La double morale des libéraux :@@les cas du Honduras et de la Colombie

 

La pensée libérale a toujours recouru à un discours qui met l’accent, en théorie, sur la défense des droits individuels comme raison de sa propre existence. Dans sa version économique, cette philosophie politique utilise ce cadre idéologique pour promouvoir la suprématie du marché, dans lequel l’individu consommateur est supposé définir les priorités de la société à travers sa consommation. De là découle –selon le credo libéral – la suprématie du marché sur l’Etat. Il n’est donc pas surprenant que ce soit le monde patronal qui ait fait la promotion la plus intense du libéralisme, présenté lui-même comme le grand défenseur des libertés individuelles.


L’expérience historique, néanmoins, montre que cette tradition libérale a rarement respecté ses postulats idéologiques de respect et de défense des libertés individuelles. Il est bien connu qu’une des principales sources de référence du libéralisme, l’économiste Milton Friedman, appuya la dictature du général Pinochet (voir Navarro, “La prensa liberal y Milton Friedman”, dans www.vnavarro.org, section économie politique). En Espagne nous connaissons bien cette incohérence libérale. Ce fut précisément un porte-parole très visible du libéralisme espagnol, le banquier Juan March qui, quand il vit que ses intérêts patronaux étaient affectés par les politiques publiques du gouvernement républicain démocratiquement élu, appuya le coup militaire de 1936 qui instaura une des dictatures les plus cruelles et sanglantes qu’a connu l’Europe au XXe siècle. Selon le professeur Edward Malefakis de l’Université Columbia à New York, pour chaque assassinat politique commis par Mussolini, le dictateur Franco en commit 30.000. En réalité, la Banque (qui était le pouvoir de fait promoteur du libéralisme en Espagne, fait qui continue aujourd’hui), fut le groupe de fait, dirigé par la Banque March, qui finança ledit coup d’Etat militaire. Il en alla de même en Catalogne avec un grand patron libéral de l’industrie catalane, Francesc Cambó, lequel appuya aussi fortement le coup militaire quand il vit que ses intérêts de classe étaient affectés par les politiques publiques du gouvernement républicain démocratiquement élu.

Une situation similaire est à l’origine du récent coup d’État militaire au Honduras qui a renversé un gouvernement démocratiquement élu. Les médias libéraux espagnols ont expliqué le putsch militaire en utilisant le même argument que celui des putschistes au Honduras pour le justifier, à savoir la nécessité d’empêcher que le président Zelaya modifie la Constitution pour se maintenir au pouvoir. Une voix proéminente de ce chœur libéral a été celle de Mario Vargas Llosa qui comme prévu, dans un article dans El Pais (El golpe de la burlas, 12.07.09), tout en étant critique quant aux formes, a défendu la destitution du président Zelaya, avec les mêmes arguments. Selon lui, il n’était pas permis que Zelaya se perpétue au pouvoir. Mario Vargas Llosa, tout comme la majorité des médias libéraux, ajouta que la destitution du mandataire était aussi une conséquence logique du manque d’appui au président Zelaya et de son impopularité élevée, citant des enquêtes dont j’ai montré dans un autre article qu’elles étaient clairement manipulées (Las falsedades sobre Honduras, Publico, 23.07.09).

Le putsch militaire au Honduras a entraîné une énorme répression contre les forces politiques qui appuyaient le président Zelaya, répression qui a impliqué la diminution substantielle des droits politiques et civils de la population hondurienne, avec la fermeture des médias opposés au nouveau gouvernement putschiste et la persécution de journalistes critiques du nouveau régime. Parmi les autres mesures répressives citons l’interruption de la fourniture d’électricité à des médias non favorables au nouveau gouvernement putschiste, la violente suppression de manifestations en faveur du président Zelaya, des assassinats et arrestations de leaders hostiles au gouvernement putschiste, des restrictions de mouvements de la population et de nombreuses autres mesures répressives qui sont à peine évoquées dans ces médias libéraux. Aucun d’ eux (je répète, pas un seul) n’a dénoncé cette répression. Et Mario Vargas Llosa, qui se présente comme un grand défenseur des droits individuels, s’est cantonné dans un silence assourdissant.

Cette énorme répression a atteint son apogée lors du retour au Honduras du président Zelaya. Il y a aujourd’hui un état de siège avec une occupation du pays par une partie de sa propre armée. Pour rappeler la situation du Chili lors du coup du général Pinochet, c’est aussi un stade, le stade de Chosi Sosa qui a été utilisé comme camp de détention pour les résistants au régime. Cet état de siège est la meilleure preuve de la fausseté des arguments utilisés par les putschistes honduriens comme par Mario Vargas Llosa, qui insistaient sur la prétendue impopularité du président Zelaya. Si le président Zelaya était si impopulaire qu’ils l’ont dit, comment expliquent-ils que le nouveau gouvernement putschiste ait été forcé d’imposer tant de répression et de brutalité ? Et je répète la question, si le coup était si populaire, comment expliquent-ils tant de résistance ? En réalité, l’histoire de l’Amérique latine est pleine de cas comme celui du Honduras. Quand les oligarchies dominantes (toutes très “libérales”) voient leurs intérêts affectés par les politiques publiques d’un gouvernement démocratiquement élu, elles envoient leur armée dans la rue, initiant les dictatures qui ont dominé ce continent. Et quasiment toujours, bien sûr, avec l’appui des voix libérales, supposées défenseurs de la Constitution (voir mon article Se repite la historia en Latinoamérica ?, El Plural, 21.09.2009).

Le silence de ces voix libérales à l’égard de cette brutale répression, s’est rompu maintenant, non pour condamner la répression, mais pour condamner le retour de Zelaya dans le pays dont il est le président. Ils soulignent qu’il ne devait pas revenir car il a contribué ainsi à créer les tensions existantes. Les tensions cependant, ont été créées par les putschistes qui ont fait le putsch et qui ont rejeté toutes les mesures de résolution du conflit.

L’appui libéral à Uribe

Cette condamnation des libéraux envers Zelaya contraste avec leur appui au gouvernement Uribe en Colombie, lequel est en train de tenter de changer la Constitution pour “se maintenir au pouvoir”. Il n’y a pas de preuve, évidemment, que Zelaya tenterait de se maintenir au pouvoir, argument utilisé pour expliquer (Mario Vargas Llosa) ou justifier (les putschistes) le coup militaire. Et même dans le cas où l’enquête du 28 juin que Zelaya avait favorisé (demandant à la population si elle désirait établir une Assemblée Constituante) aurait pu se réaliser et où la population aurait émis un avis favorable à l’établissement d’une telle Assemblée, le président Zelaya aurait dû quitter son poste en janvier 2010, remplacé par un nouveau président. L’unique chose qui aurait pu arriver, dans le cas où la nouvelle Constitution l’aurait permis et Zelaya désiré, est que celui-ci aurait pu se présenter aux élections dans un futur lointain, après que le mandat du nouveau président arrive à son terme et quand la Constitution l’indiquerait. De là l’accusation contre Zelaya de vouloir perpétuer son mandat est fausse.

Ceci étant, ce qui n’est pas faux, c’est qu’Uribe remue ciel et terre pour se maintenir au pouvoir. Là, oui, le cas est clair et transparent. Uribe lui-même l’a dit. Il veut changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir. Et il n’y a eu aucune dénonciation de Vargas Llosa et autres libéraux, pas plus qu’ils n’ont dénoncé l’énorme répression existant en Colombie contre les forces politiques pacifiques colombiennes qui s’opposent à son gouvernement. En réalité, la Colombie est un des pays d’Amérique latine où les droits civils et politiques des individus sont les plus violés. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a dénoncé le gouvernement Uribe pour la violation systématique des droits syndicaux et du travail. Comme l’a indiqué l’OIT, la Colombie, dirigée par le gouvernement Uribe, est le pays du monde où le plus de syndicalistes ont été assassinés, et bien sûr aussi de journalistes. Et beaucoup de ces assassinats ont été commis par la police politique directement dirigée par le gouvernement Uribe. Mario Vargas Llosa a aussi maintenu un silence assourdissant sur cette répression.

Qui plus est, les paramilitaires colombiens, une des forces les plus répressives en Amérique latine (établies et appuyées par Uribe depuis de nombreuses années), ont aidé le gouvernement putschiste hondurien dans la protection de l’oligarchie hondurienne, sans que cette information soit donnée dans les médias libéraux. Est-ce qu’on imagine ce qu’auraient dit ces médias si des troupes du gouvernement Chavez avaient été au Honduras en appui des mouvements populaires contre le gouvernement putschiste ? La réponse aurait été un vrai cirque médiatique Ce sont là des exemples, non seulement de la profonde incohérence des prétendus défenseurs des libertés individuelles, mais de leur double morale, hautement malléable selon leurs intérêts de classe.

Traduit par Gérard Jugant. Édité par Fausto Giudice pour Tlaxcala

Source: El Plural

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