Les “mariages gris” de Besson et @@une étrange association : l’ANVI

Venu de nulle part, le sujet des “mariages gris” lancé par Eric Besson ? Oh que non. Le ministre se contente de relayer le lobbying de la très peu connue Association nationale des victimes de l’insécurité (ANVI), laquelle lui a fourni “clés en main” témoignages et argumentaire. Et qu’importe si cette officine, proche de l’influent Institut pour la justice, se révèle bien peu recommandable…
Derrière les “mariages gris” de Besson, une étrange association à la manoeuvre : l’ANVI

Chercher, fureter, grattouiller, fouiller en permanence, dénicher de nouveaux angles, trouver des biais originaux… c’est simple : la tâche d’Eric Besson est un véritable apostolat.
Et il faut reconnaître à l’homme un certain talent pour alimenter l’ignoble moulin de l’identité nationale et pour faire tourner sa petite machine identitaire.
Ainsi du nouveau joujou médiatique, lancé hier en grandes pompes et lors d’une conférence de presse au ministère de l’Immigration, des mariages gris, unions censément conclues « entre un étranger et une personne de nationalité française de bonne foi, abusée dans ses sentiments par un(e) étranger(e) dont l’objectif est d’obtenir titre de séjour ou nationalité française ».
De prétendues « escroqueries sentimentales à but migratoire » auxquelles Eric Besson, faute de chiffres et statistiques sur la question, a donné corps en s’appuyant sur la présence d’une cinquantaine de victimes revendiquées.
Soit autant de témoignages livrés sur un plateau aux médias présents et destinés à prouver la justesse du nouveau combat du ministre.
Lequel a aussi mis en avant une certaine Blandine Jullian, présidente de la très méconnue Association nationale des victimes de l’insécurité (ANVI), invitée à prononcer un discours sous les ors du ministère au cours duquel elle a notamment appelé à « modifier l’institution du mariage, concernant un mariage entre français et étranger, en tenant compte de l’atteinte à l’honneur, la dignité de la personne humaine, du fait qu’elle a été instrumentalisée à des fins migratoires » et à « introduire de façon obligatoire la séparation de bien dans le régime matrimonial, pendant cinq ans ».
Oui : rien de moins.

Si la mise en avant par Besson des “mariages gris” a suscité des réactions logiquement indignées, personne ne semble surpris de voir débouler dans le jeu de quilles de l’identité nationale une association jusqu’alors pratiquement inconnue, ni ne paraît s’étonner de la tribune ministérielle accordée à l’étrange Blandine Jullian.
Un silence regrettable, tant “le parachutage” de l’association et de sa présidente dans le débat public est instructif.
En ce qu’il révèle sur la façon dont le ministre et son cabinet mènent l’opération identité nationale, rebondissant sur chaque sujet susceptible de troubler le débat et de jeter le discrédit sur l’immigration.
Et en ce qu’il témoigne de la place croissante accordée à des associations de lobbying, officines s’étant données pour seul objectif le vote de lois toujours plus répressives.

Mariages gris : l’Association nationale des victimes de l’insécurité sonne le tocsin

Pour ce grand coup de projecteur sur les “mariages gris”, tout débute lors du rendez-vous obtenu par l’Association nationale des victimes de l’insécurité (ANVI), le 9 octobre dernier, au ministère de l’Immigration et de l’identité nationale.
Une réunion lors de laquelle sa présidente, Blandine Jullian, revient notamment sur sa volonté de voir la notion de “mariage gris” reconnue par la loi.
Le thème éveille l’intérêt des conseillers du ministre et ceux-ci décident de lui donner l’écho dont rêvait la présidente, elle qui déclarait récemment sur le site de l’ANVI vouloir « faire en sorte qu’une campagne de prévention [sur les mariages gris] soit diffusée en France, par les médias télévisés, style campagne pour les femmes battues, les cancers, la grippe A, etc… »
C’est essentiel : là se croisent deux intérêts bien compris, d’un côté celui d’un ministère soucieux de faire feu de tout bois sur la question identitaire et de l’autre celui d’une très petite association, agréablement surprise de trouver une audience dans les cercles du pouvoir.

Le principe d’une conférence de presse commune est alors arrêté

 
Et l’ANVI, pour lui donner corps et fournir des témoignages, bat le rappel de ceux et celles de ses membres et sympathisants qui auraient été victimes d’un mariage gris.
S’appuyant aussi sur un forum : Arnaque sentimentale, lancé fin 2007 et comptant 180 membres, en théorie tous concernés par la question du “mariage gris” [1] et invités à participer « à la rencontre clé a la main qui se déroulera (…) auprès du ministère de l’immigration »
Une rencontre ainsi présentée par l’une des modératrices du forum (fautes d’orthographe et de syntaxe comprises) :

il faut qu’il y ait 150 personnes qui doivent s’inscrire ensuite une fois qu’on aura atteint 150 personne on a encore le temps d’ici le 4 novembre, et bien les victimes iront au ministère, c’est l’association ANVI qui gère la chose et qui est responsable de cette rencontre, leur but est d’aider les victimes de mariages gris, ensuite tout le monde parlera et s’exprimera dans le but de faire prendre conscience du problème qui se met en place ! une immigration massive passant par le mariage et donc en toute légalité pour obtenir les papiers voilà pourquoi il faut du monde pour que le gouvernement comprenne ce problème qui ne cesse d’augmenter, et pour le système mette en place des solutions, des mesures radicales, que le ministre de l’immigration soit plus sévère on espère obtenir des solutions en ce qui concerne les expulsions !

En son réseau et sur le net, l’ANVI fait ainsi le plein de “victimes”, autant de visages pour donner consistance à la nouvelle marotte d’Eric Besson.
Et lance parallèlement une campagne de lettres-types à envoyer au ministère de l’Immigration : « Je rejoins les nombreuses autres victimes, qui s’adressent à vous, afin que vous mesuriez l’ampleur de ces escroqueries sentimentales, et que par une campagne de prévention vous fassiez en sorte qu’il y ait moins de victimes », déclare notamment la missive, avant de lister les éventuelles « circonstances de l’escroquerie » [2].
Bref : une opération rondement menée, qui permet à Blandine Jullian d’agiter ces lettres comme autant de preuves de la gravité du phénomène des “mariages gris” et à Eric Besson de mettre en avant de poignants témoignages.
Dont une certaine Nadia B., qui a eu l’honneur d’un article dans le quotidien régional Le Progrès :

« Je suis soulagée, enfin on est reconnu ». Nadia B. faisait partie, hier, des invités du ministère de l’Immigration, rue de Grenelle à Paris. Éric Besson a reçu les « victimes des ” mariages gris ” conclus en abusant de la vulnérabilité de personnes en situation de faiblesse, dans le seul but d’obtenir un titre de séjour ou un accès à la nationalité française ».

C’était en avril 2001. Nadia avait épousé à Saint-Genest-Lerpt un garçon présenté par un de ses cousins, resté en Algérie, comme un homme riche, cultivé et à l’esprit ouvert. Nadia voit « le beau parleur » deux fois en présence de ses parents. Malheureusement, elle en tombe amoureuse et le mariage est organisé très rapidement. Trois jours après la noce, l’époux disparaît pendant plusieurs mois et Nadia comprend son erreur.
(…)

La force de Nadia ensuite a été de croiser des hommes et des femmes ayant vécu des situations similaires. Elle les a rencontrés sur un forum internet et c’est là aussi que l’Association nationale des victimes de l’insécurité (ANVI) a lancé l’invitation pour cette rencontre ministérielle.

L’ANVI : une association nauséabonde consacrée par Besson
Que représente l’Association nationale des victimes de l’insécurité ? Objectivement : pas grand chose.
Elle a été créée en juin 1999 dans le Gard, avec pour ambition – entre autres – « d’affirmer et faire respecter le droit à la sécurité et à la sûreté pour tous les citoyens » et « d’obtenir une protection efficace pour tous, exigeant (…) une répression énergique des infractions » .
Et elle ne s’était guère fait connaître jusqu’à présent, si ce n’est par sa participation à quelques colloques autour de la question des victimes (après l’élection de Sarkozy, quand le sujet est devenu central) et par de nombreux communiqués.
Des prises de position publiques qui donnent la mesure de son positionnement politique.
Qu’il s’agisse de dénoncer un prétendu racisme anti-blanc en mars 2005 : « Parce que les faits sont têtus, la vérité parvient toujours à percer. Le 8 mars 2005, au cours de la manifestation lycéenne à Paris, la France découvre que le racisme n’est pas à sens unique, que le racisme n’est pas exclusivement dirigé contre les étrangers et les gens de couleur. Il est impossible, cette fois, de nier que l’attaque était préméditée et qu’elle visait des lycéens français, de culture occidentale laïque et judéo-chrétienne ».
De relayer les communiqués du très controversé et ultra-droitier Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme [3], du Cercle Nation et République (un think-tank souverainiste), ou d’une association réclamant que les criminels les plus dangereux soient « définitivement écartés de la société ».
Ou enfin d’applaudir, en août 2007, à la mise en œuvre de peines-plancher en cas de récidive.
En résumé : l’ANVI est une association fermement ancrée à droite, très à droite, et elle vient de bénéficier, grâce à Éric Besson, d’un joli coup de pub et d’un vernis de respectabilité institutionnelle.
Une belle réussite pour sa présidente Blandine Jullian, ancienne mercière de Vauvert reconvertie dans la dénonciation du « climat de terreur intellectuelle développé en France depuis vingt ans par les gens au pouvoir qui ont prôné le laxisme, la culture de l’excuse et de la victimisation des voyous, et interdit aux citoyens honnêtes de s´exprimer » [4].

Le modèle de l’Institut pour la Justice

Elle a beau ne pas être aussi puissante et efficace que lui, l’ANVI s’inscrit clairement dans une démarche comparable à celle de l’Institut pour la Justice [5].
Association de lobbying lancée il y a deux ans par un couple des Yvelines et qui œuvre en coulisses pour un durcissement tous azimuts de la répression.
Jusqu’à exercer une réelle influence sur les parlementaires de la majorité, à en croire un papier du Monde en date du 10 octobre dernier et titré “L’intense lobbying de l’Institut pour la justice en faveur de lois plus répressives”.
L’article constate ainsi que l’institut est devenu « un interlocuteur ménagé par les pouvoirs publics ».
Explique qu’il distribue de nombreuses notes aux élus et ne cesse de les pousser à la roue.
Et relate qu’il a réussi à bénéficier du parrainage de Michèle Alliot-Marie à l’occasion d’un colloque organisé en octobre sur le thème de la justice, alors même qu’il tenait conférence en juillet « au “Local”, haut-lieu de rendez-vous à Paris de la jeunesse d’extrême-droite ».

Institut pour la justice ou Association nationale des victimes de l’insécurité, deux exemples révélateurs, démontrant qu’à l’action réactionnaire d’une majorité politique qui a fait main basse sur la France s’ajoute l’influence croissante d’officines très idéologiques.

Un poids d’autant plus inquiétant qu’il reste souterrain.
N’est soumis à aucun contrôle.
Et n’est jamais innocent.
Surtout pas quand il s’agit de fournir des armes à un ministre de l’Immigration décidé à instrumentaliser la question de l’identité nationale.
 
Source: Article XI
 
Notes
[1] Lors de l’inscription, le site demande notamment la nationalité du « manipulateur ».
[2] Entre autres : “Ayant une bonne situation sociale”, “Etant fragilisé(e) car en recherche d’affection”, “Etant célibataire”, “Etant handicapé(e)”, “Me remariant j’ai perdu tous les droits aux pensions qui m’étaient versées”, “J’ai été battu(e)”, “N’a pas indiqué sa nouvelle domiciliation”, “Il(elle) ne s’est pas comporté comme un père (ou une mère) avec l’enfant que nous avons eu”, “”Il(elle) a escroqué les organismes sociaux avec des faux papiers”, “Il(elle) a présenté un faux conjoint à la préfecture”, etc… Autant dire qu’il y a l’embarras du choix…
[3] Dont celui de novembre 2005 qui dénonçait, en novembre 2005 et à propos des émeutes de banlieue,« le pogrom antirépublicain que font subir à notre pays depuis 2 semaines, des émeutiers animés d’une haine sans limite et qui ne prennent pour cible que des symboles de l’Etat : ceux de la culture, de l’éducation, de la sécurité et des religions ».
[4] La dame serait aussi l’auteur d’un opus consacré aux violences urbaines, Le drame de Vauvert : le drame de la France. De ce livre, on ne retrouve trace que sur le site de la BNF.
[5] Une proximité d’ailleurs consacrée par un partenariat officiel.

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