Le mouvement altermondialiste et la crise de la mondialisation

Le Forum Social Mondial (FSM) de Bélèm, ouvre un nouveau cycle du mouvement altermondialiste. Le FSM aura lieu en Amazonie au cœur des limites de l’écosystème planétaire et devra se poser la question majeure des contradictions entre la crise écologique et la crise sociale. Il sera marqué par le nouveau mouvement social et citoyen en Amérique Latine, l’alliance des peuples indigènes, des femmes, des ouvriers, des paysans et des sans-terre, de l’économie sociale et solidaire.
24 novembre 2008

Ce mouvement civique a construit des nouveaux rapports entre le social et le politique qui ont débouché sur de nouveaux régimes et ont renouvelé la compréhension de l’impératif démocratique. Il a infléchi l’évolution du continent montrant ainsi l’importance des grandes régions dans la mondialisation et face à la crise de l’hégémonie des Etats-Unis. Le mouvement altermondialiste devra aussi répondre à la nouvelle situation mondiale née de la crise ouverte de la phase néolibérale de la mondialisation capitaliste.

Un mouvement des mouvements

Le mouvement altermondialiste dans ses différentes significations est porteur d’un nouvel espoir né du refus de la fatalité ; c’est le sens de l’affirmation « un autre monde est possible ». Nous ne vivons pas « La Fin de l’Histoire » ni « Le Choc des civilisations ». La stratégie du mouvement altermondialiste s’organise autour de la convergence des mouvements sociaux et citoyens qui mettent en avant la solidarité, les libertés et la paix. Dans l’espace du FSM, ils confrontent leurs luttes, leurs pratiques, leurs réflexions et leurs propositions. Ils construisent aussi une nouvelle culture politique fondée sur la diversité, les activités autogérées, la mutualisation, « l’horizontalité » préférée à la hiérarchie.

A travers les forums, une orientation stratégique s’est dégagée, celle de l’accès pour tous aux droits fondamentaux. C’est la construction d’une alternative à la logique dominante, à l’ajustement de chaque société au marché mondial à travers la régulation par le marché mondial des capitaux. A l’évidence imposée qui prétend que la seule manière acceptable pour organiser une société c’est la régulation par le marché, nous pouvons opposer la proposition d’organiser les sociétés et le monde à partir de l’accès pour tous aux droits fondamentaux. Cette orientation commune donne son sens à la convergence des mouvements et se traduit par une nouvelle culture de la transformation qui se lit dans l’évolution de chacun des mouvements.

Les débats en cours dans le mouvement mettent en avant la question stratégique. Elle soulève la question du pouvoir qui renvoie au débat sur l’Etat et recoupe celle des partis, et la question du modèle de transformation sociale et de la nature du développement.

Le mouvement altermondialiste ne se résume pas aux Forums Sociaux, mais le processus des forums y occupe une place particulière. Le mouvement altermondialiste ne cesse de s’élargir et de s’approfondir. Elargissement géographique, social, thématique, il a connu une montée en puissance considérable en moins de dix ans. Pour autant, il n’a pas gagné, même si la crise par bien des aspects valide nombre de ses analyses et justifie son appel aux résistances. Le mouvement altermondialiste est un mouvement historique qui s’inscrit dans la durée. Il prolonge et renouvelle les trois mouvements historiques précédents. Le mouvement historique de la décolonisation ; et de ce point de vue l’altermondialisme a modifié en profondeur les représentations Nord-Sud au profit d’un projet mondial commun. Le mouvement historique des luttes ouvrières ; et de ce point de vue, est engagée la mutation vers un mouvement social et citoyen mondial. Le mouvement des luttes pour la démocratie à partir des années 1960-70 ; et de ce point de vue le renouvellement de l’impératif démocratique après l’implosion du soviétisme en 1989 et les régressions portées par les idéologies sécuritaires. La décolonisation, les luttes sociales, l’impératif démocratique et les libertés constituent la culture de référence historique du mouvement altermondialiste.

La crise de la mondialisation

Le mouvement altermondialiste est confronté à la crise de la mondialisation que l’on peut caractériser comme une crise de la mondialisation capitaliste dans sa phase néo-libérale. Cette crise n’est pas une surprise pour le mouvement ; elle était prévue et annoncée depuis longtemps. Trois grandes questions déterminent l’évolution de la situation à l’échelle mondiale et marquent les différents niveaux de la transformation sociale (mondiale, par grande région, nationale et locale). Le système dominant est confronté à une triple crise : la crise écologique mondiale qui est devenue patente ; la crise du néolibéralisme ; la crise géopolitique avec la fin de l’hégémonie des Etats-Unis. La crise de l’hégémonie états-unienne s’approfondit rapidement. L’évolution des grandes régions se différencie, d’autant que les réponses de chaque région à la crise de l’hégémonie américaine sont différentes. La lutte contre la prétendue guerre des civilisations et la très réelle guerre sans fin constituent une des priorités du mouvement altermondialiste.

La phase néolibérale semble à bout de souffle. La nouvelle crise financière est d’une particulière gravité. Ce n’est pas la première crise financière de cette période (Mexique, Brésil, Inde, Argentine, etc.) et elle ne suffit pas à elle seule à caractériser l’essoufflement du néolibéralisme. La déclinaison des différentes crises est plus singulière. La crise monétaire accroît les incertitudes sur les réaménagements des monnaies. La crise immobilière aux Etats-Unis révèle le rôle que joue le surendettement, et ses limites, en tant que moteur de la croissance. La crise énergétique et la crise climatique révèlent les limites de l’écosystème planétaire. La crise alimentaire d’une exceptionnelle gravité peut remettre en cause des équilibres plus fondamentaux. L’approfondissement des inégalités et des discriminations, dans chaque société et entre les pays, atteint un niveau critique et se répercute sur l’intensification des conflits et des guerres et sur la crise des valeurs. Les institutions responsables de la régulation du système économique international (FMI, Banque Mondiale, OMC) n’ont plus de légitimité.

Le G8 s’est réuni pour résoudre les problèmes de la planète. Même replâtré en G20, avec quelques gros pays de plus, il n’a aucune légitimité pour le faire. Seules les Nations Unies et leur Assemblée Générale, quelques soient leurs limites, peuvent parler au nom de tous. D’autant que ce sont les mêmes qui ont la plus grande part de responsabilité dans la crise actuelle. Le G20 n’a pas de solution parce qu’il est le problème. C’est aux peuples et aux sociétés de se faire entendre.

L’incertitude demeure sur les temps et les horizons de la crise. Il est probable qu’un nouveau cycle caractérisera les 25 à 40 prochaines années. La crise du néolibéralisme, du point de vue idéologique, est fortement liée à la montée en puissance de l’altermondialisme qui a aiguisé les contradictions internes au système. Pour autant, la crise du néolibéralisme ne signifie pas sa disparition inéluctable. De plus, le mouvement altermondialiste n’est pas le seul mouvement antisystémique par rapport à la logique dominante du système. D’autres mouvements intégristes divers peuvent aussi contester le cours dominant. Plusieurs scénarios sont possibles à moyen terme, avec plusieurs variantes : un néolibéralisme conforté, une dominante néoconservatrice, une variante néokeynésienne. Une issue altermondialiste est très peu probable à court terme, les conditions politiques n’étant pas encore remplies ; mais le renforcement du mouvement altermondialiste pèsera sur les issues possibles.

C’est dans les cinq à dix ans que se formalisera la nouvelle rationalité économique, comme le néolibéralisme s’est imposé, à partir de tendances existantes, entre 1979 et 1985. Il reste une discussion sur la suite de ce cycle à venir. Immanuel Wallerstein fait l’hypothèse d’un retournement du cycle séculaire, voire même multiséculaire, posant pour les trente ou quarante prochaines années, la question historique d’un dépassement du capitalisme et donnant ainsi une portée nouvelle à l’altermondialisme.

Les opportunités ouvertes par la crise de la mondialisation

L’idéogramme chinois qui représente la crise, fort ancien et vénérable, associe deux signes, contradictoires comme il se doit pour toute bonne dialectique, celui des dangers et celui des opportunités.

Le premier danger concerne la pauvreté. La sortie de crise recherchée consiste à faire payer la crise aux pauvres, et d’abord aux discriminés et aux colonisés. Il s’agit aussi de raboter les couches moyennes. Et même, si ça ne suffit pas, de faire payer certaines catégories de riches ; ce qui laisse préfigurer de fortes contradictions.

Pour faire passer de telles politiques, il faudra beaucoup de répression, de criminalisation des mouvements sociaux, de pénalisation de la solidarité, d’instrumentalisation du terrorisme, d’idéologie sécuritaire, d’agitation raciste, islamophobe et nationaliste, d’exploitation des boucs émissaires, des migrants et des roms. Cette évolution ira dans certaines régions vers des régimes autoritaires et répressifs et même vers des fascismes et des populismes fascisants.

Une autre sortie de crise cible des pays qui seront marginalisés et ruinés. Les risques de guerre sont aussi une issue classique des grandes crises. N’oublions pas que le monde est déjà en guerre et que près de un milliard de personnes vivent dans des régions en guerre. Les conflits sont permanents et la déstabilisation systématique. Les formes de guerre ont changé avec la militarisation des sociétés, l’apartheid global, la guerre des forts contre les faibles, la banalisation de la torture.

On peut lutter contre ces dangers par des résistances, des alliances et des coalitions pour les libertés, la démocratie et la paix.

Les dangers sont connus, les opportunités ouvertes le sont moins. Quatre opportunités sont ouvertes par la crise. D’abord, la défaite idéologique du néolibéralisme favorise la montée en puissance de la régulation publique. Ensuite, la redistribution des richesses redonne une possibilité de retour du marché intérieur, de stabilisation du salariat et de garantie des revenus et de la protection sociale, de redéploiement des services publics. De plus, le rééquilibrage ente le Nord et le Sud ouvre une nouvelle phase de la décolonisation et une nouvelle géopolitique du monde. Il s’accompagne d’une nouvelle urbanisation et des migrations qui sont les nouvelles formes du peuplement de la planète. Enfin, la crise du modèle politique de représentation rend incontournable la démocratie sociale et le renforcement de la démocratie représentative par la démocratie participative.

Un rééquilibrage possible entre le Nord et le Sud ouvre une nouvelle phase de la décolonisation. Elle suit la phase qui va de 1979 à 2008, de reprise en main par la gestion de la crise de la dette, le contrôle des matières premières et les interventions militaires. Entre trente et cinquante pays émergents, dont les trois les plus dynamiques Brésil, Inde, Chine, peuvent défendre leur point de vue et leurs intérêts. Il ne s’agit pas d’un monde multipolaire mais d’un nouveau système géopolitique international. Les conséquences pourraient être considérables, notamment pour les termes de l’échange international et pour la nature des migrations.

Il y a deux conditions à cette évolution qui ne se fera pas sans bouleversements. La première condition est que les pays émergents soient capables de changer leur modèle de croissance en privilégiant le marché intérieur et la consommation des couches populaires et moyennes par rapport aux exportations. Cette déconnexion est possible. La deuxième condition est que les pays émergents construisent des formes d’unité entre les pays du Sud. La première phase de la décolonisation avait échoué en grande partie quand les pays pétroliers, après le choc de 1977, avaient laissé la division s’installer entre les pays du Sud, permettant au G7, appuyé sur le FMI et la Banque Mondiale, d’imposer l’ajustement structurel.

La redistribution des richesses, nécessaire par rapport à la logique du néolibéralisme et par ses excès, ouvre une tentation néo-keynésienne. Elle conforte la tendance à réhabiliter le marché intérieur, plutôt à l’échelle des grandes régions qu’à l’échelle nationale. Elle pourrait se traduire par la réhabilitation des systèmes de protection sociale et d’une relative stabilité salariale. Les planchers des revenus et leur progression retrouveraient un rôle en tant que moteur de croissance par rapport au surendettement qui a déclenché la crise des « subprimes ». L’accès aux droits pour tous, dont les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) sont un pâle succédané retrouveraient droit de cité.

Il y a deux conditions à cette hypothèse qui ne se confond pas avec l’idée d’un simple retour au modèle keynésien d’avant le néolibéralisme. La première condition est la nécessité de répondre aux limites écologiques qui rendent dangereux un prolongement du productivisme. La contradiction entre l’écologique et le social est devenue déterminante, son dépassement est primordial. La deuxième condition est la nécessité d’une régulation ouverte à l’échelle mondiale par rapport à la régulation nationale complétée par le système de Bretton Woods des années soixante.

La montée en puissance de la régulation publique achèvera la défaite idéologique du néo-libéralisme. Le néolibéralisme est toujours dominant mais l’idéologie néo-libérale a subi une défaite cuisante, il lui sera difficile de s’en relever. Les nationalisations dites temporaires, le temps de sortir de la crise, seront difficiles à renvoyer au cabinet des débarras. Les fonds souverains avaient déjà ouvert la voie à des interventions inattendues des Etats au niveau de la mondialisation. L’évaluation des privatisations, jusque là demandées sans succès, réservera certainement des surprises. La nouvelle rationalité pourra difficilement continuer à subordonner complètement la régulation aux marchés et à confondre le privé avec les capitaux et leurs marchés. De même l’associatif pourrait ne pas être considéré comme une sous-catégorie non viable des entreprises. Le retour de la régulation publique pourrait prendre d’autre forme que l’étatisation classique et combiner socialisation et contrôle démocratique. Les différentes formes de propriété sociale et collective pourraient trouver une nouvelle légitimité. Les nationalisations pourraient s’adapter à la construction des grandes régions.

Le renouvellement des modèles de pouvoir et de représentation devrait être au centre des recompositions économiques et sociales. Il est probable que la reconstruction du lien social trouvera de nouvelles opportunités par rapport aux formes juridiques de la démocratie imposées par le haut. Les inégalités de revenus et la relation entre le revenu minimum et le revenu maximum seraient bien plus sensibles. La démocratie resterait une référence mais les déterminants pourraient changer. Les systèmes institutionnels et électoraux pourraient plus difficilement être considérés comme indépendants des situations sociales. Les revendications devraient mettre plus en évidence les libertés individuelles et collectives et leurs garanties. L’accès aux droits individuels et collectifs pour tous devrait fonder une démocratie sociale sans laquelle la démocratie politique perdrait beaucoup de son attractivité. Les formes d’articulation entre la démocratie participative et la démocratie représentative, et leur liaison primordiale avec la démocratie sociale, devraient progresser et se diversifier.

D’autres évolutions, déjà entamées devraient prendre plus d’importance. Les collectivités locales élargiront leur rôle de pouvoirs locaux et d’institutions locales. L’alliance stratégique entre les collectivités locales et les mouvements associatifs seront au fondement des territoires et de la citoyenneté de résidence.

En mettant en évidence le potentiel porté par les résistances et les pratiques actuelles, l’altermondialisme donne une perspective à la sortie de la crise actuelle dans ses différentes configurations. Il permet de fonder, contre les conservatismes autoritaires et répressifs, les coalitions pour les libertés et la démocratie. Il permet de lutter contre l’alliance possible entre les néolibéraux et les néokeynésiens en poussant les résistances et les revendications pour la modernisation sociale. Il permet de pousser le néokeynésiannisme radical dans ses limites. Il permet d’esquisser les alternatives qui caractériseront un autre monde possible.

Mais il faut aller plus loin. Après tout, si le capitalisme n’est pas éternel, la question de son dépassement peut être d’actualité. Et nous pourrions commencer dès maintenant à revendiquer et à construire un autre monde possible.

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