Le débat sur la pub confisqué par la RTBF

Dix jours après la signature de son nouveau contrat de gestion, la RTBF proposait à ses auditeurs de La Première, pendant une heure et demie, un véritable programme de propagande pour faire le point sur l’évolution de la présence de la publicité sur ses antennes.

La thématique choisie pour ce numéro de Tout autre chose, diffusé ce 23 octobre, était appropriée puisque le développement de l’apport financier des annonceurs fut l’élément majeur des discussions qui ont nourri pendant près d’un an l’élaboration des nouvelles obligations qui régiront les activités de la RTBF, du 01/01/2007 au 31/12/2011.

Trois invités « pour » et zéro « contre »

Dans le préambule du contrat de gestion en vigueur jusque fin 2006, il est noté noir sur blanc que l’entreprise publique autonome à caractère culturel doit « provoquer, chaque fois que c’est possible, dans ses programmes, le débat et clarifier les enjeux démocratiques de la société ». Le choix des invités de cette émission a hypothéqué la concrétisation de ces objectifs. La RTBF, gourmande… (on n’est jamais mieux servi que par soi-même !), s’y était représentée par Françoise de Thier, directrice du service de Médiation, et Simon Pierre de Coster, directeur du Service juridique. Alfonza Salamone, la responsable et animatrice de Tout autre chose, avait également fait appel à Sandrine Sepul, secrétaire adjointe du Jury d’éthique de la publicité (JEP) et directrice du Conseil de la publicité. Par contre, aucun représentant du secteur associatif, qui s’était impliqué dans la réflexion sur l’évolution de la RTBF, n’était invité : ni La Ligue des familles, ni le CRIOC. Et point d’anti-publicitaires (RAP, Respire) alors que leurs pétitions et « cartes blanches » ont joué un rôle essentiel dans le maintien de l’interdiction de la présence publicitaire autour des émissions pour enfants (la « règle des 5 minutes ») (1).

Lorsque trois invités défendent plus ou moins les mêmes intérêts et qu’aucun empêcheur de tourner en rond n’est là pour débattre avec eux, il convient que l’animatrice connaisse très bien son dossier pour détecter les erreurs ou approximations qui pourraient être dites à l’antenne. Cela ne sera pas le cas.

Lorsque Mme Sepul regrette le maintien de la règle des 5 minutes parce qu’ « un enfant reste un enfant » et que cette obligation vient justement d’être supprimée en Flandre, elle n’indique pas que celle-ci y était destinée aux chaînes privées (à l’inverse de la Communauté française où cette règle ne s’applique qu’à la RTBF), les chaînes de télévision de la VRT n’ayant toujours aucun accès à la publicité commerciale.

À un auditeur qui lui demande pourquoi le Jury d’éthique publicitaire (JEP) n’est composé que de publicitaires, elle répondra que celui-ci cherche à y intégrer des représentants des consommateurs mais elle omettra de signaler que, fin mai 2006, les organisations qui siègent au Conseil de la consommation furent unanimes pour constater que les conditions proposées pour cette intégration ne correspondaient pas à leurs attentes !

Et lorsqu’elle promotionne ses activités dont Média Smart, personne ne rappelle en studio que cet outil d’éducation à la publicité a été l’objet d’une circulaire de la ministre Arena déconseillant son utilisation aux enseignants (2).

Eviter le débat démocratique

Avec pareil choix d’invités, il devient impossible à l’auditeur de pouvoir clarifier les enjeux, puisqu’un seul son de cloche lui est imposé comme une évidence. Si l’on n’avait invité à la RTBF que des chrétiens pour aborder le droit à l’avortement, l’euthanasie ou le mariage homosexuel, l’évolution éthique de notre société aurait-elle pu se concrétiser telle que nous la connaissons aujourd’hui ? La publicité serait-elle l’un des rares sujets qui n’aurait pas droit à un débat démocratique ? Il est vrai que, « juge et partie », les médias peuvent difficilement prendre du recul par rapport à cette thématique. L’animatrice de l’émission dut même convenir que Mr de Coster disait vrai lorsqu’il lui rappella qu’un quart de son salaire provenait des rentrées publicitaires.

Un exemple parmi d’autres : les nombreux auditeurs de Tout autre chose qui souhaitent une RTBF sans publicité seront considérés par Mme de Thier comme des doux rêveurs croyant au monde de Walt Disney ! On se garda bien de leur rappeler que, depuis Philippe Mahoux, tous nos ministres de l’Audiovisuel approchés en ce sens ont refusé de décrocher un budget pour mener une enquête sur « à quoi ressemblerait la RTBF sans pub ». Des pistes ? On pourrait se passer d’émissions (par exemple : C’est du Belge) ou de chaînes (on est passé de 3 à 5 chaînes radio) onéreuses induites par les intérêts publicitaires. Et pourquoi ne pas taxer davantage le monde de la réclame qui favorise le développement de l’obésité et de la surconsommation afin de reverser ces nouvelles rentrées financières en complément à l’actuelle dotation ertébéenne ?

Récidive

Il convient aujourd’hui de dénoncer cette incapacité récurrente de la RTBF à aborder sereinement l’analyse des enjeux médiatiques, car cette émission du 23 octobre ne constitue pas un exemple isolé. Tout autre chose était déjà consacrée, le 20/08/2001, à une diatribe contre le projet d’introduire la fameuse règle des 5 minutes dans le contrat de gestion de 2002-2006. Les trois invités en studio étaient résolument « contre » : Jean-François Rasquin (à l’époque, représentant du CSA), la chercheuse Claude Pécheux et Simon Pierre de Coster. N’étaient pas invités à dialoguer avec eux, ni Jean-Marc Nollet, le ministre de l’enfance, ni les représentants du secteur associatif (l’Association des téléspectateurs actifs, le CJEF, la Ligue des familles, les associations de parents). Ne serait-il pas temps que l’histoire cesse de se répéter ?

1Indigné par ce procédé ertébéen, Objecteur de croissance propose sur Radio Panik, ce 2 novembre de 19H00 à 20H30, une émission sans doute moins unilatérale sur le même thème, ayant invité à y dialoguer, et des associations critiques par rapport à la publicité, et la directrice du Service de médiation de la RTBF. Cette émission sera en ligne dès le lendemain sur le site lapetiteradio.org

2Voir rubrique Nos médias, JDM, 20/06/2006

http://www.journaldumardi.be/index.php?option=com_content&task=view&id=1078&Itemid=184

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