Les métamorphoses du Parti de Dieu

De grands drapeaux jaunes avec le logo vert du mouvement chiite Hezbollah, la résistance islamique libanaise, sont apparus hier (mercredi 12 juillet) vers midi sur les façades calcinées des immeubles de la banlieue sud de Beyrouth ; à côté de celles de l’Italie et du Brésil, les équipes le plus populaires ici pendant la récente coupe du monde, ainsi que sur les antennes radio des voitures et sur les épaules de jeunes qui, à bord de grosses motos et de toutes sortes de véhicules, rappelaient à la ville, par un concert de klaxons, ce qui était en train de se passer le long de la frontière avec Israël.

A la nouvelle de l’attaque et de la prise des deux soldats israéliens, jeunes et moins jeunes sont descendus dans la rue avec des coupes pleines de ces délicieux gâteaux provenant des meilleures pâtisseries de la banlieue sud, qu’on appelait autrefois la « ceinture de la misère et de la peur ». Misère pour les pauvres paysans chiites du sud Liban, réfugiés dans la capitale avec leurs maigres bagages, après s’être échappés des champs de tabac du sud, à l’époque de la première invasion israélienne en 1978, et installés comme ils peuvent chez des parents et amis.

De la peur, à cause surtout des contingents étasunien et français, déployés après l’invasion du Liban en 1982, pour défendre le gouvernement d’Amin Gemayel, dont les dirigeants sautèrent de 1982 à 1984, et à cause des nombreux enlèvements de citoyens occidentaux souvent cachés dans des baraquements sauvages de Ouzal, réputés pour leurs menuisiers et mécaniciens, quasiment sur les dunes de sable face à la mer. Cette même banlieue où, avant les chiites du sud pendant les années 70-80, s’étaient installés en 1948 les réfugiés palestiniens qui avaient été chassés de leur terre. L’attaque des Hezbollah, amplifiée par la radio du mouvement et par la chaîne Al Manar a galvanisé l’opinion publique au sud Liban et à Beyrouth, en une forme concrète de solidarité avec les palestiniens, un geste modeste mais important face à la paralysie arabe, à la complicité des USA avec Israël et aux silences européens coupables.

Manifestations de fête aussi, pour l’opération Hezbollah, dans les villes libanaises du sud, à Tyr, la plus proche de la frontière, comme à Sidon, qui héberge plus de 90.000 palestiniens. Feux d’artifice et salves mais aussi craintes pour une situation qui pourrait ultérieurement empirer. « Peu de gens dormiront cette nuit à Beyrouth ou dans le sud, – nous dit le directeur du quotidien progressiste Talal Salman – parce que le danger d’une précipitation de la situation, étant donné l’aventurisme du gouvernement israélien soutenu par les Usa et par la pédanterie européenne, est très fort. Les prochaines 72 heures seront décisives. L’impunité et le soutien acritique pour Israël ont toujours été à l’origine de terribles tragédies pour le Moyen Orient et pour Israël même ».

Le parti des Hezbollah, par l’opération d’hier, entendait répondre au plan de la France et des USA, couvert aussi par l’ONU, d’arriver à un désarmement de la résistance libanaise sans aucun retrait israélien, ni de la Palestine, ni même des Fermes de Shebaa, sur les pentes du Golan – qui, pour les gouvernements libanais et syrien, appartiendrait à la république des cèdres, et pour Israël et l’Onu, par contre, serait à la Syrie. Le mouvement chiite et une majorité de l’opinion publique libanaise affirme par contre que la résolution 1559 pour le désarmement des milices ne concerne pas la résistance des Hezbollah en tant que celle-ci assure le devoir de défendre et libérer le pays et aurait donc un caractère « national » et non partisan. Le désarmement ou pas de la résistance, exigé par les Usa et la France, a profondément divisé non seulement les forces politiques du pays mais aussi le gouvernement d’unité nationale, en amenant celui-ci à une paralysie totale, et le pays au bord du gouffre. Au gouvernement s’affrontent en fait une majorité pro-américaine composée du premier ministre Foud Sinora, représentant de la famille Hariri, le phalangiste Samir Geagesa, le leader des droites chrétiennes Amin Gemayel et le leader druze Oualid Joumblatt. De l’autre côté se trouvent par contre la minorité (en réalité majoritaire dans le pays) constituée par les partis chiites Hezbollah et Amal, une partie de la communauté sunnite, le fameux général chrétien Michel Aoun – avec le plus important groupe chrétien représenté au Parlement – des leaders prosyriens comme Karamé et Franjieh, et laïques comme Selim el Hoss. Au centre du conflit entre les deux parties, outre la résistance et la Palestine, se trouve le délicat problème des rapports avec les USA d’une part et Damas de l’autre.

En réalité les plans étasuniens se sont ensablés en particulier sur l’alliance inédite entre le général chrétien maronite Michel Aoun (héros de la guerre de libération contre la Syrie en 1990), le secrétaire Hezbollah, Hassan Nasrallah et les sunnites de Sidon. L’alliance avec Aoun constitue le point d’arrivée d’un long processus de révision de la plate forme politique des Hezbollah qui, partis exclusivement comme mouvement de résistance à l’occupation israélienne, l’été 1982 –même si le parti n’a été fondé qu’en 1985- grâce au soutien des gardiens de la révolution iranienne dans la vallée de la Beqaa, a progressivement abandonné son projet de république islamique de type khomeyniste pour devenir un mouvement de résistance « nationale » et accepter le caractère interconfessionnel de l’état libanais. D’où ses succès, avec des listes interconfessionnelles à la fois aux élections locales, surtout dans le centre et le sud, et aux élections politiques de 2005, quand il a eu 12 députés, constituant, avec les autres mouvements chiites et les parlementaires indépendants, un groupe de 35 députés environ (sur 128) et obtenant deux ministres plus un indépendant dans un gouvernement d’unité nationale de plus en plus précaire.

Edition de jeudi 13 juillet de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/03-Luglio-2006/art39.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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