La Terre parle arabe


La Terre parle arabe (The land speaks Arabic) est un documentaire d’une heure réalisé par Maryse Gargour. Le film –en arabe, français, anglais et sous-titré en anglais – a reçu plusieurs prix européens ( ASBU, Prix à la diffusion ENTV,Prix International du Documentaire et du reportage médittéranéen,  prix Mémoire de la Méditerranée).

Cet excellent documentaire consacré à l’une des problématiques les plus pressantes de notre temps est une mosaïque de séquences rarement diffusées concernant la Palestine d’avant 1948. Il combine de manière remarquable recherche historique, récits, citations, témoignages émouvants et documents d’époque.

Certes, on peut rappeler qu’avant le lancement du projet sioniste en Palestine, cette région était plus densément peuplée que les Etats-Unis d’aujourd’hui. Certes, on peut souligner une fois encore que vingt ans, et même cinquante ans après, elle était toujours majoritairement arabe. Mais avancer des faits et voir ou vivre la réalité sont deux choses. Le mieux est de confronter divers documents de l’époque, comme le fait Maryse Gargour de manière très professionnelle, très concrète et très efficace dans son film.

La réalisatrice nous amène à remonter le temps avec des scènes surprenantes de l’ancienne et trépidante ville de Jérusalem, avec des images de pêcheurs naviguant aussi bien sur la mer que sur des lacs ou des rivières, de paysans occupés à travailler de riches terres agricoles, de bergers surveillant leurs troupeaux, de femmes vêtues de robes brodées balançant des jarres d’eau sur leur tête, d’hommes coiffés de turbans pressant des olives pour en faire de l’huile ou cuisant le pain arabe typique dans des fours en terre, d’une volée de cloches d’église, de croyants agenouillés pour la prière, de familles posant pour des photos de mariage ou de vacances. Ces scènes d’une vie idyllique en Terre sainte nous poursuivent alors que nous sommes renvoyés vers des temps plus tourmentés.

La lecture d’extraits de lettres échangées dans des langues européennes entre des Européens sionistes et des Européens impérialistes est suivie par des scènes reflétant les conséquences de leurs concepts d’ingénierie sociale. La progression du projet de colonisation est relatée sur la base d’articles tirés des journaux de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. Si, comme on peut le constater dans certains documents comme des reportages et des lettres, les colons sionistes parlaient de colonisation, bien de leurs écrits et de leurs discours traduisaient l’idée de remplacer la population locale par la nouvelle population venue d’Europe. S’expriment notamment à ce sujet Ahad Haam, Israel Zanguill, Yosef Weitz, Chaim Weitzman, Theodor Herzl et Ben Gurion.

Le film nous montre comment des organisations armées clandestines juives telles que la Haganah, l’Irgun, et le groupe Stern se sont spécialisées dans diverses formes de terrorisme allant de l’attentat à la bombe dans des marchés jusqu’aux assassinats (y compris de fonctionnaires britanniques).

D’une voix calme et posée, l’historienne Nur Masalha avance des faits et des chiffres précis pour nous guider à travers les dédales de l’histoire.

J’ai toujours été d’avis que le terme “documentaire” n’était pas approprié pour désigner ce type de films. Il arrive qu’un film non seulement nous informe sur la base de documents surprenants et nous fasse vivre une expérience mémorable, mais qu’il opère aussi en nous un changement fondamental, qu’il nous entraîne dans une profonde réflexion sur ce qui s’est produit et nous incite à agir.

Des réfugiés racontent, la voix empreinte de tristesse, comme la vie était facile avant 1948, lorsque les différentes religions cohabitaient sans heurts. Ils étaient de simples paysans ou de simples citadins, qui ignoraient presque tout des machinations du sionisme et de l’impérialisme, et des conspirations en cours pour les dépouiller de leurs terres et faire de leur pays un Etat juif.

Les titres des journaux locaux (sionistes juifs ou nationalistes arabes) en disent long: Les fonds affluent vers la Palestine, L’immigration sioniste augmente, Les Juifs s’opposent à toute limitation de l’immigration, Des milice juives s’entraînent, Promesse de récompense pour la capture de juifs recherchés, La presse arabe en grève, 59 arabes blessés dans un attentat à la bombe à Haifa, Le problème de la terre en Palestine, Pacte entre la Haganah et l’Irgun, Des armes pour les Juifs palestiniens.

Dans une interview, un résistant de1948 explique pourquoi il a rejoint les combattants. “Nous avons vu qu’ils voulaient s’emparer de notre pays et nous chasser. Peu de fusils, peu de combattants, pas d’organisation ni d’expérience en matière de guerre, huit personnes rassemblant leur argent pour acheter un seul vieux fusil…”

Sur une image, on distingue une enseigne bilingue, qui affiche en anglais “Agence juive pour la Palestine” et en hébreux “Agence juive pour Israël”, avant même que ce pays n’existe. La supercherie a toujours fait partie du programme.

Le film aborde également le soulèvement de 1936 contre l’occupation britannique et la colonisation sioniste. Le mouvement sioniste propose d’y faire face en accélérant la colonisation et en transférant la population arabe hors de l’Etat juif prévu. Il conçoit ce projet d’ingénierie comme on prépare le drainage d’un marécage ou la déforestation d’une parcelle pour s’y installer. Les Britanniques instituent le bombardement de village, les châtiments collectifs, les pendaisons publiques, les expulsions, etc., des pratiques qu’adoptera plus tard l’armée israélienne face aux soulèvements palestiniens.

Malgré la multiplication des acquisitions et l’adoption d’autres méthodes, l’Agence juive ne peut acquérir que 3,5% du territoire palestinien. C’est finalement la guerre qui lui permet d’obtenir ce qu’elle voulait véritablement. Ben Gurion déclare “nous appartenant ou ne nous appartenant pas sont des concepts qui ne valent qu’en temps de paix; en temps de guerre, ils n’ont plus aucun sens sens”. Des réfugiés expliquent qu’ils ont fui parce que les forces sionistes prenaient intentionnellement pour cible des civils afin qu’ils s’en aillent. C’était souvent une question de vie ou de mort. Les forces sionistes disposaient déjà d’avions, de tanks, de blindés, d’artillerie lourde, alors que le peu de résistants palestiniens n’avaient que des pistolets à un coup datant pour la plupart  de la période ottomane. Si les habitants ne s’en allaient pas et ne se rendaient pas, les hommes étaient rassemblés et fusillés en groupe à la mitraillette. Un survivant raconte comment il est resté à faire le mort une journée entière, couché parmi les cadavres, le corps criblé de balles. Un autre explique avoir vu le cadavre d’une femme enceinte, le ventre ouvert, et celui de son bébé. Les témoignages de personnes ayant survécu aux attentats à la bombe perpétrés par des organisations terroristes juives à l’hôtel King David et à l’hôtel Samiramis sont combinés avec des documents et des reportages d’actualités de l’époque.

Le film se termine sur le témoignage d’un vieil homme, autrefois habitant de Jérusalem, qui décrit les souffrances de l’exil et le mal du pays.

L’approche historique combinant images, documents, faits et chiffres donne l’impression que ces événements sont survenus hier. C’est un film puissant.
« La Terre parle arabe » croise le regard de l’historien et du cinéaste pour soulever une vérité brûlante, celle du nettoyage et de la spoliation de la terre palestinienne par les sionistes.
Fin XIXème le sionisme, mouvement politique( juif) minoritaire, apparaît sur la scène internationale. Son but est de créer un Etat pour les Juifs quelque part dans le monde. Ce choix se portera finalement sur la Palestine. Cependant cette terre palestinienne « parle arabe » et se trouve habitée par un peuple, les Palestiniens.
Pour mettre en avant leur projet, les leaders sionistes élaborent une solution bien avant la déclaration Balfour de 1917. Il s’agit de penser d’abord et d’organiser ensuite le transfert de la population locale palestinienne hors de sa terre. Tous les moyens seront utilisés pour cela et en particulier la force brutale. Ce projet, élaboré en secret dans les premières années, sera progressivement mis en avant par ses leaders après la grande révolte palestinienne de 1936 au cours de laquelle toutes les formes d’oppositions à ce projet par les Palestiniens seront fortement réprimées par la puissance mandataire britannique.
Le film de Maryse Gargour est construit essentiellement sur des citations des leaders sionistes, sur des archives audiovisuelles inédites, sur la presse de l’époque et sur des documents diplomatiques occidentaux croisés avec des témoignages de personnes ayant vécu directement cette période. Le fil conducteur historique est donné par l’historien Nur Masalha. « La Terre parle arabe » croise le regard de l’historien et du cinéaste pour soulever une vérité brûlante, celle du nettoyage et de la spoliation de la terre palestinienne par les sionistes.

Notes

  1. A la fin du XIXe siècle, les fondateurs du sionisme projettent de créer un état juif quelque part dans le monde (on évoqua l’Ouganda, la Patagonie…) Ce sera finalement en Palestine « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » disaient ils. Cette terre fait alors partie de l’Empire Ottoman et elle est habitée par une population arabe se répartissant principalement sur le plan communautaire entre musulmans, chrétiens et juifs. En 1917, la Déclaration Balfour promet aux leaders sionistes un « foyer national juif » dont la création exigera cependant de transférer la population palestinienne hors de sa terre. Ca commencera par un simple rachat de terres, mais les paysans arabes n’étant pas forcément motivés pour vendre ce qui était leur moyen de vivre et leurs racines on commença à utiliser des moyens plus brutaux.
  2. Maryse Gargour, née à Jaffa, a réalisé cinq documentaires dont : Une palestinienne face à la Palestine – Jaffa la mienne – loin de Falastin – le pays de Blanche…
  3. Les films sur la Shoah nous ont tous bouleversés, mais il faut aussi rendre compte de cette autre histoire qu’est la Nakba, la catastrophe, causée par l’expulsion forcée de 800,000 Palestiniens et par la destruction de centaines de villages entre 1947 et 1949.
    Quelques chiffres qu’il faut connaître :
    –>avant 1914 :  60’000 juifs en Palestine
    –>de 1920 à 1931 + 110’000 immigrés ‘’
    –>de 1932 a 1939 + 214’000 immigrés ‘’
    –>en 1948  + 120’000 immigrés ‘’
    En 1948 la population d’origine juive en Palestine représente 600’000 personnes soit 30% de la population totale (1’300’000 arabes). 950’000 palestiniens vivaient dans les territoires passés sous occupation israélienne. En moins de 6 mois il ne restait plus que 130 à 160’000 personnes.
    Avant 48 il y avait 475 villages en Palestine et en 1988 il n’en restait plus que 90.
    385 villages ont été détruits, le plus souvent remplacés par une implantation israélienne.
    Peut-il y avoir une paix durable au Moyen-Orient sans rétablir les faits, l’authentique Histoire, loin de tous les mythes.
    Ce film apporte la lumière sur des évènements souvent occultés ou éclipsés par l’Histoire.
  4. Haganah (?????) signifie « défense » en hébreu. Il s’agit d’une organisation clandestine sioniste créée en 1920, qui se voulait une force de protection pour les Juifs ayant émigré en Palestine. Son but originel était de défendre les communautés juives d’éventuelles attaques par les Arabes, comme celles de 1920 à Jérusalem, de 1921, de 1929, puis de la Grande Révolte arabe de 1936-1939 en Palestine mandataire.
    L’organisation est ensuite devenue la branche militaire officieuse de l’exécutif sioniste en Palestine mandataire, l’Agence juive, devant favoriser la constitution d’un état juif.
    Lors de la fondation de l’état d’Israël, en 1948, la Haganah s’agrège à deux autres groupes armés moins importants, l’Irgoun et le Lehi (groupe Stern), pour former Tsahal, la force de défense d’Israël.
    Tsahal, dont l’ancienne Haganah constitue la colonne vertébrale, joua un rôle déterminant dans la guerre d’indépendance (1948-1949) d’Israël. Celle-ci vit le départ d’une partie importante de la population arabe palestinienne.
  5. L’Irgoun (?????, « organisation »), de son nom complet Irgoun Zvaï (ou Tzvaï) Leoumi (????? ???? ?????, « Organisation militaire nationale »), parfois abrégé en I.Z.L., acronyme lui-même lexicalisé en Etzel (????), est une organisation armée sioniste en Palestine mandataire, née en 1931 d’une scission de la Haganah, et dirigée à partir de 1943 par Menahem Begin.
    Idéologiquement, elle s’affirme comme proche du parti de la droite nationaliste, le parti révisionniste, surtout à partir de 1937, et a pour objectif la construction d’un État juif sur les deux rives du fleuve Jourdain (en y incluant l’actuelle Jordanie).
    Après la proclamation de l’État d’Israël en 1948, la plupart des éléments de l’IZL furent intégrés dans l’armée régulière.
    Les anciens membres de l’Irgoun ont majoritairement créé fin 1948 le parti Herout (« Liberté »), qui est la matrice de l’actuel Likoud, parti de la droite israélienne

Traduit par Chloé Meier pour Investig’Action. 

Source:  Holy Land Studies, a Multidisiplinary Journal , Edinburgh University Press, 2008 , volume 7, n°2, Edinburgh, UK.

 

 

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.