Médias US Anti-Chavez : la Fabrication du Mensonge

En analysant la couverture du Venezuela par la presse étasunienne, il est édifiant de voir comment les reportages d’actualité "fabriquent" les questions politiques. Partant de l’hypothèse de base que la fabrication est un procédé qui consiste à sélectionner certains fragments d’une réalité rencontrée et à les rendre proéminents dans un texte, on peut en déduire que les nouvelles constructions ne sont pas nécessairement neutres sur le plan politique ou idéologique. En mettant l’accent sur certains fragments d’une réalité perçue et en omettant ou minimisant les autres, les médias étasuniens peuvent ainsi promouvoir leur propre ordre du jour politique.

REGARDS sur ces MEDIAS qui "MENTENT JUSQU’à L’EXTASE"*

CounterPunch, 1 er juin 2005.

Un examen sur la période récente du traitement du Venezuela par le Miami Herald, le New York Times et le Christian Science Monitor laisse supposer que les médias US recourent fréquemment à des systèmes informatifs partiaux et que le choix des analystes "indépendants" sur lesquels s’appuyer est fortement corrélé au niveau de parti pris.

Systèmes d’Information Partiaux

Pour illustrer ce que signifie la construction partiale, il est instructif d’analyser un article récent du Miami Herald intitulé : "Chavez lorgne sur les terres improductives, accroissant les craintes" (22 janvier 2005). Un examen superficiel révèle que le récit est principalement construit en termes "personnalistes" : le président du Venezuela, Hugo Chavez Frias, "lorgne sur les terres improductives…". La construction personnaliste–un favori du Herald–met immédiatement en avant l’idée d’un leader tout-puissant, dressant le portrait d’un président unique responsable des "peurs suscitées". L’article omet de mentionner que la politique en question repose sur d’importantes forces sociales et sur un soutien politique populaire confirmé par une série de consultations électorales.

Outre l’usage de la construction personnaliste, le Herald se sert du cadre des "droits de propriété" pour faire ressortir les "peurs" qui se sont répandues principalement chez les propriétaires hostiles au gouvernement. A un moment de l’article, néanmoins, il est indiqué que la réforme agraire "donne de l’espoir à beaucoup de paysans sans terre". En d’autres termes, le Herald choisit explicitement de mettre l’accent, dans le titre même, sur les "craintes" des grands propriétaires terriens et de minimiser l’appui des paysans sans terre à la réforme agraire.

Le Herald se sert aussi des leçons qu’il conviendrait selon lui de tirer de l’histoire des réformes agraires en Amérique latine. Selon le Herald "la réforme agraire est un terrain dangereux et l’histoire n’a pas été tendre pour ceux qui ont précédé Chavez sur cette voie : Jacobo Arbenz au Guatemala en 1954 tout comme Salvador Allende au Chili en 1973 ont été balayés par des coups d’Etat soutenus par les EU après qu’ils eurent confisqué des terres incultes". L’hypothèse sous-jacente à la leçon historique que le Herald estime devoir tirer, est que la réforme agraire n’est rien d’autre qu’une provocation visant les groupes politiques et économiques qui s’y opposent. La charge de la responsabilité de la déstabilisation politique est ainsi transférée sur les gouvernements qui mettent en oeuvre une telle réforme. L’article semble ignorer que la plupart des chercheurs contemporains en histoire moderne de l’Amérique latine ne soucrivent pas à cette vision bienveillante à l’égard des dictatures militaires de droite, qui au Chili comme au Guatemala ont renversé des gouvernements réformistes élus démocratiquement et ont contrecarré la réforme agraire (avec l’appui des élites locales). Une leçon alternative pourrait être que, dans l’intérêt de la démocratie, les élites économiques devraient apprendre à vivre avec la réforme agraire, et que le gouvernement des Etats Unis ne devrait pas soutenir ces élites quand elles tentent de renverser des gouvernements populistes de gauche.

Les correspondants étasuniens se réfèrent à des variantes du "droit de propriété" lors de leurs couvertures tendancieuses à l’égard du gouvernement du Venezuela. Par exemple le Los Angeles Times (du 30-01-05) prête une attention particulière aux plaintes des propriétaires privés des médias privés au Venezuela, critiquant avec virulence la nouvelle loi sur les médias, laquelle limite la diffusion dans la journée de sexe, violence et insanités. L’article du Times, qui est révélateur de la manière dont les médias étasuniens, la plupart du temps, ne contextualisent pas avec précision les questions, omet par ailleurs de signaler que la Commission Fédérale des Communications (FCC) impose des restrictions similaires en matière de radio et télédiffusion publique.

La loi vénézuélienne sur les médias a certainement été, partiellement, conçue pour réduire la manipulation politique par la présentation d’images violentes, mais c’est par la critique de la nature de la propagande des médias privés anti-gouvernementaux qu’on comprend mieux pourquoi le législateur pro-gouvernemental a voulu établir une règle. Le Los Angeles Times omet d’aborder la manière dont les médias privés ont, au Venezuela, mené des campagnes pour déstabiliser politiquement et économiquement le pays. Comme l’a souligné le politologue Daniel Hellinger [1], les médias privés vénézuéliens ont fait plus que d’être partisans. "Ils ont activement organisé les efforts pour éliminer Chavez : via un coup d’Etat, les arrêts de la production et la procédure révocatoire"(Latin American Perspectives, mai 2005).

La manipulation d’images violentes à des fins politiques partisanes a été une marque de fabrique des chaînes privées du Venezuela. Le plus célèbre exemple de diffusion télévisuelle est peut-être –lors du coup d’Etat qui a échoué– une vidéo montrant des supporters de Chavez tirant au pistolet d’un pont proche du Palais présidentiel [2]. La voix off de la vidéo indique que les tireurs visent la marche pacifique de l’opposition située en contrebas, mais Eva Golinger a mis en évidence dans un article pour le site d’information alternative Venezuelanalysis (25 septembre 2004) que la vidéo "manipule le cadre et se garde bien de montrer la scène sous son angle le plus large". Des enregistrements vidéo simultanés ont prouvé qu’il n’y avait pas en contrebas de manifestants mais des policiers–sous le commandement d’un maire d’opposition–"se cachant derrière des véhicules et des immeubles, en train de tirer sur les supporters de Chavez se trouvant sur le pont".

En dépit des tromperies des médias privés du Venezuela, le L.A.Times présente favorablement la chaîne d’information en continu Globovision comme "un contrepoids à la chaîne gouvernementale Venezola de Television. Il serait en réalité plus juste de présenter la chaîne d’Etat comme le véritable "contrepoids", étant donné que les chaînes privées continuent de dominer les écrans au Venezuela. De plus le Times ne vient pas équilibrer sa présentation négative de la télévion d’Etat en précisant que Globovision sert aussi de "porte-parole" à ses propriétaires (et par là-même aux groupes politiques et économiques qui sont leurs alliés).

Les structures informatives qui estiment qu’une politique de régulation d’un gouvernement de gauche est essentiellement autoritaire par nature ont une caractéristique commune : elles omettent de poser la question de savoir si un pouvoir économique privé peut sans entrave être compatible avec la démocratie. Dans les articles de presse aux Etats-Unis sur le Venezuela, les acteurs privés qui détiennent un grand pouvoir économique (à savoir les magnats des médias, les propriétaires fonciers, etc.) sont généralement présentés comme de simples victimes des prétendus abus de pouvoir gouvernementaux, avec peu d’intérêt sur la manière dont ces acteurs privés ont exercé leur propre pouvoir et s’ils l’ont exercé de manière démocratique.

Sélection Biaisée des Sources Indépendantes

La pratique journalistique dominante aux Etats-Unis, qui met l’accent sur la nature supposée autoritaire du pouvoir d’Etat (tout en évitant de traiter des ramifications politiques et sociales du pouvoir privé), est confortée par la sélection biaisée des sources d’information indépendantes et par le choix des analystes indépendants. L’analyse laisse penser que les journaux étasuniens cherchent à dissimuler leur parti pris en triant sur le volet leurs analystes indépendants–dont les affiliations politiques ne sont pas indiquées–pour cautionner la mise en accusation du gouvernement de Chavez. Les citations des analystes indépendants retenus permettent en outre aux journalistes et rédacteurs de donner une couverture cognitive rationnelle à leurs reportages partiaux, comme si la confirmation de leurs déclarations par ces analystes rendaient les récits "objectifs".

En examinant les articles consacrés au Venezuela dans cinq grands quotidiens des E.U. (Le Miami Herald, le New York Times, le Washington Post, le Los Angeles Times et le Chicago Tribune) sur près de 3 années (entre 2002 et 2004), j’ai trouvé que les 4 analystes indépendants les plus cités étaient des opposants au gouvernement de Chavez.

La source indépendante la plus utilisée, Michael Shifter, est un analyste de l’Inter-American Dialogue (IAD), basé à Washington. Un récent article de Christopher Clement [3] dans l’érudite revue Latin American Perspectives (mai 2005) souligne que l’IAD a reçu des financements importants du National Endowment For Democracy (NED), un organisme fondé par le Congrès des EU, qui a aussi financé massivement l’opposition politique au Venezuela. Le rapport politique 2003 de l’IAD s’inquiète de la "perte de confiance" des citoyens et des gouvernants latino-américains dans les réformes politiques et économiques préconisées par les EU.

Pour illustrer comment une source indépendante peut servir à appuyer un récit journalistique déséquilibré, nous mentionnerons un reportage du Christian Science Monitor du 29 mars dernier, qui insiste sur les "penchants autoritaires" du président vénézuélien à partir d’une citation de Shifter suggérant que la popularité acquise de fraîche date par Chavez en Amérique latine menace la démocratie, la liberté individuelle et l’état de droit.

La seconde source indépendante la plus citée est l’historien vénézuélien Alberto Garrido, un critique notoire du gouvernement vénézuélien. Dans un article du 6 décembre 2004 du Miami Herald, déjà tendancieusement intitulé "Les recrutements du maire de Caracas qui font peur", Garrido est cité pour sa dénonciation d’un "groupe paramilitaire" vénézuélien de gauche "devenu l’arme politique du mouvement de Chavez". Dans un autre article (New York Times du 20 novembre 2004), Garrido déclare que "l’opposition, de fait, a été criminalisée".

La troisième source indépendante la plus prisée est le directeur de journal vénézuélien Teodoro Petkoff [4], un autre critique virulent du gouvernement de Chavez. Les citations de Petkoff servent souvent à l’appui de narrations partiales. Par exemple un article du New York Times du 8 décembre 2004 assure que la nouvelle loi sur les médias va permettre au gouvernement vénézuélien de "censurer" la presse. L’affirmation du reporter est suivie d’un propos attribué à Petkoff qui estime que la "loi sur les médias est suffisamment vague, suffisamment large pour qu’on y mette de tout dedans".

La quatrième source indépendante préférée est le spécialiste vénézuélien des sondages Luis Vicente Leon, lui aussi un opposant au gouvernement, encore que ces dernières années il soit devenu plus prudent dans l’expression de ses critiques, en raison de son activité de directeur d’un Institut de Sondage. Les options politiques de Leon sont évidentes dans un article du Los Angeles Times du 20 novembre 2004, dans lequel il dit que le gouvernement pourrait "à nouveau prendre des mesures répressives contre l’opposition" en réponse à l’assassinat d’un important procureur d’Etat (il s’agit du procureur Danilo Anderson, Ndt).

Le cinquième analyste le plus cité, Larry Birns [5], du Council on Hemispheric Affairs basé à Washington, peut être considéré comme mieux disposé à l’égard du gouvernement vénézuélien. Dans une émission de radio aux E.U. (Democracy Now ! 19 janvier 2005), Birns a déclaré : "Le président Chavez, aussi bruyant et agité soit-il, est tout de même un président constitutionnel. Il y a eu des violations mineures des droits humains, si vous estimez fondées les accusations de l’opposition. Mais elles sont mineures. Il a respecté la liberté de la presse, la liberté d’opinion".

Les Analystes Indépendants Non Cités

Il est nécessaire de souligner que de nombreux spécialistes de la politique du Venezuela partagent l’opinion de base de Birns et probablement contesteraient les allégations selon lesquelles, "un groupe paramilitaire" serait devenu "l’arme politique du mouvement de Chavez", la loi sur la presse serait destinée à "censurer" les médias et le gouvernement vénézuélien serait disposé à "réprimer" et criminaliser l’opposition politique. Cependant, les citations dans la presse d’analystes partageant la position de Birns sont plus que rares.

Par exemple, Julia Buxton, une chercheuse britannique qui a récemment contesté la comparaison faite par Shifter entre le gouvernement de Chavez et les anciennes dictatures militaires du Cône Sud, n’a jamais été mentionnée dans les articles de presse aux EU. Buxton a réfuté comme suit, dans une analyse pour Venezuelanalysis (du 25 avril 2004), la thèse de Shifter :

"Il est erroné de prétendre que Chavez n’est pas issue d’une tradition de lutte pour la démocratie. Au contraire, le mouvement chaviste est un produit du manque de démocratie au Venezuela entre 1958 et 1998, un produit de l’exclusion politique, économique et sociale qui a prévalu durant toute cette période, et un produit d’un mécontentement massif à l’égard des institutions et des politiques d’Etat corrompues. On peut ne pas être captivé par le type de démocratie que Chavez cherche à construire, où par la manière qu’il a choisi pour y parvenir, mais il est important de relever que le gouvernement de Chavez a fait rentrer dans le processus politique des populations exclues et marginalisées et a démocratisé le pouvoir". [6]

Le numéro de mars 2005 de Latin American Perspectives publie des articles sur le Venezuela écrits par huit chercheurs qui dans l’ensemble partagent les vues de Buxton sur le gouvernement de Chavez : Steve Ellner, Miguel Tinker Salas, Edgardo Lander, Dick Parker, Jesus Maria Herrera Salas, Margarita Lopez Maya, Luis Lander et Maria Pilar Garcia-Guadilla. Mes recherches personnelles indiquent qu’aucun de ces huits spécialistes n’a jamais été cité, au cours des trois années écoulées, que ce soit dans le Miami Herald, le New York Times, le Los Angeles Times ou le Chicago Tribune.

Pour résumer

La sélection manifestement partiale d’analystes indépendants par la presse étasunienne met dans l’incapacité les lecteurs étasuniens d’envisager des perspectives alternatives ainsi que de se faire leur opinion propre sur le Venezuela. En s’appuyant de manière quasi-exclusive sur des analystes indépendants hostiles au gouvernement du Venezuela, les journaux étasuniens propagent subjectivement des opinions politiques précises tout en désarticulant celles des autres. Etant donné que les analystes indépendants sont rarement impartiaux sur la politique vénézuélienne, une approche journalistique vraiment équilibrée nécessiterait que les correspondants compensent les avis des analystes anti-gouvernementaux par un nombre sensiblement équivalent d’avis d’analystes favorables au gouvernement. En l’absence d’équilibre des sources, les journaux étasuniens violent de manière flagrante le code d’éthique de la Société Américaine des Editeurs de Journaux qui édicte q u’une "saine pratique… exige que le lecteur puisse clairement distinguer entre information et opinion".

Justin Delacour

22 juillet 2005

Justin Delacour, auteur indépendant, est doctorant en science politique à l’Université du Nouveau Mexique.

Contact : jdela@unm.edu.

* Selon le mot de Pascual Serrano, directeur de Rebelion.com

Traduit de l’anglais par Max Keler pour Révolution Bolivarienne N° 12.

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