Le peuple congolais sacrifié à la course internationale au profit

Elle portait un foulard bleu clair, comme la plupart des femmes dans ce camp de réfugiés intérieurs (IDP – Internally displaced people). On en avait distribué aux Congolaises, en même temps que des casquettes de baseball aux hommes, lors des élections présidentielles de 2006. On peut y voir une photo du président Kabila et un slogan en français : « Bonne gouvernance ».
8 novembre 2008

Traduit de l’anglais par Jean-Marie Flémal pour Investigaction.

Pourtant, tout ce que Venansia Habimana, une femme déplacée dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), avait à dire, c’est qu’elle souhaitait que son gouvernement instaurât la paix. Elle déclara qu’on la leur avait promise durant cette campagne et elle voulait retourner chez elle.

« Être ici, c’est manquer de tout, mais nous devons tous être en sécurité », a déclaré Habimana à une journaliste blanche solitaire installée dans un cadre carré en bois, guère plus grand qu’un WC mobile et couvert des bâches bleu et blanc des Nations unies. Habimana s’adressait à ce journaliste en 2007, avant que la récente vague de combats n’ait forcé des centaines de milliers de personnes en plus à fuir.

Sans logis et sans revenu, les gens des camps vivaient sans le moindre confort. Il y avait peu d’espace, l’alimentation était mal équilibrée et il n’y avait pas moyen de travailler ni d’occuper les gens quotidiennement. Les IDP sont malvenus auprès des communautés avoisinantes s’ils essaient de se refaire une vie. Ils sont tenus à l’écart parce que l’on craint qu’ils ne prennent les rares emplois disponibles et, ce qui les déprime le plus, ils sont forcés de payer des sommes exorbitantes s’ils veulent faire enterrer leurs amis ou leurs parents qui meurent dans le camp.

Les hostilités ayant repris de plus belle – et vu l’état de guerre qui a ruiné des millions d’existences de Congolais ces deux seules dernières années –, Habimana fait sans doute partie aujourd’hui de la liste des morts anonymes et qui seront bien vite oubliés.

Safari Majune était un représentant des IDP et il avait été désigné par les autres. Il déclara que si les gens désiraient rentrer dans leur propre pays, le principal problème était en fait qu’il n’y avait pas assez de nourriture pour tout le monde, dans le camp. Famine et malnutrition, associées à la malaria et la tuberculose, se traduisent par des taux de mortalité élevés. Plus d’un millier de personnes sont mortes quotidiennement dans l’Est du Congo, depuis plus d’une décennie et, durant des années, il y a eu plus d’un million d’IDP dans la seule région du Nord-Kivu.

Majune est l’une des nombreuses personnes qui, en 2007, a passé plus d’un an au camp des IDP et il est l’un des autres êtres humains susceptibles de se muer en statistique sans signification dans la longue guerre sanglante du Congo.

Ce camp était situé à Rutshuru, juste en dehors de la « zone de sécurité » dessinée par la Mission des observateurs des Nations unies au Congo (MONUC). Il y avait plus de 4.250 enfants, hommes et femmes dans ce seul camp, en 2007. Ils vivaient sous des abris en feuilles de bananiers qui ressemblent à des tentes de campeurs, petites et brunes.

Avec une foule d’IDP se pressant contre les bâches de l’ONU pour voir la « mazungu » (femme blanche), dans l’espoir de lui parler ou d’obtenir un peu de nourriture ou d’argent, Habimana raconta son histoire. Ce n’est que l’histoire trop familière des femmes IDP partout dans l’Est du Congo. Une semaine plus tôt, elle se rendait à pied à son village, près de la frontière de l’Ouganda, à environ 24 kilomètres d’où nous nous trouvons.

« Je cherchais de la nourriture et je suis tombée sur des soldats et ils m’ont attrapée », dit-elle. « Ils étaient quatre mais deux seulement m’ont violée. »

Habimana prétendit que ses agresseurs étaient des militaires gouvernementaux des Forces armées de la République démocratique du Congo, les FARDC. Au bout d’un certain temps, dit-elle, elle finit par récupérer suffisamment et se rendit sur la route où des gens la trouvèrent et l’aidèrent à regagner le camp. Une fois sur place, d’autres l’aidèrent à réunir suffisamment d’argent pour payer un moto-taxi et se rendre à l’hôpital. Là, on lui donna des médicaments et on lui dit de revenir une fois les médicaments épuisés, afin de tester les infections, tel le VIH-sida. Elle prenait toujours les médicaments au moment où elle raconta son histoire et elle était inquiète de ce que les soldats qui l’avaient violée fussent infectés.

Le camp de Rutshuru était l’un des trois camps dans un rayon de 15 kilomètres, d’après Bruno Matsundo, directeur du Centre (non-marchand) d’intervention, de promotion sociale et de participation en partenariat (CIPSOPA), une organisation non gouvernementale (ONG) assurant la coordination entre les trois camps.

Dans la zone de Rutshuru et dans la principale ville frontière jouxtant le Rwanda – Goma –, tout le monde parle des droits à un foyer, à des terres et – plus que tout le reste – du droit à un pays stable pour y vivre.

Les rapports les plus récents disent que l’insécurité a atteint des hauteurs disproportionnées. La plupart des villageois et des IDP de cette région de Rutshuru ont récemment afflué vers Goma – se déplaçant à pied, portant ce qu’ils pouvaient. Dans l’intervalle, l’ancienne « zone de sécurité » délimitée par la MONUC s’est désintégrée.

Les forces indiennes de l’ONU à Goma se soucient peu d’empêcher les meurtres et les scènes de pillage qui se produisent actuellement dans la ville. Des roquettes des rebelles rwandais ont détruit deux véhicules blindés de la MONUC, le 26 octobre dernier, blessant plusieurs hommes du maintien de la paix. Il a été question que la MONUC quitte complètement la région et un commandant de la MONUC récemment désigné – le général de corps d’armée espagnol Vicente Diaz de Villegas y Herreria – a démissionné après trois semaines de présence seulement.

L’enfer sur terre

Pour les gens qui n’y vivent pas, l’Est du Congo est un endroit quasiment hors d’atteinte et, selon bien des gens, où il est encore moins souhaitable de débarquer. La plupart des journalistes internationaux d’information décrivent Goma comme un « enfer sur terre ».

Les gens qui débarquent à Goma tendent à appartenir à quatre catégories.

Primo, il y a les hommes d’affaires aisés et les gens des organisations d’aide qui font la navette avec l’Europe, ou l’Amérique, et qui rendent régulièrement visite aux grands bureaux d’affaires des capitales comme Kinshasa (RDC), Nairobi (Kenya), Kampala (Ouganda) et Kigali (Rwanda). Ces hommes d’affaires s’occupent de minerais, d’aviation, de bois de construction, de pétrole, d’armement et d’autres secteurs du commerce international.

Puis il y a les pauvres, les personnes déplacées qui parcourent les dangereuses et denses forêts en venant de l’Ouganda, du Burundi ou du Rwanda et qui passent d’une situation peu sûre et misérable à une autre.

En trois, il y a les touristes occidentaux en quête d’un cachet sur leur passeport et qui, dans les bars et autres Traveler’s Lodges de Kigali et de Kampala, se vantent de la façon dont ils ont traversé la frontière et passé une après-midi au « cœur des ténèbres ».

En dernier, il y a les journalistes et les militants des droits de l’homme qui bavardent avec les gens de l’endroit et qui tentent de dénicher le cadavre le plus gonflé et boursouflé qui soit afin d’avoir l’occasion de faire une photo.

Goma est la « capitale » orientale de la RDC et elle offre un contraste époustouflant par rapport à la ville balnéaire de Gisenyi, de l’autre côté de la frontière rwandaise. Depuis l’éruption volcanique de 2002, la ville est noire et sale et est partout couverte de roches volcaniques – à l’exception des grands hôtels, restaurants et maisons expatriés sur les berges du lac Kivu. La plupart des bâtiments en ville ont été incendiés. Certains ont été sauvés mais le premier étage original est désormais le rez-de-chaussée, lequel s’appuie sur un sol noir de roche calcinée, là où la lave a coulé à travers le bâtiment.

Goma est située dans la province du Nord-Kivu et elle est abondamment quadrillée par les patrouilles de la MONUC circulant dans leurs Armoured Personnel Carriers (APC ou Transporteurs de troupes blindés) et autres jeeps équipées de mitrailleuses. Un vieux bâtiment colonial se trouvant au centre de la ville sert d’hôpital à la MONUC. Passer devant l’hôpital fait partie de la vie quotidienne de la plupart des gens en ville. Ils voient les hauts murs garnis de barbelés et les postes d’observation faits de sacs de sable au sommet de chaque coin. Le canon d’une mitrailleuse pointe son museau parmi les empilements de sacs de sable et un filet de camouflage dépasse au sommet ; seul le personnel de la MONUC a accès à cet endroit.

Les chars des Nations unies patrouillent aujourd’hui dans Goma en raison de la récente poussée militaire au cours de laquelle les rebelles soutenus par le Rwanda ont menacé de s’emparer de la ville. Les résidents locaux ne sont pas heureux de la présence des forces des Nations unies et, conscients de la protection minime offerte par les troupes du maintien de la paix de la MONUC, ils ont manifesté leur mécontentement à plusieurs reprises en jetant des pierres contre les APC et les solides bâtiments occupés par l’ONU.

Vu leur position géographique et leur économie, les provinces de l’Est du Congo que sont le Nord-Kivu, la province Orientale et le Sud-Kivu ont une influence directe sur toute la RDC. Elles regorgent de milices, de minerais, de travailleurs humanitaires, de professionnels de la protection de la vie sauvage et de réfugiés affamés.

Posez la question à n’importe qui, le principal problème de la RDC est le même : des influences trop nombreuses émanant de trop nombreux pays extérieurs. Tous sont armés jusqu’aux dents et se préoccupent très peu des gens qui tentent de vivre sur place. Alors que tous sont d’accord au sujet du problème, chacun en blâme l’autre et personne ne prend ses responsabilités. Les professionnels étrangers grassement payés ne diront rien de ce qui s’est passé, mais tous reconnaîtront les contradictions évidentes.

Les principaux acteurs sont le Rwanda, l’Ouganda, la MONUC et les Nations unies (avec d’innombrables partenaires internationaux), et les organisations humanitaires nord-américaines et européennes. Mais les choses ne sont pas simples au point de pouvoir montrer du doigt l’un ou l’autre de ces acteurs. Tous sont interconnectés avec les groupes de milices alimentés ethniquement et le monde des grosses affaires américain, européen et chinois.

Vital Katembo est un homme de la haute société congolaise et un professionnel de la conservation de la nature qui a vécu des années à Goma et a travaillé pour le Programme de développement des Nations unies (PDNU) et, jusque récemment, pour l’Institut congolais de conservation de la nature (ICCN). Katembo connaît les personnes qu’il vous faut connaître pour passer au travers du moulin permanent de la conspiration et, plus important encore, pour être assuré de rester en vie. Il montre du doigt le Rwanda et les organisations d’aide humanitaires, dans les incessantes querelles de la RDC et, plus particulièrement, dans l’Est, riche en minerais.

« J’ai vu des interventions humanitaires massives. Je ne dirai pas qu’elles ont fait beaucoup ou qu’elles font beaucoup. Il est malaisé de définir qui décide de leur agenda », déclare Katembo. Il a effectivement vu un grand nombre des plus importants groupes humanitaires, des droits de l’homme ou d’aide s’amener au départ de la RDC et de l’ancien Zaïre, au travers de nombreuses transitions politiques et travaillant toujours avec chaque nouvel homme au pouvoir.

Il fait remarquer que bien des organisations sont ici depuis plus de quinze ans, maintenant, et il se pose des questions à propos de leur efficacité, quand ce n’est pas à propos d’autre chose, se demandant comment elles peuvent encore s’y prendre quand il y a urgence. Pour lui, le raisonnement semble de la logique pure : « Avoir un chaos à leur disposition leur permet de décrocher les boulots et elles [les organisations d’aide humanitaire] mettront tout en œuvre pour que la situation continue. Elles sont les maîtres du chaos. Je n’ai jamais vu la moindre évaluation de ce qui avait été réalisé », résume-t-il.

Vital Katembo proposait ce point de vue à Goma, en 2007, mais, peu de temps après, il était viré de l’ICCN, menacé, obligé de fuir pour sauver sa vie et d’entrer en clandestinité après avoir dénoncé ouvertement les organisations internationales d’aide humanitaire opérant dans l’Est du Congo.

L’aide humanitaire dans les provinces orientales du Congo est une pieuvre aux puissants et longs tentacules. Le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) sert à « mobiliser et coordonner les actions humanitaires réelles et de principe en partenariat avec les acteurs nationaux et internationaux », comme le dit l’exposé de sa mission, accroché en face d’un mur de boîtes aux lettres, à la réception de son siège à Goma.

Nestor Yombo-Djema, haut fonctionnaire chargé des rapports avec l’OCHA, expliquait que cette dernière coordonnait 126 organisations, y compris 10 agences des Nations unies et 50 ONG internationales, ainsi des dizaines d’ONG donatrices, d’État et nationales. L’OCHA travaille également avec les officiels et les donateurs du gouvernement congolais.

Même avec toute cette infrastructure d’aide, la pauvreté, la malnutrition et les violations des droits de l’homme règnent partout – sans mentionner l’état de guerre permanent et les millions d’IDP, dont la moitié sont au Nord-Kivu, s’il faut en croire le Plan d’action humanitaire de l’OCHA pour 2007. Et ce plan est sorti avant les vagues de combats qui ont déplacé 143.000 personnes de plus en octobre 2007 et d’autres centaines de milliers encore en 2008.

À la mi-octobre 2007, il y avait entre 500.000 et 1,2 million d’IDP dans l’Est du Congo ; et, le 25 octobre, 33.000 Congolais nouvellement déplacés fuyaient le Nord-Kivu. L’armée ougandaise avait occupé de force certaines parties de la province Orientale, alors qu’une milice fortement soupçonnée d’être appuyée par le Rwanda combattait les troupes des FARDC au Nord-Kivu. Le 25 octobre 2007, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, sortait une déclaration dans laquelle il se disait « profondément inquiet », citant « la recrudescence des violences sexuelles et l’augmentation du nombre des civils déracinés en raison des combats ».

Un an et des centaines de milliers de morts plus tard, les choses n’ont fait qu’empirer.

Le budget 2007 de l’OCHA, à lui seul, était de 686.591.107 dollars, « soit, en gros, du même niveau que celui de 2006 », avec une injection additionnelle de 40 millions de dollars annoncée par la MONUC en octobre 2007. Le budget final de 2008 pour le Programme alimentaire mondial en RDC était de 426.878.043 dollars et 56 % de l’ensemble des ressources alimentaires étaient destinées au Nord-Kivu.

Le développement de l’inefficience

Kisangani est une ville située exactement au nord-ouest de Goma, dans la province Orientale. Jean Dupont (j’ai modifié son nom afin de protéger sa carrière de consultant international) y a travaillé de 2003 à 2005. À cette époque, durant onze mois, il a travaillé pour Chemonics International Inc, une société américaine qui aide des donateurs à définir et réaliser des programmes. Le plus gros client de Chemonics, à l’époque où Jean Dupont travaillait pour cette société, était l’USAID.

Dupont parle de son expérience avec Chemonics comme d’une confrontation à la réalité de ce qu’est réellement le travail humanitaire. « Avant d’y aller, vous pensez : des gens donnent cent dollars et ces cent dollars vont à quelqu’un, quelque part, pour le rendre heureux. Et ce n’est pas comme cela que ça se passe. »

Dupont donne un certain éclairage sur la raison pour laquelle tant d’organisations humanitaires en RDC – et c’est pareil dans la plupart des pays africains – ne développent guère plus que l’inefficience, le gaspillage et de petits profits.

Il comprend bien le fait que l’Afrique peut être pauvre, mais qu’elle n’est pas bon marché. Les travailleurs et les sociétés espèrent être bien payés, s’ils travaillent bien. La réalité constante des gens – les locaux et les expatriés – qui mettent de l’argent dans leurs poches est également un élément.

Mais, dans maintes situations, où l’argent n’est pas une lourde contrainte, comme avec la très prospère USAID, la plus grande difficulté réside dans une programmation inefficace et inadéquate.

Le travail humanitaire s’est enferré lui-même dans un piège, explique Dupont. « Nous avons été forcés de mettre sur pied des projets stupides afin de montrer où nous dépensions de l’argent », dit-il. Dépenser de l’argent pour en obtenir plus, les dotations de fonds en général et la politique sous-jacente, voici les problèmes que Dupont a découverts et auxquels il a été confronté au sein du secteur humanitaire en RDC.

Il mentionne un vaste projet avec l’USAID, en octobre 2004. L’idée était de réhabiliter certains logements pour étudiants à Kisangani et elle avait été décidée par l’USAID après des révoltes d’étudiants et des protestations aux motivations politiques. Les partis politiques se servaient des étudiants pour exercer des pressions les uns sur les autres, explique Dupont. Et d’ajouter que la construction de logements décents pour les étudiants était la façon pour l’USAID d’intervenir dans les actions politiques.

« Mes collègues et moi essayâmes de faire remarquer que (…) ce n’était pas la meilleure façon (…) d’acheter les étudiants », raconte Dupont. « Ce que l’USAID proposait n’était pas bon mais nous étions forcés de dire oui, parce que c’était son argent, en fin de compte. »

Les plans de construction furent établis comme on le proposa. Dupont se demande toujours pourquoi les étudiants avaient accepté de se muet en instruments du parti, mais la réponse à des questions de ce genre n’est jamais très édifiante. « Si j’avais su, il aurait été possible de faire quelque chose à ce sujet », soupire-t-il. « Ç’aurait été du véritable travail humanitaire. »

« Pourtant, il y a certaines bonnes choses », tente de rassurer Dupont. « Tout n’est pas mauvais. »

Il mentionne un projet de chemin de fer auquel il a travaillé avec l’USAID et de nombreuses autres organisations, y compris les Nations unies, en 2004. Dupont explique que c’était un projet local fabuleux visant à réhabiliter à travers la jungle, entre deux villes importantes, 137 kilomètres de voies ferrées et d’infrastructures ferroviaires.

Dupont déclare que, lorsque les organisations internationales furent concernées, les gens qui avaient travaillé depuis de nombreuses années sans être payés furent heureux de reconstruire les transports et d’emporter à nouveau un salaire chez eux.

« Les gens travaillaient réellement pour développer quelque chose », mais l’enthousiasme de Dupont retombe comme un soufflé quand il admet que le projet était encore très politique. Il raconte comment le gouverneur de la région et l’ambassadeur de Belgique avaient procédé à l’inauguration officielle de la nouvelle voie ferrée, plusieurs jours après que les participants réels avaient coupé le ruban sans la présence d’une équipe de télévision.

La réhabilitation de cette voie ferrée fut l’un des 26 projets réalisés par Dupont avec Chemonics et elle faisait partie du très petit nombre de projets qu’il estimait dignes d’être réalisés. Mais, pour la plupart, dit-il, « les projets n’étaient pas ce que je voudrais faire en tant que professionnel de l’humanitaire ».

Le président de la Société civile du Nord-Kivu, Thomas d’Aquin Muiti, riait en énumérant la liste des initiatives internationales à tout le moins inefficientes.

« Il y a des ONG qui viennent ici avec des projets préconçus et qui n’abordent pas les problèmes présents ici. Une ONG était venue ici pour construire des maisons pour les Pygmées, et les Pygmées refusaient tout simplement d’y entrer. Ils allaient dormir contre les murs extérieurs », glousse Muiti. « Elles [les ONG] amènent des bicyclettes et ils [les Congolais] les revendent aussitôt parce qu’ils n’en ont aucunement l’usage. »

Muiti insiste également sur le fait que les ONG internationales ne construisent pas des choses durables : elles s’amènent, réalisent un projet, puis s’en vont. N’ayant de comptes à rendre à personne, la « construction de capacités » est le plus récent des slogans dont usent les organisations pour vendre leurs propositions et obtenir des subventions.

Les ONG locales ont des problèmes également, assure-t-il. Soit elles n’ont pas les finances, soit elles sont incapables de les gérer. Bien des projets et organisations sont développés après l’arrivée du chèque et il ne se passe pas grand-chose, hormis l’ouverture d’un compte en banque et sa mise à sec.

HEAL Africa est un exemple d’aide humanitaire fonctionnant réellement. HEAL Africa a été développé par Jo et Lynn Lucy, un chirurgien orthopédiste congolais et un directeur de projet britannique qui vivent en RDC depuis 36 ans.

Appelée « DOCS » – une initiative de formation médicale et chirurgicale – à ses débuts, en 1995, HEAL Africa prit bien vite de l’ampleur et s’engagea dans la santé tant sociale et communautaire que physique.

L’un de ses projets les plus ambitieux réside dans la chirurgie de la fistule, un processus de remise en état pour les femmes qui répare les déchirures et les trous de la paroi vaginale, de la vessie ou de l’utérus. Les symptômes sont surtout l’incapacité d’empêcher les fuites d’urine ou de liquide biliaire – des conditions qui aboutissent à la mise à l’écart par la communauté.

La cause de telles lésions se situe généralement dans une seule des deux conditions suivantes : une enfance passée dans de mauvaises conditions, ou une expérience sexuelle traumatisante et violente : dans la majorité des cas, un viol. Lorsque la chirurgie devint pour la première fois l’une des spécialités de la mission de HEAL Africa en pleine expansion, 80 % des cas résultaient d’un viol et la plupart de ces viols étaient et sont toujours imputables aux nombreux militaires qui opèrent dans l’est du Congo.

Dans les deux cas, indifféremment, les femmes ont été exclues de leur communauté et, par bonheur pour elles, elles se sont retrouvées dans un centre de HEAL Africa. Plus d’un millier de ces interventions chirurgicales avaient été réalisées en 2003 et, en 2007, plus de 120 femmes attendaient leur tour. Le principal centre hospitalier de Goma déborde de monde. Les tentes de fortune installées d’urgence par l’UNHCR sont saturées de femmes. De l’autre côté de la rue, il y a autre complexe comprenant deux bâtiments à deux étages remplis de femmes qui ont été opérées et sont en convalescence ou qui attendent une seconde opération en raison des lésions trop sévères qu’elles ont subies.

Il y a également, en dehors de la ville, un autre immeuble à appartements rempli de femmes ayant subi l’opération mais qui sont dans l’impossibilité de retourner dans leur communauté par crainte de la stigmatisation sociale ou de l’insécurité régnante.

Si les opérations fistulaires réalisées par HEAL Africa connaissent un tel succès, ce n’est pas dû aux seuls membres de l’organisation, mais aussi à l’approche complète des cas. Les femmes reçoivent des conseils, une formation au travail et une certaine quantité de soutien économique avant de s’en aller.

HEAL Africa est l’un des rares triomphes dans une fourmilière d’aide humanitaire sans succès et inefficace.

Vous êtes rwandais, désormais

Plus de gens se plaignent des grosses ONG internationales qui perpétuent la naïveté des programmes hâtifs, mal étudiés et mal développés que des ONG plus modestes qui, généralement, disposent de moins de moyens pour travailler. Du fait que l’échelle est plus grande, les conséquences sont bien plus graves aussi.

Le long du lac, à Goma, se trouvent les installations de l’initiative des Nations unies pour le Désarmement, la Démobilisation, le Rapatriement, la Réinstallation et la Réinsertion (DDRRR). Le site se présente exactement comme une base militaire avec des soldats armés de gants de toilette qui vont et viennent ou qui se rasent le menton. Directement à droite, au-delà des barrières de sécurité, on voit un groupe de tentes où toutes sortes de choses se passent. Le DDRRR était un projet massif visant à désarmer et à réintégrer des militaires.

« C’est un hôtel de transit », explique Ramone, le fonctionnaire en poste qui a demandé qu’on ne mentionnât pas son nom complet. « À la base, nous ne sommes qu’un taxi, ici, dans une zone difficile et dans une atmosphère très sensible, politiquement parlant. »

Il dit que les appels se manifestent généralement la nuit ou les jours de marché, quand il est bien plus facile pour les militaires de s’échapper. Une petite équipe saute dans un véhicule blindé et ramasse tout individu qui a fui son groupe de milice. Le projet répond au taux élevé de kidnapping d’hommes et d’enfants que l’on force à travailler et à combattre au sein des groupes rebelles ; la plupart du temps, c’est d’enfants soldats qu’ils s’occupent.

« Tous les viols, les massacres, les vols, les incendies de maisons, voilà de quoi nous nous occupons. Vous voyez le film Blood Diamond [titre français, Le diamant de sang, NdT], dans le passage où ils attrapent le gamin, à la fin ? », demande Ramone. « C’est ce que je fais. »

Chaque mardi, chaque vendredi, tous les déserteurs et évadés sont conduits du côté rwandais de la frontière pour un entraînement de 6 à 8 semaines, « et c’est là que ces ‘rebelles’ redeviennent officiellement des Rwandais », ironise Ramone.

Il parle abruptement et honnêtement de la propagande de promotion en faveur du Rwanda et de l’ONU dans laquelle le DDRRR est impliqué via des tracts, des dépliants, des interviews filmées et la chaîne de radio des Nations unies, Radio Okapi.

Mais Ramone plaisante autour du problème principal. Dans bien des cas, des « rebelles » qui passent par les camps d’entraînement du DDRRR et qui reçoivent des certificats de nationalité rwandaise ont été recrutés ou kidnappés très jeunes dans des endroits situés en dehors du Rwanda. Un grand nombre l’ont été par des forces telles les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), le groupe dont on rapporte qu’il comprenait les membres d’origine de la milice interahamwe, toujours accusée aujourd’hui d’avoir perpétré le génocide rwandais en 1994. Il est largement confirmé que les FDLR coopèrent à la fois avec les rebelles rwandais et les FARDC dans le pillage des ressources du Congo.

Quand ces évadés sont ramenés au Rwanda, ajoute Ramone, le gouvernement rwandais leur assure la sécurité mais, sur le plan social, leur retour n’est pas le bienvenu.

Le rapatriement forcé est en contradiction avec les lois internationales et il facilite de grossières violations des droits de l’homme. Autre violation des lois internationales, dans ce cas, c’est que, parfois, les personnes renvoyées de force au Rwanda ne sont même pas des citoyens rwandais, pour commencer.

Emmanuel Sebuhinja, dix-huit ans, a été capturé de force après avoir vécu cinq ans comme orphelin dans la ville de Walikale, au Nord-Kivu. Il a passé un an à transporter des bagages, à cuisiner et à porter de l’eau pour la milice maï-maï, une milice congolaise très ancienne déjà qui lutte contre les influences et les militaires étrangers au Congo. Les Maï Maï considèrent que le Rwanda est leur principal problème.

Chaque fois que Sebuhinja a essayé de s’échapper, il a été battu. Après une de ces tentatives, lui et quatre autres ont été si violemment battus que trois d’entre eux sont morts ; lui et l’autre survivant ont été condamnés. Quand les soldats sont partis pour se battre, peu de temps après, le jeune homme s’est enfui dans la forêt et, finalement, a repris le chemin de Walikale.

Chipant de l’argent à un ami, il poursuivit sa route, marchant seul et uniquement la nuit, en direction de Karuba, dans la province voisine. Là, il pensait pouvoir vivre enfin sa vie. En lieu et place, il rencontra des soldats d’une autre milice, des hommes du général Laurent Nkunda.

« Ils m’ont pris mon argent et mes vêtements et tout ce que j’avais », dit Sebuhinja. « Après cela, c’est l’UNHCR qui m’a amené ici. »

Sebuhinja dit qu’il est rwandais mais qu’il s’est enfui vers le Congo, en 1994, quand il avait treize ans. Il considère qu’il a grandi au Congo et, alors qu’il prétend vouloir aller au Rwanda, il n’y connaît personne et toute sa famille est morte ou a été tuée.

« J’ai peur d’y aller parce que je ne sais pas ce qui va se passer, là-bas. Je n’ai pas de famille. Je ne sais pas comment je vais vivre, au Rwanda », dit Sebuhinja avec logique. Sa voix se précipite et monte dans l’aigu quand il ajoute qu’il n’a jamais été soldat, qu’il ne s’est jamais battu ni servi d’une arme à feu, mais que, lorsqu’ils lui ont mis la main dessus, les gens de l’UNHCR ont inscrit sur leur liste qu’il l’avait fait, bien qu’il eût prétendu le contraire.

« L’UNHCR m’a dit qu’il suffisait que j’aie touché un fusil une seconde pour être un soldat », sanglota-t-il. « Au Rwanda, s’ils croient que j’ai été un soldat avant, ça va être dangereux pour moi. »

Un autre fugitif avait déserté le groupe du général Laurent Nkunda. C’est le seul garçon qui refusa de dire quoi que ce fût et il nia même avoir été enrôlé chez le général Nkunda.

Nkunda est précisément l’un des hommes clés en RDC, pour l’instant. Il est partant pour toute cause susceptible de créer des troubles : il est le chef d’une milice qui s’est rebellée contre les FARDC du gouvernement congolais ; plus tard, il a été d’accord pour créer une brigade à moitié hybride avec ces mêmes FARDC, ce qui n’a fait que créer davantage de confusion et attiser les conflits. Et, comme un fait exprès, il ne fallut pas attendre longtemps pour voir se dissoudre complètement les brigades mixtes.

La plupart des gens estiment que le Rwanda le soutient et, derrière le Rwanda, de nombreux acteurs internationaux, y compris des groupes puissants originaires des États-Unis. On dit que Nkunda se vante même de ce que le badge de chrétien régénéré qu’il porte sur son treillis est un insigne de solidarité avec le président Bush et de nombreux autres chrétiens américains.

Même Human Rights Watch – historiquement favorable à l’actuel gouvernement rwandais – a affirmé que le général Nkunda était soutenu par le Rwanda. Nkunda recrute également des soldats, aussi bien des enfants que des adultes, au Rwanda. Plus tard, on retrouve également pas mal de ces recrues parmi les nombreux déserteurs de la milice de Nkunda.

Bien que le soutien rwandais à Nkunda doive encore être officiellement admis, il repose sur des motifs tribaux. Nkunda est un Tutsi congolais (les gens qu’on désigne généralement comme les Banyamulenge, au Sud-Kivu) ou un « rwandophone » (les gens qui parlent le kinyarwandais). Ses sympathisants, en grande partie des Tutsi congolais ou rwandais, répètent l’histoire de son seul désir, celui de sortir ses parents de leur dure existence dans les camps de réfugiés et de les amener sur une parcelle de terre à l’abri du danger au Congo, comme l’aurait prétendument promis le président Kabila.

Nkunda est considéré par la MONUC comme la principale menace et la principale cause d’insécurité dans l’est de la RDC, mais cette même MONUC n’a fait aucun effort pour repousser l’insurrection de Nkunda. On situe également la présence de Nkunda dans les environs immédiats des mines et réserves de minerais les plus intéressantes du pays.

Ses troupes rebelles se sont emparées de la ville de Rutshuru le 28 octobre 2008 et, le lendemain, elles ont arrêté leur progression militaire à peu de distance de Goma, au moment même où Nkunda déclarait un cessez-le-feu unilatéral. Les rebelles ont annoncé qu’ils prendraient Goma dans les tout prochains jours. Actuellement, Goma abrite plus de 500.000 personnes, y compris des dizaines de milliers de personnes déplacées suite à des combats antérieurs.

En raison des atrocités massives commisses durant la progression de l’armée de Nkunda, des centaines de milliers de personnes ont été récemment déplacées à l’intérieur du Congo et, à l’extérieur, vers le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda.

Plus le nez est fin, plus l’homme est élégant

À Kigali, la capitale du Rwanda, Ignatius Rwiyemaho Kabagambe était en 2007 le directeur de rédaction du quotidien The New Times, le seul quotidien en anglais du pays, géré en outre par l’État, qui en est également le propriétaire. L’homme est également un cousin au premier degré du président Paul Kagame.

L’oppression que subissent les rwandophones au Congo de la part des citoyens et des groupes organisés congolais comme les Maï Maï est très réelle et bien connue ; Kabagambe admets qu’au Rwanda, ils seraient traités différemment des autres nationaux.

« Ce sont nos frères et nous avons des sentiments pour eux. Nous les accepterions comme des Congolais d’origine rwandaise », explique-t-il, insistant sur leur ressemblance physique et culturelle. Il parle ensuite en détail de son cousin, le président Paul Kagame, de son soutien à Nkunda, en admettant que le seul soutien en provenance du Rwanda est un soutien moral.

La région de l’Est du Congo est un parfait exemple de frontières coloniales qui ont été tracées arbitrairement au travers de zones ethnographiques anciennes. Ce sont les puissances coloniales qui ont divisé les tribus en ce qui constitue aujourd’hui l’Est du Congo, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Tout en définissant les lois et en décidant des droits, les colonisateurs ont continué à déplacer ces frontières en fonction de documents signés en Europe.

Dieudonne Amani est un rwandophone de vingt-quatre ans qui a expérimenté de près les conséquences durables d’un pouvoir colonial arbitraire. Le problème, explique-t-il, c’est que les rwandophones ne sont pas acceptés comme de véritables Congolais et qu’ils sont frappés s’ostracisme au sein même de la RDC parce qu’ils sont de la même tribu et de la même culture que les gens qu’on trouve surtout concentrés au Rwanda. Pourtant, le Rwanda les rejette aussi, prétend-il. Ils sont donc des gens sans patrie, affirme Amani, qui sont systématiquement persécutés par le gouvernement congolais, par les groupes de milice et par le Rwanda.

« Il y a des gens qui ont été envoyés par les autorités pour enquêter sur l’origine des habitants », dit-il. « Les rwandophones sont une minorité, les non-rwandophones une majorité. Les autorités souhaitent plaire à la majorité. »

La raison pour laquelle les autres tribus n’aiment pas les rwandophones, prétend Amani, réside dans un mélange fabriqué d’esprit politique moderne et d’envie.

« Je pense que les Hutu n’ont pas autant d’instruction que les Tutsi. Si les Hutu n’ont pas d’instruction, ce n’est pas la faute des Tutsi ni de qui que ce soit, c’est parce qu’ils sont stupides », déclare Amani hardiment. « Durant 34 ans, ils ont contrôlé leur pays (le Rwanda) et qu’ont-ils fait ? Les réfugiés tutsi, eux, ont envoyé leurs enfants acquérir de l’instruction. Les gens disent que les Tutsi sont aussi intelligents que les blancs », pontifie Amani en agitant son index en l’air.

De telles affirmations ont quelque chose d’extrême et elles ignorent pour une bonne part la structuration de l’éducation et des systèmes d’emplois appliquée par la direction coloniale en fonction des tribus, structuration dans laquelle les Tutsi ont été favorisés. Malheureusement, on entend souvent revenir cet argument prétendant que les Tutsi sont de meilleurs gestionnaires des finances, du gouvernement et du développement et il est même fréquemment répété par les expatriés à l’étranger. C’est une explication communément utilisée pour justifier et expliquer la transformation du Rwanda, après 1994, en un centre international des affaires en Afrique et il ignore des faits importants, comme le militarisme rwandais et l’exploitation du Congo par ce même Rwanda.

Modeste Makabuza Ngoga est un homme très puissant, à Goma. Officiellement, il est directeur général de Jambo Safari, une société qui prétend emmener des étrangers blancs faire du trekking à la recherche des gorilles. Dotée d’un accès aéroportuaire complet, la société Jambo Safari semble servir de couverture à un trafic de minerais organisé par Makabuza en personne dans l’Est de la RDC – qui est peut-être bien la région commerciale la plus volatile et la plus riche en minerais au monde.

Makabuza est également un rwandophone qui défend les mêmes points de vue que monsieur Amani à propos de la persécution. Tous deux sont de fervents supporters de Laurent Nkunda et prétendent que ce dernier est particulièrement représentatif de leur appartenance et de leur cause. À l’instar d’Amani également, Makabuza se fait le chantre de l’histoire ancienne, tribale et coloniale pour expliquer des droits pour ainsi dire divins et la division entre tribus. De même, ses arguments prennent une densité de plus en plus politique à mesure qu’il en arrive à la situation actuelle, avec des allégations du style de celle qui prétend que le président Kabila a des accords avec le gouvernement français pour armer et soutenir les interahamwe et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), pour les soutenir et faire en sorte qu’ils continuent à liquider des Tutsi. Il prétend que Kabila a été élu par les blancs et qu’il est le mauvais larron de l’histoire, dans une situation où il n’a pas tenu sa promise d’amener la famille de Nkunda au Congo.

Le général et son labyrinthe

« Kabila a demandé à Nkunda de l’aider dans la guerre. Nkunda a conclu ce marché afin que ses parents, qui étaient dans les camps de réfugiés du Rwanda, puissent venir vivre dans les collines. Mais Kabila a rompu sa promesse », rappelle Makabuza. « Tout ce que veut Nkunda, c’est que sa famille cesse de mourir de faim dans un camp de réfugiés et qu’elle puisse venir ici. Je suis heureux que Nkunda soit là avec le même visage [que moi], mais je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il fait. »

La raison pour laquelle Makabuza ne soutient pas tout ce que fait Nkunda, c’est que c’est mauvais pour les affaires.

Nkunda contrôle les vastes territoires miniers du Nord-Kivu, y compris la mine de Lueshe, juste en dehors de Rutshuru, qu’il utilise comme base arrière pour ses troupes. De puissants fonctionnaires des régions environnantes renforcent le contrôle de Nkunda. Par exemple, Nkunda occupe la principale région de la province de Masisi, jusque au sud de la mine et ses copains dirigent la ville de Rutshuru. Soloman Nkujima, patron de la ville de Kiwanja – juste en dehors de la mine – était avec Nkunda avant de s’installer en cet endroit et il est toujours un directeur important au sein du parti de Nkunda, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP).

En 2007, Makabuza certifia que la mine de Lueshe ne fonctionnait pas. Son pyrochlore et son ferroniobium ne peuvent être raffinés en Afrique en raison de l’absence de technologie adéquate, insiste-t-il. Mais, même si c’était possible, il prétend qu’il ne peut le vendre, en raison de l’étiquette de minerai du sang que lui a collée l’Occident.

« On les appelle les minerais du sang parce que les gouvernements disent que, lorsque les soldats rebelles sont sur la colline [la mine de Lueshe], cela veut dire que vous les financez », explique Makabuza en entrant dans les détails des malheurs qui touchent ses affaires dans le même temps qu’il s’étire les doigts sur la table en bois de son bureau. « Quand ils produisent du pyrochlore, ils veulent le vendre sur le marché international mais personne ne veut l’acheter parce qu’on appelle ça des minerais du sang. »

« Des minerais, il y en a dans le monde entier et, partout dans le monde, il y a des gens qui pointent leurs armes sur les têtes d’autres gens pour avoir ces minerais, mais il n’y a qu’en Afrique qu’on les surnomme les minerais du sang », prétend Makabuza.

Son dernier coup s’adresse à l’« homme blanc » et à l’inégalité à laquelle il prétend, lui, qu’en tant qu’Africain, il sera toujours confronté sur le marché international, quel que soit le minerai qu’il aura en main. Il dit que conférer à quelque chose l’appellation de « minerai du sang » ne fera qu’aggraver le problème parce que cela empêche les Africains de faire de l’argent sur un pied d’égalité avec les blancs. Et, en lieu et place, cet argent est ramassé par-dessous la table par les blancs qui accaparent ainsi tous les profits.

Makabuza a raison quand il dit que les ventes de minerais dépendent du marché international. Nulle part en Afrique, les produits fabriqués à partir de tels minerais ne sont visibles : machines MRI, appareils électroniques domestiques et de loisirs tels téléphones cellulaires, supports de DVD, appareils stéréo, jeux vidéo, lecteurs mp3, verres de lunettes, matériaux ignifugés, réacteurs, acier inoxydable, certains médicaments, produits destinés aux technologies aérospatiales et aux industries de la défense, nanotechnologie, communications et applications biotechnologiques. On est encore en dessous de la vérité en disant que les minerais du Nord-Kivu et du Sud-Kivu – le niobium, le tantale, le ferroniobium, la cassitérite et le coltan – sont très recherchés à l’étranger. Celui qui contrôle les provinces du Kivu contrôle un plus grand potentiel, sur le plan de la combinaison de l’argent et de l’influence, que certains des pays les plus riches.

La société qui contrôle les mines de niobium de Lueshe est la Société minière du Kivu (SOMIKIVU), une société créée en 1982 par la société allemande GfE Nuremberg (Gesellschaft fuer Elektrometallurgie GmbH) et l’ancienne république du Zaïre (l’ancien nom de la RDC). Depuis lors, les noms ont changé et les accords ont été remodelés. GfE Nuremberg détient 70 % de la SOMIKIVU, mais la question de la propriété fait l’objet d’un litige du fait que la compagnie n’a pas été mise sur pied avec l’accord de l’actuel gouvernement de la RDC.

La mine de Lueshe est l’une des trois seules mines de niobium dans le monde – les deux autres étant situées au Brésil et au Canada – et elle est tenue fermée intentionnellement afin de provoquer artificiellement la « rareté » du métal. Les trois réserves mondiales de niobium sont contrôlées par une compagnie appelée Arraxa, aux mains de la société américaine Metallurg Inc. de New York : GfE Nuremberg en est une filiale à 100 %. Metallurg Inc. est elle-même une filiale des Metallurg Holdings de Pennsylvanie – l’une des nombreuses sociétés figurant dans le portefeuille d’investissement du Safeguard International Investment Fund de Philadelphie (PA), Francfort (Allemagne) et Paris (France).

« C’est une très grosse mine et son potentiel est immense », dit David Bensusan, lors d’une interview en 2007. Bensusan est un commerçant européen en minerais, installé au Rwanda, et qui a été CEO d’Eurotrade International. Il a réfuté l’idée prétendant que les Allemands garent Lueshe fermée afin de contrôler les prix. « La mine est fermée parce qu’il y a un litige à propos de qui la possède et, de plus, c’est une région où des combats ont lieu. Le problème, c’est la sécurité. »

Le professeur Kisangani, vice-gouverneur du Nord-Kivu, explique la situation du trafic de minerais dans l’Est du Congo par le biais de l’analogie avec un enfant malheureux. Il dit que les citoyens congolais ont été historiquement perturbés et qu’ils ont entrepris un commerce international illégal (surtout d’armes et de minerais). Une « fenêtre » ou une « porte ouverte » vers le pays et marqua la rupture avec ces infortunés enfants de la RDC et ce furent les guerres du Congo, de 1996 jusqu’à nos jours, impliquant la Namibie, le Rwanda, l’Ouganda, le Zimbabwe, le Soudan, la Libye, la Tanzanie, le Burundi, l’Afrique du Sud et l’Angola au moins, en compagnie des puissances occidentales à ces pays ou les soutenant en coulisse.

« C’est surtout de l’ouï-dire, personne ne peut donner un compte-rendu exact et fiable de ce qui s’est passé ». David Bensudan repasse en revue ce qui est considéré comme le temps réel de la guerre, malgré le fait qu’elle a continué. Le Congo a manifestement été pillé de ses matières premières, ajoute-t-il. Ces derniers propos ont amené Bensusan a baisser le ton au moment où il a lancé une mise en garde contre l’état particulièrement instable dans lequel se trouvait l’Est de la RDC. « Il retombe dans une guerre majeure. La région a besoin d’être développée. Je pense que sa voie passe par les minerais. Mais il faut que les choses se fassent proprement. »

Cette suggestion disant que personne ne peut donner une compte rendu de ce qui s’est passé reflète bien l’obscurcissement permanent par les médias occidentaux des réalités du Congo : Alors que les gens impliqués sont facilement cités et alors que beaucoup continuent à piller activement le Congo aujourd’hui, les décennies d’exploitation (1960-1996) qui a précédé l’époque actuelle de guerre permanente sont toujours écartées en lançant un seul nom sur le tapis : Mobutu. La suggestion de la pleine souveraineté et du contrôle des richesses minérales de la RDC est partagée par beaucoup, toutefois. Surtout les Congolais, y compris Vital Katembo.

La comparaison du professeur Kisangani avec des enfants malheureux se transforme bientôt en « mafia » et en milices rebelles qui ne cessent de grimper par les portes et fenêtres ouvertes. « Et ces gens sont soutenus par d’autres gens dans le monde, qui peuvent leur fournir des armes pour semer la confusion dans notre pays », dit-il.

Les relations diplomatiques, voilà la réponse, s’empresse-t-il d’ajouter, en mentionnant le fait que la RDC tente de contrôler le trafic de ses minerais et d’en faire de l’argent. Le problème, dit-il, c’est qu’il est plus aisé de se glisser par les portes et les fenêtres.

Le vice-gouverneur Kisangani est confiant : si le gouvernement en avait les moyens, il pourrait contrôler la situation. « Ils sont affamés et pas assez forts », dit-il des forces militaires de la RDC et du gouvernement. « Les pays riches soutiennent les types dans la forêt [les milices], mais ils pourraient intervenir et enjoindre aux armées et à la MONUC de se retirer. »

Il y a plus de 100.000 militaires des FARDC qui ont besoin d’être payés et trop de managers et de généraux qui se livrent au pillage. Kisangani ajoute qu’il n’y a pas moyen de les payer tous et, partant, de les commander tous.

Et, pourtant, la RDC a les réserves de minerais stratégiques les plus purs et les plus importants au monde, y compris or, coltan, niobium, cobalt (columbium), hétérogénite, colombite (columbium-tantalite ou coltan), cuivre et fer. Les exportations d’hétérogénite du Congo à elles seules valent entre 260 millions (à 20 $ la livre) et 408 millions (à 30 $ la livre) de dollars par mois, soit de 3,1 à 4,9 milliards de dollars par an. Les diamants représentent annuellement un autre milliard de dollars. On pompe du pétrole sur la côte atlantique depuis des décennies mais, depuis quelque temps, on exploite des réserves de pétrole et de gaz dans la région frontalière des Grands Lacs – au lac Kivu (méthane) et au lac Albert (pétrole) – ainsi que dans les profondeurs de la province de l’Équateur. Puis il y a encore les bois de l’épaisse forêt tropicale qui se vendent par milliers d’unités chaque mois, à des pris se situant entre 6 .000 et 12.000 dollars le tronc.

Même sans être payés – à moins qu’on ne considère comme paie viols, pillages et rapines – les militaires des FARDC sont toujours extrêmement patriotiques. Les soldats congolais, rapidement blâmés par les experts internationaux, les ONG et les médias occidentaux, sont aussi les victimes de la rapacité du commerce international qui s’est abattu sur le Congo.

« J’aime mon pays. Je dois le protéger contre toutes les forces qui peuvent l’agresser », disait le major Chicko Tshitambue, de la « brigade Charlie » des FARDC.

« Les combats ici, dans l’Est, ne servent qu’à protéger la direction au Rwanda », disait-il encore. « Je pense que Nkunda est commandé par le Rwanda. Mais Nkunda est un petit individu. Il ne peut rien faire. Il a peur du major Chicko. »

Chicko en a terminé avec son monologue sur la fierté nationale, son hubris et l’intimidation internationale : il cessent d’ouvrir et de fermer les poings et note son adresse e-mail avec, en dessous, les mots « militaires privés/mercenaires => contact ». Chicko veut être un mercenaire et il s’imaginait que la journaliste blanche avec qui il parlait pouvait réaliser son vœu. (On ne devait plus rien apprendre des allées et venues ni du statut du major Chicko après que la journaliste eut quitté le Congo.)

Le côté triste de l’affaire, c’est que le major Chicko se porterait mieux s’il combattait pour une compagnie payant une milice privée, c’est-à-dire qu’il gagnerait plus d’argent, à tout le moins. Les mercenaires en Afrique et plus particulièrement en RDC sont les organisations internationales les plus efficaces et celles qui font les meilleures affaires. Selon Vital Katembo, la MONUC est l’une des organisations les moins efficaces.

« Elles font partie de tout ce jeu : pas de chaos signifie pas de boulot. Elles ont toutes les capacités militaires mais certaines ont conseillé les gens dans la brousse, elles aident Nkunda », dit Katembo.

Alors que ces allégations n’ont pas été prouvées, les états de service de la MONUC n’ont guère l’heur de plaire à la population congolaise.

M’Hande Ladjouzi fut naguère le chef du bureau de la MONUC au Nord-Kivu. Deux membres de la Société civile, c’est-à-dire le président Thomas d’Aquin Muiti et un employé actuel de la MONUC (qui a souhaité garder l’anonymat), qui travaillaient déjà là alors que Ladjouzi y était encore, ont confirmé les rumeurs.

« C’était au niveau du conflit avec le Rwanda et les FDLR », commença Muiti. On dit que Ladjouzi avait une petite amie rwandaise. Qu’il ait eu ou non une amie d’origine rwandaise, en fait, n’a aucune importance. Les propos, ici, ont quelque chose d’insultant : on a dit que des intérêts rwandais achetaient Ladjouzi. »

Quand la société civile a approché la MONUC avec des rapports et des témoignages concernant les atrocités commises par les soldats rwandais sur des civils congolais, Ladjouzi les a renvoyés et a adressé des rapports au QG de Kinshasa pour dire que ces allégations étaient mensongères. Après des tas de pressions de la société civile du Nord-Kivu, les Nations unies ont fini par muter Ladjouzi à Kinshasa.

Les états de service de la MONUC continuent à être souillés par des accusations. « Nous avons rencontré un soldat de la MONUC qui avait violé une jeune fille », dit Muiti. La société civile a demandé qu’on l’envoie devant un tribunal en France et, d’après Muiti, c’est ce qui a été fait. Mais il y a de nombreuses autres allégations prétendant que des officiels de la MONUC, tant civils que militaires, ont violé des femmes congolaises.

Le bureau de la MONUC chargé des relations avec les médias a aussi sorti des coupures de presse dans lesquelles il était question du scandale provoqué par le bataillon pakistanais de la MONUC dans la province Orientale. Il est également dit que les militaires échangent des armes contre de l’or avec les chefs des milices.

En mai 2007, les villageois mécontents de Kanyola, au Sud-Kivu, ont attaqué les officiels de l’ONU et les troupes de la MONUC qui étaient arrivés après que 18 villageois avaient été massacrés. « Il y avait des barricades sur les routes et des foules en colère. Les gosses lançaient des pierres. Les troupes ont été contraintes de faire demi-tour », a déclaré un officiel de l’ONU, qui a préféré qu’on ne révélât pas son identité.

En octobre 2008, des civils de Goma et d’autres endroits ont attaqué des troupes de la MONUC et des bâtiments de l’ONU. Des rapports dignes de foi indiquent que les troupes de la MONUC ont tiré et tué plusieurs civils. De nombreuses protestations civiles contre la mission de la MONUC et dénonçant les représailles de cette dernière, ont lieu sans qu’on le sache et sans que les médias daignent en faire état.

La quasi-totalité des citoyens congolais seront d’accord pour dire que la raison de l’instabilité au Congo réside dans les influences internationales à l’intérieur même de leurs propres frontières. Certains pointent du doigt le trafic des minerais. Certains les « faits » tribaux et historiques. D’autres, comme Vital Katembo, prétendent qu’il est évident que les gens font du mal quand ils ne réalisent pas ce qu’ils sont censés faire – ici, il parle des secteurs de l’aide humanitaire et de la conservation de la nature –, tout spécialement lorsqu’ils disposent des ressources nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

Qu’importe ce que vous montrez du doigt et pour quelle raison : la RDC est un terrain de jeu international rempli de jouets extrêmement dangereux et de joueurs irresponsables. Dans bien des cas, le fait de savoir qu’il faut pointer du doigt repose simplement sur le fait qu’il est particulièrement dangereux de pointer le doigt dans cette direction même.

Traduit de l’anglais par Jean-Marie Flémal pour Investigaction.

Roxy Stasyszyn est une journaliste canadienne qui a travaillé en Tanzanie, au Rwanda et en République démocratique du Congo. Elle rédige également un blog pour « Make Poverty History Canada », http://www.makepovertyhistory.ca/en/blog/roxannes sur lequel on peut lire ses commentaires et réflexions à propos de son travail au Congo. Découvrez d’autres articles de Roxanne Stasyszyn: http://www.dissidentvoice.org/author/RoxanneStasyszyn/ .

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