La face B d'Alvaro Uribe

C'est un très fidèle allié que les dirigeants des sociétés transnationales ont accueilli hier en leur cénacle. Après Madrid, Bruxelles et Paris, Davos a à son tour chaleureusement salué Alvaro Uribe. Il faut dire qu'en ces temps de krach boursier globalisé et d'épidémie «populiste» en Amérique latine, la belle histoire du président colombien a de quoi réchauffer le coeur du plus dur des businessmen.

Le Courrier, 24/01/2008

Jugez plutôt: il était une fois un pays riche en pétrole, minerais et autres précieuses ressources qui ne cesse d'améliorer les «conditions-cadres» faites aux investisseurs, privatise à tour de bras et propose un avantageux traité de libre-échange. Imaginez un Etat de droit, où le syndicalisme, naguère puissant, est mystérieusement en voie de disparition1, libérant enfin les forces du marché et faisant exploser le rendement des capitaux. Imaginez encore un jeune président démocratiquement élu et réélu – dont le père aurait été «assassiné par la guérilla» – qui est parvenu à repousser les «narcoterroristes marxistes» dans la jungle. Une «mission» pour laquelle il vient d'être conforté par les chaleureuses accolades des dirigeants européens. Fin de la belle histoire? Retournez plutôt le disque!

Car la face B d'Alvaro Uribe et de son régime mérite qu'on s'y arrête. Sur ce revers émerge d'abord le jeune et ambitieux fils d'un propriétaire terrien d'Antioquia, notoirement lié au narcotrafic, mort dans des circonstances mystérieuses, avant de devenir «martyr» des FARC par la grâce de l'hagiographie uribiste. Une face B où apparaît aussi un Uribe, directeur d'Aeronautica Civil, l'autorité aéroportuaire colombienne, au temps où celle-ci ferme allégrement les yeux sur le narcotrafic du cartel de Medellin2. Il deviendra d'ailleurs maire de la cité de Pablo Escobar en 1982, avant d'en devenir sénateur. En 1991, le Département d'Etat étasunien n'hésitera pas à qualifier Uribe de «collaborateur» et d'«ami intime» du fameux parrain de Medellin et de le classer dans la liste des cent principaux acteurs du narcotrafic colombien.

Une histoire où se côtoient ensuite le Gouvernorat d'Antioquia (1995-97) – où il soutient la création des milices paramilitaires Convivir – puis en 2002 une candidature à la présidence ouvertement et concrètement appuyée par les groupes armés d'extrême droite. Et enfin un chef de l'Etat qui «négocie» la démobilisation des «paras» contre la mansuétude de la justice4, alors même qu'une vingtaine de députés de sa majorité croupissent en prison pour collaboration avec les escadrons de la mort.

C'est cet homme-là qui a reçu ces jours le soutien «inconditionnel» de l'Europe et de ses multinationales. Un homme habile à se draper dans les crimes des FARC pour mieux faire oublier les siens et ceux de sa clique. Déployant l'étendard de la lutte globale contre le terrorisme pour mieux occulter le terrorisme d'Etat. Pas de doute, Alvaro Uribe est bien à sa place à Davos.

Note :

1. A la suite, il est vrai, d'une épidémie de meurtres de militants syndicaux – plus de 2500 en vingt ans –, dont 98% n'ont jamais été élucidés.

2. Voir El señor de las sombras, de Joseph Contreras et Fernando Gavarito, paru en 2002 et disponible en espagnol sur http://resistir.info/colombia/biografia_auv.pdf

3. Newsweek, 9 août 2004 (http://www.newsweek.com/id/54793).

4. Une démobilisation très relative puisque ces bandes armées – responsables avec l'aide de l'armée régulière de l'immense majorité des violations des droits humains commises en Colombie – ont tué plus de 3000 fois depuis le «cessez-le-feu» de 2002.

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