Mes seins feront-ils exploser cet avion ?

Dans les aéroports américains, vous soumettez votre corps, soit aux rayons x, soit à une palpation au caractère particulièrement invasif. Sommes-nous libres de ne pas être irradiés ou tripotés ?

 

Au moment où il semblait que la "Sûreté Intérieure de l’Etat" de l’Amérique avait atteint les limites du surréalisme, l’Autorité de Sécurité des Transports des Etats-Unis (TSA) décide d’aller de Charybde en Scylla, à grands frais, dans les plus grands aéroports du pays : soit vous acceptez de dangereuses doses de radiations et une image en haute résolution de votre corps mis à nu, soit, inquiet des risques d’expositions répétées pour votre santé, vous refusez de vous glisser dans les nouvelles machines corporelles à rayons x (rapidement rebaptisées scanners porno.)

 

Mais si vous refusez, vous êtes désormais obligés de vous soumettre, comme je le fus récemment, à une palpation au caractère extraordinairement sexuel et invasif par les agents de sécurité de la TSA. "Je vais maintenant toucher vos parties intimes", me dit un agent de sécurité très embarrassée alors que je partais de l’aéroport Kennedy de New York. Et, bien sûr, j’ai vécu l’expérience d’une palpation invasive de mes parties génitales et de mes seins, une démarche désormais standard pour les voyageurs américains.

 

Des hommes parlent de palpations de leurs testicules et de leur pénis, on demande aux agents de la TSA d’ouvrir et de regarder en dessous de la ceinture, et on trouve maintenant nombre de vidéos sur YouTube d’enfants effrayés en train d’être – si l’on veut être précis – molestés sexuellement, bien que ce soit la dernière chose que veuillent la plupart des agents de sécurité de la TSA.

 

Sommes-nous libres de ne pas être irradiés ou tripotés ? Nous ne le sommes pas. Les passagers qui ont refusé la palpation de leurs parties génitales ont été menottés à une chaise. Chaque nouvelle alerte de terreur ou innovation high-tech est, semble-t-il, une contrainte supplémentaire sur nos libertés au nom de la sécurité. Mais les récentes expériences vécues par les voyageurs aux Etats-Unis devraient dissuader les autorités de sécurité d’autres pays d’instituer de pareilles mesures.

 

En fait, cette nouvelle mesure bizarre de l’Amérique ne devrait probablement pas être reprise par les autres aéroports des pays industrialisés, ni même du monde. Les responsables de la sécurité israélienne ont par exemple rejeté l’idée de la palpation des parties génitales qui, selon eux, n’aboutit à rien.

 

Ce n’est pas tout à fait exact. Vingt-quatre pour cent des femmes ont été sexuellement agressées ou molestées par un adulte en qui elles avaient confiance dans leur enfance ou leur adolescence – comme 17 % des hommes. Nombre de ces survivants seront à nouveau traumatisés lorsque des étrangers tripoteront leurs parties intimes. Et les risques d’effets profondément négatifs sont encore plus importants chez les enfants.

 

Après des années de campagnes de sensibilisation pédagogique pour faire admettre cette norme, les enfants américains ont finalement intégré le fait que leur corps leur appartient, que les adultes ne devraient pas les toucher dans leur intimité ou de manière à les rendre mal à l’aise, et que tout est fait pour les protéger de ce genre de violation. En désensibilisant les enfants par des attouchements à caractère sexuel inappropriés, les palpations corporelles détruisent tous ces bénéfices si durement acquis.

 

Mais il y a pire encore. Il est recommandé aux agents de sécurité de la TSA de dire aux jeunes enfants que ces palpations sexuelles sont un jeu. Pour quiconque ayant déjà travaillé auprès de survivants d’abus sexuels dans l’enfance, cela devrait être réellement alarmant : le stratagème le plus commun du prédateur sexuel est de prétendre que cet abus n’est qu’un "jeu". Comme le dit Ken Wooden de l’organisation Child Lures Prevention, le conseil "incroyablement mal informé et mal avisé" de la TSA "est tout à fait contraire à ce que nous, dans la prévention contre les abus sexuels, avons essayé d’accomplir depuis trente ans."

 

Les Américains, pour une fois, s’opposent à cette ultime violation de leurs droits. Deux Etats, le New Jersey et l’Idaho, ont récemment introduit une procédure législative pour tenter de contourner cette nouvelle mesure. Des questions à propos de ces changements de pratique sont parvenues jusqu’à la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton – qui a admis qu’elle-même n’accepterait pas une palpation sexuelle – et au président Barack Obama.

 

Alors qu’est-ce qui a bien pu provoquer une décision aussi scandalisante pour les citoyens, dangereuse pour les enfants, et inefficace en termes d’amélioration de la sécurité ? Bienvenus dans la réalité actuelle de l’Amérique, dans laquelle les menaces sont gonflées pour qu’une poignée d’initiés puissent remporter le paquet.

 

Peu de temps après que l’ancien Secrétaire à la sûreté territoriale Michael Chertoff ait fait le tour des plateaux de télévision pour défendre ce type de mesures visant à déjouer "les méchants", l’un des clients de sa société de conseil, Rapiscan, a remporté un contrat de 350 millions de dollars pour fournir les scanners corporels. Ainsi que me l’a dit un superviseur de la TSA après ma propre palpation à caractère sexuel, "Ce n’est qu’une question de bureaucratie – chacun essayant de protéger ses arrières – et il y énormément d’argent en jeu."

 

Ce superviseur m’a de même confirmé – tout comme les conversations internet d’employés de la TSA – que les employés à qui l’on a donné l’ordre de molester les voyageurs sont eux aussi traumatisés. Un vétéran a témoigné que la résistance et le tollé qu’il rencontre de la part des passagers le faisaient pleurer quotidiennement, et que le stress est pire que d’être au combat. D’autres disent qu’ils se sentent dégradés et honteux. Les agents de la TSA travaillent vraiment dans une atmosphère sexuellement hostile, ce qui est illégal.

 

Finalement, il faut se poser la question : y a t-il une composante psychologique dans l’exigence des Etats-Unis de se soumettre à un toucher génital pratiqué par des agents en uniforme ? Il est impossible d’oublier les nombreuses étranges tonalités sexuelles des mesures de l’administration Bush, de la mise à nu forcée des prisonniers – dont les rapports publiés après Abu Ghraib démontrent qu’elle a été systématique, et non une aberration ponctuelle – aux menaces et agressions sexuelles contre ces mêmes prisonniers, aux bizutages à caractère sexuel et aux récits de viols pratiqués en toute impunité par des contractuels, etc.

 

Je ne suis pas en train de dire que les pratiques sexuelles dégradantes ont été intégrées de façon consciente aux nouvelles mesures de la TSA. Mais l’histoire des sociétés closes montre que la nudité et les pratiques à caractère sexuel forcées ou dégradantes deviennent, consciemment ou inconsciemment, un élément de consolidation du pouvoir de l’Etat.

 

Il n’est pas trop exagéré de remettre tout cela dans son contexte : des milliards de dollars de profits dépendent maintenant d’initiés comme Chertoff qui maintiennent la société américaine dans un état d’alerte hypermédiatisé exigeant une technologie de plus en plus coûteuse. Pour préserver ces profits, il faut maintenir la population dans cette forme de psychose par laquelle elle accepte de se soumettre à tout et à n’importe quoi – même à des quasi-abus sexuels d’eux-mêmes et de leurs enfants.

 

Source: La libre Belgique

 

 

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