La guerre en technicolor

Une thèse courante est que G.W. Bush est une marionnette, manipulée par des forces de l’ombre, l’espèce de directoire mystérieux du système qui conduit les desseins de l’américanisme.

Nous avons toujours été fort hésitants devant cette thèse que nous jugeons bien élaborée pour rendre compte d’un phénomène plutôt marqué par la sottise, l’aveuglement et une extraordinaire vanité primaire.

02/06/2008

Nous pensons plutôt que les psychologies des dirigeants US sont à la fois prisonnières et sous l’influence automatique du réseau général de communication du système, fonctionnant selon les orientations naturelles de la vanité et de la puissance, ce qui tend à donner une espèce d’uniformité des grandes orientations psychologiques, illustrée avec plus ou moins de brio selon les qualités individuelles.

G. W.Bush est un esprit d’une pauvreté sans fin et d’une inculture épouvantable, clinquante et irresponsable, un caractère médiocre cela va de soi, – mais il n’en est pas manipulé pour autant. Nous dirions presque, au contraire, qu’il correspond parfaitement aux canons du système; donc, aucune nécessité de manipulation.

Dans ce domaine, Tom Engelhardt nous est d’une aide précieuse.

L’éditeur du site TomDispatch.com est aussi l’auteur d’un livre, The End of Victory Culture, qui donne une analyse saisissante du rôle de la “culture populaire”, à commencer par l’influence du cinéma hollywoodien le plus primaire jusqu’à celle des héros de cartoons, sur les psychologies des dirigeants politiques US (et des citoyens), notamment durant la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre froide. Dans le texte qu’il publie aujourd’hui, Engelhardt donne une analyse de la présidence de GW comme une “présidence hollywoodienne”, conforme aux préceptes de “l’industrie du cinéma” qui garde toujours, malgré des exceptions “déviationnistes” heureusement de plus en plus nombreuses, une vision manichéenne, stéréotypée et complètement manipulée du monde.

Engelhardt a débusqué un passage des “mémoires de guerre” (en Irak) que vient de publier le général Sanchez, qui commanda en Irak de 2003 à 2006. Le passage, si remarquable comme on va le voir, commence à être cité ici et là, comme le signale Engelhardt. (« Autant que je sache, le passage clé dans les mémoires de Sanchez cité dans cet extrait a d’abord été remarqué et commenté par l’infatigable reporter en Iraq Patrick Cockburn. Contrairement aux passages clés du mémoire de Scott Mc Clellan, celui ci a été un peu négligé. Cependant, Dan Froomkin (cité dans cet extrait), responsable du site en ligne du Washington Post, « L’Observateur de la Maison Blanche », a aussi remarqué son existence. »)

Voici donc le passage, dans l’article que Engelhardt a mis en ligne sur Antiwar.com aujourd’hui, où il rapporte ce témoignage de Sanchez sur une vidéo-conférence, le 6 avril 2004, entre d’une part Bush, Powell et Rumsfeld à Washington, d’autre part lui-même en Irak.

« Je pense à un autre membre de l’équipe, ancien commandant des forces Américaines en Irak, le Lt Genéral Ricardo Sanchez. Il a attiré l’attention sur un accès de colère du président enregistré dans son mémoire intitulé : la sagesse de la guerre, histoire d’un soldat. Son caractère sanguinaire et caricatural aurait dû attirer l’attention du pays tout entier et il était si étrange, étant donné l’attitude présidentielle ces dernières années que l’on sait tout de suite qu’il est véridique ».

Situons l’action rapidement, comme le dit Sanchez pages 349-350 dans son mémoire : nous sommes le 6 Avril 2004. L. Paul Bremer III, à la tête de l’Autorité Provisoire de la Coalition ainsi que vice-roi colonial du président à Bagdad, avec le Général Sanchez étaient en visioconférence avec le président, ainsi qu’avec le Secrétaire d’Etat Colin Powell et le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld.(On peut supposer que l’évènement a été enregistré et peut-être re-visionné par Sanchez pour sa prise de notes). La première attaque massive contre la ville résistante Sunnite de Fallujah venait d’être lancée, alors que dans le sud Shiite l’armée américaine préparait une campagne contre le religieux Moqtada al Sadr et sa milice armée.

Selon Sanchez, Powell avait un discours dur ce jour-là : « Il faut qu’on botte le cul de quelqu’un en vitesse » rapporte le général, « il nous faut une victoire totale quelque part. Il faut qu’on fasse une démonstration de puissance brutale » a-t-il dit. (Et de fait, à la fin d’Avril des quartiers entiers de Fallujah étaient en ruines tout comme , en Aout les vieux quartiers de la ville sainte Shiite de Najaf.

Cependant, Sadr a réussi à s’échapper pour continuer le combat ; et pour qualifier la victoire de Powell de « totale », l’armée US devra retourner à Fallujah en Novembre, après les élections présidentielles américaines pour réduire les ¾ de la ville à une ruine virtuelle.) Bush s’en est ensuite pris à Sadr en disant : « A la fin de cette campagne, al-Sadr doit avoir disparu de la scène » insista-t-il auprès de ses conseillers les plus proches. « Au minimum il faut qu’il soit arrêté. Il est essentiel qu’il soit balayé ».

Peu de temps après, le président « lança » ce que Sanchez, effaré, qualifie poliment de « confus discours d’encouragement » concernant Fallujah et notre campagne suivante dans le sud contre l’armée Mahdi.

Voici donc ce discours et, en le lisant, essayez d’imaginer de tels propos émanant de n’importe quel autre président US ou n’importe quoi d’autre sortant de la bouche d’un ennemi représentant le mal dans les films de jeunesse du président (ainsi que de ma propre jeunesse) :

« Le pied au cul ! dit Bush, reprenant le discours de fermeté de Powell. « Si quelqu’un essaie d’entraver la marche vers la démocratie, on ira les chercher et on les tuera ! Il faut qu’on soit plus dur que le diable ! Cette histoire de Vietnam, ça n’a rien de comparable, ce n’est qu’une idée toute faite. On ne peut pas envoyer ce message. Ce n’est qu’un prétexte pour préparer le retrait des troupes »

« Il y a des grands moments comme ça dans l’histoire et c’en est un. On est en train de mettre notre détermination à l’épreuve, mais nous restons fermes. Nous avons la bonne méthode ! Soyons forts ! Gardons le cap ! Tuons-les ! Soyons confiants ! Gagnons ! Nous allons les balayer : Nous n’hésiterons pas !

Il faut garder à l’esprit le fait que la rhétorique sanguinaire de ce discours n’avait pas pour objectif de motiver les Marines avant la bataille. Les destinataires étaient ses conseillers les plus proches bien à l’abri lors d’une séance de stratégie à la veille d’offensives militaires massives en Iraq. Cependant, il est évident que le président voulait vraiment imiter George C. Scott interprétant le Général George Patton – ou alors peut-être laissait-il s’exprimer l’un des méchants qui ont marqué les écrans de sa jeunesse ».

Engelhardt a raison de citer le George C. Scott de Patton, – sauf que Patton avait l’esprit de citer des poètes antiques en visitant des ruines romaines en Afrique du Nord, et de proclamer sa détestation de son époque démocratique et médiocre, – tout cela, hors de portée des personnages cités. Tout de même, ce qui nous arrête dans cette instructive portion de mémoires, c’est qu’on y trouve en bonne place l’éminent général Colin Powell, cité et acclamé partout pendant des années comme le sage de l’administration GW Bush, l’homme avisé et lucide qui lutta désespérément contre la folie primaire de ses camarades du gouvernement. A bien y regarder, il semble que Powell soit en première ligne pour la manifestation de l’esprit ambiant, adepte de la “brute force”, de l’écrasement de toute cette racaille irakienne et ainsi de suite. L’Africain-Américain devenu général et secrétaire d’Etat, traité de “house slave” (sorte d’ «esclave collaborateur ») par Harry Belafonte, n’échappe manifestement pas aux us et coutumes du système, – preuve si besoin est que les tristes querelles et rancunes de racisme et autres s’effacent devant les pressions psychologiques du système.

Notre sentiment est que nous ne sommes pas au bout de nos surprises dans le constat d’un système complètement paralysé par les contraintes automatiques que son fonctionnement mécanique impose à ses acteurs, avec ces contraintes écartant toute pensée élaborée et laissant libre cours aux sentiments les plus primaires. La scène rapportée par le général Sanchez est bien celle d’une direction US incapable de dépasser les éructations d’une vanité de puissance (mieux que “volonté de puissance”, ce qui serait leur faire bien de l’honneur) qui paraît avoir été et être toujours le seul guide de la politique US. Là-dessus, que GW glisse un quatrain sur la démocratie (« Si quelqu’un essaie d’entraver la marche vers la démocratie, on ira les chercher et on les tuera ! ») complète le tableau. Cela lui vaudra sans aucun doute l’indulgence de BHL et autres Glucksman et mesurera parfaitement la vertu inhérente aux conceptions et choix définitifs de la civilisation qui nous abrite en son sein.

URL : http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=5166

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