Les plans du “développement” du Péten face à la résistance

Les communautés du Petén se mobilisent afin de faire front aux multiples menaces présentes, et particulièrement, à venir, sur leur territoire. Elles revendiquent leurs droits à être informées et consultées sur les questions qui les affectent, ainsi qu’à décider de leurs priorités de développement1. L’organisation de cette résistance est le fruit d’un travail considérable du fait de l’immensité du territoire de ce département, de l’importance des ressources naturelles et culturelles, mais surtout en raison de l’absence –et de la négation,
par le gouvernement– de toute information sur les mégaprojets et plans de “développement” aux populations locales.



 

Le 10 septembre 2010, une centaine de délégués de 138 communautés des secteurs Laguna del Tigre, Sierra Lacandón, Ruta al Naranjo, Ruta Centro et Ruta Bethel se réunissaient au Congrès. Ils convoquaient différents représentants de ministères et institutions gouvernementales, afin de les interpeller sur la situation de leurs communautés, et exiger l’information publique concernant: – la reconduction du contrat pétrolier 2- 85 de l’entreprise Perenco, dans le Parc National Laguna del Tigre, – la construction de grands barrages hydroélectriques, – le mégaprojet touristique IV Balam, – les expulsions violentes et illégales prévues notamment dans les zones protégées de la Laguna del Tigre et Sierra Lacandón, problème transversal motivé par ces différents projets et plans de “développement”. – l’accaparement des terres, dédiées aux monocultures et à l’élevage extensif de bétail.

 

Lors de cette réunion, langue de bois et hypocrisie furent à l’honneur. L’accès à l’information fut niée et les réponses aux questions évadées par les représentants de l’Etat. A propos de la reconduction du contrat pétrolier 2-85 de Perenco, –qui opère, depuis 2001, le puits Xan, soit 47 puits sur une superficie de 307 km²– dans la zone protégée de la Laguna del Tigre, le ministre de l’Energie répondait qu’il n’y avait aucune illégalité. Il a également nié l’existence des projets de construction de nombreux barrages hydroélectriques, la plupart situées le long de la rivière Usumacinta, qui fait frontière avec le Mexique. Ces derniers ont été découverts grâce aux investigations réalisées par les communautés elles-mêmes, qui ont obtenu l’information de la Commission Fédérale d’Energie mexicaine.

 

Mégaprojet touristique IV Balam et réaménagement territorial

 

Le mégaprojet touristique IV Balam s’intègre au “Programme de Développement Intégral du Petén”. Ce plan détermine trois espaces de gestion différenciés par leurs dynamiques territoriales. Le projet IV Balam est destiné à la partie nord du département et consiste à développer l’infrastructure nécessaire à la réalisation de circuits touristiques autour des ruines archéologiques Mayas et l’exploitation des richesses naturelles. La partie centrale du Petén deviendrait quant à elle une zone de concentration de la population et de services écotouristiques. Selon les témoignages des représentants des communautés du Petén que nous avons accompagnés lors d’une mission d’observation internationale en novembre dernier2, il est prévu un développement urbain, qui pourrait prendre la forme de ciudades rurales”.

 

Ces “villes rurales” qui se sont déjà mises en place dans l’Etat du Chiapas, Mexique 3, est un phénomène inquiétant, rappelant, au Guatemala, les aldeas modelos” ou “villages modèles” construits pendant la guerre civile pour contrôler les populations paysannes, qui étaient alors sous la surveillance permanente de l’armée. Quant au sud du Petén, il serait dédié au développement de nouvelles mégaplantations, intensifiant ainsi la domination du modèle capitaliste d’agroexportation dans le département, fortement dénoncé par les communautés pour les dégâts irréparables qu’il provoque.

 

Privatisation des terres: la situation s’aggrave

 

Le Petén est souvent associé à l’image de jungle, protégeant des vestiges archéologiques millénaires, parmi lesquels de majestueux temples Mayas. Cependant, en dehors de ces paysages idylliques de sites archéologiques, situés en plein coeur d’une forêt tropicale où la biodiversité est une des plus importantes de la planète, il est impressionnant de constater comment le Petén est rongé par d’immenses plantations et élevages de bétail.

 

La frontière agricole avance et s’étend à perte de vue. Le représentant pour l’Amérique centrale de la Commission Internationale des Juristes, Ramón Cadena, insistait auprès des communautés du Péten, sur le défi de stopper la vente des terres par les petits paysans. Cette dynamique d’achats de terrains particuliers, se fait souvent par tromperies, profitant de la situation d’extrême -pauvreté des familles. Les paysans se retrouvent sans terre –leur seul moyen de subsistance– et se voient ensuite obligés d’en louer, ou d’aller travailler dans les fincas, de dépendre d’un patron et de travailler dans des conditions difficiles, où le droit du travail n’est pas respecté, voire absent.

 

Actuellement, le rythme d’expansion de ces monocultures est inquiétant. Ces grandes plantations –d’une seule espèce végétale – de palmiers à huile, destinés à l’exportation pour la fabrication d’biocarburants et pour l’industrie alimentaire, de papayes, ou les concessions forestières destinées à la production de bois et à l’exportation (bois de teck par exemple), sont autant de terres en moins pour les paysans du Petén. De plus ces cultures assèchent et polluent les cours d’eau. Cet agrobusiness bénéficie de subventions gouvernementales.

 

Des communautés invisibles et menacées d’expulsion

 

La population du Petén est issue de migrations de différentes régions du Guatemala. Il y a notamment de nombreuses communautés Mayas Q’eqchi’es, originaires d’Alta Verapaz –département voisin– qui ont fui les massacres et abandonné leurs terres pendant le conflit armé interne. Les gens sont aussi venus s’y installer avec leur famille par besoin de terres, ou parfois par le biais de programmes gouvernementaux. L’histoire des communautés du Petén est ainsi marquée de déplacements internes, déracinements et réinstallations forcées. Pour comprendre la situation vécue par les populations du Petén, il faut ajouter à cela une totale négligence des instances étatiques. Lors de la mission d’observation internationale de novembre 2010, l’abandon des communautés du Petén de la part de l’État était un des thèmes récurrents dans les témoignages, tout comme leur nonreconnaissance ou “invisibilité”. En effet, comme c’est le cas pour la plupart des régions rurales souffrant de la pauvreté, voir de l’extrême pauvreté au Guatemala, il existe un réel manque de services publics (santé, éducation…) et d’infrastructures.

 

Mais en plus de ne recevoir aucune attention de l’Etat, de nombreuses communautés vivent avec l’angoisse d’être expulsées de leurs propres terres. La situation est ainsi critique pour les populations qui vivent dans les régions de la Sierra Lacandón et de la Laguna del Tigre, déclarées Parc Nationaux en 1990 . En effet, le statut de protection de ces régions interdit aux populations de s'y installer. Cependant, dans beaucoup de cas, les familles sont arrivées avant l'approbation de la loi sur les zones protégées (1989, Décret 4-89) et de ce fait, disposent, comme l’entreprise pétrolière Perenco (avant la reconduction du contrat, antérieur à la loi), du droit de s'y maintenir.

 

De plus, une grande partie des communautés ne possédant pas de titres de propriété, elles ne sont pas reconnues par l’Etat : celles-ci n’ont alors pas de Conseil Communautaire de Développement reconnu, et n’ont de fait pas de voie de participation aux Conseils municipal et départemental. Les expulsions sont ainsi facilitées par l'incertitude juridique qui entoure la titularisation des terres dans le département du Petén. Plusieurs de ces communautés vivent aujourd’hui dans des conditions inhumaines, dans des campements de fortune, après avoir été victimes d’expulsions violentes4 réalisées avec une participation importante de l’armée ou vivent sous la menace de l’exécution d’ordres d’expulsion. Celles-ci sont réalisées sans suivre les normes et lois existantes, et les communautés dénoncent leur violence et la disproportion employée lors de ces interventions des forces armées. D’autre part, cela fait (re)vivre une situation de terreur aux populations locales, dont l’inquiétude est “d’être une fois de plus, dans leur vie et leur histoire, déplacées et concentrées par les gouvernements afin de permettre l’implantation de monocultures, hydroélectriques […] d’entreprises pétrolières et de mégaprojets touristiques”5.

 

Criminalisation de la résistance

 

A l’instar d’autres populations rurales en résistance, les communautés du Petén sont la cible de stratégies de criminalisation, autre prétexte pour les expulser de leurs terres et discréditer les luttes paysannes. Dans le discours officiel donc, les habitants des communautés ne sont rien de plus que des “envahisseurs” qui aident les trafiquants de drogue et sont à l'origine de toutes les menaces pesant sur le Parc National de Laguna del Tigre (PNLT): déforestation, trafic de bois, ouverture de brèches, etc.

 

Les communautés ont ouvertement critiqué cette criminalisation à leur encontre dans un communiqué de janvier 2009 dans lequel elles insistent : “Nous nions catégoriquement être des trafiquants de drogue et des délinquants, comme l’affirme le président de la République. Nous sommes 37 communautés, de plus de 20 000 personnes installées depuis plus de 15 ans dans la région de la Laguna del Tigre, où nous vivons de l’activité agricole. Cependant, on ne nous laisse pas vivre en paix, on nous enlève nos machettes, nos animaux domestiques et aux éleveurs de bétail de la même région, on ne leur dit rien, ni à l’entreprise PERENCO qui perfore des puits et extrait du pétrole dans la région.”6

 

C’est en effet dans le PNLT que l’entreprise française a vu reconduire son contrat d’exploitation pétrolière 2-85, pour 15 années supplémentaires, reconduction entourée d’illégalités. “Pourquoi pour les entreprises étrangères il y a des permis alors qu'à nous, guatémaltèques, on ne nous permet pas de rester sur nos terres?”, manifestait un habitant de la Sierra Lacandón à la mission d’observation de l’OACNUDH.7

 

Un autre aspect de la criminalisation et de la négation des droits des populations est le renvoi, en janvier dernier, des deux prêtres de la paroisse de La Libertad, acteurs centraux dans la revendication du droit à la terre et pour la reconnaissance des communautés du Petén, et piliers de l’organisation des visites de cette mission d’observation.

 

Source: Collectif Solidarité Guatemala

 

 

Notes :

1 Articles 6 et 7 de la Convention 169 de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989. Cette convention a été ratifiée en 1996 par le Guatemala. La convention reconnaît les droits territoriaux des populations autochtones et stipule qu’elles doivent être consultées avant tout projet qui serait autorisé sur leurs terres.

 

2 Mission sollicitée par les représentants des communautés du Petén au Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, OACNUDH pour son sigle en espagnol (Oficina del Alto Comisionado para los Derechos Humanos).

 

3 Articles et vidéos sur les villes rurales au Chiapas: www.ciepac.org/boletines/chiapasaldia.php?id=571 et www.ciepac.org/documento.php?id=307

 

4 Plusieurs expulsions ont déjà eu lieu dans le Parc National Laguna del Tigre. C'est le cas des expulsions violentes des communautés de La Florida (janvier et mars 2008), El Picudo (mars 2008), El Vergelito (janvier 2009) et du Cruce Santa Amelia (janvier 2009), entre autres. 5 Bulletin de Resistencia de los Pueblos. Déc. 2010. Voi r resi stenciadlp.webcindario.com/pdf/ boletin_Petén12_2010.pdf

 

6 pepitorias.blogspot.com/2009/01/guatemalaviolencia.html

 

7 Réunion publique, Sierra Lacandón, 24 novembre 2010

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