“Même la pluie” remportera-t-il un Oscar ?

Même la pluie est un film espagnol d’Iciar Bollain avec Gael Garcia Bernal et Luis Tosar. Il représentera l’Espagne pour les Oscars 2011. Le film aborde le thème du pillage des ressources en Amérique latine. Alors a-t-il vraiment une chance de remporter le prix hollywoodien ?

Le film n'a pas encore commencé qu'il se grille déjà devant un public conservateur : il est dédié à Howard Zinn. Qui est ce monsieur ? En 1945, il participait au bombardement au napalm de la ville française de Royan. Son aventure militaire se terminera là. Traumatisé par cet événement, il deviendra l'un des plus grands écrivains contestataires des Etats-Unis. Il est l'auteur du best-seller Une histoire populaire des États Unis qui réécrit l'Histoire des USA, d'habitude héroïque : pour lui, son pays s'est construit par la violence en commençant par le génocide des Indiens, puis l'écrasement des luttes syndicales, enfin par la colonisation militaire de toute l'Amérique et l'impérialisme en Asie et au Moyen-Orient. Dans les années 2000, Zinn s'est opposé à l'invasion et à l'occupation de l'Irak. Il est décédé en janvier 2010, mais son œuvre reste enseignée dans certaines universités.

Après ce bref hommage, nous arrivons en Bolivie, le pays le plus indigène de l'Amérique latine (65% de la population). L'acteur principal, Gael Garcia Bernal, joue un réalisateur mexicain qui arrive à Cochabamba, troisième ville du pays, pour recruter des acteurs et des figurants. Même la pluie est un film sur un film sur l'histoire de Christophe Colomb, sa soif de l'or, sa cruauté avec les indigènes devenant vite des esclaves pour la Couronne d'Espagne.
 

Jusque là, rien de bien nouveau. Déjà Gérard Depardieu qui a incarné le rôle du découvreur de l'Amérique, dans 1492 de Ridley Scott, avait révélé un personnage pas très catholique (ou bien trop). Par contre, on peut se demander pourquoi le réalisateur vient faire son casting dans un pays où Colomb n'est jamais allé. Les premiers indigènes rencontrés étaient ceux des îles Caraïbes et ceux qui ont le plus souffert vivaient sur l'actuelle île d'Haïti. En réalité, le producteur, incarné par le galicien Luis Tosar, impose la Bolivie car les Boliviens quechuas coûtent moins chers que les Aztèques ou Mayas d'Amérique centrale et, peu importe leurs différences physiologiques puisque « ce sont tous les mêmes » pour le public, selon lui.

Même la pluie entend donc faire un parallèle entre l'exploitation des premiers indigènes rencontrés avec celle de maintenant : l'esclavagisme moderne ou la main d'œuvre à bon marché pour réaliser de juteux profits.
 
Cela aurait pu s'arrêter là, une dénonciation marxiste de l'exploitation de l'homme par l'homme. Mais le film aborde rapidement un autre sujet…
 

 

 

 Le film sur Christophe Colomb se tourne, tout se passe bien, réalisateur et producteur sont heureux de faire de belles images « low cost » … jusqu'à ce que la communauté de la vedette indigène et bon marché se voit confisquer leur source d'eau potable par une grande entreprise, Aguas del Tunari, originaires des Iles Caïman (!). Impossible de tourner le film alors. L'acteur indigène, rebelle dans son rôle de pré-colombien, devient leader d'une lutte contre la multinationale chargée de privatiser l'eau. S'ensuivra la Guerre de l'eau que Cochabamba a réellement connue.


L'histoire vraie de Christophe Colomb, le premier pillard, rejoint l'histoire vraie de la ville de Cochabamba : les actuels héritiers des colonisateurs veulent prendre l'eau aussi, « même la pluie » après avoir pris l'or ! En 1999, la Banque Mondiale avait imposé à la Bolivie de privatiser l'eau sans quoi elle n'aurait pas voulu renouveler le prêt de 25 millions de dollars US. Le gouvernement a suivi. Le prix de l'eau devait ainsi doubler. Les paysans, rejoints par les ouvriers et les femmes, s'organisèrent et se mirent alors en guerre pour récupérer leur eau. Après quatre mois de luttes et de violences policières, le gouvernement dut lâcher prise (1).

Le film sur Cochabamba finit plutôt bien alors, même si le film sur Colomb ne peut pas s'achever car les acteurs décident de rentrer en Europe morts de trouille, même celui qui joue Bartolomé de las Casas, le curé pro-indigène de l'époque. Un happy end donc, comme on les aime à Hollywood, avec les héros qui gagnent à la fin. Mais cela suffira-t-il à remporter l'Academic Award de Los Angeles ?

Certes les États-Unis ne sont pas directement accusés dans ce film, mais d'une manière générale l'exploitation qui dure depuis 1492. Au départ espagnole et maintenant via des entreprises, dîtes multinationales, mais en fait d'Europe et d'Amérique du nord, voire d'Israël et d'Afrique du Sud.

Et même si certains pays latinos sont devenus socialistes en rejetant en partie la domination et l'exploitation par le Nord (Venezuela, Bolivie, Équateur), le reste du sud du continent américain voit encore ses richesses partir à bas prix vers l'étranger. Et en cas de résistances même pacifiques, c'est la répression violente qui s'exerce : massacres de communautés, assassinats de leaders, intimidations avec les enfants et les femmes comme victimes, tortures, disparitions…

Actuellement, c'est surtout en Colombie (même si cela vaut aussi pour le Chili (2), ou le Honduras (3)) que le « happy end » se fait attendre. Les entreprises pétrolières exproprient puis polluent pour enrichir quelques dizaines de Colombiens, et surtout les actionnaires de BP et Exxon. Mais en plus de l'or noir, il y a l'or vert. Pour lutter contre le réchauffement climatique et satisfaire les « désirs d'écologie » des occidentaux, des investissements sont réalisés dans le biocarburant. Pour cela, il faut planter des millions d'hectares de palmiers à huile sur des terres riches, là où vivent les communautés paysannes, là où existent encore des écosystèmes propres (quid de l'écologie ?). Donc expropriation violente : depuis une vingtaine d'année, 3 000 000 personnes expulsées (1 par ha cultivé). Plus 30 000 assassinats. Et même la pluie, l'or bleu ! L'État colombien est en train de privatiser l'eau de son pays, au profit notamment d'une entreprise espagnole AGBAR (Sociedad General de Aguas de Barcelona S.A.). Et là aussi, il faut déplacer les populations, vivant près des sources, souvent indigènes qui doivent partir grossir les quartiers périphériques des grandes villes. La Colombie porte tristement bien le nom de son découvreur.
 

Champ de palmiers africains en Colombie

De plus, l'Union européenne, pour faciliter le commerce ou l'exploitation des richesses de la Colombie, négocie en ce moment un accord de libre échange, en dépit des violations quotidiennes des droits de l'homme pourtant dénoncées à Bruxelles (4). Dernière en date, une nouvelle fosse commune découverte avec 1500 cadavres (5).

Si le film sur Colomb avait été tourné avec la situation colombienne, il aurait été difficile d'arriver à un « happy end ». Et là aucune chance de recevoir l'Oscar en réveillant les consciences des publics occidentaux. Mais de toute façon, Iciar Bollain est déjà allée trop loin. Hollywood ne souhaite surement pas donner une tribune à la dénonciation.

Alors, allons le voir pour apprécier un cinéma qui soit plus que du divertissement.
 
 
Notes :

 
Sur le thème de l'eau, voir aussi "Les 7 péchés d'Hugo Chavez" de Michel Collon, pp 99 à 104.




 
 
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