Le panafricanisme est-il mort dans les sables du Sahel?

L’opération «Serval» lancée par l’armée française pour chasser les islamistes du Nord-Mali sera-t-elle couronnée de succès ? Au-delà de l’unanimisme de façade qui marque en général le commencement de telles opérations, l’honnêteté recommande d’admettre que la tournure prise par les événements signe une des défaites les plus accablantes du panafricanisme.


 

 

 

 

Qui pourra encore continuer à défendre l’idée selon laquelle l’Afrique doit – et peut – résoudre elle-même ses problèmes politiques et tout ce qui touche aux enjeux de sécurité collective ? Comme dans un film de guerre, la communication impériale française captive les esprits,  repousse les objections, transforme nos chefs d’Etat en midinettes serviles – le pompon revenant au Béninois Yayi Boni, se déclarant  «aux anges» sans avoir la moindre amertume quant à l’incompétence notoire de l’Union africaine, dont il est le président en exercice !

 

 Recolonisation cha cha ! N’importe quoi !

 

Bien entendu, nous entendons déjà les zélés porte-flambeaux du «réalisme », toujours partisans de la loi du plus fort et du fait accompli,  nous demander avec agacement :  «Vous proposez quoi alors ? Vous voulez vivre sous le règne des barbus? On vous aide et vous n’êtes pas content ! Vous n’êtes que d’horribles dogmatiques du panafricanisme fanatique !»

 

Au moment de la guerre de Libye, il aurait juste fallu un peu de courage…


 

A ceux-là, nous répondons qu’il est profondément malhonnête de mettre en place les conditions du pire pour se réjouir par la suite de mener la moins mauvaise des politiques du pire. Comment en sommes-nous arrivés à ce point ? Comment le Mali pacifique est-il devenu la menaçante poudrière que nous regardons tous, les yeux écarquillés ?

 

Tout est parti de l’organisation, sous couvert de «révolution arabe», de l’invasion de la Libye par des hordes d’islamistes fanatisés et soutenus à tous points de vue par un Occident déchaîné. A l’époque, il suffisait d’un peu de courage pour conjurer la malédiction qui se déploie devant nos yeux impuissants. Si la CEDEAO et l’Union africaine, prenant leur courage à deux mains, s’étaient opposées à la virée catastrophique de l’OTAN en Libye, jamais la résolution 1973 des Nations unies – mère de tous les malheurs ! – n’aurait été votée. Et les rebelles du CNT auraient pris une déculottée, face à une armée libyenne bien plus «consistante» que la pitoyable troupe malienne…

 

Plus cyniquement, l’on peut dire que même en cas de guerre de longue durée entre laïcs et salafistes (comme celle qui a cours en Syrie), le centre de gravité de l’affrontement serait demeuré un peu plus haut un peu plus longtemps. Ce qui aurait permis aux pays d’Afrique de l’Ouest de se préparer… Mais à quoi avons-nous eu droit à l’époque ?

 

A la lâcheté.

A la couardise.

A l’attentisme.

A la discorde et aux trahisons.

Aux obscures hésitations de Jacob Zuma, qui a dit «oui» et «non» en une fraction de seconde aux projets de l’OTAN.

Au lâchage de ces pays sahéliens longtemps subventionnés par Kadhafi, qui n’était pas non plus un saint, mais qui était leur allié objectif dans ce contexte précis.

Au «laissez les Blancs faire, ils trouveront toujours une solution».

Et ce qui devait arriver arriva !

 

Une menace encore plus grande…


 

Personne ne nous empêchera de penser que les islamistes sont les alliés objectifs de l’Occident. Ils sont leurs amis en Libye et en Syrie, leurs ennemis au Mali et en Afghanistan, mais ils sont toujours le prétexte idéal à une remilitarisation du monde dont ne profiteront que les nations occidentales, en raison de leur supériorité militaire évidente, qui compense très opportunément leur déclassement économique.

 

Et maintenant ? Alors que les youyous enthousiastes empêchent une réflexion prospective, nous nous faisons un devoir de gâcher l’ambiance. Quel sera le prix de l’intervention française au Mali, car en diplomatie il n’y a pas de service gratuit ? Les Maliens à la reconnaissance dégoulinante nous casseront-ils les tympans si au sortir de cette opération, la «métropole» choisit leurs dirigeants, prend possession de leurs ressources et se rembourse avec le taux d’intérêt qu’elle aura choisi ?

 

Que dira l’Afrique si cette guerre du «Sahelistan» fournissait aux Américains le prétexte idéal pour étendre encore plus leur domination militaire, économique et politique ? Quand les occupants du Nord-Mali seront dispersés par les frappes de la France, où iront-ils ? Quels sont les pays africains susceptibles d’être ébranlés par quelques colonnes de 4X4 surmontés de lance-roquettes ? Le Niger, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Tchad, la Centrafrique, voire la Côte d’Ivoire, le Nigeria et le Cameroun… sont-ils préparés à un harcèlement tous azimuts ? La France pourra-telle protéger tout le monde tout le temps ? N’est-il pas urgent que l’Union africaine, dont le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est aux abonnés absents, se réveille de son long sommeil et mette en place aussi vite que possible une vraie force de réaction rapide au commandement unifié pour protéger les Etats qui la constituent ?

 

N’est-il pas temps que l’Afrique se joigne aux autres puissances qui le souhaitent pour dénoncer le rôle sournois du Qatar et de l’Arabie saoudite, meilleurs amis de la France officielle, et dénonce leur soutien aux forces obscures qui agressent le continent ? Pour cela, il faudrait renoncer à l’esprit de facilité et aux pétrodollars ensanglantés des wahhabites ! Tout un programme !

 

 

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