La seule dette à rembourser, c'est la dette envers le peuple argentin mis à sac

Après quelques années de suspension du paiement de la dette argentine, la Présidente Christina Kirchner fête comme une victoire la reprise du paiement de cette énorme dette. Adolfo Pérez Esquivel proteste ici contre le paiement de cette dette injuste et odieuse et réclame un audit impartial pour enfin connaître qui a touché l’argent des emprunts qui ont généré cette dette.

Il compare le gouvernement à une équipe de foot qui se réjouirait des buts marqués contre son propre camp et accuse les militaires du coup d’Etat de 1976 d’avoir emprunté pour lutter contre leur propre peuple, provoquant cette dette ignoble, tâchée du sang du peuple que ce même peuple doit maintenant rembourser au Club de Paris qui n’a rien d’un club sportif. Une autre grande partie de ces emprunts, effectués après le retour de « la démocratie » après 1983, n’a fait qu’augmenter la pauvreté dans le pays. L’argent est donc allé dans les poches des dirigeants politiques et des grandes entreprises.

Buenos Aires, le 4 septembre 2008.

Titre original : La dette extérieure, la répression

Le gouvernement argentin vient d’annoncer le paiement de la dette extérieure de l’Argentine au Club de Paris. Comme le dit si bien un journaliste argentin, l’unique sport que pratique ce club est celui de « la bicyclette financière ».

L’Argentine est vraiment amoureuse du football. Elle est championne olympique avec la médaille d’or, mais face au Club de Paris, face au Fond Monétaire International et à tous les créditeurs internationaux, l’équipe du gouvernement a toujours la fâcheuse tendance à marquer des but contre son camp, c'est-à-dire contre son propre pays. Mais le plus triste, c’est que les gouvernants fêtent ces résultats  comme un grand triomphe, comme s’ils avaient gagné les « Olympiades des perdants ». Nous les avons même vus dans le Salon Blanc du palais présidentiel applaudir la Présidente de la République, Christina Kirchner, toute heureuse d’être applaudie, pour les buts  marqués contre son camp par son équipe gouvernementale.

La Présidente dit que cette dette traîne depuis 1983, date de la récupération de « la soi-disant démocratie ». Elle ne tient aucun compte du fait qu’avant cette date, le gouvernement imposé par la dictature militaire avec son « super ministre de l’économie, Domingo Cavallo ». Ce dernier, Président de la Banque Centrale argentine durant cette période,  a transformé la dette privée des entreprises (y compris des entreprises étrangères) en dette de l’Etat. Dans l’impunité la plus totale et la plus absolue, il a imposé au peuple argentin cette dette extérieure tâchée de son propre sang.

En partant de ce retour à la « démocratie », malgré les luttes et les résistances du peuple, les dirigeants politiques avec beaucoup d’hypocrisie veulent cacher la réalité des faits et refusent toute relation entre la dette d’avant 1983 et les graves violations des droits humains, la destruction de la capacité productive du pays et toute cette terreur imposée qui a provoqué des dizaines de milliers  de disparus, des gens torturés et des enfants qu’on a fait aussi disparaître.

Tous les gouvernements qui se sont succédés depuis 1983 jusqu’à celui d’aujourd’hui, ont toujours choisi le chemin de la soumission en payant cette dette injuste et immorale qui se paye en fait avec la faim du peuple. Honorer le paiement de la dette comme beaucoup disent le faire, c’est en fait rendre hommage à la dictature militaire qui l’a engendrée et aux gouvernements suivants toujours soumis qui ont continué à endetter le pays.

Le gouvernement actuel, comme les précédents, oublie de prendre ses responsabilités et de faire payer enfin « la dette intérieure » due au peuple argentin qui a été mis à sac dans la plus totale impunité. Est-ce que le gouvernement ignore tout cela ? Déjà, voici quelques années, le Président Kirchner a réglé la dette du FMI et pourtant la situation ne s’est pas améliorée pour le peuple. La relation mathématique est toujours la suivante : « Plus nous payons, plus nous devons et moins nous avons ». les dirigeants avaient aussi, à l’époque, fêté comme un triomphe cet autre but marqué contre leur propre camp. Et pourtant, depuis, la faim et le chômage ont continué d’augmenter. Selon les informations de l’UNICEF, 25 enfants meurent de faim chaque jour dans le pays et 13 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Le nombre de sans emploi n’a pas baissé et pourtant, « on rectifie les courbes » du chômage avec des subsides et de l’assistance. C’est un grave problème social qui n’est toujours pas résolu.

Dans le cadre de cette mise à sac du pays, on continue les ventes indiscriminées de terres à des entreprises étrangères en expulsant les peuples indigènes qui sont là depuis l’origine, ainsi que les petits producteurs ruraux. Les rétentions financières sur les exportations, que le gouvernement a voulu imposer et qui ont déclenché la grève des milieux agricoles, n’auraient en fait servi qu’à payer la dette extérieure du pays.

Tant d’autisme politique de la part des députés et des sénateurs est vraiment indigne. Ils prétendent ignorer la procédure judiciaire  initiée par le Docteur Alejandro Olmos, ce grand homme qui a eu le courage de dénoncer le saccage de notre pays. Cela fait 18 ans que ce procès contre le paiement de la dette extérieure a commencé et tous les gouvernements se sont toujours efforcés de l’ignorer. Dans une de ses réclamations, lors des marches de résistance sociale et pour les droits humains, il disait : « La dette extérieure et la répression… ce sont les plus grands bourbiers qu’a subi la Nation et qui ont provoqué les disparitions de tous ses enfants qui déjà ne sont plus là… » Aujourd’hui, tout ceci paraît oublié et enfermé dans des cartons, comme ce procès d’Alejandro Olmos. Il en est de même de la dénonciation que le juge Ballestero a envoyé au parlement pour qu’il recherche enfin tout ce qui a été fait illicitement.

Jusqu’à présent, on assiste au manque de courage et de décision politique des législateurs et du gouvernement avec cette politique autiste qui accable le peuple argentin. C’est ainsi que se payent l’immoralité et la couardise en espérant le sourire et la compréhension des saccageurs pour obtenir d’eux davantage de prêts et endetter ainsi encore plus le pays. On trouve quelques rares législateurs qui gardent encore assez d’éthique et de courage pour s’opposer à la vente des terres du pays. Malheureusement, on ne parle déjà plus de la dette extérieure et de son remboursement au Club de Paris. A la Chambre des Députés, il n’y a pas de débat mais seulement la volonté de la Présidente et de quelques personnes qui la suivent et qui décident du destin de l’Argentine en imposant leur politique.

Le gouvernement dit que nous devons payer la dette pour pouvoir demander de nouveaux crédits qui vont faire naître d’autres dettes. C’est ainsi que nous rentrons dans ce cercle vicieux qui nous rend toujours plus dépendants et plus soumis. Les Etats-Unis, l’Europe et le Japon applaudissent mais ils exigent toujours plus. La soumission au FMI a pourtant porté un très grand préjudice aux peuples du monde entier. L’auraient-ils déjà oublié ?…

Les buts marqués contre son camp rendent la Présidente heureuse. D’autant plus que cette fois, le but est marqué de la tête. Le pays a maintenant la responsabilité de payer avec ses réserves plus de 6 milliards de dollars au Club de la bicyclette financière de Paris. Ils considèrent cela comme un grand succès et ils font la fête.

Ainsi, le gouvernement privilégie ce « train fou » lancé comme une balle de fusil dans le royaume de la globalisation et de la modernité d’un monde gouverné par le Marché. Pendant ce temps, le peuple constate l’effondrement des chemins de fer argentins gérés par des entreprises privées.

A l’entrée de la vie réelle, dans la périphérie des consciences, se trouve le peuple qui souffre et qui supporte la marginalité tout en écoutant d’un côté les discours progressistes et d’un autre côté en constatant l’incohérence des actions et des pratiques politiques, la perte de la souveraineté nationale et la vente du patrimoine national aux entreprises étrangères. Le peuple argentin aimerait bien savoir vers où va le pays.

Il faut se réveiller enfin, assumer la responsabilité de défendre le droit du peuple à son autodétermination et trouver de nouveaux chemins qui permettent de construire de nouvelles orientations de vie et de solidarité.

Il faut défendre la cage du gardien pour qu’on ne mette plus de buts contre notre camp et qu’on ne continue plus de perdre ainsi la souveraineté et les droits de notre peuple.

Nous devons à tout prix former des équipes qui aient un bon jeu de jambes contre l’indifférence, le conformisme, la résignation et la faim, avec des joueurs qui luttent pour le parti de la vie et pour la dignité du peuple.

Adolfo Pérez Esquivel – Prix Nobel de la Paix.

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