« Le Venezuela, ça concerne notre avenir à tous ! »

Interview de Vanessa Stojilkovic à propos de son nouveau film Bruxelles-Caracas:

Pourquoi était-il important de faire un film sur le Venezuela ?

Vanessa. Parce qu’il s’y passe des choses extraordinaires ! Tous ceux qui visitent ce pays sont emballés. Alors qu’en Europe, par contre, nous sommes confrontés au pessimisme, au fatalisme « On ne peut rien changer ». Nous voyons la pauvreté qui avance. Peu de victoires.

Et au Venezuela, voilà des gens qui se mettent à changer la situation de leur pays, qui réalisent plein de choses. Et nos médias occidentaux n’en disent quasi rien, diffusant au contraire l’image faussée d’une sorte de dictature. Aurait-on intérêt à nous cacher ce qui se passe là, et même à le démoniser ?

Il faut savoir ceci : bien que le Venezuela soit depuis 80 ans un des plus importants exportateurs de pétrole, 60% des Vénézuéliens vivent en-dessous du seuil de pauvreté. C’est énorme. Pour une fois qu’un peuple rétablit son droit à profiter de ses ressources naturelles, ça vaut la peine de s’y intéresser de près.

Le Venezuela dérangerait ?

Vanessa. Evidemment, à cause du pétrole. Voilà un pays où les ressources naturelles sont mises au service du peuple, et non plus des multinationales. Pour certains, c’est le monde à l’envers ! En fait, là-bas, comme m’a dit une étudiante : « Maintenant, la pyramide s’est inversée pour que tous aient des droits. »

Comment t’est venue l’idée de ce film concrètement ?

Vanessa. Par hasard. J’avais beaucoup entendu parler du Venezuela et j’ai eu la possibilité de m’y rendre. Bon, j’ai pas voulu arriver les mains vides. Il se fait qu’à Bruxelles, je venais de réaliser quelques brefs « vidéo-trottoirs », mini-enquêtes auprès des gens pour savoir ce qu’ils pensaient de Bush, de l’Irak, de l’Europe… Alors, je me suis dit : « Je vais leur apporter une petite contribution : que pensent les gens d’ici à propos du Venezuela, quelle info ont-ils reçue, quelles questions se posent-ils ? » Je me suis dit qu’il serait utile, pour eux de savoir comment le Venezuela était perçu ici…

Que pensaient les Belges sur le Venezuela ?

Vanessa. Comme tous les Européens, je crois, il s’est avéré qu’une partie des gens étaient assez manipulés par ce qu’ils avaient entendu dans les médias. Ceci dit, presque tous étaient très ouverts et pleins de curiosité. Mais pessimistes aussi. Ils n’y croyaient pas. L’idée qu’une population puisse avoir son mot à dire, qu’elle aie un autre rapport avec son gouvernement, avec la politique, cette idée paraît ici impossible, utopique !

Et là-bas ?

Vanessa. Une fois arrivée au Venezuela, j’ai rencontré une révolution. C’est un pays où les gens sont enthousiastes, ils y croient, ils réalisent plein de choses, ils prennent les choses en main. Ca surprend juste après avoir entendu tout le pessimisme européen. Et pourtant, il y a encore dix ans, les Vénézuéliens aussi ne croyaient plus en la politique, pensant que jamais rien ne changerait, qu’ils étaient tous trop individualistes pour se mettre ensemble et changer les choses.

J’ai pu constater le niveau de conscience élevé des Vénézuéliens… Que ce soit sur les médias, le système social, la politique en général, le rôle des grandes puissances… Ce qui est nécessaire, si un peuple veut en finir avec la pauvreté, c’est de commencer par comprendre d’où elle vient. Et ils l’ont bien compris ! Eh oui, quand on les entend, on a envie qu’ici aussi, on puisse bénéficier de leurs expériences ! Je suis donc allée dans Caracas et j’ai fait parler les Vénézuéliens. Pour qu’ils répondent aux questions que se posaient les Belges – et tous les Européens je crois – à propos du Venezuela.

Bref, une sorte de ping-pong entre peuples…Vanessa. Oui, et je crois qu’on se comprendrait beaucoup mieux, s’il y avait davantage de communication directe, entre les peuples. Mais nous ne pouvons pas tous y aller, donc j’ai fait l’inverse : j’ai rapporté des paroles vénézuéliennes, des vécus, des émotions, de l’espoir, des inquiétudes… Un peu de Révolution Bolivarienne, en fait. Pour sortir des clichés et préjugés inspirés par nos mass-médias.

Sur le terrain, la vie des gens s’améliore réellement ?

Vanessa. Oui, ça change, ça bouge beaucoup ! Chavez a donc rétabli le contrôle du pays sur ces ressources (qui auparavant filaient dans les coffres des multinationales et de quelques privilégiés, le pays ne touchait quasi rien). Cette mesure a permis de réaliser ce qu’ils appellent des « misiones ». Des réformes : éducation, alimentation, santé, travail, logement. Qui améliorent déjà et vont encore améliorer la vie des gens. Imaginez, en Amérique Latine, des quartiers très défavorisés et des bidonvilles dans lesquels il y a maintenant « des maisons d’alimentation » servant des repas gratuits, des « cliniques populaires » avec soins de santé d’excellente qualité et gratuits, des coopératives qui créent du travail sans patrons, notamment dans la construction.

Pourtant, il y a un coup d’Etat. Tout le monde n’est pas content ?

Vanessa. Une majorité est contente : les pauvres. Une minorité est absolument furieuse et essaie par tous les moyens de faire tomber Chavez. Les médias privés se déchaînent contre lui.

Cependant, à chaque élection, Chavez gagne avec encore plus de voix. Même des gens qui au début ne votaient pas pour lui, ont changé d’avis. Il a vraiment redonné un sens à la relation peuple-Etat. Les gens se sont réinsérés dans une activité politique en voyant que des choses peuvent changer.

Les mécontents, on les rencontre essentiellement dans les quartiers riches. Leur discours est creux. Pour eux : «Il y a moins de démocratie qu’avant », « C’est un dictateur », « Oui, peut-être que Chavez leur donne à manger et des médecins… » Mais apparemment, ce n’est pas ce que les élites d’Amérique latine attendent d’un président !

Est-ce que nos médias d’ici refléteraient le seul point de vue des riches du Venezuela ?

Vanessa. Absolument ! Ils escamotent la majorité.

Ici, on présente généralement Chavez comme un dirigeant populiste et autoritaire. Le Venezuela est-il démocratique ?

Vanessa. Effectivement, certains Bruxellois interviewés m’ont dit que pour eux, Chavez est un dictateur populiste. Au Venezuela, j’ai entendu les deux versions. « Dictature autoritariste », me disait la minorité. « Super-démocratie, enfin, alors qu’avant c’était une dictature déguisée en démocratie », m’a dit la majorité. Finalement, au Venezuela, ça saute aux yeux : l’opinion qu’on a sur cette question dépend tout à fait de la classe sociale à laquelle on appartient.

Quand on va sur place, on entend qu’en réalité, la majorité de la population estime bénéficier d’une démocratie de meilleure qualité. Ce qu’ils appellent une « démocratie participative ».

Ca veut dire quoi ?

Vanessa. Avec la démocratie participative, le peuple participe aux décisions qui le concernent. Si les richesses du pays doivent appartenir au peuple, c’est aussi à lui de décider, tous les jours, comment on va les utiliser. Le gouvernement met à disposition du peuple des moyens pour réaliser des projets concrets au sein des communautés. Et ce sont les gens de la base, pas l’administration, qui doivent prendre les choses en mains et décider quels choix concrets, quelles priorités, comment sensibiliser la population, et tout ça avec l’aide de PDVSA, la compagnie pétrolière publique.

« Représentative », « participative » : la différence est importante ?

Vanessa. Oui, vraiment. Dans le film, plusieurs témoins expliquent bien comment ça se passait avant, au Venezuela, sous la démocratie représentative. Et au fond, c’était comme chez nous en Europe : on va voter tous les quatre ou cinq ans, et puis, les élus ne consultent pas les gens et font passer des lois dont ils n’avaient jamais parlé et dont personne ne veut : Bolkestein, CPE français… Nous avons vu plein d’exemples ces dernières années. Nous ne connaissons que trop bien ce type de démocratie « représentative » et élitiste.

Justement, le contrôle des élus ?

Vanessa. D’abord, ils ont pris une mesure, très simple : la Constitution prévoit la possibilité pour la population de demander un référendum révocatoire à mi-mandat pour n’importe quel élu. Même le président. Ca représente déjà un fameux contrôle.

Lors d’une projection privée, en avant-première, quelqu’un a dit : « Ce film est très beau, car il montre l’espoir des gens, leur vie qui change. Et ça nous redonne espoir à nous aussi : on peut continuer à se battre et obtenir quelque chose ! » L’enthousiasme des Vénézuéliens semble communicatif…

Vanessa. Oui, je crois. C’est un chouette compliment.

Qu’espères-tu pour ton film ?

Vanessa. Je souhaite surtout qu’il devienne pour chacun un instrument qu’on peut diffuser au maximum autour de soi. D’abord, il faut bien se rendre compte que le Venezuela est fortement menacé par Bush. On sait que le Chili et le Nicaragua ont vu leurs espoirs brutalement détruits par les Etats-Unis. Nous devons absolument défendre le Venezuela contre l’agression. Car ce pays, c’est une expérience importante pour résoudre les problèmes de pauvreté du tiers-monde. Il y a beaucoup de pays riches dont la population est pauvre…

Dans cette Amérique latine qui bouge si fort, Chavez est-il une exception ou un phare ?

Vanessa. Un phare, oui. Toute l’Amérique latine regarde vers Chavez. Si l’on pouvait voter pour lui dans d’autres pays, je pense qu’il aurait la majorité. D’ailleurs si on veut comprendre les problèmes de la Bolivie, de la Colombie, du Pérou et de toute l’Amérique latine, il faut bien comprendre le Venezuela.

En fait, le problème de l’Amérique latine, c’est le même partout. C’est un record mondial d’écart riches-pauvres. La conséquence du pillage colonial, puis du pillage par les multinationales. Donc, la « Solution Chavez » concerne tout ce continent !

Mais quand je parle de la pauvreté dans le monde, je pense aussi aux pays arabes riches en pétrole, et également aux pays africains : eux aussi victimes du pillage de leurs richesses. Je pense au Mali, je pense au Congo… Peut-être que c’est pour ça justement que Bush s’en prend au Venezuela ? Et c’est bien dommage que nos médias n’expliquent pas le fond de ce problème.

Défendre le Venezuela, c’est défendre le droit à l’alternative ?

Vanessa. Oui, je crois vraiment que c’est défendre notre avenir à nous aussi et pas seulement pour le tiers-monde. Ce que le Venezuela propose est applicable partout. Ce n’est pas seulement une question de pétrole. La question centrale est : « Au service de qui veut-on faire tourner l’économie d’un pays ? »

Oui, ça nous concerne tous. En fait, là-bas, ils sont en train d’expérimenter, de vivre une solution dont nous allons avoir besoin. Il faudra peut-être attendre qu’il y ait 60% de pauvres en Europe, je ne sais pas, mais en tout cas, il faut absolument défendre leur expérience, apprendre d’eux, penser à notre avenir.

Comment faire connaître cette expérience ?

Vanessa. En diffusant largement Bruxelles-Caracas. Un film, c’est un instrument idéal pour stimuler le débat très largement. Ca se regarde à plusieurs, ça favorise l’échange et la possibilité de créer des initiatives en commun. D’une part, on prépare une tournée de projections-débats en France, en Belgique, en Suisse, que je ferai en septembre-octobre. D’autres pays suivront, car le film sera traduit en six ou sept langues. D’autre part, on prépare un site du film avec forum de débats car les gens se posent beaucoup de questions sur Chavez, les USA, l’Amérique latine… C’est en étant diffusé largement que ce film trouvera son utilité. Ce qui permettra aussi d’avoir un budget pour le diffuser dans le tiers-monde.

Et réaliser d’autres films ?

Vanessa. Oui, il y a des projets. Et tout ça sera possible si nous aussi, comme les Vénézuéliens, nous arrivons à nous organiser.

Merci et beaucoup de succès à ce film !

MICHEL COLLON

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