Le “texte” de l’accord Hamas-Fatah. Convaincant ?

Palestine Monitor (1), le site web affilié au mouvement Al Mubadara du Dr. Mustafa Barghouti, a publié ce qu’il dit être le “Texte de l’accord entre le Fatah et le Hamas”. Même si la source est digne de confiance, il n’y a aucun moyen de vérifier son authenticité – toutefois il montre que les questions (2) soulevées par Ali Abunimah au sujet de l’accord lorsqu’il a été annoncé ne sont pas près de recevoir une réponse. Ci-dessous le texte et les commentaires d’Ali Abunimah en italique.

Traduit par Al Mubadara, l'Initiative nationale palestinienne, ce document est actuellement en cours de signature par toutes les factions et partis de Palestine.

Sous l'égide de l'Egypte, des délégations des mouvements Fatah et du Hamas se sont rencontrées au Caire le 27 avril 2011 pour discuter des questions relatives à la fin de la division politique et la réalisation de l'unité nationale. En tête de ces questions, étaient exprimées quelques réserves liées à l'Accord d'unité nationale palestinienne de 2009.

Les deux partis politiques conviennent d'un commun accord que la base de la compréhension à laquelle ils sont parvenus pendant la réunion engage les deux partis dans la mise en œuvre de l'Accord de réconciliation nationale palestinienne. La base de la compréhension sur laquelle le Fatah et le Hamas sont convenus est la suivante :

 

1. Élections

A. Commission électorale :

Le Fatah et le Hamas conviennent d'identifier les noms des membres de la Commission électorale centrale en accord avec les factions palestiniennes. Cette liste sera ensuite soumise au Président palestinien qui publiera un décret de réforme de la commission.

B. Tribunal électoral :

Le Fatah et le Hamas conviennent de la nomination d'au plus douze juges membres du Tribunal électoral. Cette liste sera ensuite soumise au Président palestinien afin qu'il prenne les actions juridiques nécessaires à la formation du Tribunal électoral en accord avec les factions palestiniennes.

C. Date des élections :

Les élections législatives, présidentielles et du Conseil national palestinien auront lieu en même temps, un an exactement après la signature de l'Accord de réconciliation nationale palestinienne.

La section sur les élections ne traite que d'aspects techniques limités sur la tenue d'élections dans le cadre des Accords d'Oso pour des élections limitées à la Cisjordanie et à la Bande de Gaza. Elle semble explicitement reconnaître l'existence d'un "Président palestinien" (sans doute Mahmoud Abbas), contredisant ainsi l'accent mis de longue date par le Hamas sur le fait que le mandat d'Abbas avait expiré et qu'il n'avait plus de légitimité.

Elle n'explique pas comment des élections libres et justes peuvent avoir lieu alors que le Hamas est considéré comme une organisation "terroriste" par Israël et qu'il ne sera vraisemblablement pas en mesure de faire campagne librement en Cisjordanie . Le Fatah et le Hamas se sont livrés à une répression politique sévère de leurs adversaires. Pourtant, cet accord n'offre aucune garantie que, nonobstant la tyrannie militaire israélienne brutale sous laquelle œuvrent les deux partis, toutes les autorités palestiniennes respectent les libertés politiques de tous les Palestiniens.

2. Organisation de Libération de la Palestine

Les partis politiques Fatah et Hamas conviennent que les tâches et les décisions de la direction intérimaire provisoire ne peuvent être gênées ou entravées, mais menées d'une manière qui n'entre pas en conflit avec les autorités de la Commission exécutive de l'Organisation de Libération de la Palestine.


Cette clause est mystérieuse. Ce qu'elle semble dire, c'est que l'OLP contrôlée par le Fatah, telle que constituée actuellement, peut poursuivre ses activités de "représentation" des Palestiniens même sans aucune sorte de mandat ou de compte à rendre. En d'autres termes, elle donne autorité à l'OLP contrôlée par Abbas de continuer à reconnaître Israël et à s'engager dans la parodie de processus de paix que le Hamas refuse formellement. Il n'y a rien ici sur la réforme de l'OLP ou sa démocratisation pour restaurer sa légitimité. Une exigence-clé énoncée par de plus en plus de Palestiniens, en particulier les jeunes qui ont organisé les manifestations du 15 mars, et pour des élections au Conseil national palestinien, auxquelles tous les Palestiniens participeraient, pas seulement ceux de Cisjordanie et de Gaza.

3. Sécurité

Il a été souligné la formation d'un Haut comité de sécurité qui sera créé par un décret du Président palestinien et sera constitué d'officiers professionnels faisant consensus.

Une autre clause vague. A nouveau, elle semble restaurer la légitimité d'Abbas en tant que "président" aux yeux du Hamas (un exploit remarquable pour Abbas). Rien ici sur la fin de la "coordination sécuritaire" (collaboration) entre les forces de l'Autorité palestinienne contrôlée par le Fatah en Cisjordanie et l'occupation israélienne. Le Hamas, semble-t-il, est prêt à rejoindre un gouvernement "d'unité" qui coopère ouvertement avec cette même armée israélienne qui assiège et bombarde régulièrement Gaza, et assassine ses cadres. Un arrangement bizarre, pour dire le moins. Il implique certainement qu'il n'y aura pas de véritable intégration des groupes palestiniens armés, mais que chaque faction continuera à contrôler la sienne, sous le chapeau d'un "Haut comité de sécurité" superficiel. Ceci est très peu convaincant.

4. Gouvernement

A. Formation du gouvernement :

Le Fatah et le Hamas conviennent de former un gouvernement palestinien et de désigner le Premier ministre et les ministres par consensus.


Des articles de presse ont dit qu'un tel "consensus" signifierait de se débarrasser de Salam Fayyad, le chéri de la "communauté internationale" (les financeurs occidentaux de l'AP) et de gens comme Thomas Friedman qui ont fait la promotion de l'initiative imaginaire de construction d'Etat de Fayyad.
Il serait intéressant de voir si l'initiative de "construction d'Etat" survit au départ de Fayyad. Les mêmes articles suggèrent qu'un candidat de "consensus" pour remplacer Fayyad serait le milliardaire Munib al-Masri. si cela se produisait, ce serait la confirmation de la néo-libéralisation des élites politiques palestiniennes et l'éloignement de plus en plus grand de toute véritable démocratie et responsabilisation populaire – un processus qui a été repris dans beaucoup d'autres pays et d'anciennes colonies (la Palestine étant pourtant un modèle unique où le processus serait mis en place tout en étant toujours une colonie).

B. Fonctions du gouvernement :

1. Préparation des conditions nécessaire à la tenue d'élections présidentielles, législatives et du Conseil national palestinien.
2. Supervision et gestion des questions principales sur la réconciliation palestinienne interne résultant de l'état de division.
3. Suivi des opérations de reconstruction dans la Bande de Gaza et efforts pour mettre fin au siège et au blocus qui lui sont imposés.
4. Poursuite de la mise en œuvre des dispositions de l'Accord national palestinien.
5. Résolutions des problèmes civils et administratifs résultant de la division.
6. Unification des institutions de l'Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie , dans la Bande de Gaza et à Jérusalem.
7. Détermination du statut des associations, des organisations non gouvernementales et des organisations caritatives.

5. Conseil législatif :

Le Fatah et le Hamas conviennent de réactiver le Conseil législatif palestinien conformément à la Loi fondamentale.


Assez clair, mais à nouveau, difficile de voir comment un "gouvernement" peut "gouverner" quand les ministres Hamas seront menacés d'arrestation ou d'assassinat par Israël et ne peuvent se déplacer librement. Le Fatah et le Hamas peuvent simplement convenir de continuer à gérer leurs fiefs respectifs de Cisjordanie et de Gaza tels qu'ils sont, tout en affirmant le faire sous un seul programme. Le Conseil législatif palestinien, s'il se réunit maintenant (bien qu'il devrait le faire par vidéo-conférence puisque les membres de Cisjordanie et de Gaza ne peuvent se rencontrer en un même endroit), devrait donc regrouper les membres élus en 2006, à une très large majorité Hamas. Cela signifie-t-il que le Fatah est maintenant d'accord pour respecter le résultat de l'élection et se conformer aux décisions majoritaires ?
Il ne faut pas oublier qu'au 15 avril de cette année, Israël détient toujours 13 membres du conseil législatif dans ses geôles. Israël continue de détenir et de harceler les responsables palestiniens élus.

Ce qui est aussi remarquablement absent ici sont des éléments spécifiques. Il y a beaucoup d'engagements à résoudre les problèmes, mais très peu de véritables solutions. Je maintiens mes principales critiques. Le Hamas et le Fatah semblent concernés par la gestion de l'Autorité d'Oslo et n'offrent absolument rien – dans cet accord ou au-delà – comme programme ou perspective pour une libération palestinienne qui unisse, inclue et mobilise tous les Palestiniens. Il n'est fait aucune mention des droits palestiniens, en particulier de réfugiés, aucune mention du soutien à la lutte populaire sur le terrain ou à BDS au niveau international, aucune mention de la situation du peuple palestinien en tant que peuple occupé luttant pour sa liberté. Depuis longtemps, le Fatah fait semblant de diriger un véritable Etat alors qu'en réalité, Israël domine tous les aspects de la vie palestinienne. Il semble maintenant que le Hamas est prêt à rejoindre le Fatah dans ce faux-semblant. "Réconciliation", en effet ! Le Fatah et le Hamas aspirent peut-être à diriger la "municipalité" Cisjordanie et Gaza ensemble, mais nous ne devons pas confondre avec une profonde réconciliation, autour d'une perspective pour le peuple palestinien dans son ensemble, et une stratégie pour y parvenir. Une perspective qu'on ne peut, hélas, leur laisser.

(1) Palestine Monitor, 3 mai 2011
(2) "Questions about "Hamas-Fatah reconciliation", Electronic Intifada, 27 avril 2011

Remarque : l'Agence France Presse a également publié un résumé en arabe  de l'accord.

Source : Electronic Intifada

Traduction : MR pour ISM

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