Le printemps espagnol éclate

Des milliers et des milliers d’indignés poursuivent leur protestation contre la classe politique et l’élite économique. La place madrilène de la Puerta del Sol a recommencé à déborder de personnes, c’est dans les villes moyennes, comme Valence, Séville ou Bilbao, où on a vu le plus la croissance exponentielle du mécontentement. Un fort impact dans le milieu politique.



Moins de football et plus de référendums.


Les places espagnoles se sont à nouveau remplies hier par des milliers de personnes indignés contre le système politique, la crise économique et l’attitude de banquiers et dirigeants des grandes multinationales qui continuent de gagner de l’argent à flots tandis qu’autour d’eux grandit le chômage et se détériore l’état-providence. La journée printanière et l’assurance que la police n’appliquerait pas l’ordre de l’Assemblée Électorale d’interdire les manifestations pendant la journée de réflexion précédentles élections ont encouragé plus de citoyens à rejoindre le mouvement. Tandis que la place madrilène de la Puerta del Sol a recommencé à déborder des personnes, c’est dans les villes moyennes, comme Valence, Séville ou Bilbao, où l’a le plus vu la croissance exponentielle de la protestation.

 

 

À cette date le 15-M est déjà devenu un mouvement très organisé. Sous les tentes bleues il est fréquent de se trouver avec groupes de cyberactivistes en pleine activité. Tandis que les uns se chargent de Facebook, les autres racontent ce qui se passe sur Twitter, plusieurs montent des photos en direct avec leurs mobiles connectés à Internet, d’autres postent dans leur blog des documents pour le débat et il y a même des responsables pour résumer ce dont on parle dans les assemblées qui tous les jours se tiennent à 13.00, dans lesquelles les sujets sont très variés. Une commission de sécurité se charge du maintien de l’ordre et un groupe nombreux de personnes aident ceux qui ont un problème médical ou des handicapés qui s’approchent des places pour manifester. Hier, par exemple, l’assemblée de la Puerta del Sol débattait sur l’opportunité de retirer l’argent des grandes banques, ou d’exiger au Fonds monétaire international que les pays endettés puissent rendre les crédits sans intérêts ou promouvoir une démocratie d’assemblée. « Ensuite – explique David, avec un ordinateur portable dans une main – nous envoyons les conclusions aux autres places espagnoles avec lesquelles nous sommes en contact et de cette façon au fil des jours les mêmes sujets sont discutés dans tous les endroits. »

« L’âge des manifestants a changé aussi avec les jours qui passent. Bien que ce soient les jeunes qui ont entre 20 et 30 ans qui portent le poids de la protestation et représentent la face visible du mouvement, peu à peu des retraités, des employés et des femmes au foyer se sont ajoutés jusqu’à réussir à façonner une carte sociale hétérogène. « Nous venons parce que nous sommes dégoûtés des hommes politiques », explique une dame beaucoup plus au bras de son époux. « Regardez – dit un retraité avec une voix vive – j’ai la chaire de poule, si mon père vivait pour le voir. Quelque chose de pareil n’ est pas arrivé depuis les temps de la République.

Par les places passent aussi les sceptiques qui ne peuvent pas contrôlé leur curiosité. « C’est une chienlit », commente avec un certain mépris un monsieur en costume cravate qui est resté à peine quelques minutes en contemplant la foule. Le climat de fête est réel, mais pour que personne ne doute du sérieux de la protestation les « indignés » ont déjà mis une série d’affiches dans la nuit de vendredi avertissant « Ce n’est pas un botellon », par lequel on désigne en Espagne la réunion de jeunes sur les places les fins de semaines pour boire et s’amuser.

 


La génération perdue n'était pas endormie. Elle étudiait !

L’autre caractéristique du mouvement est l’hétérogénéité des causes qu’il réussit à regrouper. Pendant les derniers jours les autorités se sont trouvées surprises par le nombre infini de demandes d’autorisation pour manifester déposés par plus de 500 différentes associations. Depuis les écologistes aux groupes contraires à la dite « Loi Sinde » [Hadopi] qui limite les chargements de contenus protégés par les droits d’auteur sur Internet. Il y a des associations de consommateurs, de gens touchés par la crise immobilière et qui ont du rendre leur logement aux banques parce qu’ils n’ont pas pu continuer à payer l’hypothèque, il y a des défenseurs des droits des animaux et jusqu’au mouvement « Despacito  » qui propose, la vie lente, comme alternative à la folie du monde moderne. Hier sur plusieurs places des discussions se sont tenues sur l’opportunité d’une « décroissance », théorie économique qui a grandi en France et qui se présente comme l’alternative au néolibéralisme dominant dans cette Europe contemporaine.

La Puerta del Sol, épicentre du printemps espagnol, les indignés ont mis hier sur pied une radio et même il y a eu un groupe qui s’est consacré à planter des légumes dans l’une des fontaines : le message était clair, le mouvement ne s’arrêtera pas lundi après les élections et plusieurs se demandent déjà comment poursuivre, quelles consignes établir comme conditions indispensables pour lever les campements et comment transformer le 15-M en fruits palpables par la société qui s’est majoritairement déversée dans les rues pour les appuyer. À l’heure de pointe de la manifestation, à huit heures du soir, la concentration débordait la place dans une dimension qui n’était même pas survenue dans la nuit de vendredi, qui avait été jusqu’à présent la plus fréquentée. Le mai espagnol semble en avoir encore pour un moment.

15-M a pris les hommes politiques ar surprise. Mariano Rajoy, leader du Parti Populaire de droite, n’a pas caché sa colère avec la situation. D’abord il a dit qu’il était très facile de critiquer les hommes politiques, dans ce qui a été interprété comme une défense fermée de la classe dirigeante devant la tournure qui prenait le mouvement de la rue, ensuite il a avancé que s’il était ministre de l’intérieur il n’aurait pas permis les marches pendant la journée de réflexion ou le jour des élections et enfin il a fini par accepter la décision du gouvernement de ne pas déloger les places par la force, bien qu’il rendit responsable de ce qui pouvait arriver le ministre de l’intérieur, Alfredo Pérez Rubalcaba.

Dans un premier temps la majorité s’est montré déconcertée, ensuite elle a compris la gravité de ce qui arrivait, puisque ceux qui étaient dans les rues pourraient majoritairement être bien des votants indignés et demandaient ouvertement qu’ils ne lui apportent leurs votes , après elle a essayé de faire des clins d’œil au mouvement, jusqu’à ce qu’enfin le vice-président du gouvernement, Alfredo Pérez Rubalcaba, l’homme le mieux situé dans la lutte interne pour la candidature présidentielle, gagne une sympathie inespérée dans les rues en interdisant l’évacuation des places.

 



Izquierda Unida, le troisième éternel dans la discorde, n’a pas non plus pu capitaliser le mécontentement. Bien que les enquêtes prédisent que ses votes seront décisifs dans quelques regions autonomes et mairies, et que les vieux héritiers du Parti Communiste dirigés par Cayo Laro Lara obtiendront aujourd’hui les meilleurs résultats depuis longtemps, il est clair que le vent violent de la protestation les a aussi atteints et en chemin ils courent même le risque de perdre le bastion historiquement rouge de Cordoue, la ville la plus importante en leur pouvoir. Leurs efforts pour gagner la sympathie de 15-M ont semblé vains. Beaucoup de citoyens les identifient comme des alliés du parti socialiste espagnol en dernier ressort et, pour le moment, comme le parti du système politique que l’on met en cause dans les rues.

Pagina 12. Depuis Madrid, le 22 mai 2011

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi


Photographies : Laura MadMax

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