent. Le choc se diffuse lentement, à chaque question. C'est l'après-midi. J'aperçois des hommes cagoulés, armés. Ils viendront me chercher. Il doit être 17 ou 18 heures. Je suis menottée, attachée par une corde que tiennent deux hommes. Je suis masquée, je ne peux rien voir. Trajet en voiture. Sirènes hurlantes, escorte. Arrivée au Palais de Justice. Des couloirs, des ascenseurs, je ne vois rien. On s'arrête. Un homme m'enlève les menottes, mains sur la tête ; un autre, le masque. Je suis face à un mur gris. Une porte se ferme. Je n'ai vu personne. Je n'ai rien vu à part cette porte grise qui s'est fermée, grise comme les murs, comme le rebord en béton. Les murs lisses, affreusement lisses. Il n'y a aucune ouverture. J'ai l'impression d'étouffer. Envie de taper sur ces murs lisses. Je ne dois pas pleurer. Personne ne m'a dit un mot. J'attends. Des heures. 20h ? 22h ? Interrogatoire chez la juge d'instruction. « Vous n'avez pas tout dit ». Un cauchemar qui se poursuit. Je ne sais pas où j'ai mal. Ça va s'arrêter, j'en suis sûre. Je pleure quand elle parle de ma famille. C'en est trop.

A nouveau le cachot. Ma tête est raide. Je m'allonge sur le rebord en béton. Quelle heure est-il ? Est-ce que le temps s'allonge ou se rétrécit ? On reviendra me chercher. Chez la juge, dans ce bureau allumé au fond d'un couloir. « J'ai hésité » elle dit. Alors je sais. Sur mon mandat d'arrêt, il est 2h30.

C'était il y a une semaine et quatre jours. Beaucoup de choses à dire sur le mandat d'arrêt, sur l'inculpation, sur les méthodes.

Des méthodes de cowboys, des interrogatoires où on renverse la charge de la preuve. On m'a épié, surveillée, mise sur écoute, analysé mes comptes bancaires et mon écriture, depuis plus d'un an. Attendait-on de moi que je conforte une hypothèse de départ ? Que je donne des noms qui alimenteraient leur idée ? Leur enquête est restée désespérément vide. Est-ce pour cela que je suis en prison ? Sommes-nous là parce qu'il DOIT y avoir quelque chose ? Il suffirait alors de bien peu : d'affirmer des solidarités, d'avoir des idées politiques. Je l'ai entendu à notre charge, ces idées politiques ont été présentées comme en soi terroristes !

Je n'ai jamais caché mon engagement. Il est public, libre et réfléchi. Défendre des étudiants, des sans-papiers, des prisonniers politiques, se battre pour un monde plus juste, ce ne sont pas des engagements dont on doit avoir honte. Si je n'avais pas été ici, j'aurais été devant ces prisons, j'aurais écrit des communiqués, j'aurais contacté des associations.

La souffrance de ma mère et de mes frères, la solitude de mon compagnon, la tristesse de mes amis, l'incompréhension sur mon lieu de travail, la privation de liberté de quatre militants, la criminalisation de la solidarité, sont-ils des prix à payer ?

Wahoub

Prison de Berkendael

http://www.indymedia.be/fr/node/28136

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.