Les liaisons dangereuses de Monsieur Kostunica

«Cette fois, j’ai voté Kostunica, car il est honnête. Mais je n’aime pas les gens autour de lui, et j’espère qu’il saura les maîtriser», m’a dit un vieux professeur, ce dimanche 24 septembre, dans un bureau de vote de Belgrade, où j’étais invité comme observateur international. Beaucoup m’ont dit la même chose. Qui donc est derrière Kostunica ?

Face à Milosevic , incarnant la résistance à l’Otan, les dirigeants habituels de l’opposition auraient certainement perdu s’ils s’étaient présentés. Car Draskovic avait baisé la main de Madeleine Albright (USA) en pleine guerre et Djindjic avait fui en Allemagne. Or, la grande majorité des Yougoslaves reste farouchement attachée à l’indépendance du pays.

L’habileté de la nouvelle stratégie a consisté à présenter un homme ‘neuf’, Kostunica, qui multiplie les déclarations ‘critiques’ à l’égard des Etats-Unis et de l’Otan. Mais son programme est celui du G-17 (voir page 2), un groupe d’économistes yougoslaves très à droite:

1. Introduction du deutsche mark comme monnaie nationale! 2. Forte réduction du budget militaire, ce qui priverait le pays des moyens de se défendre contre de nouvelles agressions. 3. Alignement sur les recettes anti-sociales du Fonds Monétaire International. Après une année de sursis, la partie pauvre de la population serait privée du ‘filet de sécurité sociale’ qui lui a permis de survivre jusqu’à présent. Elle devrait acheter les marchandises aux prix régnant en Europe occidentale tout en disposant d’un pouvoir d’achat actuellement proche de bien des pays du tiers monde.

Avec Kostunica, Djindjic et le FMI, la population serait-elle soulagée?

Ces mêmes réformes ont déjà dévasté des pays comme la Bulgarie, l’Albanie ou la Roumanie. Un observateur roumain m’a confié: «On nous avait promis qu’après la chute de Ceaucescu, le capitalisme sans freins apporterait la prospérité. Mais, aujourd’hui, l’économie est en ruines. Nous avons ramassé dix milliards de dollars de dettes, mais on ne voit pas un seul investissement. Les bâtiments en cours de construction sous Ceaucescu ne sont toujours pas achevés, on ne crée pas de nouveaux logements, les jeunes sont forcés d’attendre que leurs parents meurent pour obtenir un appartement. Après avoir cédé à la mode de la consommation Coca Cola, McDonalds et Cie, ils se demandent : «Où vais-je trouver du travail pour survivre?» Beaucoup devront émigrer. L’Allemagne vient d’offrir dix mille visas pour des jeunes qualifiés en informatique. Cet exode des cerveaux privera encore plus le pays de ses moyens de développement.»

Beaucoup d’électeurs ont espéré qu’en changeant de dirigeants, ils seraient débarrassés des sanctions internationales étranglant leur pays. Mais la victoire de Kostunica leur apportera-t-elle réellement le soulagement et la stabilité?

Sans doute de l’argent occidental irait dans certaines poches de ce pays. Le vrai chef de l’opposition, Zoran Djindjic – l’homme qui tire les ficelles de Kostunica – a reçu des millions de dollars pour faire le travail de Washington. Et une nouvelle classe d’hommes d’affaires trépigne d’impatience. Avec les multinationales, elle exige toutes libertés de mettre fin aux protections sociales. Pour exploiter à fond une main d’oeuvre qualifiée et compétente. Elle voudrait imposer une concurrence impitoyable entre travailleurs, les soumettre à la peur du licenciement et du chômage , les obliger à travailler sans respecter la sécurité ni le repos de la nuit ou du week-end.

Comme dans les pays dits ‘avancés’ où une grande partie des travailleurs se crève au boulot, de plus en plus stressés tandis que l’autre partie déprime au chômage. Voilà le sort qui attendrait le peuple yougoslave. Sans compter que la déréglementation chère au ‘G-17’ leur permettrait sûrement de jouir eux aussi de la maladie de la vache folle, de la dioxine ou d’autres pollutions…

Dans le club des voleurs, il n’y a plus de place

Une grande illusion domine actuellement la jeunesse yougoslave, trompée par les promesses de l’Ouest. A juste titre, elle souhaite vivre mieux. Mais elle croit que si elle accepte les volontés des multinationales et des dirigeants occidentaux, la prospérité suivra.

Mais d’où provient cette richesse des multinationales occidentales? Du fait qu’elles ne paient pratiquement pas les matières premières prises au tiers-monde. Et que dans tous les pays où elles vont exploiter des travailleurs, elles font tout pour maintenir les salaires au plus bas. C’est d’ailleurs une règle économique imposée par le système de la concurrence capitaliste : seul survit, celui qui exploite le plus fort. Partout donc, leur intérêt est de maintenir au plus bas les salaires et le niveau de vie général . Sinon, elles partent.

Bref, si les sociétés des pays riches sont riches, c’est qu’elles volent les pays pauvres. Aussi quand elles promettent à un pays pauvre qu’en se soumettant, il pourra rejoindre le club des pays riches, c’est un mensonge. Cette promesse ne pourrait être tenue: s’il n’y a plus d’exploités qui se font voler, il n’y aura plus d’exploiteurs qui s’enrichissent. La seule solution est un monde sans exploiteurs et sans exploités, un monde de réelle coopération internationale basée sur la solidarité.

Colonisation ne signifie pas stabilité

La colonisation de la Yougoslavie et des Balkans par l’Ouest n’apporterait pas la stabilité. Si les inégalités sociales et la misère augmentent, les peuples prendront conscience qu’ils ont été trompés, ils se révolteront pour regagner leur indépendance. Comme déjà en Macédoine et en Roumanie où les élections devraient voir un retour de la gauche. Pour détourner les révoltes, les Etats-Unis et leurs amis essayeraient certainement à nouveau d’exciter des affrontements entre nationalités.

Et si ça ne suffit pas, on verra alors que les bases militaires de l’Otan ont pour fonction non seulement des objectifs stratégiques à l’encontre de la Russie, du pétrole du Caucase et du Moyen-Orient, mais aussi le rôle de réprimer les peuples des Balkans. L’Otan a soutenu les dictateurs fascistes Franco et Salazar, elle a mis en place la dictature des colonels grecs en 1967, puis celle des généraux turcs; elle n’hésiterait pas à recommencer. Mieux vaut ne pas introduire le loup dans la bergerie.

La résistance est donc la seule voie possible pour assurer la paix et le développement social dans les Balkans. Milosevic a déclaré : «Si nous devenions une colonie, nous ne serions jamais libérés des sanctions (l’embargo), car être une colonie c’est la pire forme de sanctions. Si nous devenions une colonie, nous n’aurions aucune chance de développement, ni à court, ni a long terme.»

Sur ce point en tout cas, on ne peut que lui donner raison.

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