L'assassinat de Kennedy payé par Castro ?

Un documentaire allemand va faire le tour du monde, accusant Castro d'avoir fait assassiner Kennedy. L'historien belge Ludo De Witte décortique les invraisemblances de ce "reportage"… (qui sera diffusé en belgique le 7 mars)

L’assassinat de Kennedy payé par Castro?

Dissection du documentaire de l’ARD Rendezvous mit dem Tod (2006)

Le 22 novembre 1963, le président John F. Kennedy est assassiné à Dallas: les images du crâne de Kennedy explosant sous l’impact de la (des) balle(s) seront à jamais griffées dans la mémoire collective. ‘L’assassinat du siècle’ reste jusqu’à ce jour inexpliqué. L’assassin, Lee Harvey Oswald, fut bientôt arrêté, mais deux jours plus tard abattu à bout portant par Jack Ruby. Oswald, agé de 23 ans, était actif dans les milieux castristes et anticastristes de la Nouvelle Orléans. Ruby pour sa part était un propriétaire de boîtes de nuit avec des connections dans le milieu. La mafia voulait-elle se défaire d’Oswald afin de faire disparaître sa part du crime? Tant la mafia visé par Robert (frère de JFK), que Fidel Castro visé par les frères Kennedy (qui voulaient à tout prix le voir renversé), que les ultras anticastristes estimant que JFK n’allait pas assez loin dans sa lutte contre Cuba, avaient à première vue un motif valable. Et enfin, quel était le rôle des sabreurs du FBI et de la CIA, qui avaient infiltré aussi bien la mafia que les milieux pro- et anticastristes?

La méfiance de l’opinion publique n’allait que s’accroître dans les jours et les semaines suivant l’assassinat. Trois jours après le meurtre, avant que la Commission Warren qui mènerait l’enquête officielle, ne soit formée, J. Edgar Hoover, le chef du FBI, informait la presse en déclarant que tous les renseignements obtenus laissaient entendre qu’Oswald ‘avait agi seul’. Lors de la première réunion de la Commission Warren, Allen Dulles, ancien chef de la CIA et membre de la Commission, distribua aux autres membres un livre qui allait, selon lui, les aider à préciser les paramètres de l’enquête. ‘Les meurtres américains’ expliquait-il, diffèrent des ‘meurtres européens’: les premiers sont le travail de criminels isolés, les seconds le résultat de conspirations. Lorsqu’un membre de la Commission rétorqua que Lincoln avait été tué par trois individus, il répondait, impassible, que ces trois personnes avaient été contrôlées si étroitement qu’on pouvait aisément parler d’un seul homme ayant perpétré le meurtre. La Commission Warren allait conclure en 1964 qu’Oswald avait agi seul. Mais les contradictions manifestes que contenait le rapport de cette Commission prendraient un tel envol que des centaines de chercheurs et d’instituts se sont mis à enquêter l’affaire. Dans les années ’70, une enquête officielle supplémentaire dévoilait les lacunes du rapport Warren: ainsi lit-on dans le rapport du Congrès américain (1979) que ‘très probablement’ deux hommes ont tiré sur JFK, et qu’il est probablement question de conspiration. Mais à défaut d’analyse satisfaisante, le dossier reste entouré de controverses et de scepticisme. La CIA a fait savoir récemment que 1.100 documents confidentiels sur JFK ne seront déclassés qu’en 2017.

Rendezvous mit dem Tod

Le documentaire-télé de la main du réalisateur allemand Wilfried Huismann est une voix récente dans le débat sur l’assassinat. Rendezvous mit dem Tod (‘Rendez-vous avec la mort’) fait parler: c’est un film prenant position de façon spectaculaire: Fidel Castro serait impliqué dans le meurtre de JFK. Le 6 janvier 2006, le documentaire est lancé sur la chaîne publique allemande ARD et Rendezvous mit dem Tod commencera bientôt sa tournée mondiale. La Belgique en fera partie: déjà annoncé le 6 février dernier et pour servir d’appât, la télévision belge-flamande VRT diffusa quelques extraits du documentaire qui selon la journaliste contenaient des ‘nouvelles révélations’ sans aucun commentaire, ni mise en contexte. La version intégrale sera diffusée le 7 mars prochain. Entre temps, Helmut Schaefer, le vice-ministre des Affaires Etrangères allemand, a estimé nécessaire de réagir: la thèse de Huismann est jugée incrédible. Jugement délibéré ou opinion inspirée par la Realpolitik, afin de ne pas détériorer les relations entre l’Allemagne et Cuba, ni d’exacerber les tensions entre Washington et La Havane?

Le NRC Handelsblad annonce le documentaire de l’ARD avec la manchette 'Cuba a payé l’assassinat de JFK'. Selon ce journal de qualité néerlandais, ces images méritent notre attention bien plus que de coutume: ‘Qui, en novembre 1963, a assassiné le président américain John F. Kennedy? Lee Harvey Oswald. Mais agissait-il seul? Non, dit le réalisateur allemand, Wilfried Huismann (…) Oswald agissait sur ordre de Cuba. Huismann arrive à cette conclusion après trois années de recherche, au cours desquelles il a parlé avec d’anciens agents de sécurité cubains, des fonctionnaires américains et des officiers de renseignements russes, et étudié des archives mexicaines.’ Le journal note que Huismann s’est déjà vu octroyé des prix prestigieux pour son œuvre antérieure. C’est ainsi qu’il a déjà gagné trois fois le Grimme-Preis allemand pour le meilleur journalisme d’investigation télévisé. Huismann n’en est donc pas à ses débuts avec ce documentaire (coût: 850.000 euro).

Le journaliste du NRC Handelsblad n’est pas la seule voix impressionnée. Selon le journal britannique The Daily Telegraph, le documentaire contient ‘des preuves concluantes’ que Castro était derrière l’assassinat. Le journal espagnol ABC jubile: ‘Le travail de Huismann est exhaustif, crédible et couvre tous les aspects. On ne peut espérer d’un documentaire une qualité au delà de celle-ci.’ The Washington Times et le BBC-website ont repris un résumé de Rendezvous mit dem Tod. Et si on en croit le récit sur le site de l’ARD et son partenaire WRD, la station allemande est ébranlée. Lisons ensemble: ‘La recherche menée jusqu’à présent [sur l’assassinat de Kennedy] est complètement retournée par la nouvelle investigation. Pour la première fois depuis 1964 lorsque la Commission Warren rendait public son rapport, une nouvelle évidence remonte à la surface. La thèse de base est soutenue par d’excellents témoignages et des documents étayés (…) Lee Harvey Oswald fut l’instrument ultime dans un combat mortel entre les frères Kennedy et Fidel Castro.’

L’euphorie de l’ARD suscite des soupçons. Quiconque connaît tant soit peu le dossier, sait que depuis 1964 du nouveau matériel émerge à chaque instant, provenant de sources publiques et privées. C’est ainsi qu’on a vu la Commission Warren (1963-64), instaurée peu après l’assassinat; ensuite la Commission Church du Sénat américain (1975-76); puis le House Select Committee on Assassinations (HSCA) du Congrès américain (1976-79); enfin, un énorme flot de documents d’état sur l’assassinat a été libéré au cours des années ’90. Chaque commission a livré une masse de ‘nouvelles’ informations (et selon certains, également de la désinformation). Phénomène tout aussi intéressant sont les centaines de JFK assassination researchers: surtout les scientifiques sociaux américains qui, encouragés par l’investigation avortée de la Commission Warren ont transformé l’assassinat en branche d’industrie véritable, avec des sites spécialisés, des groupes d’études, des congrès (attirant des centaines de chercheurs), et la retombée de toutes ces recherches dans des papiers scientifiques, documentaires et livres à un rythme affolant de 1 publication en moyenne par semaine ces derniers 42 ans!

Sans doute y at-il parmi ces publications plus de paille que de grain, allant des écrits de weirdos politiques voulant à tout prix mettre la responsabilité du crime sur le dos de leurs ennemis, et ceux qui par profit ou par goût du sensationnel répandent des histoires inventées de toutes pièces, jusqu’aux ‘clairvoyants’ divulguant leurs spéculations et théories de complot. Mais on trouve également des études scientifiques sérieuses, et ce n’est guère correct de la part de Huismann ni de l’ARD de ne pas consacrer un seul mot à ce travail énorme déjà réalisé: comme si avec son documentaire, Huismann avait inventé l’eau chaude ex nihilo …

Car c’est exactement ce que prétend l’auteur de Rendezvous mit dem Tod. Sans sourciller Huismann dit dans Der Spiegel, hebdomadaire allemand prestigieux: ‘le fond de l’affaire criminelle est aujourd’hui expliqué.’ Il y prétend aussi que ses témoins n’ont pas reçu de l’argent, alors qu’au spécialiste JFK, Anthony Summers, il admet qu’un interviewé, le Russe au pseudonyme ‘Nikolai’, avait reçu ‘moins de 1.000 dollars’ pour trouver du matériel sur Oswald dans les archives des services secrets soviétiques, le KGB. D’autres questions peuvent être posées sur l’honnêteté intellectuelle de Huismann. Il nous fait croire que trois années de recherche scientifique l’ont finalement fait conclure que Castro était derrière le meurtre, alors qu’en fait Gus Russo, son co-researcher, avait tiré cette conclusion depuis longtemps déjà dans son livre Live By The Sword, publié en… 1998. Dans Rendezvous mit dem Tod pas un mot d’ailleurs n’est consacré aux masses de documents ‘à décharge’ de Castro, ni à d’autres modèles d’explication. Cela nous laisse penser que ‘le research’ a plutôt consisté en recherche de témoins appuyant la thèse de Russo qu’en recherche honnête et impartiale, comme nous le communique Huismann.

Huismann réécrit-il l’histoire de la guerre froide?

Examinons de près les témoignages et documents repris dans Rendezvous mit dem Tod – témoignages et documents qui, selon le réalisateur, font ‘que l’histoire de la guerre froide doit être reconsidérée’. S’agit-il d’un tour de force intellectuel ou simplement de mégalomanie? Est-ce vraiment nécessaire de délaisser définitivement les trois ‘explications’ courantes de l’assassinat – Oswald the lone assassin, Oswald pion dans une conspiration du complexe militaire-industriel, ou Oswald pion dans une conspiration d’ultra’s de la CIA, du FBI, de groupes anticastristes et de la mafia – et d’embrasser sans plus la thèse de Huismann? Castro est-il derrière l’assassinat de JFK, ou l’histoire d’Huismann n’est-elle rien de plus que la revisite d’une vieille thèse jamais prise au sérieux? En premier lieu, j’analyserai le documentaire et démontrerai qu’il ne résiste pas à la critique scientifique. Ensuite, je veux approfondir une question intéressante: qui profiterait de ce genre de manipulation d’opinion? Pour donner un exemple, nous allons analyser trois pièces à conviction provenant de Rendezvous mit dem Tod. L’analyse intégrale sera reprise en annexe. (‘Dissection de Rendezvous mit dem Tod ‘)

1. Dans Rendezvous mit dem Tod, Antulio Ramírez est mis au devant de la scène. En 1961, il monte dans un avion à Miami, détourne l’engin et l’oblige à faire escale à Cuba. Selon Huismann, il est honoré comme un héros à Cuba. Ramírez prétend que les Cubains lui étaient reconnaissants pour l’avion qu’il leur avait amené… quoique que l’engin ait été remis aux Etats-Unis quelques heures à peine après son arrivée. Les Cubains avaient donc complètement confiance en Ramírez, et ensuite – comme le veut faire croire Rendezvous mit dem Tod, il est devenu agent secret cubain. Depuis 1975, il vit de nouveau aux Etats-Unis ou Huismann l’a rencontré. Des officiers du service secret cubain G2 ont raconté à Ramírez qu’ils voulaient ‘éliminer’ Kennedy, dit-il dans l’interview. C’est dans les locaux de la G2 à La Havane qu’il a pu mettre la main sur un dossier ‘Oswald-Kennedy’ et consulter ‘quelques documents’. Dans ce dossier on peut lire que la KGB recommande Oswald auprès des Cubains, à part quelques réserves émises: Oswald est – toujours selon la KGB, ‘un aventurier émotionnel’.

Commentaire. Il est pour le moins étrange que Ramírez, qui venait des Etats-Unis et devait par conséquent susciter de la méfiance, ait reçu accès à un dossier aussi explosif, ayant pour titre révélateur ‘Oswald-Kennedy’ … Notre scepticisme ne fait que renforcer quand Ramírez commence à lire à haute voix dans son journal intime. Il s’agit d’un texte écrit sur feuilles A4 qui paraissent toutes neuves. Le texte consiste en phrases bien tournées, sans aucune rature… comme s’il s’agissait d’une histoire finie et prête à être publiée. On voit très clairement la moitié d’une page, accompagnée d’un extrait de document G2 que Ramírez aurait consultée: ‘La KGB (policía secreta rusa) nos recomienda’ etc. Un agent secret cubain dans un document G2 mentionnerait-il à côté de l’acronyme le nom entier de l’organisation-sœur de l’Union soviétique? Ceci pue la contrefaçon…

Huismann aime à dire qu’il a des révélations à faire, mais en fait il n’en est rien. En 1977, peu après son arrivée à Miami, Ramírez a remis le texte dont parle Huismann dans son documentaire, aux autorités américaines. Son texte, au titre surfait ‘Castro’s Red Hot Hell’, est disponible sur internet depuis belle lurette… Quiconque lit avec attention ‘Castro’s Red Hot Hell’, tombe sur des anecdotes et analyses des plus fantasques. C’est ainsi que Ramírez prétend que Fidel Castro avait élaboré un plan pour attaquer des cibles américaines avec 18 MIG afin de provoquer une guerre entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, mais que les militaires russes l’en ont empêché à temps… (pp. 174 es.) Plus loin il écrit: ‘Du temps de la Crise des Missiles, les Américains auraient dû envahir la colonie soviétique [Cuba] pour libérer l’île… Kennedy aurait dû agir avec énergie et de manière drastique pour libérer le peuple cubain et la terre entière du fléau Castro… Il a hésité et ne l’a pas fait et John F. Kennedy y a laissé sa vie. ’ (p. 163) C’est un thème que des anticastristes fanatiques remettent régulièrement à l’ordre du jour: ils reprochent à Kennedy de ne pas être intervenu avec suffisamment de force contre Castro, et d’un seul et même mouvement imputent le meurtre à ceux qui soi-disant ont profité de leur victime (Castro et cie)…

Dans le rapport du Congrès américain (House Select Committee on Assassinations ou HSCA, 1979) l’histoire de Ramírez est expédiée comme ‘incrédible’, après avoir constaté qu’il n’avait pas été capable de décrire la photo de l’assassin de JFK, photo qu’il aurait vue dans le dossier G2; tout aussi peu n’avait-il pu expliquer ce que contenait le texte accompagnateur puisque le document était rédigé en russe et qu’il ne comprenait pas le russe; de plus, son explication comment il aurait obtenu une position de confiance aussi délicate à la G2 n’avait pas été convainquante; et last but not least: chaque assertion de sa part ayant pu être vérifiée par d’autres sources crédibles, s’est avérée sans fondement.

Le ‘journal intime’ de Ramírez se révèle n’être qu’une vieille histoire invraisemblable. Mais selon Huismann le rapport KGB-Oswald-G2, repéré dans le témoignage de Ramírez, est ‘sensationnel’. (Huismann suit bien sûr attentivement la migration d’Oswald vers l’Union soviétique en 1959. Il s’y marie, mais en 1962 il retourne aux Etats-Unis. Pour Huismann, Oswald est un communiste ‘passé à l’autre camp’; d’autres chercheurs sont d’avis que les services de renseignements militaires américains ont envoyé l’ancien soldat d’élite (US Marines) à Moscou pour y effectuer de l’espionnage.) Huismann appuie sa thèse avec un document qu’un certain ‘Nicolai’ a puisé des archives de la KGB. Le document date du 18 juillet 1962, et est adressé à Ramiro Valdez, chef de la G2 cubaine. Il y apparaîtrait que la KGB avait demandé qu’Oswald, qui avait quitté l’Union soviétique, soit tenu à l’oeil, et aussi qu’Oswald serait ‘idéologiquement et psychologiquement labile’. J’écris bien ‘serait’ car le document en question ne nous est pas montré: on voit un homme méconnaissable lire quelque chose à partir d’une feuille de papier. Nous avons déjà mentionné que ‘Nicolai’ avait offert ses services contre paiement à Huismann. D’ailleurs ce document démontre seulement que la KGB n’avait pas confiance en Oswald… et qu’on le soupçonnait d’espionner pour les Etats-Unis.

2. Sept semaines à peu près avant l’assassinat de JFK, Oswald passe quelques jours à Mexico City. Dans Rendezvous mit dem Tod, Huismann cite un document qui, d’après lui, doit être considéré comme le témoignage d’un ‘jeune révolutionnaire’. Le témoin déclare qu’il a vu dans l’ambassade cubaine de Mexico ‘un noir aux cheveux rougeâtres’, remettre 6.500 dollar à Oswald en présence de Silvia Duran, une employée de l’ambassade. Laurence Keenan, ancien agent du FBI qui avait été envoyé au Mexique peu après l’assassinat de JFK pour y reconstruire les allées et venues d’Oswald, dit dans le documentaire qu’il a voulu interroger ce témoin mais qu’il en a été empêché par ses supérieurs. Mais pas de problèmes: Huismann cherche et trouve un certain ‘Antonio’, ancien agent de la G2 qui reste d’ailleurs anonyme. En 1963, il était responsable pour la sécurité de l’ambassade cubaine au Mexique. ‘Antonio’ raconte qu’il a vu Oswald dans le jardin de l’ambassade en compagnie d’un Cubain noir aux cheveux roux, un agent de la G2. Il s’agit, selon Oscar Marino l’autre témoin de Huismann, d’un certain ‘Cesar Morales Mesa’. Huismann suggère que cette affaire n’a pas encore été enquêté. Est-ce bien le cas?

Commentaire. C’est une histoire curieuse: sous les yeux d’un inconnu des agents secrets cubains remettent de l’argent à un des leurs pour exécuter une mission extrêment dangereuse… Le nom du témoin n’est pas mentionné, mais apparaît un court instant sur le document montré dans le documentaire: Gilberto Alvarado… Alvarado est-il ‘un jeune révolutionnaire’, comme le veut faire croire Huismann? Même Mauricio Laguna Berber, le chercheur qu’Huismann a contracté pour son documentaire, écrit sans détours dans un rapport de 2004 qu’Alvarado était un agent anticommuniste qui infiltrait pour le compte du dictateur nicaraguien Somoza, les milieux castristes au Mexique… Laguna ne raconte d’ailleurs rien de nouveau. Alvarado s’est montré sous son vrai jour – non pas en 2004, mais le 30 novembre 1963 déjà, exactement 5 jours après avoir déposé ses déclarations à charge contre Castro. Alvarado dit par après qu’il avait inventé l’histoire pour amener les Etats-Unis à entreprendre ‘une action’ contre Cuba. Remarquons qu’on peut lire tout ceci textuellement dans les rapports de la Commission Warren de 1964… Pour illustrer l’invraisemblance de son témoignage, j’ajoute un passus de sa déclaration: Alvarado prétend que ‘le Noir aux cheveux rougeâtres’ avait dit à Oswald ‘Je veux tuer cet homme’, à quoi Oswald aurait répondu: ‘Tu n’es pas assez homme pour cela. Moi je peux le faire.’ Est-il besoin d’ajouter que de la somme d’argent qu’on aurait remis à Oswald, représentant plus ou moins trois salaires annuels, aucune trace n’a été trouvé?

3. Sur le passage d’Oswald au Mexique, Huismann paraphrase une lettre qu’un certain Pedro Gutierrez a envoyé au président Johnson peu après l’assassinat. Dans la lettre Gutierrez écrit qu’il a vu comment Oswald sortait de l’ambassade cubaine de Mexico et montait dans une voiture cubaine. Selon Huismann il s’agit ‘d’un témoin crédible’, mais le FBI a passé son dossier au service secret mexicain DFS, ‘avec des conséquences désastreuses’. D’après Huismann, Gutierrez vit avec une nouvelle identité aux Etats-Unis, depuis que les Cubains l’ont menaçé de mort.

Commentaire. Pedro Gutierrez affirmera encore qu’il a vu qu’Oswald recevait de l’argent d’un Cubain dehors devant l’ambassade, et qu’il a entendu les mots ‘Castro’, ‘Cuba’ et ‘Kennedy’ … A en croire les informants de Huismann, Oswald a apparamment été briefé à propos de l’assassinat de JFK – non pas dans l’ambassade même, mais de préférence sous les yeux d’étrangers, avec tous les détails nécessaires… S’il fallait nommer un seul lieu où les agents secrets cubains auraient dû rester cois, il s’agirait bien de la ville de Mexico. La CIA et le DFS surveillaient tout particulièrement l’ambassade cubaine, car pour Cuba le Mexique était la seule porte d’entrée au continent dans ces années d’isolement en Amérique latine,. Le FBI a d’ailleurs laissé tomber le témoignage de Gutierrez à partir du moment où il ne reconnaîssait même pas une photo d’Oswald. Pour la déconstruction de son témoignage, ce n’est pas chez Huismann qu’il faut aller chercher, mais bien dans le rapport du HSCA. Il en ressort que Gutierrez n’a pas bien vu l’homme ‘qui est sans doute un Américain’ et qu’il nomme ‘Oswald’, mais il n’est pas du tout certain qu’il s’agit bien d’Oswald.

Ce dont Huismann ne parle pas

Dans Rendezvous mit dem Tod, Alexander Haig, ancien général ultra-conservateur, nous explique le motif que pouvait avoir Castro: Kennedy menaçait de mort les dirigeants cubains et voilà la raison pour laquelle il devait mourir. (note: Haig parle sans gêne de terrorisme d'état de la part des Etats-Unis contre Cuba, il parle de faire exploser des ponts et des raffineries de sucre et de tentatives de meurtre contre les dirigeants cubains) La Havane n'avait-elle pas de motif pour tuer JFK? Fidel Castro parle à une délégation de la commission d'enquête du Congrès américain (1979): 'Que [le gouvernement cubain aurait été impliqué dans la mort de Kennedy] était une idée absurde. D'un point de vue idéologique c'était ridicule. Et d'un point de vue politique une grande folie. Je vais vous dire que personne, personne n’a jamais soulevé une telle idée. Qu’est-ce que cela changerait? Nous avons seulement essayé de défendre notre peuple ici, sur notre territoire. Toute personne adepte de telles idées serait déclarée folle, absolument malade. Jamais, en 20 ans de révolution, n’ai-je entendu quelqu’un suggérer une telle mesure ou même spéculer là-dessus. Qui pourrait imaginer l’idée d’organiser la mort du président des Etats-Unis? Ce serait donner le prétexte parfait aux Etats-Unis pour envahir notre pays – c’est exactement ce que, pendant toutes ces années, j’ai essayé d’empêcher par tous les moyens. Puisque les Etats-Unis sont beaucoup plus puissants que nous, que gagnerions-nous en entamant une guerre contre eux? Les Etats-Unis n’y perdraient rien. La destruction aurait lieu ici.’ Castro indiqua encore que l’assassinat de Kennedy avait porté Johnson au pouvoir: un homme dont on supposait qu’il agirait plus sévèrement envers Cuba que son prédecesseur. Richard Helms, le numéro 2 de la CIA, commenta l’affaire: ‘Nous aurions bombardé Cuba au Moyen Age.’

Le président cubain dit encore que Kennedy était le moindre mal, comparé à Johnson et l’histoire nous le confirme. Au cours des dernières années, des documents secrets ont été libéré et il en ressort que les mois et semaines avant l’assassinat de JFK, La Havane avait insisté auprès de Washington pour entamer des pourparlers secrets sur la possibilité d’entretenir des meilleures relations, et que Kennedy voulait donner suite à cette offre. Rendezvous mit dem Tod n’en parle pas puisque cela n’entre pas dans la thèse de Huismann. Par contre, Huismann donne la parole à Daniel Harker, correspondent d’Associated Press. Harker se rappelle que Castro lui avait dit que ‘des attaques terroristes’ pourraient bien se retourner contre les dirigeants à Washington. Pour Huismann, c’est ‘une preuve concluante’. Est-ce bien ainsi? Disons ceci: si Castro avait ordonné l’attentat contre Kennedy, ne serait-il pas insensé de l’annoncer avec quelques semaines d’anticipation? Les propos de Castro ne doivent-ils pas être interprété plutôt comme un avertissement à Washington comme quoi le soutien des Etats-Unis aux groupes paramilitaires de Cubains exilés d’extrême-droite et mafiosi dans leur lutte contre Castro renforçerait les forces qui finalement menaceraient le cœur du système politique des Etats-Unis? L’histoire des 45 dernières années ne démontre-t-elle pas que terreur et crimes doivent plutôt être cherché du côté de ces groupes et de Washington que du côté de La Havane?

Dans ce contexte il est significatif qu’Huismann nous montre le meurtre d’Oswald par Jack Ruby, mais il ne consacre pas un mot à Ruby et son profond enchevêtrement dans le crime organisé. John F. Kennedy avait nommé son frère Robert ministre de la Justice, et ce dernier menait une bataille juridique féroce contre toute une série de patrons de la mafia, tels que James Hoffa, Carlos Marcello et Santos Trafficante. Le milieu avait certainement un motif solide pour se défaire de JFK; les Kennedy étaient en effet les premiers dirigeants politiques à les attaquer de front. Dans le rapport du HSCA on peut lire le récit d’une longue série de conversations téléphoniques interceptées avec des gangsters de premier rang: ‘Il existe de l’évidence solide (…) que Hoffa, Marcello et Traficante – trois des plus importants sujets susceptibles de poursuite judiciaire par le gouvernement Kennedy – ont parlé avec leurs subordonnés à propos d’un attentat contre le président Kennedy.’ Après l’assassinat, Hoffa dit à Frank Ragano, son avocat: ‘As-tu entendu la bonne nouvelle? Ils ont tué cette crapule.’ Trafficante lui dit beaucoup plus tard: ‘Nous n’aurions pas dû assassiner John. Nous aurions dû tuer Bobby.’

Huismann prive le spectateur de ce contexte plus large, parce qu’il est en contradiction flagrante avec sa propre thèse. Les attentats contre les dirigeants cubains et les sabotages du pays étaient déjà en cours avant que JFK ne devienne président, et continueraient à avoir lieu ensuite. Les hardliners de la CIA et de l’establishment militaire, les expats cubains et les mafiosi étaient beaucoup plus radicaux que Kennedy au sujet de Cuba. Si la politique cubaine de Kennedy avait été le motif pour l’assassinat (ce qui n’est nullement démontré), ceux qui pensaient que JFK était ‘trop mou’ avaient un meilleur motif que ceux qui pensaient que JFK était ‘trop dur’. Huismann tient tout aussi peu compte des conflits à l’intérieur de l’establishment américain – entre le gouvernement, les diehards de la CIA, le Pentagone et le FBI, que des divers groupes de la mafia qui se combattaient mutuellement, mais qui avaient –à l’exception du gouvernement, tout intérêt à ce que l’assassinat soit mis sur le compte des Cubains.

Dans Rendezvous mit dem Tod, Laurence Keenan, l’homme qui avait été envoyé par J. Edgar Hoover, chef du FBI, à Mexico tout de suite après l’assassinat de JFK pour reconstruire les activités d’Oswald, raconte qu’il est retourné aux Etats-Unis trois jours après: Hoover avait abrogé l’enquête – selon Keenan ‘saboté’. Il est tout à fait clair que Hoover, tout comme le nouveau président, ont avorté l’enquête. L’establishment à Washington s’était bien rendu compte que les hardliners anticommunistes – et en premier lieu la CIA, voulaient imputer l’assassinat à Castro. Le président Johnson comprenait bien qu’une enquête ouverte et sérieuse ne saurait ignorer les ‘preuves’ et ‘déclarations’ des ultras sur le lien Cuba-Oswald, ce qui provoquerait un tollé de l’opinion publique en faveur d’une action militaire contre Cuba. Mais conclure comme le fait Huismann, que la connection Cuba-Oswald est un fait qui a été étouffé avec promptitude, est aller trois pas trop loin.

Johnson et co voyaient bien que l’opération pour endommager Castro était incrédible et apparaîtrait bien vite à la surface (ce qui s’est effectivement passé). Et il y avait des raisons de croire qu’une telle enquête se retournerait contre Washington et lui reviendrait comme un boomerang à la figure. Ils se rendaient compte qu’une enquête profonde ne pouvait pas ignorer la terreur d’état américaine contre Cuba, ni le rôle de la mafia ou la connivence profonde entre les services de sécurité et de renseignements et la mafia. Et ils comprenaient qu’une telle enquête allait mettre à jour la sale guerre du FBI contre le mouvement de droits civils et les dissidents politiques en général. (COINTELPRO date de la période 1956-1971. Avec ces Counterintelligence Programs secrets, le FBI voulait ‘mettre à nu, déstabiliser, tromper, discréditer ou neutraliser’ des adversaires, en utilisant des actions juridiques, la guerre psychologique, le cambriolage et le meurtre)

La conclusion de l’enquête était donc établie d’avance: Oswald était un lone assassin. Avec de sérieuses conséquences pour la crédibilité de la politique américaine. Les cover-ups, les documents et témoignages falsifiés, les traces laissées par les agents secrets ainsi que les doubles et les triples agents, l’arrêt-net de la piste Castro-Did-It et, last but not least, l’enquête avortée sur le rôle de la mafia cubaine et américaine, de la CIA et du FBI, démontrent pourquoi 3 sur 4 Américains croient jusqu’à ce jour que l’assassinat de JFK n’était pas dû à l’acte d’un individu isolé, mais à une conspiration soustraite de l’œil publique. Et Castro finit par avoir raison: une grande perte de confiance et de crédibilité, voilà le lourd prix politique que Washington a payé et paie encore aujourd’hui pour avoir donné, dans sa guerre contre Cuba, tout l’espace à la CIA et au Pentagone pour sceller des liens fraternels avec les mafiosi et les groupes terroristes d’exilés cubains.

Escroquerie

Rendezvous mit dem Tod, peut être qualifié d’escroquerie pure et simple. Le documentaire est construit autour de faux documents et de témoins démasqués. Huismann s’inspire de vieilles théories de complots et de manipulations provenant de personnes telles que James Angleton, qui en 1963 était le chef de la branche Contre-espionnage de la CIA (désignée à l’époque la ‘seconde’ ou l’‘alternative’ CIA) et le mastermind de la théorie Cuba-Did-It et de spéculations fébrileuses d’émigrés cubains à Miami. Malgré tout ça, il y a des chances que le documentaire fasse son bonhomme de chemin dans l’opinion publique. Si on fait abstraction du contenu, Rendezvous mit dem Tod a des atouts en main. L’assassinat de Kennedy et la démonisation de Castro sont enracinés dans la mémoire collective européenne sans être entravés par beaucoup de connaissance des faits, de la vision historique ou d’analyse politique. Un documentaire d’un réalisateur renommé sur le combat shakespearien entre le Kennedy adoré et ce diable de Castro? Dans le climat d’aujourd’hui, ça passe sans problème. Rendezvous mit dem Tod semble à première vue bien étoffé: basé sur des recherches qui ont pris trois ans, d’interviews et examens d’archives aux Etats-Unis, en Union soviétique, à Cuba et au Mexique… Huismann cherche à faire croire qu’il approche le sujet de façon équilibrée, et met dans ce but une figure-clé du service secret de Castro au devant de la scène. C’est très habile de sa part car la seule chose que Huismann laisse dire au général Escalante dans le documentaire est que… il dément toutes les assertions de Huismann.

Un documentaire sur un thème aussi délicat prenant position de façon aussi provocante sans apporter de preuves est scientifiquement intenable, réprouvable sur le plan déontologique et, vu les implications possibles (des actions terroristes contre Cuba à partir du sol américain sont encore aujourd’hui une constante) tout simplement criminel. Quoique l’impact du documentaire sera probablement moins grand aux Etats-Unis qu’en Europe: on y est trop bien informé sur l’assassinat de Kennedy et les relations américano-cubaines pour se laisser décontenancer par une enquête superficielle.

L’assassinat du siècle dernier ne sera probablement jamais totalement élucidé. Trop de temps a passé, trop de témoins et impliqués sont morts et trop de spectateurs puissants ou partenaires dans le crime ont reçu les moyens de manipuler les enquêtes, de les falsifier ou saboter. L’assassinat de JFK fonctionne comme un test Rorschach politique: dans la masse immense des centaines de milliers de documents et de témoignages, tout le monde trouve chaussure à son pied pour étayer théories et intérêts et pour souiller des ennemis réels ou imaginaires. La théorie Castro-did-it réapparaît régulièrement à la surface, après avoir été évacuée de la scène peu après les faits: en 1967, 1971 et 1976. A chaque fois une nouvelle enquête allait démarrer, par Garrison, la Commission Church et le House Select Committee. Aujourd’hui c’est pareil. Coïncidence? Probablement que cela ait à voir avec la libération dans les années ’90 de nouveau matériel d’archives américaines sur la politique (de terreur) des Kennedy envers Cuba. D’autre part, le professeur Peter Dale Scott (Berkeley) pense que le foyer sur Castro dans l’enquête JFK pourrait être une avant-première de nouvelles opérations contre Castro.

Ce n’est pas impensable, vu l’attitude agressive de Bush contre l’île. Bush s’est entouré de faucons anti-Castro virulents, tel un Roger Noriega, Otto Reich, John Bolton ou Caleb McCarry. Conforme au Cuban Democray Act, Washington a réservé près de 100 million de dollar – argent distribué par USAID et la CIA, pour accélérer et accompagner la transition à l’époque après-Castro. Bush prétend vouloir mener une War on Terror, mais entre temps il protège les groupes terroristes cubains à Miami. N’est-ce pas significatif que Washington joue le protecteur de Luis Posada Carriles? Les documents de la CIA et du FBI démontrent que Posada Carriles, ancien agent de la CIA et co-fondateur de l’organisation terroriste CORU, trempait dans les attentats contre des cibles civils, et était responsable en 1976 de l’explosion d’un avion civil cubain causant la mort de 73 personnes. Posada Carriles vit aux Etats-Unis en résidence surveillée, inculpé pour être entré illégalement au pays. Pas de référence à la carrière terroriste de Posada, et la demande d’extradition du Vénézuela (Posada est Vénézuélien) est écartée… Entre temps cinq Cubains sont emprisonnés aux Etats Unis depuis 1998. Leur crime? Ils ont infiltré, non-armés, les organisations terroristes anticastristes à Miami pour collecter des informations afin d’éviter des attentats dans leur propre pays. Dans l’ensemble ils ont été condamné quatre fois à perpétuité et à 75 ans de prison ferme pour ‘conspiration’…

Washington stimule et organise discrètement la terreur anticastriste, qui a déjà coûté la vie à plus de trois mille personnes, tandis que Fidel Castro est poussé dans le coin de la terreur. Anthony Summers parle d’un entretien avec William Coleman dans The Times. Coleman lui avait confié qu’il avait rencontré Fidel Castro sur la demande de la Commission Warren (1963-64), et que cette rencontre lui avait appris que Cuba n’avait rien à voir avec l’assassinat de Kennedy. Début janvier 2005, Summers reçoit une lettre de Coleman disant que cette rencontre avec Castro n’avait jamais eu lieu. C’est étrange, conclut Summers, et il explique: le gouvernement Bush auquel Coleman est lié, ne voit sans doute pas d’un mauvais œil que les allégations contre Cuba comme le genre prôné dans le documentaire de Huismann, gagnent en crédibilité?

Ludo De Witte

(Ludo De Witte est l’auteur de e.a. L’assassinat de Lumumba (Karthala, Paris, 2000), et a mené les recherches pour différents documentaires sur la crise congolaise de la VRT, l’ARD et la BBC. Il remercie Jacquie Dever et Paul Evrard pour leur aide aux recherches pour cet article)

(La version originale néerlandaise de cet article est parue sur le site www.uitpers.be)

Annexe: Dissection de Rendezvous mit dem Tod

1. Rendezvous mit dem Tod débute avec l’audition d’une conversation téléphonique entre deux femmes, interceptée par la CIA. L’une d’entre elles travaille à l’ambassade cubaine à Mexico. Elles parlent d’une nouvelle toute fraîche: Kennedy a été assassiné, et elles sont ravies. Huismann nous fait également entendre une conversation du président cubain Dorticós avec un membre de l’ambassade: Dorticós avait appris qu’un dénommé ‘Oswald ou quelque chose dans le genre’ était soupçonné du crime. Cet homme, un Américain, serait castriste.

Commentaire. Ce matériel est connu depuis longtemps et ne prouve rien. La première conversation démontre seulement que JFK était haï pour la low intensity war que Washington menait en permanence contre Cuba, allant de l’embargo économique et l’invasion (La Baie des Cochons), aux attaques terroristes et attentats contre des dirigeants cubains. La deuxième conversation peut être comprise comme quoi le président cubain aurait peur que l’implication cubaine dans l’assassinat pouvait s’ébruiter. C’est clairement l’opinion de Huismann. Mettons que Cuba soit impliqué: mais alors pourquoi le président cubain téléphonerait-il à l’ambassade cubaine de Mexico si minutieusement contrôlée par la CIA à propos d’un dossier aussi explosif? Il procurerait des ‘pièces à conviction’, alors qu’il pouvait obtenir cette information à travers des voies beaucoup plus sûres? Ne serait-il pas plus logique que Dorticós ait craint que les ultras aux Etats-Unis ne réussissent à mettre l’assassinat sur le dos de Cuba en vue de provoquer un conflit entre les Etats-Unis et Cuba, et qu’il ait pris le téléphone dans une réaction émotionnelle?

2. Dans Rendezvous mit dem Tod, Antulio Ramírez est mis au devant de la scène. En 1961, il monte dans un avion à Miami, détourne l’engin et l’oblige à faire escale à Cuba. Selon Huismann, il est honoré comme un héros à Cuba. Ramírez prétend que les Cubains lui étaient reconnaissants pour l’avion qu’il leur avait amené… quoique que l’engin ait été remis aux Etats-Unis quelques heures à peine après son arrivée. Les Cubains avaient donc complètement confiance en Ramírez, et ensuite – comme le veut faire croire Rendezvous mit dem Tod, il est devenu agent secret cubain. Depuis 1975, il vit de nouveau aux Etats-Unis ou Huismann l’a rencontré. Des officiers du service secret cubain G2 ont raconté à Ramírez qu’ils voulaient ‘éliminer’ Kennedy, dit-il dans l’interview. C’est dans les locaux de la G2 à La Havane qu’il a pu mettre la main sur un dossier ‘Oswald-Kennedy’ et consulter ‘quelques documents’. Dans ce dossier on peut lire que la KGB recommande Oswald auprès des Cubains, à part quelques réserves émises: Oswald est – toujours selon la KGB, ‘un aventurier émotionnel’.

Commentaire. Il est pour le moins étrange que Ramírez, qui venait des Etats-Unis et devait par conséquent susciter de la méfiance, ait reçu accès à un dossier aussi explosif, ayant pour titre révélateur ‘Oswald-Kennedy’ … Notre scepticisme ne fait que renforcer quand Ramírez commence à lire à haute voix dans son journal intime. Il s’agit d’un texte écrit sur feuilles A4 qui paraissent toutes neuves. Le texte consiste en phrases bien tournées, sans aucune rature… comme s’il s’agissait d’une histoire finie et prête à être publiée. On voit très clairement la moitié d’une page, accompagnée d’un extrait de document G2 que Ramírez aurait consultée: ‘La KGB (policía secreta rusa) nos recomienda’ etc. Un agent secret cubain dans un document G2 mentionnerait-il à côté de l’acronyme le nom entier de l’organisation-sœur de l’Union soviétique? Ceci pue la contrefaçon…

Huismann aime à dire qu’il a des révélations à faire, mais en fait il n’en est rien. En 1977, peu après son arrivée à Miami, Ramírez a remis le texte dont parle Huismann dans son documentaire, aux autorités américaines. Son texte, au titre surfait ‘Castro’s Red Hot Hell’, est disponible sur internet depuis belle lurette… Quiconque lit avec attention ‘Castro’s Red Hot Hell’, tombe sur des anecdotes et analyses des plus fantasques. C’est ainsi que Ramírez prétend que Fidel Castro avait élaboré un plan pour attaquer des cibles américaines avec 18 MIG afin de provoquer une guerre entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, mais que les militaires russes l’en ont empêché à temps… (pp. 174 es.) Plus loin il écrit: ‘Du temps de la Crise des Missiles, les Américains auraient dû envahir la colonie soviétique [Cuba] pour libérer l’île… Kennedy aurait dû agir avec énergie et de manière drastique pour libérer le peuple cubain et la terre entière du fléau Castro… Il a hésité et ne l’a pas fait et John F. Kennedy y a laissé sa vie. ’ (p. 163) C’est un thème que des anticastristes fanatiques remettent régulièrement à l’ordre du jour: ils reprochent à Kennedy de ne pas être intervenu avec suffisamment de force contre Castro, et d’un seul et même mouvement imputent le meurtre à ceux qui soi-disant ont profité de leur victime (Castro et cie)…

Dans le rapport du Congrès américain (House Select Committee on Assassinations ou HSCA, 1979) l’histoire de Ramírez est expédiée comme ‘incrédible’, après avoir constaté qu’il n’avait pas été capable de décrire la photo de l’assassin de JFK, photo qu’il aurait vue dans le dossier G2; tout aussi peu n’avait-il pu expliquer ce que contenait le texte accompagnateur puisque le document était rédigé en russe et qu’il ne comprenait pas le russe; de plus, son explication comment il aurait obtenu une position de confiance aussi délicate à la G2 n’avait pas été convainquante; et last but not least: chaque assertion de sa part ayant pu être vérifiée par d’autres sources crédibles, s’est avérée sans fondement.

Le ‘journal intime’ de Ramírez se révèle n’être qu’une vieille histoire invraisemblable. Mais selon Huismann le rapport KGB-Oswald-G2, repéré dans le témoignage de Ramírez, est ‘sensationnel’. (Huismann suit bien sûr attentivement la migration d’Oswald vers l’Union soviétique en 1959. Il s’y marie, mais en 1962 il retourne aux Etats-Unis. Pour Huismann, Oswald est un communiste ‘passé à l’autre camp’; d’autres chercheurs sont d’avis que les services de renseignements militaires américains ont envoyé l’ancien soldat d’élite (US Marines) à Moscou pour y effectuer de l’espionnage.) Huismann appuie sa thèse avec un document qu’un certain ‘Nicolai’ a puisé des archives de la KGB. Le document date du 18 juillet 1962, et est adressé à Ramiro Valdez, chef de la G2 cubaine. Il y apparaîtrait que la KGB avait demandé qu’Oswald, qui avait quitté l’Union soviétique, soit tenu à l’oeil, et aussi qu’Oswald serait ‘idéologiquement et psychologiquement labile’. J’écris bien ‘serait’ car le document en question ne nous est pas montré: on voit un homme méconnaissable lire quelque chose à partir d’une feuille de papier. Nous avons déjà mentionné que ‘Nicolai’ avait offert ses services contre paiement à Huismann. D’ailleurs ce document démontre seulement que la KGB n’avait pas confiance en Oswald… et qu’on le soupçonnait d’espionner pour les Etats-Unis.

3. Le spectateur fait la connaissance d’Oscar Marino, ‘un agent secret cubain’ qui d’après Huismann ‘s’étend pour la première fois sur le rôle de Cuba dans l’assassinat de JFK’. Marino déclare que la G2 cubaine a contacté Oswald en novembre 1962. Oswald ne répondait certainement pas au profil type d’agent secret, mais ça ne l’a pas empêché de devenir une des figures-clé de La Havane aux Etats-Unis, parce que, prétend Marino, ‘nous avions besoin de gens (…) imagine-toi, [enfin nous avions] quelqu’un aux Etats-Unis’. Ailleurs, Marino dit encore ‘Il n’y avait personne d’autre. On prend ce qu’on peut. Oswald s’est présenté lui-même pour tuer JFK.’

Commentaire. Marino ‘le témoin principal’ ne nous est pas montré de face. Nous n’avons trouvé aucune trace de cette personne, nulle part. Ce ‘témoin principal’ de Huismann n’a rien vu ni connu de ses propres yeux, mais est au courant de beaucoup de choses, comme il le prétend. Le problème est que ces racontages restent toujours vagues, très difficile à prouver ou à réfuter, et éventés auparavant par des anticastristes. Dans ces milieux d’exilés anticastristes et conspirateurs un tas de rumeurs font le tour: il est bien possible que Marino ait repris et recyclé ces histoires… Encore une remarque: nous verrons plus loin qu’Oswald s’est disputé avec le personnel de l’ambassade cubaine à Mexico en novembre 1963, ou un an après avoir été recruté par la G2. N’est-ce pas une drôle de façon de faire pour un agent secret?

4. Huismann parle dans son documentaire Rendezvous mit dem Tod de l’attentat opéré le 10 avril 1963 sur l’ancien général d’extrême-droite Edwin Walker, – un attentat qu’il impute à Oswald, ce qui lui procure des lettres de noblesse en tant que ‘révolutionnaire’ capable d’attentat … sur JFK.

Commentaire. Il n’est pas clair qui est responsable de l’attentat contre Walker. Quoique beaucoup estiment qu’Oswald est responsable, la preuve ultime n’a jamais été livrée. On a tiré sur Walker, mais il n’a pas été atteint, alors que le tireur se tenait tout près et que Walker était assis à son bureau (Oswald était certainement un bon tireur); d’autre part les balles qui ont été dirigé contre Walker sont du même type que les balles qui ont tué JFK.

Dallas et New Orleans, villes où Oswald a vécu, étaient des bastions de groupes anticastristes, et la CIA était très active dans ces milieux. Rendezvous mit dem Tod traçe un portait d’Oswald comme communiste et adepte de Castro, mais l’homme était actif aussi bien dans des milieux pro- qu’anticastristes. Oswald infiltrait-il les castristes, les anticastristes ou l’un et l’autre (comme double espion), ou était-il simplement un déséquilibré manipulé? Chacun de ces points de vue a ses adeptes, et sont étayés par bon nombre de preuves. Le spectateur de Rendezvous mit dem Tod n’est pourtant pas informé: seule ‘l’information’ qui place Oswald dans le camp de Castro, est mise en lumière.

Qui connaît un peu le dossier, sait que les ‘preuves’ de Huismann sont contestables, si pas nulles. Un exemple. Selon Huismann Oswald fonde un comité de solidarité avc Cuba à La Nouvelle Orléans et y infiltre des milieux anticastristes. Pourtant il existe des pièces à conviction pour la thèse contraire: Oswald comme activiste de droite qui infiltre les groupes castristes. Huismann nous fait part du corps à corps qu’il y a eu entre Oswald et l’anticastriste Carlos Bringuier dans Canal Street où Oswald était en train de distribuer des tracts pro-Castro. Et il montre les images du débat-radio du 21 août 1963, diffusé suite à l’incident, au cours duquel Oswald se déclare ‘marxiste’. Mais il ne dit pas qu’Oswald s’était présenté lui-même comme porte-parole d’un comité pro-cubain; que l’adresse de contact sur les tracts procubains d’Oswald avait hébergé une organisation anticastriste; que Bringuier était actif dans un groupe anticastriste (DRE) ‘financé par les Etats-Unis’ (rapport du House Select Committee on Assassinations); et que ce même Bringuier avait prévu des cameras qui filmaient le tout de façon à ce qu’Oswald jouisse depuis lors de quelque notoriété comme pro-Castro (‘marxiste’). Pour étayer sa thèse, Huismann laisse la parole à la femme d’Oswald: celle-ci déclare qu’Oswald voulait aller à Cuba, et que pour y arriver elle aurait dû l’aider à détourner un avion… Mais qu’est-ce que cela prouve-t-il, sinon qu’Oswald était un déséquilibré, un provocateur, un infiltrant d’extrême-droite ou plusieurs de ces personages en même temps? Antonio Veciana, fondateur du groupe terroriste Alpha 66, n’a-t-il pas reconnu qu’il avait rencontré Oswald en compagnie d’un agent de la CIA? Huismann ne pose pas ces questions, et reste loin d’une quelconque réponse. Le spectateur est prié de voir dans le comportement d’Oswald un amour aveugle pour Castro. Pour conclure, Huismann laisse la parole à son témoin Marino: Oswald veut ‘combattre comme le Che et Fidel’ et veut aller à Cuba. …

5. Une époque-clé dans la vie d’Oswald pour ceux qui le taxent comme un adepte de Castro, consiste en son séjour à Mexico, du 27 septembre au 2 octobre 1963, sept semaines à peu près avant l’assassinat de Kennedy: selon les théories Castro-Did-It, c’est à Mexico qu’Oswald reçut l’ordre des Cubains d’assassiner Kennedy. Silvia Duran, une employée de l’ambassade cubaine à Mexico, raconte dans Rendezvous mit dem Tod qu’Oswald s’est fâché dans l’ambassade parce qu’il ne recevait pas de visa pour Cuba. D’après Duran, le consul a mis Oswald à la porte et n’a plus eu de contact avec lui par la suite. Selon Huismann, Duran ment quant à ce dernier point. Le réalisateur prétend que 2 années de recherche lui ont permis de mettre à jour ‘la vie secrète’ d’Oswald à Mexico. Il donne la parole à l’auteure mexicaine Helena Garro Paz (fille d’Octavio Paz), qui dit avoir vu lors d’une fête d’un dirigeant du parti communiste mexicain, le couple Horacio et Silvia Duran, mais aussi Lee Harvey Oswald. Silvia Duran aurait dit à Paz qu’elle avait introduit Oswald. Silvia Duran toutefois le nie avec fermeté.

Commentaire. La visite d’Oswald à Mexico est entourée de mystères. Premièrement: était-ce bien Oswald à Mexico, ou s’agissait-il d’un double? Dans un télégramme de la CIA datant de cette période, il est écrit que l’‘Oswald’ qui a visité Mexico avait ‘plus ou moins 35 ans’, alors qu’Oswald n’était âgé que de 23 ans. Le même télégramme note qu’Oswald a eu dans l’ambassade soviétique de Mexico un entretien avec Valery Kostikov, agent de la KGB chargé d’attentats et sabotages. Le jour suivant la CIA envoie un télégramme au FBI sur les activités d’Oswald à Mexico, toutefois sans mentionner son contact avec Kostikov… De deux choses l’une: s’il y a eu contact, il aurait dû être communiqué instamment et analysé proprement (cela n’a pas été fait); si le contact n’a pas eu lieu, il est probablement question d’un cover-up… De toutes façons: les photos et la voix d’‘Oswald’ à Mexico font conclure un chercheur du HSCA et le FBI que l’‘Oswald’ qui était à Mexico, n’était pas le véritable Oswald … Faut-il ajouter qu’Huismann ne souffle mot de toute l’affaire?

6. Sept semaines à peu près avant l’assassinat de JFK, Oswald passe quelques jours à Mexico City. Dans Rendezvous mit dem Tod, Huismann cite un document qui, d’après lui, doit être considéré comme le témoignage d’un ‘jeune révolutionnaire’. Le témoin déclare qu’il a vu dans l’ambassade cubaine de Mexico ‘un noir aux cheveux rougeâtres’, remettre 6.500 dollar à Oswald en présence de Silvia Duran, une employée de l’ambassade. Laurence Keenan, ancien agent du FBI qui avait été envoyé au Mexique peu après l’assassinat de JFK pour y reconstruire les allées et venues d’Oswald, dit dans le documentaire qu’il a voulu interroger ce témoin mais qu’il en a été empêché par ses supérieurs. Mais pas de problèmes: Huismann cherche et trouve un certain ‘Antonio’, ancien agent de la G2 qui reste d’ailleurs anonyme. En 1963, il était responsable pour la sécurité de l’ambassade cubaine au Mexique. ‘Antonio’ raconte qu’il a vu Oswald dans le jardin de l’ambassade en compagnie d’un Cubain noir aux cheveux roux, un agent de la G2. Il s’agit, selon Oscar Marino l’autre témoin de Huismann, d’un certain ‘Cesar Morales Mesa’. Huismann suggère que cette affaire n’a pas encore été enquêté. Est-ce bien le cas?

Commentaire. C’est une histoire curieuse: sous les yeux d’un inconnu des agents secrets cubains remettent de l’argent à un des leurs pour exécuter une mission extrêment dangereuse… Le nom du témoin n’est pas mentionné, mais apparaît un court instant sur le document montré dans le documentaire: Gilberto Alvarado… Alvarado est-il ‘un jeune révolutionnaire’, comme le veut faire croire Huismann? Même Mauricio Laguna Berber, le chercheur qu’Huismann a contracté pour son documentaire, écrit sans détours dans un rapport de 2004 qu’Alvarado était un agent anticommuniste qui infiltrait pour le compte du dictateur nicaraguien Somoza, les milieux castristes au Mexique… Laguna ne raconte d’ailleurs rien de nouveau. Alvarado s’est montré sous son vrai jour – non pas en 2004, mais le 30 novembre 1963 déjà, exactement 5 jours après avoir déposé ses déclarations à charge contre Castro. Alvarado dit par après qu’il avait inventé l’histoire pour amener les Etats-Unis à entreprendre ‘une action’ contre Cuba. Remarquons qu’on peut lire tout ceci textuellement dans les rapports de la Commission Warren de 1964… Pour illustrer l’invraisemblance de son témoignage, j’ajoute un passus de sa déclaration: Alvarado prétend que ‘le Noir aux cheveux rougeâtres’ avait dit à Oswald ‘Je veux tuer cet homme’, à quoi Oswald aurait répondu: ‘Tu n’es pas assez homme pour cela. Moi je peux le faire.’ Est-il besoin d’ajouter que de la somme d’argent qu’on aurait remis à Oswald, représentant plus ou moins trois salaires annuels, aucune trace n’a été trouvé?

7. Sur le passage d’Oswald au Mexique, Huismann paraphrase une lettre qu’un certain Pedro Gutierrez a envoyé au président Johnson peu après l’assassinat. Dans la lettre Gutierrez écrit qu’il a vu comment Oswald sortait de l’ambassade cubaine de Mexico et montait dans une voiture cubaine. Selon Huismann il s’agit ‘d’un témoin crédible’, mais le FBI a passé son dossier au service secret mexicain DFS, ‘avec des conséquences désastreuses’. D’après Huismann, Gutierrez vit avec une nouvelle identité aux Etats-Unis, depuis que les Cubains l’ont menaçé de mort.

Commentaire. Pedro Gutierrez affirmera encore qu’il a vu qu’Oswald recevait de l’argent d’un Cubain dehors devant l’ambassade, et qu’il a entendu les mots ‘Castro’, ‘Cuba’ et ‘Kennedy’ … A en croire les informants de Huismann, Oswald a apparamment été briefé à propos de l’assassinat de JFK – non pas dans l’ambassade même, mais de préférence sous les yeux d’étrangers, avec tous les détails nécessaires… S’il fallait nommer un seul lieu où les agents secrets cubains auraient dû rester cois, il s’agirait bien de la ville de Mexico. La CIA et le DFS surveillaient tout particulièrement l’ambassade cubaine, car pour Cuba le Mexique était la seule porte d’entrée au continent dans ces années d’isolement en Amérique latine,. Le FBI a d’ailleurs laissé tomber le témoignage de Gutierrez à partir du moment où il ne reconnaîssait même pas une photo d’Oswald. Pour la déconstruction de son témoignage, ce n’est pas chez Huismann qu’il faut aller chercher, mais bien dans le rapport du HSCA. Il en ressort que Gutierrez n’a pas bien vu l’homme ‘qui est sans doute un Américain’ et qu’il nomme ‘Oswald’, mais il n’est pas du tout certain qu’il s’agit bien d’Oswald.

8. Huismann donne encore la parole à un témoin anonyme (‘Reynoso’). Il s’agit d’un Cubain, ancien G2, et il procure de ‘l’information concluante’. En 1963 il était archiviste de la G2. Il a vu en juin 1963 un dossier ‘Oswald’ classé dans la série ‘collaborateurs étrangers de la Révolution’. Il n’a pas pu consulter le dossier, mais sait qu’il y a eu des contacts entre le G2 et Oswald. Huismann: ‘Oswald était déjà un agent du service secret cubain quand il fait irruption à Mexico.’ Un peu plus loin, Huismann spécifie: ‘Déjà depuis fin 1962, Oswald est sous les ordres du service secret cubain.’ Enfin, l’ancien diplomate cubain Rafael Nuñez entre en scène. Il dit que l’agent secret cubain Fabian Escalante a rencontré Oswald à Mexico en 1963 – ce qu’Escalante dément avec force.

Commentaire. ‘Reynoso’ et Nuñez racontent en fait la même histoire que l’escroc Antulio Ramírez, mais le second essaie en même temps de discréditer Escalante. Aucune indication, voire des preuves ne sont apportées pour étayer ces inculpations. Nuñez, un ancien diplomate, a purgé autrefois une peine de prison à Cuba pour espionnage pro-américain. Depuis lors il lutte contre Castro à partir de la Floride. A aucun moment, Huismann n’appuie la thèse comme quoi Oswald aurait travaillé pour le G2 depuis fin 1962.

9. Dans Rendezvous mit dem Tod, Huismann visite les Archives Nationales Mexicaines où sont également hébergées les archives de la DFS (Dirección Federal de Seguridad, les services secrets mexicains). Selon Huismann, le dossier Oswald comporte 4.000 documents, mais il reçut la permission pour n’en consulter que 30. Il montre un document avec les questions posées à l’époque par la DFS à Silvia Duran. On lui avait demandé entre autres ce qu’elle savait d’un ‘Noir cubain au cheveux roux et une cicatrice’ et ses contacts avec Oswald, et des contacts entre Oswald et les Cubains et les Soviétiques en général.

Commentaire: Huismann suggère que le DFS avait traçé les contacts entre Oswald et le G2. En fait le DFS confrontait Silvia Duran, qui avait été arrêté après l’assassinat de JFK, aux inculpations fausses de l’agent somoziste Gilberto Alvarado. Le document montré ne prouve donc rien… sauf qu’une opération cover-up, une tentative du DFS pour imputer l’assassinat aux Cubains, était en cours. Enfin, on peut remarquer qu’une analyse de 30 documents provenant d’un dossier de 4.000 documents ne peut jamais mener à des conclusions scientifiques.

10. Antulio Ramírez, le soi-disant agent G2 qui dans son ‘journal intime’ dut se rappeler que ‘KGB’ signifiait bien ‘service secret russe’, déclare que son chef ‘Martín’ l’avait informé d’avance sur l’opération Kennedy. Le G2 l’avait informé d’avance que JFK serait assassiné en novembre 1963. Huismann confie au spectateur que le quartier général de la G2 dans les jours précédant l’assassinat ‘attendait avec tension’ les évènements.

Commentaire: Le témoignage de Ramírez provient d’un texte vieux de 30 ans ‘Castro’s Red Hot Hell’; c’est un cocktail d’histoires invraisemblabes dont j’ai déjà mentionné qu’ils n’ont jamais été pris au sérieux par les autorités américaines. Dans ce contexte, le commentaire de Huismann peut être qualifié de manipulation d’opinion.

11. Dans le documentaire Alexander Haig prend la parole. Depuis quatre décennies, Haig est une des éminences grises de la droite américaine. En 1963, ce faucon était étroitement impliqué dans les opérations secrètes de Cuba en tant qu’officier et collaborateur du ministre de la Défense Cyrus Vance. Haig raconte une anecdote sur la première réunion du groupe de travail informel après l’assassinat de JFK, qui organisait à partir de la Maison Blanche les opérations secrètes contre Cuba: le ‘Special Group’. Lors de cette réunion le président Johnson aurait dit qu’il ne fallait pas que le peuple américain croie que Castro avait ordonné l’assassinat de Kennedy. Haig avait alors montré un dispatch de la CIA ou était mentionné qu’Oswald n’était pas seulement allé au Mexique mais égalenemt à Cuba, mais on avait rétorqué qu’il s’agissait d’un non-message. Joseph Califano prend également la parole. Califano a été collaborateur de Robert F. Kennedy, et dit que Robert pensait que sa lutte contre Castro avait mené à la mort de son frère.

Commentaire. Huismann met en scène quelques sabreurs anticommunistes. Al Haig: successivement adjoint des ministres de la Défense Cyrus Vance et Robert McNamara, adjoint du conseiller présidentiel d’Henry Kissinger, conseiller du président Richard Nixon et enfin ministre des Affaires Etrangères sous le président Ronald Reagan. Son adjoint de l’époque, Michael Ledeen, fait autorité auprès de George Bush, le président actuel. Joseph Califano était adjoint de Cyrus Vance et, avec Haig, impliqué dans les actions-commando contre Cuba. Une autre voix dans le documentaire est celle de Sam Halpern, qui fut un jour l’adjoint du faucon de la CIA, Richard Helms. Halpern est de loin une des voix les plus virulentes anti-JFK parmi les agents de la CIA dans les années soixante. Tous accusent Castro d’une manière ou autre de l’assassinat de Kennedy. Mis à part le fait qu’ils n’apportent aucune preuve pour étayer cette thèse, on peut tout simplement retourner la chose: ces anticastristes ont un motif pour inculper Castro. S’il a été question de conspiration, il faut aller chercher les intéressés dans l’assassinat de Kennedy en premier lieu dans le milieu, les Cubains anticastristes aux Etats-Unis et les faucons de la CIA, le FBI et le Pentagone. Mais le spectateur n’apprend rien à ce sujet. Nous allons approfondir la question dans cet article.

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