Liberté d’expression vs. surveillance @@ à l’ère du numérique

Autrefois apanage des gouvernements et des grandes entreprises, les instruments conçus pour la communication de masse tiennent désormais dans la poche. Les téléphones portables sont ainsi faits qu’ils permettent d’enregistrer des vidéos et de les envoyer sur internet sans même se brancher à un câble.

24 juin 2009

En quelques clics, quiconque peut donc envoyer des témoignages, des photos et des vidéos à des milliers, voire des millions de personnes via les sites de réseautage social. Parallèlement, la technologie a aussi multiplié les possibilités de surveiller, de filtrer, de censurer et de bloquer les contenus.

Un article paru cette semaine  dans le Wall Street Journal affirme que “Le régime iranien a développé, avec l’aide d’entreprises européennes de télécommunication, l’un des mécanismes de contrôle et de censure d’internet les plus sophistiqués au monde, qui lui permettra d’examiner à très large échelle le contenu des communications individuelles en ligne”. L’entreprise Nokia Siemens Networks fournirait des équipements capables d’effectuer une “Deep Packet Inspection” (DPI), un procédé qui, comme l’explique l’Electronic Privacy Information Center, permet aux fournisseurs de services internet d’intercepter toutes les activités de leurs clients, y compris les données de navigation sur la toile, les courriels et les fichiers partagés en peer-to-peer.
Réfutant ces affirmations, Nokia Siemens a publié un communiqué de presse pour préciser qu’elle “avait fourni des dispositifs d’interception légale dans le seul cadre de la surveillance de communications locales effectuées en Iran.” Mais jusqu’où va la légalité? La notion d’”interception légale” implique la possibilité de surveiller, de localiser et de censurer les gens. Il est grand temps que des normes mondiales soient adoptées pour protéger la liberté de communiquer et de penser autrement.

La Chine dispose d’un équipement de surveillance d’internet et de censure extrêmement sophistiqué – surnommé “the Great Firewall of China”, en référence à la Grande Muraille de Chine – qui avait occupé le devant de la scène peu avant les jeux olympiques de l’été 2008. Juste avant une audience du Sénat américain concernant les droits de l’homme, une fuite a révélé que Cisco, un fabriquant de routeurs internet dont le siège se trouve en Californie, a conclu un marché avec le gouvernement chinois pour fournir l’équipement nécessaire à des activités de surveillance et de censure. Le gouvernement chinois exige que tous les ordinateurs vendus à partir du 1er juillet soient dotés du programme “Green Dam” (Barrage vert), grâce auquel il pourra contrôler encore davantage l’utilisation d’internet.

Josh Silver, directeur exécutif de Free Press, une organisation de défense des médias, estime que la ligne suivie par l’Iran et la Chine devrait réveiller notre attention sur les questions liées à la surveillance nationale aux Etats-Unis. “Cette technologie capable de contrôler absolument tout ce qui passe par internet fonctionne; elle est déjà disponible et la législation américaine ne contient aucune disposition qui pourrait empêcher le gouvernement d’y recourir. Tout le monde sait que sous Bush, la NSA – l’agence de sécurité nationale – a demandé aux grandes entreprises de télécommunication, notamment AT&T et Verizon, de pousser plus avant le développement de la technologie déjà disponible mise au point par des entreprises telles que Cisco.” Cet équipement allait constituer l’épine dorsale d’un programme de surveillance de personnes très controversé (NSA warrantless surveillance controversy).

Thomas Tamm, alors employé au Département de Justice, a tiré la sonnette d’alarme. En 2004, il appelle le New York Times depuis une cabine publique située dans le métro et informe le journaliste Eric Lichtblau de l’existence, à l’échelle nationale, d’un programme secret de surveillance sans mandat. En 2007, le FBI perquisitionnera son domicile et saisira trois ordinateurs ainsi que des dossiers personnels. A l’heure actuelle, Thomas Tamm encourt toujours des poursuites judiciaires.
Thomas Tamm m’a dit: “J’ai fait passer mon pays avant tout le reste. (…) Notre gouvernement continue à violer la loi. Je suis convaincu que le nombre des Américains dont les communications ont été surveillées illégalement est bien plus élevé que ce que l’on croit.”

L’illégalité du programme de surveillance électronique sans mandat a été largement dénoncée. Après un soudain volte-face à mi-campagne, Barack Obama, alors sénateur, s’est rallié à la majorité du Congrès et a voté en faveur de l’immunité rétroactive pour des entreprises de télécommunication comme AT&T et Verizon. Dans une édition récente, le New York Times affirme que la NSA exploite une banque de données du nom de Pinwale, où elle stocke des millions de courriels interceptés, dont certains émanent de l’ancien président, Bill Clinton.
Il y a peu, le sénateur Russ Feingold a demandé au ministre de la Justice Eric Holder s’il considérait qu’à l’origine le programme de surveillance électronique sans mandat était illégal:
Feingold: “Avez-vous quelque doute quant à la légalité du programme de surveillance électronique sans mandat?”
Holder: “Je crois que le programme de surveillance électronique sans mandat tel qu’il existait à l’époque n’était pas très judicieux, en ce sens qu’il a été conçu sans l’approbation du congrès.”
Feingold: “Dans ma question, M. le Ministre, je vous ai demandé non pas si vous estimiez que le programme était judicieux, mais si vous considériez qu’il était illégal.”
Holder: “La politique adoptée n’était pas judicieuse.”

En Iran et en Chine, des dissidents poursuivent leurs actions malgré la répression, exercée au moyen d’équipements fournis par des entreprises européennes et américaines. Aux Etats-Unis, l’administration Obama emprunte une voie dangereuse, en maintenant des programmes d’espionnage datant de l’ère Bush, des instruments qui devraient être abandonnés et dénoncés à la justice, plutôt que défendus et étoffés.
 
Denis Moynihan a contribué à cet article par des recherches.

Traduit par Chloé Meier pour Investig’Action.

Source: DemocracyNow
 

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