La Belgique rode sa loi antiterroriste

 

Ce 29 mai 2009, s’est terminé à Bruxelles le troisième procès en appel intenté à des personnes liées au DHKPC, une organisation politique d’opposition radicale au gouvernement turc. Le prononcé est prévu pour le 14 juillet. Il s’agit de la dernière phase d’un procès à rebondissements : trois jugements et deux arrêts de cassation avaient déjà ponctué cette affaire. Les différents rebondissements de ce procès montrent que les législations antiterroristes laissent une marge d’interprétation très importante au juge. Il s’agit d’un droit subjectif, à travers lequel les mêmes faits conduisent à des décisions opposées.

Ce nouveau procès en appel est dû au fait que, le 24 juin 2008, la Cour de cassation a cassé l’arrêt prononcé le 7 février 2008 par la cour d’appel d’Anvers.

Contrairement aux prononcés précédents, de première instance et d’appel en 2006, cette cour avait acquitté les inculpés de toute appartenance à une organisation terroriste ou criminelle. Elle avait considéré que l’action des inculpés, pour l’essentiel, n’avait pas outrepassé le droit de réunion, d’opinion et de manifestation.

Saisie par le Parquet, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel d’Anvers avait failli dans sa lecture de la loi. En pointant le caractère légal des activités incriminées, elle avait exonéré les prévenus de la prévention d’appartenance à une organisation terroriste ou criminelle. La Cour de cassation a considéré que la loi ne requiert aucunement que des prévenus soient impliqués personnellement dans la commission de délits pour être sanctionné pénalement.

Ici, nous sommes au cœur des législations antiterroristes. Le seul fait d’appartenir à une organisation nommée comme terroriste, doit suffire pour être condamné. De plus, la notion d’appartenance est particulièrement indéfinie et extensible : des rapports informels et occasionnels suffisent à établir la prévention.

Ainsi, l’arrêt de la Cour de cassation nous rappelle que la loi antiterroriste ne porte pas sur les faits, qu’elle n’a pas été créée pour s’attaquer à des délits matériels. Cette loi n’a pas d’autre contenu, d’autre spécificité que la possibilité offerte d’élaborer des infractions virtuelles, des images destinées à créer l’effroi, celles de l’individu et de l’organisation terroristes. Ces constructions mentales sont des signes englobants, qui nient toute possibilité d’opposition et supposent une adhésion automatique au schéma présenté. Elles ont pour objet, non pas de supprimer les faits, mais de prévaloir sur ceux-ci, afin d’imposer une relecture conforme à l’image de la lutte antiterroriste.

Le déroulement des deux premiers procès, qui ont condamné les prévenus pour appartenance à une organisation terroriste, nous montre concrètement comment se construisent ces images. La majeure partie des débats s’est centrée sur la question de savoir si la Turquie est un régime démocratique, contre lequel une résistance violente peut se justifier. En refusant de se déterminer exclusivement sur des faits ayant eu lieu en Belgique, le tribunal se donne une compétence universelle afin de déterminer, dans un pays étranger, ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est démocratique et ce qui ne l’est pas.

Il s’agit là d’un double renversement du droit pénal qui donne une dimension extraterritoriale à un droit à vocation nationale et qui permet de porter un jugement, non à partir d’enquêtes, mais sur base de simples allégations produites par un pouvoir liberticide.

Non seulement ces tribunaux n’ont pas développé de recherches en Turquie, mais ont explicitement refusé de le faire. Ils ont accepté que des actions commises en Turquie, avec lesquelles la plupart des prévenus n’ont aucun lien matériel, servent à déterminer si l’organisation incriminée et les individus poursuivis sont terroristes tout en refusant de se donner les moyens d’enquêter sur ces faits.

Ainsi, le droit pénal belge devient déterritorialisé et perd sa base objective. Le caractère démocratique de l’État turc est présupposé et cette reconnaissance automatique remplace toute recherche portant sur les crimes du régime vis-à-vis de ses populations, ainsi que sur les actions « terroristes » attribuées aux opposants. Cette procédure nie toute légitimité aux actions de résistance.

Le dernier arrêt cassé, celui de la cour d’appel de Gand, innocentant les prévenus du délit d’appartenance à une organisation terroriste, a été construit de manière inverse. Il n’a pas porté sur le contexte politique ou international de cette affaire, mais sur les seuls faits reprochés aux inculpés. Le tribunal a stipulé que les actes qualifiés de terroristes relevaient bien de l’exercice des droits fondamentaux, des libertés de réunion et d’expression. Dans ce dernier arrêt, les faits ont une existence propre, distincte de la problématique antiterroriste dans laquelle on veut les enfermer.

Au contraire, dans les deux premiers procès condamnant les inculpés pour terrorisme, la construction mentale dans laquelle s’insèrent les actes incriminés, prime sur les faits. Leur perception en est transformée. Ainsi, distribuer un tract, traduire un communiqué deviennent des actions particulièrement inquiétantes. Cette procédure psychotique de création d’une nouvelle réalité, destinée à se substituer à la matérialité des actes poursuivis, est le point ultime d’un processus de subjectivation du droit pénal. Les lois antiterroristes en sont une pièce maîtresse.

À travers ce dernier procès, la jurisprudence va jouer un rôle primordial. Il s’agit de faire inscrire, dans l’ordre juridique de notre pays, que le caractère légal des actes incriminés ne doit pas les empêcher d’être punis. Dans le cadre d’une poursuite en matière « terroriste », la manière dont les choses sont nommées doit primer sur leur réalité matérielle. Autrement dit, il s’agit d’imposer que toute personne inculpée dans le cadre d’une telle affaire soit condamnée, quels que soient ses actes ou ses intentions. Ainsi, l’enjeu de ce procès est de déterminer si notre pays demeurera un État de droit.

Source : Le Soir

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