La guerre d’Ossétie du Sud : qui a piégé qui ?

La crise osséto-géorgienne a suscité divers commentaires quant à ses causes. Dans Le Monde du 4 septembre 2008, Bernard Dreano soutient l’idée que les autorités géorgiennes seraient tombées dans un piège que Moscou leur aurait tendu, en faisant croire que la Russie était sur le point d’abandonner l’Ossétie du Sud. Inversement Bernard-Henri Lévy prétend que la Géorgie aurait attaqué pour préempter une attaque russe et que 150 chars russes auraient déjà été présents en Ossétie du Sud. Cette thèse est celle utilisée par le gouvernement géorgien qui affirme désormais que son action du 7 août fut une réaction à une entrée massive de l’armée russe via le tunnel de Roki.

5 septembre 2008

En fait, on dispose désormais de bien assez d’éléments pour tenter de débrouiller le vrai du faux. Je présente ici un certain nombre d’éléments qui permettent de réfuter ces deux thèses, mais qui montrent aussi qu’il y a bien des questions encore non résolues concernant cette crise.

(I)

Durant la phase préparatoire aux hostilités, deux exercices militaires majeurs ont pris place.

En Géorgie s’est tenu sous commandement américain l’exercice Immediate Response 2008 (IR-08) combinant des forces américaines (US Army et USMC), de la Géorgie, de l’Azerbaidjan, de l’Arménie et de l’Ukraine. Cet exercice s’est déroulé du 15 au 25 juillet et semble avoir considérablement accru la confiance du président Saakachvili dans ses forces armées. À la fin de l’exercice, le nombre de conseillers militaires américains (appartenant à l'USMC) au sein des troupes géorgiennes était de 117.

Dans le même temps, les troupes russes stationnées au Caucase du Nord (la 58e Armée) ont mené, en présence d’observateurs internationaux, l’exercice Kavkaz-2, qui a impliqué des déploiements importants. Le thème de cet exercice était le déploiement rapide de troupes à haute efficacité opérationnelle pour assurer la protection d’une région menacée par une intervention extérieure. On ne pouvait plus clairement indiquer aux autorités géorgiennes la volonté du gouvernement russe d’intervenir en cas d’attaque contre l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud. Le déroulement de cet exercice, qui a pris fin le 1er août 2008, a souligné le très haut degré de disponibilité des troupes opérationnelles russes, comme l’ont signalé les observateurs de l’OTAN présents.

Ces informations auraient du conduire les autorités géorgiennes a une appréciation plus réaliste de leurs capacités militaires en cas d’opération contre l’Ossétie du Sud. La question posée est donc de savoir si les Etats-Unis ont transmis ces informations (et s’ils ne l’ont pas fait, pourquoi ?) et si elles ont été discutées au sein de la chaîne de commandement géorgienne.

(II)

Dans les quelques jours qui précèdent le début des combats (du 2 au 6 août 2008) les autorités russes préviennent à plusieurs reprises les autorités géorgiennes de leur volonté de renforcer les forces de maintien de la paix en raison de la multiplication des incidents sur la ligne de cesser le feu. Les autorités géorgiennes ont protesté contre ce qu’elles ont appelé un renforcement indu de ces forces. Ceci témoigne de ce qu’elles étaient au courant et avaient pris note de la grande réactivité de la partie russe à la dégradation de la situation locale.

La combinaison de (I) et (II) rend très peu crédible l’hypothèse d’un « piège » politique tendu par les autorités russes aux autorités géorgiennes. Si Moscou avait tenté de « piéger » Tbilissi, l’exercice Kavkaz-2 aurait été bien moins explicite, bien moins démonstratif et les autorités russes auraient été beaucoup plus passives entre le 2 et le 6 août.

(III)

Le renforcement des troupes russes déployées sous mandat ONU en Ossétie du Sud a été limité (environ 350 hommes). Les affirmations de BHL sur les « 150 chars russes » ayant traversé le tunnel de Roki le 6 ou le 7 août sont incohérentes avec le reste des événements.

En effet, si les autorités russes avaient décidé de déployer une telle force, ce ne sont pas seulement des chars qui auraient transité (150 chars représentent au moins 4 bataillons – à 33 chars chaque- soit plus qu’un régiment blindé) mais l’équivalent d’une large fraction d’une division blindée (avec outre cet hypothétique gros régiment de chars, au moins un régiment d’infanterie mécanisé, des moyens d’artillerie et de défense anti-aérienne).

Contrairement à ce qu’affirme BHL et ce que croient des personnes ne connaissant pas la chose militaire, on ne déplace pas des chars comme des jouets. On déplace des unités militaires, qui ont un tableau des effectifs et des équipements connu. Si l’on veut avoir 150 chars dans un point donné, on transfère les unités dont la somme des équipements aboutit à ce nombre. Compte tenu des moyens de soutien aux unités blindées cela fait une force considérable, représentant environ les 2/3 d’une division blindée. Dès la nuit des 7 au 8 août, les forces géorgiennes auraient donc du être confrontées à des moyens puissants, ce qui n’est pas le cas. Les chars russes ne sont arrivés dans les faubourgs nord de Tskhinvali que dans la matinée du 9 août. Les avions géorgiens n’ont pas été pris à partie par une défense AA dans la journée du 8 (les films de la télévision russe montrent des Su-25 géorgiens opérant à basse altitude sans opposition). Un régiment de chars russes a des moyens AA (missiles et canons à tir rapide) conséquents…

L’artillerie géorgienne aurait été immédiatement prise à partie par les moyens d’artillerie russes (tirs de contre-batterie). Ceci ne se produit qu’à partir de la journée du 9 août.

(IV)

Si le plan des autorités de Tbilissi avait été de reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud en tablant sur une passivité, voire une connivence de la Russie, pourquoi les forces géorgiennes ont-elles tiré sans sommation et délibérément sur les troupes russes sous mandat ONU dès le 7 août ?

À 11h40 le 7 août, soit environ 30 minutes après que le président géorgien ait fait informer le général russe en charge des forces du maintien de la paix qu’il entendait user de la force pour « instaurer l’ordre constitutionnel » à Tskhinvali, une grenade tuait deux soldats russes dans un des postes d’observation[1]. Dans la nuit du 7 août dès le début du bombardement systématique de Tskhinvali et des environs (les premiers tirs sont enregistrés vers 23h30), une des casernes abritant les soldats russes de la force de maintien de la paix est délibérément prise pour cible par l’artillerie géorgienne. Ce tir provoquera douze morts du côté russe, portant ainsi à 14 le nombre des victimes dues aux tirs géorgiens.

Ce tir est délibérément provocateur et ne peut que conduire à une réaction russe. La logique eut voulu d’éviter de prendre à partie ces troupes si on pensait qu’elles pouvaient rester passives. Ceci contredit à nouveau l’hypothèse que les autorités géorgiennes auraient pris leur décision en escomptant une passivité de la Russie, dans le cadre d’un « piège » qui leur aurait été tendu.

La violence de l’attaque initiale était volontairement provocatrice vis-à-vis de la Russie, comme le montrent les dommages subis par la population civile dans l’agglomération de Tskhinvali.

Je renvoie ici au cliché haute résolution de la région disponible sur www.unosat.org.

Cette photo satellitaire ne prend en compte que les dommages « verticaux » (ceux causés par l’artillerie et les lance-roquettes de 122-mm) et les bâtiments brûlés. Les dommages causés par des tirs « horizontaux » (canons de chars ou de BMP-1 et 2, tirs de mitrailleuses) n’apparaissent pas.

On constate deux lignes de dommages, qui correspondent à l’évidence à deux axes de tir de l’artillerie géorgienne, l’un orienté Sud-Ouest/Nord-Est et l’autre Sud/Nord.

La photo permet d’évaluer les dégâts, et je donne la table de l’UNOSAT concernant la ville de Tskhinvali et les villages qui sont dans l’axe de la route et qui constituent en fait des « faubourgs » au nord de Tskhinvali. Le premier chiffre est celui du nombre de bâtiments détruits ou sévèrement endommagés et le second le pourcentage de bâtiments touchés par rapport au nombre total de la localité :

Kveno Achabeti 121 51,9%

Tamarasheni 183 50,7%

Kekhvi 154 44,3%

Kurta 144 43,4%

Zemo Achabeti 77 41,6%

Kemerti 96 30,6%

Tskhinvali 230 5,5%

Kheiti 12 5,4%

Total 1017

Nous savons que les troupes géorgiennes n’ont pénétré qu’aux deux tiers de Tskhinvali soit à la hauteur de 42°14’ Nord en coordonnées standard.

La forme des dégâts, leur répartition géographique, confirment plusieurs points :

(a) L’agglomération a subi un bombardement délibéré et massif de la part de l’artillerie géorgienne.

(b) Ce bombardement ne correspond pas aux combats les plus violents, car une partie importante des destructions est située au nord de la ligne d’avance la plus importante des troupes géorgiennes.

(c) Les tirs géorgiens semblent avoir répondu à deux objectifs, d’une part détruire un certain nombre de bâtiments clés pour désorganiser le commandement ossète, et d’autre part provoquer délibérément de fortes pertes civiles afin de provoquer un exode massif de la population.

Je rappelle que tous les témoignages dont nos disposons concordent sur le point que la majorité des destructions correspond à la nuit du 7 au 8 août lors du bombardement initial. Le sud de Tskhinvali, si l’on en croit la télévision russe a été touché dans les combats du 8 et du 9, mais les dommages, causés par des tirs horizontaux, ne sont pas visibles sur la photo satellitaire.

Un bombardement de cette ampleur ne pouvait pas ne pas provoquer une forte réponse russe.

Notons que les observateurs militaires de l’OSCE ont signalé ces faits comme le rapporte désormais le Spiegel allemand. Ils ont signalé la possibilité que les Géorgiens aient commis des crimes de guerre lors de l’attaque de Tskhinvali[2].

Compte tenu du nombre de bâtiments touchés, du fait que le bombardement a eu lieu de nuit, et de l’effet de surprise, il est très probable que le chiffre des victimes soit très élevé, et supérieur à 1000 pour cette seule attaque.

(V)

Si les explications jusqu’ici avancées, celle de Bernard Dreano sur un « piège » politique russe ou celle de BHL sur une attaque préventive face à une forte pénétration mécanisée des forces russes, ne résistent pas à l’examen des faits[3], il faut tenter de comprendre ce qui s’est passé.

Je dois d’abord souligner la nature hétérogène et « semi-féodale » de l’armée géorgienne et de la chaîne de commandement militaire. Suite aux programmes d’aide militaire américains, l’armée géorgienne s’est clivée en une fraction soutenue et encadrée par les instructeurs US, et dont la solde est considérable dans les conditions locales, et le reste des forces armées, toujours mal soldé, mal équipé et peu entraîné. Le haut commandement et une partie de la classe politique (le ministre de la Défense, le chef d’état-major, le président..) ont pris l’habitude de « patronner » des unités. Ils en tirent une certaine légitimité, mais aussi une garantie pour leur avenir politique dans un pays où les institutions politiques sont peu stabilisées et qui a connu il y a quelques années une guerre civile. Pour les soldats et les officiers de ces unités « patronnées », le patronage est une garantie que le flux d’argent et d’équipement ne va pas se tarir, et que leurs chances de promotion sont bien plus grandes que dans les autres unités.

Ceci aboutit à des forces armées qui dans certains cas sont plus fidèles à des hommes qu’à des institutions. La chaîne de commandement est ainsi fragmentée. Ceci aboutit aussi à de grandes différences dans l’efficacité des unités, la motivation et la fidélité des troupes.

Dans ce contexte, une hypothèse soutenue par plusieurs sources est que des responsables géorgiens ont tenté une opération sur Tskhinvali essentiellement dans le but d’en retirer un bénéfice politique contre le président Saakachvili, dont la dernière élection a été fortement contestée. Ce dernier aurait été obligé de se lancer dans une surenchère pour ne pas perdre la face et son pouvoir.

Le plan géorgien aurait alors reposé sur une série d’hypothèses.

Supposant que les troupes russes de la 58e Armée ont reçu des permissions massives (ce qui est logique à la fin des grandes manœuvres et de plus quand elles correspondent au début des vacances), les dirigeants géorgiens tablent sur la lenteur de la réaction russe (aggravée par le fait que les dirigeants russes seront à Beijing pour les Jeux Olympiques) et non sur la passivité de la Russie.

Ils estiment qu’il faudra au moins 3 jours à la 58e Armée pour commencer à réagir et sans doute 5 ou 6 pour qu’elle se déploie en Ossétie du Sud. Ils s’estiment alors capables d’occuper la majorité du territoire de l’Ossétie du Sud et de provoquer un tel flot de réfugiés vers le Nord que le tunnel de Roki en serait bloqué. Le déploiement des forces russes pourrait ainsi être considérablement retardé, ce qui permettrait aux autorités géorgiennes de mobiliser leurs soutiens politiques internationaux pour faire valider la nouvelle situation de fait et présenter une tardive réaction russe comme une « invasion » délibérée.

Pour réussir, un tel scénario implique d’une part que les troupes géorgiennes puissent conquérir très vite Tskhinvali et les environs (d’où la nécessité de déployer des moyens considérables à l’échelle du pays et d’agir de manière très brutale) et d’autre part que la population ossète soit prise de panique. Il faut donc délibérément provoquer de fortes pertes civiles afin d’induire le flot de réfugiés qui doit rendre le tunnel de Roki impraticable.

Ce plan cependant est très fragile. L’analyse fournie dans la Jane’s Defence Weekly souligne les erreurs stratégiques commises par les Géorgiens.[4] Si les troupes russes sont plus réactives que prévu, et si l’avance dans Tskhinvali est plus longue que prévue, alors les troupes géorgiennes sont prises la main dans le sac.

On peut penser que le jeu politique interne en Géorgie, le choc des ambitions et des combinaisons politiques, ait conduit à une prise de risque bien excessive de la part des autorités géorgiennes. Et ceci d’autant plus que la chaîne de commandement est fragmentée. Après tout, les dirigeants géorgiens ne seraient pas les premiers à avoir déclenché une guerre sur la base d’une évaluation stratégique erronée…

Je souligne que si le plan géorgien est bien celui indiqué, alors nous retrouvons une cohérence aux actions militaires géorgiennes des 36 premières heures des combats, y compris l’attaque délibérée sur les troupes russes en position d’observateur, ainsi que le meurtrier bombardement de Tskhinvali et de ses environs, qui ne sont pas compréhensibles autrement.

(VI)

Cependant, l’hypothèse présentée soulève d’autres problèmes, et en particulier celui de l’attitude des États-Unis.

Compte tenu de la présence des conseillers militaires intégrés dans les unités géorgiennes, Washington ne peut pas ignorer ce qui se prépare.

D’ailleurs, la mission militaire israélienne (qui entraîne les Géorgiens à l’usage des drones) va se retirer le 6 août…

Pourtant, les autorités américaines n’interviennent pas pour calmer le jeu, alors qu’elles disposent des rapports montrant l’état de disponibilité des forces russes (rapports envoyés par les observateurs qui ont assisté aux manœuvres Kavkaz-2 déjà évoquées).

À défaut d’une mise en garde, les autorités américaines auraient pu retirer leurs conseillers. Elles n’en font rien, prenant la responsabilité que des officiers américains soient directement impliqués dans plusieurs violations du droit international et dans des crimes de guerre. Elles prennent aussi la responsabilité que ces officiers puissent être fait prisonniers. De fait, il y a eu deux occasions ou, le dimanche 10 août, des troupes russes ont été à deux doigts de capturer des officiers américains. Ils semblent que les officiers russes ont volontairement laissé filer l’unité géorgienne encerclée pour ne pas à avoir à gérer un problème politique quelque peu délicat…

Quoi qu’il en soit, le comportement de Washington est ici hautement irresponsable.

Vladimir Poutine a affirmé que le gouvernement américain aurait commandité l’attaque géorgienne pour favoriser l’élection de McCain. Honnêtement ceci semble à première vue peu croyable ; mais, force est de constater que la responsabilité américaine est bien engagée, au moins indirectement.

A-t-on voulu tendre un piège aux Russes en espérant capitaliser sur la réaction anti-russe de certains pays pour faire avancer des dossiers comme celui de l’élargissement de l’OTAN ou le bouclier anti-missiles, voire effectivement pour relancer la candidature McCain ?

Est-ce une simple suite d’incompétences dans l’administration US ?

À l’heure actuelle les deux hypothèses, celle impliquant la manipulation et celle impliquant une suite d’erreurs de jugement, sont plausibles.

Ce qui n’est pas plausible est la thèse d’une administration américaine qui n’aurait pas été au courant de ce qui se tramait. La réaction israélienne le montre.

(VII)

Il reste à évaluer ce que fut la position russe.

Les avertissements à la Géorgie avaient été clairs fin juillet et début août. Fin juin, les troupes de construction russes avaient achevé la remise en état de la ligne ferroviaire côtière reliant l’Abkhazie à la Russie, et permettant ainsi le déploiement rapide de matériel lourd russe en Abkhazie. Des manœuvres amphibies avaient été conduites par la marine russe de mer Noire. La Russie avait donc donné des signes manifestes de son inquiétude quant à une possible dégradation de la situation soit en Abkhazie soit, fin juillet, en Ossétie du Sud.

Pour autant, on peut s’interroger sur le degré de surprise de la chaîne de commandement russe.

La 58e Armée avait été maintenue dans un haut état d’alerte et de réactivité, et les permissions n’ont semble-t-il été octroyées qu’au compte-goutte. Ceci indique que les autorités russes suspectaient quelque chose, mais pas nécessairement le 7 août. Le fait est que les dirigeants russes s’envolent pour Beijing, afin d’assister à la cérémonie d’ouverture des JO. Par ailleurs la représentation locale de l’OSCE en Géorgie, si elle indiquait une montée des tensions, n’indiquait pas la possibilité d’un conflit armé à la date du 7 août[5].

Cependant, on a des indications quant au fait que les responsables russes soupçonnent à partir du 4 août la Géorgie de préparer une action militaire.

Le renforcement des observateurs russes en Ossétie du Sud a été évoqué. Il répond à la multiplication des incidents.

Moins noté est le fait, signalé par la presse russe le 5 août, que des « volontaires » d’Ossétie du Nord serait en train de se rendre en Ossétie du Sud. Il s’agit d’un groupe de 600 à 800 hommes (rien à voir avec les affabulations d’un BHL), ce qui correspond probablement à un bataillon des forces spéciales de l’amée russe (ceux que l’on appelle les « SpetNaz », et, techniquement, il s’agit probablement de ceux que l’on appelle dans les forces russes des « reydoviki »).

Ces hommes étaient destinés à sécuriser le tunnel de Roki et renforcer les défenses de l’Ossétie. Ils seront engagés dans la bataille de Tskhinvali le 8 et le 9 août et c’est eux qui causeront les pertes les plus importantes aux unités blindées et mécanisées géorgiennes tentant de prendre la ville. L’armée géorgienne disposait de 129 chars (67 T-62 et 62 T-54 et 55) ainsi que 213 véhicules blindés d’infanterie (des BMP et des BTR). Les documents disponibles montrent que les troupes russes ont détruit environ 60 chars à Tskhinvali et ses alentours immédiats et qu’elles ont capturé intact une centaine de blindés (essentiellement des BMP-1) quand les forces géorgiennes se sont débandées à partir du dimanche après-midi.

Ils vont aussi canaliser le flot des réfugiés ossètes et assurer que la route descendant du tunnel de Roki soit bien libre le 8 et le 9 pour permettre aux forces russes de venir au secours des Ossètes.

Ceci montre que la possibilité d‘une agression géorgienne a bien été prise en compte par les autorités russes. Cependant, ces dernières semblent avoir été surprises par la violence de l’attaque initiale et par les fait que les observateurs russes, présents sous mandat ONU, aient été délibérément la cible des tirs géorgiens. Je pense que les autorités russes, à partir du 5 août considèrent probable une attaque géorgienne, mais estiment que celle-ci sera limitée à la conquête de quelques crêtes et de collines, en réponse aux incidents que l’on a eu sur la ligne de cessez-le-feu. Les mesures prises par le commandement russe entre le 5 et l’après-midi du 7 août vont dans le sens de précautions face à de possibles dérapages. Ce n’est qu’à partir de l’après-midi du 7 août que le commandement russe semble prendre conscience que l’attaque géorgienne pourrait être plus ambitieuse. Les autorités russes n’ont donc pas été surprises au sens stratégique du terme, car on voit qu’elles avaient mis en place toutes les dispositions nécessaires à une crise sérieuse. Elles ont cependant été surprises au sens tactique du terme par le degré de violence des Géorgiens. Celui-ci a déterminé aussi le degré de violence de la réponse russe.

La réaction russe, dans sa totalité, correspond cependant au scénario des manoeuvres Kavkaz-2, y compris l’opération amphibie vers Poti, qui avait été testée lors de manœuvres navales de la fin juin 2008.

On est alors ramené à la question déjà posée : ces différentes manœuvres ayant été accompagnée d’observateurs étrangers et en particulier des pays de l’OTAN, on comprend mal que les autorités géorgiennes n’aient pas été averties des risques qu’elles prenaient, et on comprend tout aussi mal la « surprise » des pays occidentaux face à une réaction russe qui était entièrement prévisible.

Si « piège » il y eut, il ne vint pas de Moscou.

[1]1] Voir l’article de la rédaction du Spiegel du 25 août 2008,

« The Chronicle of a Caucasian Tragedy, Part 3 : a disastrous décision », consultable sur http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,574812-3…

[2][2] AFP, le 30 août 2008, via Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/08/30/01011-…

Le texte du Spiegel donnant l’information peut être consulté à : http://www.spiegel.de/politik/ausland/0,1518,575396,00.ht…

L’OSCE a démenti avoir transmis ces informations par source diplomatique, mais n’a pas contesté la véracité des faits. Cette combinaison de révélation et de démenti est assez classique dans une organisation comme l’OSCE. Elle indique que les militaires européens détachés auprès de l’OSCE et déployés sur le terrain ont organisé des « fuites » afin de rendre publiques des informations que leurs gouvernements souhaitent ne pas voir diffusées. L’auteur de ce texte en a eu confirmation par des membres de la mission d’observation en géorgie. Des fuites de ce type ont déjà été pratiquées dans d’autres cas, du Kosovo au Nagorno-Karabagh.

[3][3] Les observateurs de l’OSCE ont d’ailleurs officiellement démenti l’entrée de troupes mécanisées russes avant le 7 août.

[4][4] Richard Giragossian, “Georgian planning flaws led to campaign failure”, JDW, 15 août 2008.

[5][5] Der Spiegel, « The Chronicle of a Caucasian Tragedy, Part 3 : a disastrous décision », article cité.

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