Les vacances de l'été 36

Si vous pouviez, Ô mes aïeux,

couchés dans la paix de la terre, si vous pouviez ressusciter,

vous verriez avec des yeux larges de stupeur joyeuse,

Paris en fête comme longtemps il ne l'a été.

En fête ! ? En délire !

Un cortège, non. Une marée.

Soulevée par une lame de fond, elle s'avançait

en vagues lentes sucessives interminables.

Du matin jusqu'à l'apparition de la lune venue cligner

de l'oeil à nos chandelles, nous avons marché.

Le Front Populaire était né. Il triomphait.

C'était beau, grandiose, cette unité bandée comme un arc

visant bien plus haut que la Tour Eiffel

et bien plus loin que la France.

Et la poésie, libérée

des rimes, des encres, des papiers où elle restait confite,

se dévergondait dans la rue, saoule de vie,

de la vraie vie toute en muscles et en nerfs,

et qui vous fait le coeur si béant

qu'un oiseau viendrait s'y blottir et pousser ses cui-cui.

Qu'elle vous rend grand, cette poésie! Et fort

à ébranler les colonnes du temple des finances.

Elle gonflait nos poitrines de chants

Des chants, 0 mes aïeux, qui tonnaient comme des salves

contre les portes des bourgeois, verrouillées

dans l'effroi de ce colossal et fabuleux cortège

au coeur innombrable fourmillant d'étincelles.

En mai 1871, ils battaient des mains

quand les baïonnettes vous fendaient le crâne.

ô votre tragique, glorieux et inoubliable mai !

Les canivaux des faubourgs charriaient votre sang avec honte.

Mais, notre mai victorieux vous venge.

Vive le Front Populaire !

Il chante l'Internationale qu'Eugène Pottier écrivait,

défiant les fusillades.

Il chante avec une telle force, une telle foi

que Paris tout entier vibre comme Notre-Dame

quand jouent les grandes orgues.

Que ceux qui ne sont rien écoutent

Qu'ils sortent l'espoir

trop longtemps confiné dans leur placard comme une mite

et qu'ils le raniment à la lumière de nos lampions!

Qu'il est bon, Ô mes aïeux; de se planter droit,

de porter le regard haut

quand nous l'avons si souvent baissé

en ravalant notre colère,

de savoir que le soleil va se lever et se coucher

sur une terre dont les fruits seront partagés, que la France, désormais, est

NOTRE France.

Enfin douce, elle nous épargnera le Golgotha

sur lequel vous avez crevé

comme un ballot que l'on pousse du pied.

Et, elle nous offre

La Côte d'Azur,

les congés payés,

les premiers de l'Histoire.

Ah ! L'Histoire de France! A nous de l'écrire.

Nous sortirons de l'ombre tous ses enfants sans nom

immolés dans les usines, les mines, les labours,

sur les champs de bataille,

expédiés dans l'autre monde à coups d'encensoir,

estropiés, sacrifiés pour ajouter des perles

aux sautoirs des seigneurs et maîtres

et une rosace au veston des tartuffes de l'Etat.

La crapule est en haut, pas en bas.

Les premières vacances…

Trains, vélos, autos, celles qui toussent,

font des teuf-teuf essoufflés en s'ébranlant

et puis filent, le mors aux dents.

Quelle aventure cette descente impatiente

vers un monde inconnu, La Côte d'Azur.

Qui, est est d’azur, mes aïeux, d’azur merveilleusement

A croire qu'elle sort d'un conte de fée, et tentante,

tentante … comme un fruit défendu.

Et … elle nous attendait.

– Enfin, vous voilà, camarades !

Toujours à mouiller les mollets des nantis …

Quel ennui !

Et pour nous attirer, l'enjoleuse,

elle fait mousser ses vagues au bord du sable,

si blond qu'il fait penser aux cheveux des anges

sur les images pieuses, seuls cadeaux que vous ayez reçus.

Et je te lèche par-ci, et je te lèche par-là.

– Entrez donc! Je vous ouvre les bras.

Et plouf ! Surprise. Joie. Délice.

Ricanez dans vos transats, bourgeois !

Ricanez de nos maillots tricotés à la hâte

qui s'étirent comiquement jusqu'à nos genoux.

Peu importe! La vie est à nous.

Hé oui ! Mesdames, Messieurs, La belle France

avec rois, empereurs et tout son saint-tremblement

goinfrant aux frais du prolo et du cul-terreux

n'existe plus que dans vos regrets et songes-creux.

Celle d'aujourd'hui s'encanaille dans les faubourgs,

la casquette sur l'oreille, elle gouaille à votre nez.

Il faudra vous y faire.

La France qui a enfanté Gavroche est toujours féconde.

Et nous voilà! Gauches encore dans nos ébats tout neufs,

mais prêts à planter nos dents dans l'avenir

que, toujours, vous nous avez arraché des mains

à coups de sabre, à coups de feu

pour le gardez vôtre, sous la vigie de vos dogues.

Barbara Y. Flamand, juillet 2006

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